Texte intégral
Merci Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité effectuer ce déplacement en Ukraine très vite après ma prise de fonctions pour porter un message d'amitié et même d'admiration à l'Ukraine et au peuple ukrainien. Ce déplacement était nécessaire pour marquer ce soutien parce qu'être présent, être là aujourd'hui, c'est une partie visible de notre soutien, qui vient en complément de l'aide, vous l'avez rappelé, humanitaire, économique, financière, diplomatique, militaire que la France apporte à l'Ukraine et qu'elle continuera d'apporter.
C'est un message que je porte au nom du Président de la République et du peuple français, dont je vous ai fait part, cher Dmytro, et dont je ferai part bien sûr cet après-midi au Président Zelensky.
Le message de la France est aussi un message d'amitié. L'Ukraine fait partie de la famille européenne. Et ce qui se passe ici sur notre continent nous concerne tous. Ce qui se joue dans ce pays, ce n'est pas uniquement la sécurité de l'Ukraine, c'est notre sécurité collective. La sécurité d'un continent qui a été ravagé pendant des siècles et en particulier au siècle dernier par une succession de conflits. Un continent sur lequel la Russie par cette agression qui viole toutes les lois du droit international, et qui viole également tous ses engagements nationaux, un continent sur lequel la Russie a fait le choix de la guerre.
La France est solidaire des épreuves subies par le peuple ukrainien. Elle l'est depuis 2014, et pas seulement depuis le 24 février. J'étais ce matin à Boutcha, parce que je souhaitais me rendre sur le lieu des exactions commises par des soldats russes, là comme dans d'autres villes d'Ukraine. Et face à de tels actes, je veux le dire avec force, il ne saurait y avoir d'impunité. Nous en avons en effet parlé, Monsieur le Ministre. C'est tout le sens de l'engagement de la France aux côtés de la Cour pénale internationale et aux côtés de Mme la Procureure générale d'Ukraine. Et vous savez aussi que nous avons été les premiers à envoyer une équipe d'enquêteurs spécialisés pour documenter l'existence de possibles crimes de guerre. Je salue leur travail et j'ai vu l'un d'entre eux ce matin.
Nous avons parlé également de la situation sur le terrain. Je mesure pleinement la difficulté et l'urgence de cette situation alors que les combats font rage à quelques centaines de kilomètres à l'Est de Kiev, et alors que la Russie multiplie les attaques et les bombardements, contre les populations civiles également.
Face à cette situation, nous ne pouvons pas nous permettre de faire preuve de faiblesse et nous devons agir avec détermination pour mobiliser l'ensemble des leviers qui sont à notre disposition.
Tout d'abord, nous devons continuer de rendre insoutenable le coût de la poursuite de cette agression pour la Russie. C'est tout l'objectif des sanctions, elles sont d'une ampleur sans précédent et elles visent le pouvoir russe et tous ceux qui contribuent à son effort de guerre. La France, vous l'avez dit Monsieur le Ministre, exerce en ce moment la présidence du Conseil de l'Union européenne. Elle ne ménagera pas ses efforts pour que nous poursuivions et parvenions à un accord sur le sixième paquet de sanctions et discussions, car il faut réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Il y aura un Conseil européen cet après-midi et demain, ne préjugeons pas mais l'espoir que nous formons est en effet qu'une décision puisse être prise dès aujourd'hui.
Deuxièmement, nous devons également continuer à porter une aide militaire à l'Ukraine. Je voudrais redire que pas plus que ses alliés, la France n'est en guerre avec la Russie. Elle ne l'est pas. Mais notre engagement est fort pour appuyer l'Ukraine en lui apportant des équipements de défense, ceux qui lui sont nécessaires pour se défendre. Nous avons à ce sujet des échanges anciens et constants avec les autorités ukrainiennes pour évaluer leurs besoins, et pour évaluer notre capacité à y répondre. Et je vous rappelle que le Président de la République a fait récemment part de sa décision au Président Zelensky de poursuivre et même de renforcer notre appui en la matière. Et c'est ce qui a été fait, Monsieur le Ministre, vous avez évoqué l'arrivée des canons Cesar, cet appui se poursuivra.
Il se poursuivra, comme nous poursuivrons le soutien massif que nous apportons aux populations ukrainiennes. Nous avons mobilisé, déjà, plus de 100 millions d'euros sur le volet humanitaire ; de nombreuses collectivités territoriales françaises se sont également mobilisées aux côtés de l'Etat ; des biens de première nécessité vous sont parvenus, de même que des semences et des matériels médicaux, du matériel de soutien à la sécurité civile . Et cet après-midi, j'assisterai, dans quelques heures, à la remise d'un convoi d'ambulances et de véhicules incendie, et d'un véhicule médical, qui étaient partis de Paris, en présence de Jean-Yves Le Drian, mon prédécesseur, auquel je rends hommage, et qui vont arriver aujourd'hui, à Kiev, en ma présence.
Au total, ce sont deux milliards de dollars d'aide qui ont été promis par le Président de la République, ce qui porte la France et c'est un motif de fierté, mais c'est naturel, au tout premier rang des soutiens internationaux de l'Ukraine ; l'Ukraine qui se bat pour sa souveraineté et son intégrité territoriale.
Nous avons abordé aussi la question européenne, le Ministre l'a dit, et je confirme que nous sommes favorables également à un rapprochement de l'Ukraine à l'Union européenne et même à un rapprochement accéléré, l'Ukraine a déposé une demande d'adhésion et souhaite rejoindre la famille européenne, c'est un souhait légitime. Cette demande, vous le savez, sera examinée fin juin par les chefs d'Etat ou de gouvernement, après avoir pris connaissance de l'avis de la Commission, un avis qui est attendu d'ici la mi-juin. Alors, je ne peux pas préjuger de la décision qui sera prise par le Conseil européen d'ici fin juin, mais nous aurons à coeur, en tant que présidence d'assurer l'unité des Européens en faveur d'un geste positif, sur la base de critères et de conditions précises, selon l'avis de la Commission. Et en complément, je dis bien en complément, merci de l'avoir compris, Dmytro, nous souhaitons offrir, dès maintenant des possibilités de coopération, je dirais même des garanties de coopération à l'Ukraine, qui ne sont en aucun cas un substitut à sa marche vers l'Union européenne ; il ne s'agit pas d'une alternative, il s'agit d'un complément, parce que nous voulons ouvrir des voies de solidarité et des coopérations concrètes, dès maintenant, le plus rapidement possible. C'est la proposition qu'a faite le Président de la République, de communauté politique européenne, dont nous avons parlé, et dont il a eu l'occasion de parler, et il en reparlera très certainement avec le président Zelensky.
Et je voudrais conclure sur un sujet majeur et urgent à la fois, qui est la nécessité de déployer ensemble tous nos efforts pour parvenir à limiter le plus possible les conséquences de l'agression russe sur le marché alimentaire mondial. Il y a des forts risques, le Président de la République en a fait l'une de ses priorités, il a porté au Conseil européen l'initiative FARM, et aujourd'hui nous voudrions, avec nos amis et partenaires, tout faire pour parvenir à débloquer les quelque 20 ou 22 millions de tonnes de céréales ukrainiennes qui sont bloquées dans les ports ukrainiens et que l'Ukraine ne peut pas exporter, du fait de l'agression russe.
Et je vais être très claire : ce ne sont pas les sanctions internationales qui empêchent les exportations de céréales, c'est la guerre, choisie par la Russie et menée par elle en Ukraine. Il est essentiel que sur ce sujet, comme sur d'autres, nous trouvions une solution pour limiter les conséquences dommageables, même au-delà de l'Ukraine et éviter une situation de pénurie s'installe qui serait lourde pour nombre de pays dans le monde.
Voilà en quelques mots ce dont nous avons pu parler, voilà quel est l'objectif de ma visite, une visite d'amitié, de soutien et de manifestation de solidarité à l'Ukraine, auprès de laquelle nous sommes côte à côte, et pour longtemps.
Merci, cher Dmytro.
Q - Madame Colonna, Madame la Ministre, vous parlez, vous, de la volonté du Président Emmanuel Macron de renforcer l'aide humanitaire à l'Ukraine. Alors, allez-vous livrer davantage d'armes à l'Ukraine ? Si oui, quand ? Lesquels ? Pour combien ? Boris Johnson plaide, lui, par exemple, pour une livraison de lance-roquettes multiples ; qu'en serait-il ?
R - Le Président de la République, en effet, a indiqué à M. Zelensky que la France poursuivrait et renforcerait ses livraisons d'armements, dans le cadre d'un dialogue dont je rappelais qu'il était ancien et qu'il permettait de tout à la fois évaluer les besoins de l'Ukraine et évaluer nos capacités à y répondre.
Cela a été traduit rapidement dans les faits. Le ministre Kuleba vous a rappelé notamment l'arrivée de canons Caesar ; d'autres sont attendus. Nous n'avons pas pour habitude de parler de ces questions ouvertement ou sur la place publique ; nous en parlons entre amis. Je peux vous dire, néanmoins, que les quelques semaines qui viennent devraient permettre de constater qu'il y a une réponse concrète à votre question.
(...)
Q - (...) Le Président Macron est, je crois, le leader mondial à avoir des échanges les plus réguliers et fréquents avec le Président Poutine. Est-ce que ces échanges peuvent aboutir à quelque chose et quelles sont les raisons de M. Macron de penser ainsi ?
(...)
R - Je réponds volontiers à votre question. La France maintient un canal de communication avec la Russie. Elle n'est pas la seule à le faire. Elle pense que c'est utile et même nécessaire pour faire passer un certain nombre de messages. Et je crois comprendre que les conversations entre le Président de la République et Vladimir Poutine sont des conversations directes et franches. Cela permet aussi de parler d'un certain nombre de sujets précis et importants, par exemple, avant-hier, celui des céréales.
Et puis sur le fond, la France condamne l'agression. Elle a été au premier rang pour qu'aux Nations unies la communauté internationale se rassemble pour condamner l'agression russe. Elle condamne l'agression russe et elle soutient l'Ukraine par tous les moyens que j'ai rappelés. Aujourd'hui, on le voit bien, la situation est difficile ; les combats sont intenses, et l'heure ne semble pas être à la négociation. Mais comme le rappelle le Président Zelensky, un jour le dialogue devra venir. Ce dialogue ne peut avoir d'intérêt que s'il est, bien sûr, sincère, sérieux, et avec pour objectif d'aboutir, et non pas d'occuper le terrain d'une autre manière ; mais dans ce dialogue, il faut bien être deux. Nous sommes aux côtés de l'Ukraine pour le faciliter, si c'est possible, au moment où elle le souhaitera, quand elle le souhaitera, et dans les conditions auxquelles elle le souhaitera. Pour ça, des échanges sont utiles avec tous. C'est le rôle de notre pays, pas seul, mais avec d'autres, de maintenir les espaces de dialogue ouverts.
Q - La France est accusée de considérer l'Ukraine comme des Européens de seconde zone, avec le projet de Communauté politique européenne. Qu'en est-il alors que l'Ukraine demande un statut égal aux autres membres de l'UE et que le Royaume-Uni propose une alliance alternative ?
R - J'ai déjà, en relatant la première partie de nos discussions avec le ministre Kuleba, rappelé que nous avons eu l'occasion, peut-être, d'être mieux compris. La candidature de l'Ukraine à l'Union européenne sera examinée prochainement par le Conseil européen, donc au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement, sur la base d'un avis de la Commission que nous ne connaissons pas encore parce qu'il n'est pas encore rendu.
Pour autant, quelle que soit la décision du Conseil européen, et nous souhaitons qu'un geste favorable soit conclu en faveur de l'Ukraine, il y aura un travail à faire dès maintenant. Nous proposons de l'engager dès maintenant pour construire des coopérations concrètes ; regarder les espaces, les terrains, ils sont nombreux ? qu'il s'agisse des transports, de l'énergie, des infrastructures, des investissements, où nous aurions intérêt, Européens et partenaires qui ne sont pas encore Européens, à ne pas attendre, à aider à la préparation, et d'ores et déjà à faire davantage ensemble.
C'est le sens de la proposition du Président de la République. Je crois qu'elle a été entendue comme telle. Je la réexpliquerai très certainement cet après-midi au Président Zelensky, mais il y a matière à réflexion. Et nous voudrions réfléchir tous ensemble.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juin 2022