Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la protection de la Pologne par l'OTAN, les réfugiés ukrainiens, les sanctions contre la Russie, la perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne et la question des valeurs européennes, à Varsovie le 31 Mai 2022.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec M. Zbigniew Rau, ministre des affaires étrangères de la République de Pologne

Texte intégral


Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Dzie? dobry,


Je suis heureuse d'être aujourd'hui à Varsovie à l'occasion de ma première visite comme ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Mais vous l'avez rappelé, Monsieur le Ministre, c'est la deuxième fois en une semaine que nous nous voyons. D'abord, en haut des marches de notre collègue Annalena Baerbock brièvement et puis aujourd'hui, chez vous. Et je trouve cela très bien. Nous avons eu notre premier entretien, je suis sûre que nous en aurons beaucoup d'autres, tant les liens entre la France et la Pologne sont profonds et amicaux. Vous avez eu la bienveillance de les rappeler à travers l'histoire. Tant de choses nous ont unis. Vous l'avez dit, Monsieur le Ministre, une étroite coopération entre nos deux pays au sein de l'Union européenne, au sein de l'OTAN, est indispensable, en particulier dans le contexte dramatique de l'agression de l'Ukraine par la Russie. Le rôle de la Pologne est essentiel pour renforcer la posture de l'Alliance atlantique sur le flanc oriental, et la France est à ses côtés dans cet effort. Jour après jour nos Rafale, nos AWACS sont mobilisés pour protéger l'espace aérien polonais et 300 de nos soldats ont récemment été déployés aux côtés des vôtres, Monsieur le Ministre, dans le cadre de l'exercice de l'OTAN "Defender Europe".

J'ai été à Kiev hier, je tenais à m'y rendre au plus vite et je veux rappeler que j'ai eu l'occasion de dire à notre homologue Dmytro Kuleba, comme au Président Zelensky, une nouvelle fois, le plein soutien de la France. De la France, de l'Union européenne, de tous nos pays, dans le combat de l'Ukraine pour sa souveraineté. Un combat que nous soutenons. J'ai confirmé notre détermination collectivement, ensemble, à intensifier notre soutien et à le prolonger si nécessaire dans la durée et dans toutes ses dimensions, qu'elles soient humanitaire, militaire, diplomatique, économique, financière.

Au retour de Kiev, c'est donc avec beaucoup de plaisir et tout naturellement que je suis aujourd'hui à Varsovie. La Pologne est la voisine et l'amie de l'Ukraine, elle le montre tous les jours. Elle joue un rôle d'appui et de soutien qui est un rôle exceptionnel, et je veux commencer par rendre hommage à ce grand élan de solidarité qui a permis à la Pologne et aux Polonais d'accueillir à bras ouverts, en 3 mois à peine, plus de 3 millions et demi de réfugiés ukrainiens, dont encore près de 2 millions sont encore chez vous. Votre pays joue un rôle clé aussi pour l'aide humanitaire, qu'elle provienne d'ici ou qu'elle soit en transit. C'est indispensable, c'est capital, et je veux remercier une nouvelle fois la Pologne de cette solidarité remarquable qu'elle a démontrée.

La France prend toute sa part à cet effort, de nombreux convois - vous les avez vus - ont traversé votre pays pour arriver en Ukraine. Nous avons nous-mêmes accueilli, et nous accueillons des réfugiés, et au total ce sera plus de 2 milliards de dollars d'assistance sous toutes ses formes que la France a déjà mobilisés pour l'Ukraine. Nous devons, je le redis, nous mettre en situation les uns et les autres de soutenir cet effort dans la durée. A cet égard, je veux rappeler le nouveau pas fait par l'Union européenne hier : 9 milliards d'euros d'aide, c'est un signal fort de notre détermination à rester aux côtés de l'Ukraine et du peuple ukrainien. C'est un effort qui ne doit pas faiblir et qui ne faiblira pas. Nous avons pu le montrer tous ensemble hier.

Notre entretien aurait pu durer encore plus longtemps, Monsieur le Ministre, mais il nous a permis d'aborder beaucoup de sujets déjà : la situation en Ukraine, sa candidature, la crise alimentaire mondiale, un certain nombre de questions bilatérales. Nous avons commencé par échanger sur la situation en Ukraine, comparé nos analyses et tenté de réfléchir sur les perspectives. Je crois que nos analyses sont proches, et notre action l'est également, elle le demeurera.

Vous avez mentionné la Russie. A cet égard, nous souhaitons, et devons renforcer encore la pression, notamment au moyen des sanctions. Le sixième paquet de sanctions adopté par le Conseil européen, en tout cas au niveau politique hier, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, est majeur. Ce sera d'ici la fin de l'année 90%, plus de 90% des importations de pétrole en provenance de la Russie qui sont concernés par cet accord et cela aura un impact fort. Ce sont des sanctions historiques, parce que cela signifie que cela va priver la Russie d'une très large part des revenus qu'elle tire des hydrocarbures et qui lui permettent de poursuivre son effort de guerre. C'est donc majeur, ne sous-estimons en rien le pas qui a été franchi hier. Et puis, au-delà de l'impact direct qu'auront ces sanctions, nous voulons espérer que la Russie comprendra qu'elle s'est engagée dans une impasse. Elle s'est engagée dans une impasse. C'est donc un paquet important, massif, et je voudrais aussi souligner devant vous que même lorsque des décisions difficiles sont à prendre par les Européens, qui affectent leurs capacités d'approvisionnement, qui affecteront peut-être leur mode de vie, nos Etats ont su être au rendez-vous et ont su trouver un accord pour faire face à l'agression russe une fois encore, parce que ce n'est pas la première fois que nous réussissons à démontrer notre détermination. Et puis je veux, à cet égard, saluer les décisions qui avaient été prises auparavant à titre national à ce sujet par la Pologne. C'était une courageuse et bonne décision.

Notre unité en tant qu'Européens fait notre force. Nous en avons parlé, Monsieur le Ministre, c'est un levier puissant, nous devons l'utiliser. Cette exigence d'unité, elle nous guide sur tous les volets de cette crise, qu'il s'agisse de notre soutien à l'Ukraine, du sixième paquet de sanctions, de la réduction de notre dépendance énergétique, du développement de la défense européenne - sujet que nous avons à peine esquissé, mais qui tient à coeur de notre pays, et d'une façon générale de notre action collective sur tous les sujets.

L'un d'entre eux est à la fois important et urgent - vous venez de le mentionner - il s'agit de ce que nous pouvons et devons faire pour limiter les risques de crise alimentaire mondiale. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il y a urgence, nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut être en appui des autorités ukrainiennes. Quelles que soient les options qui seront étudiées, nous devrons nous efforcer de les soutenir. Le Président de la République s'est exprimé aujourd'hui même de façon extrêmement claire en ce sens et toutes les options doivent continuer d'être étudiées.

Nous avons aussi évoqué la place qui revient à l'Ukraine dans la famille européenne. Vous l'avez dit, Monsieur le Ministre, en donnant le point de vue de la Pologne. C'est une question qui sera discutée au Conseil européen fin juin, les 23 et 24 juin, notamment au regard de la demande faite par l'Ukraine de se voir reconnaître le statut de candidat. Sur ce point, je redis que nous espérons que ce Conseil européen permettra d'adresser un geste positif à l'Ukraine - l'Ukraine, je le redis, qui fait partie de la famille européenne et qui nous rejoindra un jour. Nous attendons bien sûr l'avis de la Commission, nous ne le connaissons pas encore. Il doit être rendu d'ici 15 juin et sur la base de cet avis qui portera sur la demande d'Ukraine, nous espérons - et nous y travaillerons - nous espérons que les Européens pourront donner des réponses dans l'esprit positif que nous appelons l'un et l'autre de nos voeux.

Mais, d'ores et déjà, comment créer des solidarités concrètes ? Nous en avons parlé avec le ministre, nous en parlons avec tous nos partenaires. La France a pris une initiative, qui consiste à demander à ce que l'on réfléchisse, pour offrir aux différents pays qui ne sont pas encore dans l'Union européenne ou qui n'ont plus voulu y être, ou qui n'y sont pas parce qu'ils ne sont pas candidats, réfléchir aux moyens de renforcer concrètement, dès maintenant, les coopérations que l'Union européenne peut entretenir avec elle dans un intérêt mutuel, qu'il s'agisse des secteurs des transports, de l'énergie, des communications, des infrastructures. Nous trouverons, j'en suis certaine, et je veux être à nouveau aussi claire que possible comme je l'ai été hier, ce n'est pas une alternative à l'adhésion, c'est quelque chose que nous devons faire rapidement et maintenant, de façon à préparer davantage la marche vers l'adhésion, et gagner du temps et gagner aux prochaines étapes. Je l'ai expliqué hier en Ukraine, et je l'ai redit aujourd'hui auprès de vous, Monsieur le Ministre.

Nous avons également évoqué, comme nous le faisons toujours dans ce cadre bilatéral, la nécessaire unité des Européens dans nos valeurs. Je pense là évidemment aux questions relatives à l'Etat de droit, et à ce titre je vous l'ai dit, Monsieur le Ministre, je salue les efforts qui ont été faits par la Pologne dans le cadre de la réforme de son système judiciaire. Ce sont de premiers pas, je forme l'espoir que vous saurez poursuivre sur ce chemin de façon à ce que le plan de relance puisse être mis en oeuvre aussi rapidement que la marche de vos réglementations et de vos décisions le permettra.

Enfin, nous avons échangé sur l'accélération de notre indépendance énergétique, le renforcement de capacités de défense, je l'ai cité brièvement, la transition écologique, quelques autres sujets bilatéraux. Je crois que nous avons eu une bonne entrée en matière, une atmosphère chaleureuse, que nous avons encore tant et tant, tant et tant à échanger, Monsieur le Ministre, et donc, en votre honneur, et je tiens à le dire aux journalistes qui sont là, je porte le petit cadeau que vous avez bien voulu m'offrir - qui n'était pas du tout un cadeau protocolaire, on a échangé des cadeaux protocolaires par ailleurs. Là, c'est un geste d'amitié et pour ma part j'en ai fait un, dont j'espère qu'il répond aux voeux de notre ministre bien aimé, cher à nos relations franco-polonaises que nous voulons renforcer, poursuivre dans la continuité de ce qu'elles ont été historiquement en regardant vers l'avenir.

Merci beaucoup Monsieur le Ministre.


Q - Monsieur le Ministre, je voudrais vous demander un commentaire à propos du sixième paquet de sanctions. Pouvons-nous dire directement que les activités diplomatiques ont des effets et que ce sera une révolution économique ? Merci beaucoup.

(...)

R (Mme la ministre) - Je ne peux que confirmer ce qu'a dit le ministre de son côté. Nous avons une unité de vue sur ce point. La Pologne avait pris des décisions courageuses. La France, pour sa part, a beaucoup milité pour que les Européens, quelle que soit la difficulté objective de prendre ce type de décision, puisse l'adopter rapidement, aussi complètement que possible. Nous ne sommes pas, pour notre part, aussi dépendants des hydrocarbures russes que d'autre pays européens, mais nous avons vraiment voulu que tous ensemble, nous puissions d'obtenir une décision. C'est une décision importante. Il faut bien réaliser que cela va priver la Russie d'une partie de ses revenus, rapidement, d'ici la fin de l'année, et la priver ainsi d'une partie de sa capacité à financer la guerre. J'ajoute, comme je l'ai fait tout à l'heure, que cela doit être aussi pour elle un message qu'elle doit comprendre : qu'elle s'est engagée dans une impasse, que cette agression que rien ne justifie doit cesser et qu'elle doit revenir à des comportements d'Etat, membre de la communauté internationale, respectant ses obligations ce qu'elle ne fait pas, respectant le droit international, ce qu'elle ne fait pas, ayant mené une guerre d'agression qui doit cesser le plus rapidement possible et respectant aussi le droit international et humanitaire, ce qu'elle ne fait pas. Voilà notre message et nous sommes unis pour le porter.

Q - Vous avez mentionné la question de l'Etat de droit. Ursula von der Leyen est attendue ce jeudi à Varsovie pour normalement signer le plan de relance national polonais. Vous avez parlé de la réforme judiciaire adoptée par la chambre basse du Parlement, est-ce que vous pensez qu'elle est suffisante pour donner des gages pour débloquer l'argent du plan de relance sachant que les défenseurs de l'Etat de droit dénoncent un leurre.

R - On ne peut pas contester, Madame, que des changements législatifs sont en train d'être introduits. Ce sont ceux que la Pologne a souhaité faire. Ce que nous souhaitons voir progresser. J'ai formé tout à l'heure, à la fois l'expression de notre satisfaction de voir que des progrès avaient été faits, et celle d'un espoir que ces progrès se poursuivent. Alors, si dans quelques heures, dans quelques jours, la Commission dans son appréciation considère que ces pas sont suffisants, bien sûr, c'est l'évaluation qui lui sera propre, mais c'est celle que nous suivrons en tant qu'Européens, après avoir - je crois - clairement marqué nos différences de points de vue parfois. Je ne suis pas venue et je l'ai dit au ministre pour souligner nos différences, il les connaît. Elles sont assumées de part et d'autre, mais pour trouver la voie et nous sommes en train de progresser - pour nous réunir sur les valeurs européennes, permettant d'avancer sur notamment le plan de relance. Mais il n'y a pas que des sommes d'argent à la clé, il y a beaucoup plus.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juin 2022