Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, à Europe 1 le 19 juillet 2022, sur la politique de l' énergie .

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Texte intégral

THIERRY DAGIRAL
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Thierry DAGIRAL.

THIERRY DAGIRAL
Ministre de la Transition énergétique. C'est important que vous écoutez ce matin parce qu'on est en pleine crise énergétique maintenant, ce sera d'ailleurs sans doute pire à la rentrée, l'hiver prochain, est-ce que vous êtes réellement inquiète ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je suis surtout au travail pour faire en sorte d'anticiper, c'est le maître mot l'anticipation.

THIERRY DAGIRAL
Anticiper parce qu'il y a inquiétude ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Anticiper parce qu'il faut par principe se mettre dans le scénario du pire, je rappelle que nous sommes dans une crise énergétique avec une augmentation des prix et nous faisons face avec la loi pouvoir d'achat et nous sommes dans une crise énergétique avec un fournisseur principal de l'Europe qui est la Russie, qui pèse pour la France 17 % de nos livraisons de gaz naturel mais beaucoup plus pour le reste de l'Europe et qu'il faut anticiper une possible interruption de livraisons.

THIERRY DAGIRAL
Voilà on le saura jeudi précisément.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et donc il faut substituer, on le saura jeudi et peut-être plus tard aussi, chaque jour offre son lot de surprise, donc il faut anticiper, avoir des mécanismes de substitution de nos approvisionnements, première chose.

THIERRY DAGIRAL
Et justement on a les moyens, pardonnez-moi, de se passer du gaz russe ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, on a les moyens si on s'organise le plus en amont possible et c'est ça qui est la clé, c'est-à-dire que premier point, il faut substituer nos approvisionnements russes, c'est pour ça que nous avons dans la loi pouvoir d'achat pris des mesures très fortes, notamment d'imposer des stockages à 100% de la totalité de nos stockages stratégiques de gaz naturel, notamment de pouvoir installer un terminal méthanier flottant au Havre, notamment de pouvoir réactiver notre centrales à charbon de Saint-Avold, c'est 1% de notre production d'électricité en France, mais c'est 1 % qui peut être utile dans un pic de production d'électricité. Vous savez que le gaz permet aussi de produire de l'électricité, donc nous devons activer tous les leviers de substitution et de production. Et de l'autre côté nous devons économiser de l'énergie.

THIERRY DAGIRAL
On va y revenir bien sûr largement, mais est-ce que dans votre tête il y a possibilité de rationnement ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que ça ne se présente pas exactement comme ça en fait, c'est-à-dire que dans le système que nous avons, c'est des marches d'escalade vers un scénario de difficultés d'approvisionnement. La première marche, c'est les économies d'énergie que nous mettons en place. Ces économies d'énergie elles sont bonnes pour le portefeuille des entreprises, des administrations et des Français et elles sont bonnes pour la transition énergétique, la lutte contre le réchauffement climatique et je pense que plus personne ne conteste après ces différents épisodes de canicule que nous sommes dans une transformation fondamentale de notre climat. La deuxième marche c'est effectivement de négocier avec les entreprises contre rémunération quelles diminuent leur consommation d'énergie ou qu'elles arrêtent complètement leur production, ça on le fait en ce moment. Vous avez un signal 24 heures avant et vous leur dites demain pendant deux heures vous allez arrêter votre production. Et puis vous avez un troisième élément qui consiste par exemple à baisser la tension sur les réseaux. Et vous avez une quatrième marche qui consiste à se mettre d'accord avec les entreprises et leur demander d'arrêter, mais ça ne sera pas contre une rémunération, donc vous avez plusieurs façons de gérer ces difficultés.

THIERRY DAGIRAL
Madame la Ministre, ce plan que vous préparez est-ce qu'il va nous impacter nous dans notre quotidien, dans nos entreprises, chez nous ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors dans nos entreprises, je l'espère, parce que c'est exactement le sens du plan sobriété que nous avons lancé avec la Première ministre et le président de la République. Je commence par les entreprises parce qu'il faut sortir de l'idée que c'est par des petits éco-gestes que nous allons faire la transition énergétique. Il faut que ce soit les gros acteurs, l'Etat le premier, les ministères, les administrations qui fassent cet effort structurel d'économie d'énergie. Ce qui ne veut pas dire que les Français ne vont pas s'y mettre et d'ailleurs ils s'y sont déjà mis, mais je pense que, pour eux, se poser la question de la régulation par exemple thermique de leur logement n'a pas de sens s'ils voient les lumières allumées partout, alors dans leur entreprise et la climatisation à fond, donc il ne faut pas se tromper de sens des choses.

THIERRY DAGIRAL
Je vous repose cette question, est-ce que nous chez nous on va être impacté, est-ce que les copropriétés vont devoir baisser le chauffage cet hiver, je sais qu'il y a une réunion lundi prochain par exemple ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors aujourd'hui vous avez une loi qui prévoit que la température de consigne, c'est 19 degrés et la vraie question c'est la respecte-t-on ? Et donc moi, je vais vous dire, si on respecte la loi, on est très confortable.

THIERRY DAGIRAL
Comment on fait pour faire respecter la loi alors, parce que la loi en effet n'est pas respectée Madame.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne demande pas aux Français qui sont à 15 degrés de baisser leur chauffage à 14 degrés, ça n'a pas de sens, ce que je demande c'est dans les copropriétés où on est à 21, 22 degrés, ce qui est d'ailleurs pas très bon pour la santé des enfants et la santé des personnes âgées, que l'on passe à la température de consigne de 19 degrés, un gain d'un degré, c'est 7% d'économies d'énergie, c'est pour vous donner comment ça peut être massif en termes d'économie d'énergie.

THIERRY DAGIRAL
Je prends un exemple très concret, VONOVIA en Allemagne qui est le plus grand propriétaire résidentiel va abaisser le chauffage au gaz de ses locataires à 17 degrés la nuit. Est-ce que ça c'est possible en France ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas que ce soit le chemin qu'on prenne d'abord parce qu'on n'a pas la même, comment dire, exposition au gaz et surtout parce qu'en fait on sait qu'on a beaucoup plus à gagner déjà sur le fait qu'on n'est pas à 19 degrés, je le rappelle nous ne sommes pas à 19 degrés. De même nous continuons à chauffer ou à ventiler des locaux qui ne sont pas occupés, c'est pour ça que les entreprises c'est important, c'est pour ça que le plan que vient d'annoncer sous notre impulsion les centres commerciaux, les hypermarchés, la grande distribution est très important. Ils nous disent on est capable de gagner 40% de consommation d'énergie en mettant en place un certain nombre de mesures, immédiatement, ça sera évidemment moins, mais en étant capable de baisser la température dans nos magasins, de baisser la luminosité, de mettre des portes sur les parties réfrigérantes, on gagne énormément, d'interrompre la ventilation. Est-ce que vous savez que la ventilation elle fonctionne même quand les centres commerciaux sont fermés, donc on doit aller chercher ces économies d'énergie et c'est à la portée de notre main.

THIERRY DAGIRAL
La ministre de la Transition énergétique, Agnès PANNIER-RUNACHER ce matin sur Europe 1. Outre le fait de devoir moins consommer, on l'a compris, est-ce qu'il faudra décaler sa consommation ? On sait qu'en hiver il y a bien sûr des pics de consommation le matin et le soir, est-ce que vous travaillez sur ce projet-là ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui tout à fait parce que là c'est un levier qui est très important. On a tous vécu pour ceux qui sont nés dans les années 70 les tarifs heures pleines, heures creuses, moi j'ai demandé aux fournisseurs d'électricité de réactiver ces tarifs-là, pourquoi, parce qu'il faut que les Français aient un intérêt à agir et décaler sa machine à laver ou son la vaisselle au-delà de 22h00 et payer beaucoup moins cher l'électricité, ça une valeur pour les Français et là encore ça a une valeur pour passer l'hiver et pour notre planète.

THIERRY DAGIRAL
On va en savoir plus sur le déroulé de la renationalisation d'EDF visiblement ce matin, des actionnaires salariés d'EDF dénoncent la mise en difficulté de l'entreprise au mépris de l'intérêt social de celle-ci et des intérêts des actionnaires minoritaires, vous leur dites quoi ce matin, vous leur répondez quoi ce matin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je redis d'abord qu'EDF est nationalisée depuis très longtemps, nous en sommes, l'Etat est actionnaire à hauteur de 84 % et donc lorsque l'État demande un effort financier à EDF, c'est directement l'Etat qui l'assume, qu'on soit très clair. A fortiori aujourd'hui où nous avons annoncé vouloir monter au capital à 100%, l'argent d'EDF il est fourni d'une certaine manière par l'État lorsque nous faisons des capitalisations, lorsque nous redonnons de l'argent à EDF, c'est l'Etat qui le fournit, donc c'est notre propre exposition. Nous avons toujours été aux côtés d'EDF. Maintenant je veux dire une chose, la mesure que vous mentionnez et qui est dénoncée par certains syndicats, c'est une mesure qui a permis en fait de fournir de l'électricité au prix de production et pas au prix du marché à des milliers d'entreprises, des milliers de collectivités locales. Cela leur a évité d'être exposé à des augmentations de prix de 25% pour les collectivités locales de plus de 10 salariés et les entreprises de plus de 10 salariés et pour les électro-intensifs, c'est-à-dire ces industries qui consomment beaucoup d'électricité, des prix qui devait s'élever avec des augmentations de 40 à 60%. Eh bien, c'est 45 000 emplois qu'on a mis du côté, qu'on a protégé ainsi, 45 000 emplois. Donc je crois qu'en termes d'intérêt général, la balle a été clairement du côté de la mesure que nous avons faite et je veux préciser une chose, cette mesure elle a été évidemment discutée avec EDF, avec la Commission européenne, et elle a été dictée uniquement par l'intérêt général.

THIERRY DAGIRAL
Agnès PANNIER-RUNACHER dans la loi pouvoir d'achat en discussion donc depuis hier à l'Assemblée, il y a les aides pour l'essence, pour ceux qui ont besoin d'aller travailler. Finalement ce sont des subventions directes aux énergies fossiles, vous allez me dire que c'est l'urgence bien évidemment mais qu'est-ce qu'on fait ensuite ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ce que nous faisons puis 5 ans maintenant, la rénovation thermique aujourd'hui bat son plein, tous les carnets de commandes de rénovation thermique sont remplis, les artisans, les entreprises du bâtiment vous disent qu'ils ne peuvent pas prendre plus de chantier. Donc nous avons clairement une urgence de court terme pour les Français qui ne peuvent pas faire les travaux dans l'immédiat ou qui n'ont pas la possibilité de trouver un artisan, une entreprise du bâtiment près de chez eux pour faire ces travaux et ceux-là il faut leur permettre de passer l'hiver et nous avons un travail de moyen terme qui consiste à permettre à tous les Français de sortir des énergies fossiles en les aidant à changer de chaudière, en les aidant à faire leurs travaux d'isolation, en les aidant à changer de voiture aussi puisque vous le savez nous avons permis la conversion de voitures de plus d'un million de ménages.

THIERRY DAGIRAL
Ça veut dire déployer ces énergies renouvelables, c'est notamment la venue hier du président des Émirats arabes unis ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est également effectivement accélérer le déploiement des énergies renouvelables, nous avons un projet de loi qui est en préparation et j'ai d'ores et déjà pris tout un train de mesures réglementaires pour accélérer les énergies renouvelables.

THIERRY DAGIRAL
Qui sera présenté quand ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il sera présenté en fait soit avant soit après le mois d'août puisqu'il doit être soumis à la concertation d'un certain nombre de conseils, le conseil national de la transition énergétique, mais il est prêt aujourd'hui.

THIERRY DAGIRAL
Et ça a été au coeur des discussions notamment hier entre Emmanuel MACRON, vous-même, je crois, et le président des Émirats arabes unis ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors nous avons deux objets avec le président des Émirats arabes unis. Le premier objet, c'est effectivement tout le travail de diversification de nos sources d'approvisionnement sur le carburant, les Emirats arabes unis nous soutiennent à hauteur de 500 000 tonnes de Diesel que nous pouvons appeler ou pas si nous en avons besoin au coeur de l'hiver, et la deuxième chose, c'est comment on prépare la transition énergétique et, sur la transition énergétique les Émirats arabes unis sont plutôt en avance, je dirais au sein de leur région, ils vont accueillir la COP 28 dans 18 mois, ils sont surinvestis sur l'hydrogène bas carbone, ils investissent massivement sur les énergies renouvelables et là aussi il y a des objets de coopération commune et c'est très exactement ce qui fait l'objet de l'accord que j'ai signé hier avec Bruno LE MAIRE et le ministre de l'énergie et de l'industrie. C'est également un accord d'ailleurs qui porte sur un volet nucléaire.

THIERRY DAGIRAL
La ministre de la Transition énergétique, Agnès PANNIER-RUNACHER ce matin sur Europe 1, merci à vous.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci.

THIERRY DAGIRAL
Bonne journée.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonne journée à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 juillet 2022