Conférence de presse de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations entre la France et le Liban, à Beyrouth le 14 octobre 2022.

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Bonjour à tous,

Je suis venue pour une brève visite. Brève mais qui m'a permis de m'entretenir avec les trois présidents, mais aussi de passer la nuit à Beyrouth et de profiter de l'hospitalité du Liban, grâce à Mme l'ambassadrice que je remercie devant vous, et au-delà d'elle je remercie toute son équipe de nous avoir aidée à organiser cette visite importante pour nous et pour elle aussi je n'en doute pas, comme pour l'ambassade. Visite enfin qui se situe comme vous le savez tous après l'accord sur la délimitation de la frontière maritime qui est un accord historique, j'y reviendrai, et avant le 31 octobre.

Le Parlement libanais est engagé dans le processus devant aboutir, avant la fin de ce mois, à l'élection d'un nouveau Président. Dans ce moment si important pour le Liban, je suis venue, à la demande du Président de la République française et en concertation avec nos principaux partenaires amis du Liban, rencontrer le Président de la République, le Président du Conseil des ministres et le Président du Parlement.

Le message que je suis venue porter est simple : l'échéance constitutionnelle doit être respectée, c'est une impérieuse nécessité pour le Liban.

C'est le message d'un pays ami et fidèle, qui a toujours été aux côtés du Liban, dans les heures heureuses comme dans les moments difficiles, qui a pour le peuple libanais une amitié profonde, et qui a toujours été constant dans cette amitié.

Cette amitié nous autorise à dire que le Liban ne peut plus aujourd'hui prendre le risque d'une vacance du pouvoir, et que tous les dirigeants libanais doivent être à la hauteur de leurs responsabilités politiques et institutionnelles, car la situation l'exige.

Je l'ai dit début septembre. J'aime assez peu me citer d'une façon générale mais je crois qu'il le faut, parce que devant toutes nos ambassadrices et tous nos ambassadeurs réunis pour la conférence annuelle, j'ai parlé du Liban, en disant ceci : "Le Liban est à bout de souffle, et la gravité de la crise économique est sans précédent. Sans sursaut des dirigeants libanais, l'effondrement du Liban se poursuivra."

Et ce que j'ai dit à Paris, le 2 septembre, je souhaitais le redire à Beyrouth, aujourd'hui. Ce sursaut est nécessaire et il est possible.

Dans le contexte actuel, il serait préoccupant, dangereux même, de faire subir aux Libanais les conséquences d'une autre crise politique.

Un nouveau Parlement a été élu en mai, dans les délais. C'est une bonne chose. Il doit en être de même pour l'élection du Président de la République. L'enjeu est d'éviter toute vacance du pouvoir, après le terme du mandat du Président Aoun.

Cette position claire, et que je vous livre simplement, est partagée par tous les amis du Liban, en Europe et ailleurs : le choix du prochain Président libanais revient aux Libanais et à eux seuls. Il leur revient de désigner leur Président, un Président capable de fédérer le peuple libanais, de travailler avec les acteurs régionaux et internationaux, pour surmonter la crise actuelle, garantir la souveraineté, la sécurité, la stabilité et la prospérité du Liban. Je le redis : c'est la position de la France, c'est la position unie des pays partenaires et amis du Liban.

Je sais que le Liban a connu d'autres crises, d'autres difficultés, et même des périodes de vacance du pouvoir. Mais nous ne sommes plus en 2014, la situation s'est dégradée, économiquement, socialement, comme sur le plan international. Le Liban ne peut plus se permettre en 2022 une vacance du pouvoir. L'État doit fonctionner.

J'ai par ailleurs rappelé la nécessité d'accélérer la formation d'un gouvernement de plein exercice qui soit enfin en capacité d'agir dans l'intérêt général du pays et de tous les Libanais.

Le pays est dans une situation difficile, peut-être même très difficile, vous le savez bien. Le temps est compté et il faut un sursaut. C'est urgent, c'est indispensable et c'est possible. Le Liban vient de le démontrer.

Il vient de conclure un accord historique avec Israël sur la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays. La France salue cet accord historique auquel elle a contribué activement, en soutien, en appui à la médiation américaine. Cet accord a été conclu. Il faut maintenant le signer, le finaliser et, une fois mis en œuvre, il sera bénéfique aux deux pays et à leurs populations. C'est un signal majeur pour la stabilité et la prospérité dans la région. C'est aussi un accord qui prouve, si cela était nécessaire, que le dialogue porte toujours ses fruits. C'est aussi - et c'est un message que je vous porte aujourd'hui - que les autorités libanaises sont capables de prendre en commun les décisions qui s'imposent.

Évidemment, cet accord ne peut pas se substituer aux réformes économiques et financières, qui sont et qui restent indispensables.

La priorité sur ce point est donc à la mise en œuvre de l'accord préliminaire conclu avec le Fonds monétaire international au printemps dernier. C'est la seule option pour envoyer un signal de confiance aux investisseurs privés. C'est la seule option pour apporter à ce pays les financements dont il a besoin pour faire face à la dégradation des services publics, et pour mener les réformes nécessaires d'assainissement de son système économique et financier. C'est la seule option aussi pour relancer l'activité des entreprises.

Il ne serait ni normal, ni acceptable que la population libanaise continue de subir de plein fouet les conséquences d'une crise multiforme dont elle n'est pas responsable.

La communauté internationale est là, la France est là, elle soutient le peuple libanais et tous les amis du Liban l'aideront d'autant plus qu'il saura s'aider lui-même.

Deux ans après l'explosion du port de Beyrouth, j'ai également rappelé que les Libanais attendaient la justice et que les autorités judiciaires devaient pouvoir poursuivre leur travail d'investigation à l'abri de toute influence politique.

Enfin, je suis venue aussi pour rendre hommage et soutenir ceux qui, au Liban, contre vents et marées, bénévolement, portés par le seul souci du bien de leur pays, auquel ils sont profondément et sincèrement attachés, aident leurs compatriotes. C'est le sens notamment de notre soutien, nous, vos amis, continu et exceptionnel, avec en priorité le soutien que nous apportons aux secteurs de l'éducation et de la santé libanais.

C'est le sens d'une visite que j'ai tenu à faire, il y a quelques minutes à peine, auprès des jeunes volontaires de la Croix-Rouge libanaise, des bénévoles compétents qui pallient bien souvent les lacunes des services publics, qui ne comptent pas leur temps, qui n'attendent rien en retour, qui donnent le meilleur d'eux-mêmes, et qui font ce travail remarquable que j'ai voulu saluer. C'est aux côtés de tous ces Libanais que la France se tient toujours, en esprit et en moyens.

C'est le sens de la visite que j'ai tenu à faire et du message que je voulais porter devant vous, après l'avoir porté devant vos autorités.

Je vous remercie.

(...)

Q - Vous avez joué un très grand rôle à propos de la démarcation maritime entre le Liban et Israël, comme gouvernement français, spécialement avec Total. Maintenant, quel est le délai de l'exploitation pétrolière ? Quand Total va commencer cette exploitation ?

R - Total est une société privée, Monsieur, même si c'est une société française, et donc je vous réponds bien volontiers. Merci d'avoir souligné le rôle que la France a joué, en appui aux efforts du médiateur américain, qui ont été dans la durée, vous le savez, indispensables pour parvenir à ce très beau résultat.

Il faut finaliser l'accord. Il n'est pas encore finalisé, les deux pays l'ont accepté officiellement, c'est un pas gigantesque, c'est un pas historique ; à beaucoup d'égards, j'ai rappelé pourquoi. Il faut finaliser l'accord, c'est-à-dire déposer les documents, et ensuite seulement, une fois que l'accord sera finalisé, les différentes sociétés concernées pourront commencer leurs travaux en vue d'une exploration tout d'abord, puis, peut-être, souhaitons-le, d'une exploitation.

Q - Vous avez mis l'accent sur la présidentielle, c'est l'une des raisons de votre séjour ; vous avez rencontré les différents acteurs, les différentes présidences, et il y a cette échéance constitutionnelle qui est dans 14 jours. Est-ce que vous avez l'impression qu'il y a un consensus qui se dessine, qu'il va y avoir une élection et un nouveau président, ou ça paraît très compliqué ?

R - Je veux croire que c'est possible. Je vous l'ai dit, je le répète : j'espère que les Libanais, qui sont capables de s'unir quand il le faut, saurons le faire cette fois-ci, bénéficiant tout à la fois, non seulement du calendrier qui leur rappelle la réalité, et parce que dépasser cette échéance aurait des conséquences économiques, financières, lourdes pour le peuple libanais. Profitant non seulement du calendrier qui est là, qui existe, mais de cette dynamique qui a été créée par l'accord sur la délimitation de la frontière maritime, par le fait que les partenaires amis du Liban sont engagés à ses côtés, et montrent qu'ils peuvent aider, que tous ensemble, avec la bonne volonté à laquelle nous appelons, le Liban est capable de franchir les pas qui lui permettent son unité, de se doter d'un nouveau Président. Ensuite, et peut-être ensuite seulement, l'avenir le dira, d'un gouvernement de plein exercice, tout en n'oubliant pas, c'est la priorité - et le Parlement est encore au travail - dans les jours qui viennent, de finaliser ce qui doit être lettre, pour que l'accord conclu dans le principe avec le FMI devienne une réalité.

Q - La communauté internationale et le FMI exigent l'implémentation de réformes structurelles à une élite politique, et pourtant à l'origine de la crise actuelle, cette élite utilise actuellement l'argent des déposants comme solution pour gommer les pertes financières, au lieu d'implémenter les réformes demandées. Considérez-vous qu'il s'agisse d'une modalité acceptable de sortie de crise ?

R - Mon message se bornera à rappeler l'importance - j'ai même dit la priorité, je crois - de poursuivre le programme de réformes. Certaines d'entre elles ont été approuvées par le Parlement. Il en reste d'autres, qui sont à l'examen du Parlement, et au moins une, si je ne me trompe pas, dont le texte doit être proposé au Parlement, et ça n'est pas encore le cas. Donc, il faut continuer à travailler, utiliser les jours qui sont dans la session parlementaire actuelle pour continuer d'avancer. Le Liban doit aller de l'avant, résolument, à bon rythme. Le temps est compté, et je le dis tout à la fois avec gravité et avec espoir, il faut se dépêcher. Le sursaut est possible, la dynamique est bonne, il faut l'exploiter et il faut l'exploiter maintenant.

Q - (traduction de l'arabe) Madame la Ministre, la question concerne les déplacés syriens au Liban et l'aide que la France apporte au Liban. Est-ce qu'il y a un plan pour le retour de ces personnes déplacées ? Est-ce qu'il y a des canaux qui ont été ouverts, de quelque manière que ce soit, pour faciliter leur retour et leur installation vers leur pays ? Des canaux financiers pour leur permettre de rester dans leur pays ?

R - Je vous répondrais très brièvement, Madame, merci de votre question : c'est un sujet que nous évoquons avec les autorités libanaises. C'est un sujet aussi que nous évoquons avec le Haut-commissaire aux réfugiés ; il a été reçu à Paris, il y a huit ou dix jours. Nous avons parlé, entre autres, des réfugiés syriens, pas seulement parce que malheureusement dans le monde, les cas de crises s'étant multipliés, le nombre de réfugiés augmente aussi et ne concerne pas que le Liban, qui prend bien sûr, pour sa part, un poids important à l'aide aux réfugiés. Nous en parlons aussi avec l'Union européenne. Puisque vous parliez de la question financière, Madame, il ne vous a pas échappé que l'Union européenne, tout récemment, a pu, tous efforts confondus, rassembler des sommes extrêmement importantes permettant d'aider et de soulager la situation des réfugiés syriens au Liban.

Il reste que la clé de ce problème qui est un drame humain, qui est également une difficulté supplémentaire pour le Liban, la clé réside dans l'amélioration de la situation intérieure en Syrie. Une bonne partie de ces réfugiés souhaiteraient rentrer, mais ne sont pas prêts à le faire. Les uns craignent de ne pas trouver une situation convenable sur place, voire même plus, comme vous le savez bien, et d'autres pensent que retourner dans leur foyer, aujourd'hui, serait dangereux. Voilà, hélas, la réalité que nous devons tous ensemble essayer d'améliorer. La France fait sa part, l'Union européenne aussi, le Haut-Commissariat aux réfugiés également, les financements internationaux sont là.

Q - Les visites précédentes du président Macron n'ont pas abouti à des résultats positifs. Aujourd'hui vraiment, qu'est-ce qui va changer avec votre visite ?

R - L'avenir vous répondra, ce n'est pas moi qui peux vous répondre. Mais je crois que le message qu'on est venu porter, qui n'est pas seulement porté au nom de la France, j'ai bien pris le soin à plusieurs reprises de le souligner devant vous, mais qui est porté aussi par nos partenaires de l'Union européenne et par les amis du Liban qui se sont groupés autour de lui pour l'aider, ces derniers temps, que nous avons pu réengager sur le sujet de l'aide au Liban. Ce qui change, c'est que nous sommes unis pour porter ce message, et ce qui change, c'est que le temps passant, la situation évolue ; il reste peu de temps pour agir, et nous appelons vraiment au sursaut des responsables libanais. Il le faut, mais ils le peuvent. Mon message, c'est aussi un message d'espoir ; le temps est compté, il ne faut pas en perdre davantage.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2022