Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à RMC le 24 juin 2022, sur les prix du carburant et le gaz naturel importé de Russie.

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Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
L'invitée du jour, c'est vous, Agnès PANNIER-RUNACHER. Bonjour.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes la ministre de la Transition énergétique. On va parler carburant, on va parler gaz, ces questions de prix, bien sûr, mais je voudrais que l'on commence immédiatement avec cette question du carburant, parce que de nombreux auditeurs qui nous écoutent sur RMC, au moment où on se parle, sont en voiture. Les prix des carburants tournent autour de 2 € le litre désormais, qui pourra bénéficier d'une aide après le mois d'aout, quand la ristourne des 18 centimes sera arrivée à échéance ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ce qui va faire l'objet de la concertation. Je crois que nous avons besoin, avec Bruno LE MAIRE, avec la Première ministre, d'entendre les organisations syndicales, d'entendre les représentants des entreprises, parce qu'ils ont besoin que leurs salariés puissent aller travailler, sans écorner leur pouvoir d'achat, et c'est une discussion que nous devons avoir collectivement, en intégrant d'abord les autres mesures de pouvoir d'achat, je pense par exemple à l'augmentation des retraites. Alors, je vous parle des organisations syndicales, mais c'est une concertation plus large des autres mesures, augmentation des retraites, augmentation des pensions de reversion, augmentation du point d'indice…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais là, il n'y a pas de rapport avec…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si, parce que c'est le pouvoir d'achat, c'est une logique globale, c'est-à-dire que si vous avez plus de revenus, vous pouvez effectivement faire face à cette inflation. Cette inflation elle est liée à l'augmentation, notamment des prix du carburant.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais pour moi, ce sont deux choses, Agnès PANNIER-RUNACHER, c'est-à-dire qu'il y avait d'un côté, en effet, l'aide, notamment on avait évoqué un chèque alimentaire, qui viendrait peut-être dans un second temps, mais d'abord un chèque tout simplement inflation, une sorte de prime inflation pour les plus modestes, qui arriverait dès cet été. On sait bien qu'il va y avoir la réindexation des pensions de retraite, mais au fond, est-ce qu'il n'y aura pas de réponse spécifique sur le carburant ? C'est ça ce que vous êtes en train de nous dire ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pas du tout. Ce que je suis en train de vous dire, c'est que pour poser la bonne réponse sur le carburant, il faut aussi intégrer tous les autres moyens par lesquels nous allons permettre aux Français d'augmenter leur pouvoir d'achat. Il serait stupide de traiter chaque sujet de manière déconnectée. Le pouvoir d'achat des Français, c'est au fond ce qu'ils ont sur leur compte en banque, qui leur permet de faire face à des augmentations. Donc voilà. Et ensuite, pour…

APOLLINE DE MALHERBE
J'ai bien compris, mais par exemple, sur la question des aides au carburant, c'est vrai que Bruno LE MAIRE avait évoqué lui-même une aide gros rouleurs, c'est-à-dire une aide qui soit davantage ciblée, là actuellement, la ristourne de 18 centimes c'est pour tout le monde…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire tous ceux qui l'utilisent, qui l'utilisent ponctuellement ou qui l'utilisent comme gros rouleurs. L'idée, si j'avais bien compris, et c'est là-dessus vraiment que je vous interroge ce matin, c'est : est-ce qu'il y aura une aide davantage ciblée à partir de septembre, est-ce qu'on peut imaginer une aide qui soit ciblée sur les gros rouleurs, encore une fois ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est tout à fait la discussion qui est sur la table, c'est de savoir si nous faisons cette aide gros rouleurs, si nous prolongeons les 18 centimes, si nous éteignons les 18 centimes, de quelle manière, à quelle date, et je rappelle aussi que vous avez le barème kilométrique, le barème kilométrique pour ceux qui nous écoutent c'est quand même 2,5 millions de ménages, les infirmières libérales, les taxis, les Vtc, qui disposent de ce barème kilométrique…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous n'avez pas tranché.

AGNES PANNIER-RUNACHER
A ce stade, nous sommes au stade de la discussion, on a différents scénarios sur la table, un scénario comme vous l'indiquez, gros rouleurs, avec l'objectif de pouvoir très vite payer, parce que c'est un des enjeux, c'est-à-dire mettre en place un dispositif gros rouleurs…

APOLLINE DE MALHERBE
Immédiat quoi.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il faut que dès septembre ou octobre vous puissiez avoir l'argent sur votre compte en banque. Parce que si on vous dit : c'est super, il y a un dispositif gros rouleurs, mais c'est en mars ou en avril prochains, je pense que ça ne va pas correspondre aux besoins des Français. Et intégrer, je le répète, l'ensemble du pouvoir d'achat.

APOLLINE DE MALHERBE
En fait, j'essaie de comprendre ce qu'il y a derrière vos mots, Agnès PANNIER-RUNACHER, ce que je comprends, c'est qu'en fait vous ne voudriez pas annoncer, comme a été annoncé par exemple le chèque alimentation, et est en fait, ensuite vous rendre compte que techniquement c'est pas possible, ce qui a été le cas pour le Chèque alimentaire. On a annoncé un Chèque alimentaire, avec même des précisions assez importantes sur la manière dont il pourrait être dépensé, il y avait cette idée qu'il soit dépensé uniquement sur des produits par exemple locaux, et finalement le gouvernement a été obligé d'y renoncer à court terme, se rendant compte que c'était techniquement trop compliquée de cibler spécifiquement un Chèque alimentaire.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qui est clair, c'est que les Français…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est ça le risque ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement. Les Français, ils veulent des réponses qui soient claires. Quand on annonce une mesure, elle doit pouvoir être mise en oeuvre dans le mois ou dans les 2 mois qui suivent, mais pas 6 mois après.

APOLLINE DE MALHERBE
Nous achetons 17 % de notre gaz à la Russie. Est-ce qu'on peut faire sans ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui, on pourrait faire sans, à je dirais conditions de température et de pression égales. C'est-à-dire, en remplissant nos stockages, et vous avez vu qu'avec Elisabeth BORNE nous avons annoncé un objectif de remplissage de nos stockages stratégiques, qui est supérieur à celui qui est actuellement prévu par la réglementation, c'est-à-dire nous passons de 85 % à 100 % de remplissage de nos stockages stratégiques, et nous garantissons les acheteurs de gaz sur le prix auquel ils vont acheter le gaz naturel. Deuxième chose…

APOLLINE DE MALHERBE
Là vous parlez des particuliers, vous garantissez aux particuliers…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, sur les acheteurs. Pour remplir les stockages de gaz stratégiques, vous avez ENGIE, TOTAL, qui achètent du gaz naturel, à un prix très élevé, et on leur dit : continuez à acheter à ce prix très élevé, parce que nous vous garantissons le prix lorsque vous le remettrez sur le marché, si par hasard ce prix est inférieur nous couvrirons la différence.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous couvrirez, c'est une sorte de garantie que l'Etat donne aux acheteurs de gaz.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
Ok.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça c'est le 1er point. 2e point, le gaz naturel liquéfié. Aujourd'hui, tel que nous récupérons du gaz naturel liquéfié, nous sommes en train de nous désensibiliser on va dire du gaz russe, et nous allons installer, ça ce n'est pas pour tout de suite, c'est pour 2023, fin d'année 2023, un terminal méthanier flottant pour avoir une capacité additionnelle de traitement du gaz naturel liquéfié. Nous avons déjà deux terminaux qui fonctionnent très fortement.

APOLLINE DE MALHERBE
Je voudrais quand même comprendre une chose Agnès PANNIER-RUNACHER. Quand vous dites « on va remplir nos cuves », en gros c'est une sorte de réserve stratégique pour que…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

APOLLINE DE MALHERBE
… en cas de coup dur, on puisse puiser au moins un temps dans cette réserve. Vous dites aujourd'hui, elle est à hauteur de 85 % remplie cette réserve…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, elle se remplit au fil de l'eau. Elle est consommée l'hiver et elle se remplit l'été.

APOLLINE DE MALHERBE
On la re-remplit pour la garder.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, on la remplit aujourd'hui plus rapidement qu'on ne le faisait les années antérieures.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, à qui on l'achète, là, en ce moment ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien on achète essentiellement du gaz naturel liquéfié, on achète aux norvégiens, on achète aux Algériens, on achète aux Espagnols, qui aujourd'hui sont capables de…

APOLLINE DE MALHERBE
En ce moment-là, pour faire monter…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, c'est ce que je vous dis, aux Américains, aux…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais pas aux Russes.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les Russes, eux, continuent à livrer dans le cadre de leur contrat long terme.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais là, vous n'avez pas augmenté, en attendant dans la perspective d'en acheter moins, vous n'avez pas augmenté vos commandes aux Russes.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous, on n'a pas augmenté nos commandes aux Russes, parce que nous avons des contrats long terme, et c'est ces contrats que nous utilisons. Donc ces contrats, il n'y a pas de supplémentaires, les Russes ont arrêté de vendre du gaz naturel sur le marché libre, ils continuent à vendre du gaz naturel…

APOLLINE DE MALHERBE
A honorer leurs commandes qui étaient déjà prévues.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà.

APOLLINE DE MALHERBE
Si je vous pose cette question, quand même Madame la Ministre, c'est parce que l'Allemagne, on se rend compte du paradoxe fou, c'est que l'Allemagne n'a jamais autant acheté paradoxalement de gaz russe, qu'au tout début de la guerre en Ukraine. C'est-à-dire que justement dans la perspective et dans l'angoisse de se retrouver un jour manquants, eh bien ils ont re-rempli dans l'urgence leurs cuves de gaz, en l'achetant aux Russes.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Parce que c'est un des fournisseurs effectivement, dans le cadre de leur contrat long terme.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous m'assurez ce matin, Madame la Ministre, que nous n'avons pas fait la même chose.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous, nous appliquons nos contrats long terme.

APOLLINE DE MALHERBE
Nous n'avons pas dit : nous allons cesser d'acheter du gaz russe, tout en réalité, sur le moment, achetant, acheter plus de gaz russe.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce qui se passe…

APOLLINE DE MALHERBE
Je voudrais comprendre, parce que quand on découvre ça de l'Allemagne, ça paraît fou.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pas nécessairement, parce que justement l'enjeu c'est de pouvoir se désensibiliser le plus rapidement possible du gaz russe…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mas du coup, sur le moment, on donne beaucoup plus d'argent aux Russes, tout en disant qu'on ne leur en donnera plus demain.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Surtout, ce qui est en train de se passer, c'est qu'avec le prix plus élevé du gaz, les Russes aujourd'hui gagnent plus d'argent, et c'est pareil pour le carburant. Et c'est bien tout l'enjeu de se désensibiliser de l'achat du gaz et du carburant vis-à-vis des Russes, c'est qu'avec des quantités plus petites livrées, ils gagnent plus d'argent, parce que les prix ont énormément augmenté. Donc tout l'enjeu c'est de réduire cette dépendance de l'Europe vis-à-vis du gaz russe. Après, vous le savez comme moi, la France a une dépendance à hauteur de 17 %, l'Allemagne c'est beaucoup plus élevé, la Pologne c'est encore plus élevé, en fait plus vous vous rapprochez de la Russie, plus c'est élevé, et donc plus l'exercice est difficile pour ces pays de l'Est européen.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez parlé d'un bouclier, d'un maintien de ce bouclier, bouclier donc à la fois pour les acheteurs, ça vous nous le confirmez ce matin…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire que les acheteurs peuvent être sûrs, quand ils achètent leur gaz plus cher aujourd'hui, de le revendre plus cher demain. Vous paierez la différence.

AGNES PANNIER-RUNACHER
De, plutôt s'ils le revendent moins cher demain, nous paierons la différence.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que le bouclier sera aussi maintenu le plus longtemps possible pour les particuliers ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, la Première ministre a annoncé une mesure technique, qui est la prolongation du bouclier sur le gaz à compter du 30 juin. Vous savez que le décret ou l'arrêté ne le prévoyait que jusqu'au 30 juin, ce bouclier sur le gaz, et là encore ça sera au projet de loi sur le pouvoir d'achat de définir les conditions d'une prolongation, jusqu'à la fin d'année, puisqu'est un enjeu financier…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire que la balle n'est plus dans votre camp, mais dans celui des oppositions ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est aussi dans le camp de la majorité relative, dont nous disposons. Nous avons évidemment des propositions à faire sur ce sujet-là. Notre objectif, comme depuis le début de cette crise, est de protéger le pouvoir d'achat des Français.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, d'être venue préciser tout cela à ce micro ce matin sur RMC. Vous êtes ministre de la Transition énergétique.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 juin 2022