Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, ministre chargé de l'Europe, avec France Inter le 14 juin 2022, sur la construction européenne et le conflit en Ukraine.

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Média : France Inter

Texte intégral

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Q - On va y venir au sujet européen, et à l'Ukraine. Il y a aussi, pardon, il y a aussi des changements de lignes.

R - Je crois que l'on peut dire beaucoup de choses. Juste, d'un mot là-dessus, sur l'engagement européen, à la fois en matière de souveraineté, de défense, d'autonomie de l'Europe, le Président de la République, j'ai été à ses côtés depuis des années, n'a jamais dévié d'un pouce sur cela, quand c'était difficile et que ça n'était pas très à la mode d'être pro-européen.

Q - Un mot Clément Beaune, justement sur l'Europe, à deux semaines de la fin de la présidence française de l'UE, quelle mesure, quelle réforme restera ? Citez-en une à nos auditeurs.

R - Eh bien, je citerais le salaire minimum en Europe par exemple.

Q - Ça ce n'est pas la présidence européenne.

R - Présidence française de l'Union...

Q - C'est la présidence française de l'Union européenne, mais ça avait déjà été amorcé avant.

R - Vous le savez, des négociations européennes ça met longtemps, plusieurs mois, mais la France l'a portée avant sa présidence, et la France l'a fait aboutir pendant sa présidence. Je prends des exemples, parce que parfois on ne sait pas exactement ce que fait l'Europe. Ça c'est très concret. Tous les pays européens auront l'obligation d'avoir un salaire minimum. Le nôtre ne va évidemment pas baisser, mais ceux qui n'en ont pas, en auront un, ça évite ce qu'on appelle le dumping social, la concurrence déloyale.

On va interdire les véhicules thermiques en 2035, au niveau européen, c'est un défi industriel social énorme. On est le premier continent à faire ça. Là aussi, c'est fort, c'est enthousiasmant, et ça se fait par l'Europe. Et je crois que cette présidence française elle a été évidemment marquée par la guerre en Ukraine, on a dû faire face à cette crise, mais on a fait des choses sur l'égalité entre les femmes et les hommes, sur l'écologie, sur le social, inédites et sans doutes inespérées il y a encore quelques mois.

Q - Pierre Haski en parlait il y a une dizaine de minutes, Emmanuel Macron se rend aujourd'hui et demain en Roumanie et en Moldavie, on évoque une visite possible d'Emmanuel Macron à Kiev jeudi, en compagnie du Chancelier Scholz et du Président du Conseil italien Mario Draghi. Est-ce que vous pouvez nous le confirmer ?

R - Non, je ne peux pas vous le confirmer, je n'ai pas d'information à ce sujet à cette heure.

Q - Le "en même temps" Macronien s'est fait sentir dans la gestion de la crise ukrainienne, même si vous vous en défendez, les Ukrainiens, mais aussi beaucoup d'Européens de l'Est et d'Européens en général, ont été choqués par la phrase du Président de la République appelant à ne pas humilier la Russie. Même Hillary Clinton, interrogée sur France Culture ce week-end, estimait que dire : il ne faut pas humilier la Russie de Poutine, c'était une vision dépassée. Vous la maintenez cette phrase ce matin, vous nous dites clairement : il ne faut pas humilier la Russie de Poutine ?

R - Je veux expliquer deux choses, parce que cette phrase a été beaucoup citée. Le Président de la République, d'abord, ça fait quand même une vraie différence, n'a pas dit : il ne faut pas humilier Vladimir Poutine, il a dit très clairement depuis le départ, là où beaucoup d'autres avaient des complaisances et des connivences qu'il y avait un agresseur, qui était la Russie de Vladimir Poutine, c'est très clair. Notre soutien à l'Ukraine, il a été total, complet, sur le plan humanitaire, militaire en tant que présidence française de l'Union européenne, donc je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté là-dessus...

Q - Quel est l'intérêt de dire : il ne faut pas humilier la Russie ?

R - Ce qu'a dit le Président de la République, il l'a dit notamment devant le Parlement européen, en disant, il faut penser à la suite, l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, il faut la construire, l'après, il faudra à un moment donné, avec la société russe, le peuple russe, trouver les chemins d'une cohabitation, d'une réconciliation, ce jour-là, il ne faudra pas être dans un esprit de revanche et d'humiliation...

Q - Certes, mais aujourd'hui, c'est les bombes russes qui tombent sur le Donbass...

R - Mais bien sûr, mais je veux être très clair là-dessus...

Q - Et c'est aujourd'hui qu'on dit : il ne faut pas humilier les Russes ?

R - Mais là encore, ça n'était pas pour dire M. Poutine, et ça n'était pas pour dire maintenant, c'est quand on construira l'après et la réconciliation. Aujourd'hui, aucune ambiguïté, il y a un agresseur qui est la Russie, il y a un ennemi de l'Ukraine, qui est la Russie, on souhaite la victoire de l'Ukraine, et on fait tout pour l'assurer.

Donc, voilà, il faut être très simple et très clair là-dessus. Et là où certains, à l'extrême gauche comme à l'extrême droite, nous expliquaient que tout ça était du pipeau, qu'il n'y avait pas de menace russe, nous l'avons toujours dit, nous avons maintenu néanmoins le dialogue, mais sans naïveté, et pendant cette guerre, les paquets de sanctions, les livraisons d'armes à l'Ukraine, tout ça a été organisé, notamment par la France, qui a été, je crois, par la voix du Président de la République, le pays qui a le plus été en contact avec le Président Zelensky en particulier.

Q - Avant une question européenne au standard, un mot sur Ursula von der Leyen, qui a promis d'apporter la semaine prochaine une réponse à la candidature de l'Ukraine à l'UE, les pays de l'Est sont globalement favorables à une procédure accélérée, la France et l'Allemagne semblent, elles, plus réservées ; qu'en est-il exactement, Clément Beaune ?

R - Oui, il y a deux choses différentes, sans être trop technique : la Commission européenne va nous donner un avis pour savoir s'il faut reconnaître que l'Ukraine est candidat à l'adhésion à l'Union européenne, et nous déciderons, les chefs d'Etat et de gouvernement décideront à la fin du mois de juin. Je pense, qu'il faut donner ce signal à l'Ukraine, être ouvert à cette candidature, après, lancer un processus d'adhésion, je le dis très honnêtement, sinon, on crée des désillusions demain, ça prend du temps, parce que, d'abord, c'est un pays en guerre, donc l'urgence, c'est d'arrêter la guerre, ensuite, de reconstruire l'Ukraine, et puis, de le faire adhérer dans de bonnes conditions, et pour l'Union européenne, et pour l'Ukraine, à notre club.

Donc, oui, il faut donner un signal positif, je crois, le plus vite possible, il faut ensuite engager un processus long. Et ce qu'on a dit, c'est qu'en attendant, il ne faut pas laisser tomber l'Ukraine, ça, ce serait une erreur, donc, on peut avoir un débat, mais il faudrait un projet politique intermédiaire, ce qu'on a appelé la communauté politique européenne, pour que l'Ukraine fasse partie rapidement de la famille européenne, sans être à court terme un membre complet de l'Union, parce que ça, ça prend du temps.

(...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juin 2022