Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à France Info le 3 novembre 2022, sur la proposition de création de titre de séjour pour les "métiers en tension", la rémunération des salariés, les réformes de l'assurance-chômage et des retraites.

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Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

LORRAIN SENECHAL
Bonjour Oliver DUSSOPT.

OLIVER DUSSOPT
Bonjour.

LORRAIN SENECHAL
Vous proposez donc la création d'un titre de séjour pour les métiers en tension, pour les sans-papiers qui sont notamment déjà sur le territoire et qui sont intégrés, qui travaillent, pour les demandeurs d'asile qui sont en France depuis moins de 6 mois et qui étaient soumis jusqu'ici à un délai de carence pour pouvoir travailler. Est-ce qu'on sait combien de personnes ça peut représenter ?

OLIVER DUSSOPT
Ça représente entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers de personnes.

LORRAIN SENECHAL
Donc ce n’est pas un nombre qui est très important.

OLIVER DUSSOPT
Non, mais, d'abord parce que ce n'est pas un plan de régularisation massive, mais dans votre question il y a deux sujets. Il y a effectivement la question des demandeurs d'asile. Aujourd'hui, lorsque vous arrivez en France, que vous êtes demandeur d'asile, parce que vous venez d'une région en grande difficulté, en guerre ou que vous faites l'objet de persécutions, vous n'avez pas le droit de travailler, tant que de le statut de réfugié ne vous est pas accordé, tant que la protection internationale ne vous est pas accordée. Nous considérons avec Gérald DARMANIN, que pour certains demandeurs d'asile, qui viennent des pays les plus exposés, les plus dangereux, on peut citer l'Afghanistan, on peut citer la Syrie…

LORRAIN SENECHAL
Donc ça ne s'adressera pas, pardon, à tous les pays, si je vous suis.

OLIVER DUSSOPT
Non, on a dit que c’était sous critères. Nous considérons que pour des pays pour lesquels l'octroi du statut de réfugié n'est pas automatique, mais presque, il n'y a pas lieu d'attendre des mois et des mois pour autoriser à travailler, que l'intégration passe par le travail. Et après il y a un 2e sujet que vous avez évoqué, c'est la situation de personnes qui sont sur notre territoire depuis longtemps, qui travaillent mais qui sont en situation irrégulière et qui occupent des postes aujourd'hui dans des secteurs qu'on appelle les métiers en tension, des gens dont nous avons besoin, dont l'économie a besoin. Ce que nous proposons, c'est de mettre fin à une forme d'hypocrisie, et au cas par cas de permettre à ces hommes et à ces femmes qui sont sur le territoire, qui travaillent et qui occupent ces postes dans des secteurs en tension, de demander leur régularisation et d'obtenir un titre de séjour dans ce cadre.

NEÏLA LATROUS
Et ça ne concerne pas les personnes visées par une obligation de quitter le territoire ?

OLIVER DUSSOPT
Non évidemment. Evidemment, et nous par nous parlons là de personnes, d'hommes et de femmes que nous croisons dans notre quotidien, qui travaillent dans le secteur de la restauration, qui travaillent dans le secteur du bâtiment, et qui sont en situation irrégulière mais qui travaillent.

NEÏLA LATROUS
Restauration, bâtiment, ce sont des métiers en tension. Il y aura une liste ?

OLIVER DUSSOPT
Il existe déjà, c'est une précision importante, il existe une liste de métiers en tension. Cette liste, qui correspond à à peu près une trentaine de métiers, de secteurs, est fixée par décret. Elle a une déclinaison régionale, pour tenir compte des caractéristiques de l'économie, et elle doit être révisée à intervalles réguliers, nous avons prévu de la réviser pour début 2023.

LORRAIN SENECHAL
Elle a été révisée l’an dernier, mais il a fallu 13 ans pour établir cette liste là, c'est… Comment faire pour aller plus vite ?

OLIVER DUSSOPT
Et le comité interministériel de 2019 a prévu son actualisation à intervalles réguliers, dès le mois de novembre. Ce mois-ci, j’ouvre des concertations avec les partenaires sociaux, ce sont des choses qui sont très formées, très formelles aussi, pour, en nous appuyant sur des données économiques, réviser cette liste, faire en sorte que les métiers qui ne sont pas en tension ne soient pas dans cette liste des métiers en tension, et que les métiers qui sont devenus des métiers en tension puissent l’intégrer. Cette liste elle est déjà utilisée aujourd'hui, dans le cadre des mouvements migratoires. Lorsque vous…

NEÏLA LATROUS
Il y a une définition, d’ailleurs, enfin pardon, de secteurs ou de métiers en tension, il y a une définition juridique, formelle ?

OLIVER DUSSOPT
Oui, c’est par rapport au nombre de postes vacants, par rapport, et à la durée de la vacance, aux difficultés de recrutement rencontrées par les chefs d'entreprise. Mais pour aller au bout, je disais que cette liste a déjà été utilisée pour des questions migratoires, puisque si vous êtes un employeur en France, et que vous souhaitez recruter un étranger qui est un étranger non communautaire, c'est-à-dire non européen, vous ne pouvez pas recruter cette personne sans avoir une autorisation préalable de l'administration, et sans avoir démontré que vous n'avez pas trouvé de main-d'oeuvre française ou communautaire pendant votre recrutement. Si vous recrutez sur un métier dit en tension, vous pouvez recruter un étranger non communautaire, en étant dispensé de cette demande d'autorisation préalable, et donc c'est une liste qui est…

LORRAIN SENECHAL
Et donc ce sont ces démarches que vous allez supprimer, pour ces métiers en tension.

OLIVER DUSSOPT
Nous maintenons cette liste des métiers en tension, avec la possibilité de recruter…

LORRAIN SENECHAL
Oui, ce que je voulais dire, cette démarche de prouver qu'on a bien cherché…

OLIVER DUSSOPT
Pareil, e suis désolé, parce que c'est un sujet qui est très complexe, et donc ça nécessite beaucoup de précisions. Lorsque je parle d'autorisation préalable et de démonstration qu'on a bien cherché et qu'on n'a pas trouvé sur le territoire français ou communautaire, il s'agit de recrutement de personnes qui sont à l'étranger et qu'un employeur souhaite faire venir pour occuper un poste…

NEÏLA LATROUS
C'est le 2e volet de la réforme.

OLIVER DUSSOPT
Non, c’est un bolet qui existe déjà, et une liste que nous allons actualiser. Et puis il y a une 2e partie…

NEÏLA LATROUS
Vous avez parlé du passeport … généralisé, notamment, il y a…

OLIVER DUSSOPT
Je vais y venir. Il y a une 2e partie qui consiste à utiliser cette liste pour des gens qui sont déjà sur le territoire. Aujourd'hui c'est une réalité qu'il faut regarder en face, et donc ce que nous proposons, c'est une régularisation au cas par cas, il n'y a rien de massif à tout cela, mais pour dire…

LORRAIN SENECHAL
Et c'est uniquement pour les travailleurs en eux-mêmes, pas forcément pour leur famille par exemple ?

OLIVER DUSSOPT
C’est pour les travailleurs, mais vous savez qu'il y a des questions de regroupement familial, qui sont encadrés par des conventions internationales, donc tout ça doit être précisé évidemment, et nous aurons l'occasion de le préciser tant dans les débats parlementaires que nous aurons avant la fin de l'année, tels que le président de la République l’avait dit, et à l'occasion du projet de loi que nous porterons au début de l'année 2023.

NEÏLA LATROUS
Au cours du quinquennat précédent il y avait eu cette suggestion, cette idée, ce débat autour des quotas sur l'immigration économique, par secteur et par territoire, quotas votés par l'Assemblée nationale. Est-ce que c'est de ça qu'il s'agit ?

OLIVER DUSSOPT
Non, il ne s'agit pas de quotas. Il ne s'agit pas de quotas, parce que nous savons que cette méthode des quotas, qui peut paraître séduisante, n'est pas en réalité véritablement opérationnelle.

LORRAIN SENECHAL
Vous l’écartez, l'idée des quotas.

OLIVER DUSSOPT
Nous ne sommes pas sur une idée de quotas. Le quota c’est…

LORRAIN SENECHAL
C’est ce que réclament Les Républicains, vous aurez besoin des Républicains pour voter ce texte.

OLIVER DUSSOPT
Le quota, ce n’est pas la même chose quand on parle de quotas. Le quota c'est de dire, notre politique migratoire consiste à dire, chaque année nous laissons très X milliers de personnes, X dizaines de milliers de personnes. Là où nous sommes ouverts à une discussion, y compris avec le groupe Républicain que vous avez cité, qui parfois s'inquiète de cette possibilité de régularisation de personnes déjà sur le territoire, c'est très différent, c'est de dire : peut-être que nous pouvons regarder secteur par secteur, et voir jusqu'où nous pouvons aller en matière de régularisation de personnes présentes. Quand vous évoquez l'idée de quotas qui avait évoquée dans le quinquennat précédent, c'était des quotas comme certains pays le font, je pense par exemple au Canada qui détermine à l'avance le nombre d'entrées autorisées à l'échelle d'une année.

NEÏLA LATROUS
Question sur, vous dites mettre fin à une hypocrisie, c'est peut-être le 2e versant ou en tout cas la 2e phase de cette réforme, sanctionner aussi plus durement les patrons qui recourent au travail au noir ?

OLIVER DUSSOPT
Oui, oui c'est ça.

NEÏLA LATROUS
Comment vous faites ?

OLIVER DUSSOPT
Aujourd'hui, lorsque vous avez recours à du travail au noir, d’abord le travail noir, le travail dissimulé, ne concerne pas nécessairement des étrangers, il peut concerner des ressortissants français, communautaires, étrangers, c'est sanctionnable et c'est sanctionné. Le recours à des travailleurs en situation irrégulière est aussi sanctionnable. Il est sanctionnable et fait l'objet de procédures, année après année. Ce à quoi nous réfléchissons, ce sont des sanctions…

NEÏLA LATROUS
Il n’y en a pas assez, c’est ce que vous nous dites, on ne va pas assez loin dans…

OLIVER DUSSOPT
Ce sont des sanctions plus rapides. Aujourd'hui ce que nous souhaitons et ce que nous proposons au débat avec Gérald DARMANIN, c'est de faire en sorte que des employeurs qui ont recours de manière délibérée à des travailleurs en situation irrégulière, puissent faire l'objet de sanctions rapides, et les sanctions rapides ce sont des sanctions administratives, pourquoi pas une amende administrative forfaitaire, pourquoi pas une possibilité de fermeture administrative des établissements. Mais l'objectif c'est que l'impact de la fonction soit rapide et n'intervienne pas des mois et des années après la constatation.

LORRAIN SENECHAL
Et vous dites : ça n'est pas la même chose que d'obtenir un titre de séjour, c'est-à-dire que votre idée de titre de séjour pour les métiers en tension ça va régulariser un certain nombre de personnes qui travaillent aujourd'hui en France, mais c'est-ce que ça ne va pas pousser aussi certains employeurs à avoir plus recours à cette main d'oeuvre ?

OLIVER DUSSOPT
Je ne crois pas, parce que les employeurs qui ont recours à de la main d'oeuvre en situation irrégulière, répondent à deux cas de figure très différents. Il y a les employeurs qui soit ne savent pas la situation administrative de celui qu'ils salarient, soit sont confrontés à…

LORRAIN SENECHAL
Ce sont pourtant eux qui doivent faire la demande actuellement.

OLIVER DUSSOPT
Soit sont confrontés à de telles difficultés de recrutement, qu’ils ont recours à de la main-d'oeuvre en situation irrégulière. Et puis vous en avez d'autres, et c'est ceux-là que nous voulons viser, et que nous avons comme objectif de sanctions, qui délibérément ont recours à des personnes en situation irrégulière, parce que ça leur permet d'établir une forme de rapport de domination…

LORRAIN SENECHAL
Et de force, c’est là où je voulais en venir.

OLIVER DUSSOPT
… et de force avec eux. Aujourd’hui, lorsque nous regardons les choses telles qu'elles existent, lorsque vous êtes un étranger en situation irrégulière et que vous travaillez en France, la situation existe, elle existe même de manière fréquente, la seule possibilité que vous avez de régularisation, c'est une circulaire qu'on appelle la Circulaire Valls, c'est à la fois de démontrer votre ancienneté sur le territoire, de démontrer votre emploi, et que votre employeur accompagne la démarche et s'engage à vous garder. Certains employeurs le fond et permettent ainsi des régularisations. La mise en oeuvre de cette circulaire, c'est à peu près 7 000 admissions exceptionnelles au séjour. Par contre…

LORRAIN SENECHAL
Et donc c'est là que vous… Vous enlevez cette partie là de la démarche.

OLIVER DUSSOPT
… nous ce que voulons changer, c’est que nous voulons permettre à ces travailleurs, qui travaillent en France, qui sont utiles à notre économie, de faire eux-mêmes la demande de régularisation, pour ne pas dépendre de la décision de leur employeur.

LORRAIN SENECHAL
Olivier DUSSOPT, vous restez avec nous, on s'interrompt juste le temps du Fil Info. 08h41, voici Armêl BALOGOG.

Fil Info

LORRAIN SENECHAL
Avec Olivier DUSSOPT, ministre du Travail et du Plein emploi notamment, et vous venez de nous expliquer ce projet de titre de séjour pour les métiers en tension, que vous avez dévoilé hier. Ces titres de séjour, ils seront valables combien de temps ?

OLIVER DUSSOPT
C'est un titre de séjour comme les autres. Les titres de séjour en France sont valables soit 1 an, soit 5 ans, soit 10 ans. Nous partons sur 1 an, puisqu'il s'agit de répondre à des besoins de l'économie et à des métiers en tension dont la liste est régulièrement actualisée. Et l'objectif est de permettre cette régularisation et ensuite des renouvellements. Dans la réforme que nous menons et que nous proposons avec Gérald DARMANIN, nous ne modifions pas la durée des titres de séjour, par contre ce que nous disons, c'est un autre aspect de la réforme, c'est que les étrangers présents sur notre sol et qui souhaitent avoir une carte de séjour, un titre de séjour pluriannuel, de 5 ans, 10 ans, devront aussi démontrer une maîtrise du français. Aujourd'hui il y a une obligation de formation, mais il n'y a pas une obligation de réussite à l'examen, y compris d'examen de 1er niveau. Et ce que nous savons, c'est que parmi les primo-arrivants, ceux qui entrent sur notre territoire, qui ont un projet professionnel, personnel, à peu près un quart sont en très grandes difficultés, on qualifie même de difficultés extrêmes de compréhension et d'expression en français. Nous considérons que l'accès à un titre pluriannuel, doit aussi être conditionné par cette capacité à parler la langue, parce que c'est le premier outil, le premier vecteur de l’intégration.

LORRAIN SENECHAL
Et ça c'est encore une fois pour ceux qui souhaitent rester plus longtemps.

OLIVER DUSSOPT
Exactement.

LORRAIN SENECHAL
Qui souhaitent obtenir un titre de séjour de 5 ou 10 ans.

NEÏLA LATROUS
Cette réforme d’émigration économique, ceux qui sont là et qu'on régularise, pour ceux qui sont intégrés, qui travaillent, ceux qui arrivent pour combler des postes vacants dans des secteurs en tension, ça veut dire que la réforme de l'assurance chômage que vous allez entamer, ne suffira pas en elles-mêmes à régler ou en tout cas à satisfaire les besoins en main d’oeuvre.

OLIVER DUSSOPT
Vous savez, d'abord pour revenir sur le projet de réforme que nous portons, c'est effectivement une réforme qui a deux grands objectifs. Le premier objectif c'est de permettre à nos services, l'Etat, la police, la justice, d'être plus efficaces, que les règles soient mieux respectées, que les décisions soient appliquées plus vite. Et puis de remettre le travail au centre du jeu en matière d'intégration, parce que nous sommes convaincus que l'intégration des personnes étrangères qui viennent sur notre territoire passe par le travail et que de la même façon que le travail est un outil d'émancipation pour l'ensemble de la population, ça doit être un outil d'intégration pour ceux qui nous rejoignent. Il y a aussi une volonté de répondre à des difficultés de recrutement dans certains métiers. Vous l’avez dit, je mène aussi une réforme de l'assurance chômage pour que le système d'indemnisation soit plus incitatif à la reprise d'emploi lorsqu'il y a beaucoup d'emplois, comme aujourd'hui, et plus protecteur lorsque le marché du travail se dégrade. Est-ce que la réforme de l'assurance chômage suffirait à répondre aux difficultés de recrutement ? La réponse est évidemment non, et je l'ai toujours dit ainsi, c'est un des outils, il ne faut pas négliger les questions de formation, et il ne faut pas négliger les questions de formation initiale et continue…

NEÏLA LATROUS
Et des salaires.

OLIVER DUSSOPT
…ainsi que les questions de mobilité et les questions d'attractivité des métiers, même si en matière d'attractivité la balle est plutôt dans le camp des employeurs, des partenaires sociaux et du dialogue de branches à un niveau collectif.

NEÏLA LATROUS
Vous menez, je précise, en ce moment des concertations, notamment avec les partenaires syndicaux sur le partage de la valeur, Emmanuel MACRON avait remis à l'idée, à la télévision la semaine dernière, l'idée de dividendes salariés, en évoquant un mécanisme contraignant, les entreprises ne veulent même pas en entendre parler. C'est compliqué de dire aux entreprises de partager de la valeur ?

OLIVER DUSSOPT
C'est toujours un sujet compliqué, mais c'est un sujet fondamental pour qu’il y ait à la fois de l'attractivité dans les métiers, et que la question du sens du travail, de l'engagement professionnel, puisse trouver des réponses. J’ai proposé…

NEÏLA LATROUS
Sauf que là, Emmanuel MACRON a évoqué un mécanisme contraignant, pour l'instant, il n’y a aucune discussion sur des mécanismes contraignants.

OLIVER DUSSOPT
J’ai proposé aux partenaires sociaux, organisations patronales et organisations syndicales, d'ouvrir une négociation interprofessionnelle, avec la recherche d'un accord majoritaire sur cette question du partage de la valeur. A l'exception de la CGT, tous ont accepté.

NEÏLA LATROUS
La CGT qui ne vient toujours pas aux réunions.

OLIVER DUSSOPT
Qui ne vient à aucune des réunions actuellement, pour des raisons qu'elle attribue aux réquisitions dans les raffineries. Mais, tous les partenaires sociaux, les 4 organisations syndicales représentatives à l'exception de la CGT, les 3 organisations patronales représentatives, m'ont répondu par écrit pour me dire être prêtes à ouvrir cette négociation sur le partage de la valeur à horizon début 2023. Et tant mieux.

NEÏLA LATROUS
Début 2023, l'ouverture de la discussion ou d’une solution début 2023 ?

OLIVER DUSSOPT
Non, l’ouverture des discussions début 2023…

NEÏLA LATROUS
Pour aboutir éventuellement ?

OLIVER DUSSOPT
Dans les 3 à 4 mois qui suivent, et à défaut d'accord, à défaut d'accord majoritaire passé entre les partenaires sociaux qui ensuite seraient transposés, soit dans les décrets, soit dans la loi par le gouvernement, s'il n'y a pas d'accord, s'il n'y a pas de solution qui nous sont proposées par partenaires sociaux, le gouvernement prendra ses responsabilités, comme c’est toujours le cas, quand il y a carence du dialogue social.

NEÏLA LATROUS
Donc vous dites ce matin : il y aura au printemps une nouvelle répartition de la valeur créée en entreprises, que ce soit par accord syndical, ou parce que le gouvernement…

OLIVER DUSSOPT
Je vous dis qu'en accord avec les partenaires sociaux, une négociation interprofessionnelle est ouverte début 2023, que j'espère qu'elle puisse aboutir, et que si elle n'aboutissait pas, le gouvernement prendra ses responsabilités, comme il l'a toujours fait en cas de carence du dialogue social.

LORRAIN SENECHAL
Est-ce qu'il faut une grande conférence salariale, en attendant ? C'est ce que réclame notamment votre collègue de l'Intérieur Gérald DARMANIN.

OLIVER DUSSOPT
Nous partageons avec Gérald DARMANIN, l'idée, et avec tout le gouvernement en réalité, l'idée que lorsque les entreprises peuvent augmenter les salaires, elles doivent le faire pour permettre à leurs salariés de faire face à la situation que nous connaissons, et notamment la situation de l’inflation. Et…

LORRAIN SENECHAL
Puisque ce n'est pas toujours le cas, est-ce qu'il ne faut pas une conférence salariale dans l'urgence ?

OLIVER DUSSOPT
Les conférences salariales n'ont pas de caractère prescriptif. Ce n‘est pas parce que vous vous réunissez une conférence, que ça devient obligatoire. Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures l'été dernier, des mesures pour mobiliser, pour pousser à un meilleur dialogue social dans les branches. Je m'explique en un mot : nous avons un système qui fait que le smic est revalorisé de manière automatique, lorsque l'inflation est forte, ce qui explique que le smic a augmenté de 8 % au cours de la dernière année. Lorsque le smic augmente, il y a un certain nombre de niveaux de rémunération prévus dans les conventions collectives des branches professionnelles, qui passe en-dessous du smic. Evidemment, personne n'est payé en-dessous du smic…

LORRAIN SENECHAL
Il y en a combien actuellement d'ailleurs ?

OLIVER DUSSOPT
Aujourd'hui il y en a une grosse centaine qui sont encore en dessous du smic, puisque…

LORRAIN SENECHAL
Sur 170…

OLIVER DUSSOPT
… sur 170 observés, parce que nous avons eu une revalorisation encore récemment.

LORRAIN SENECHAL
Et évidemment personne n'est payé sous le smic, je le précise.

OLIVER DUSSOPT
Evidemment, mais ça tasse l’évolution des rémunérations en début de carrière. Il y a un mécanisme dans la loi, qui dit que les branches professionnelles, les organisations collectives, doivent ouvrir des négociations sur les niveaux conventionnels de rémunération, dès lors que un ou plusieurs niveaux sont inférieurs au smic. Jusqu'au mois de juillet, les branches avaient 90 jours pour ouvrir ces négociations, désormais ses 45. Et nous avons ajouté un autre outil, qui permet au gouvernement, dans le cas où des branches resteraient durablement avec des niveaux inférieurs au smic, de procéder à leur restructuration, c'est-à-dire de les fusionner, avec des branches qui ont respecté ces obligations.

LORRAIN SENECHAL
Donc pas conférence sur les salaires pour le moment, ça n'est pas la priorité du gouvernement.

OLIVER DUSSOPT
Nous verrons si nous devons l’organiser ou pas. Ce qui m'intéresse le plus aujourd'hui, c'est ce que vous avez dit, que les branches fassent le travail et que le dialogue social par branche puisse être ouvert.

NEÏLA LATROUS
Dans les multiples discussions que vous menez en parallèle, il y a donc celle sur le partage de la valeur, qu'on a évoquée, celle sur les retraites qu'on va évoquer dans quelques instants, et celle sur les futures règles de l'assurance chômage. Il y a une discussion qui donc a cours en ce moment. Est-ce qu'il y aura quoi qu'il arrive un texte sur la table à la fin des discussions, c'est-à-dire le 21 novembre ?

OLIVER DUSSOPT
Oui, il y aura un texte pour la fin de l'année, nous l'avons dit. La fin de la période…

NEÏLA LATROUS
Là encore, vous dites aux syndicats : si vous ne vous mettez pas d'accord, il y aura un texte proposé par le gouvernement.

OLIVER DUSSOPT
La fin de la période de concertation, nous ne sommes pas dans une négociation interprofessionnelle, c'est pardon un peu technique, mais il y a une vraie différence, et le Code du travail prévoit des procédures différentes entre la concertation et la négociation. Donc nous avons ouvert une concertation avec les partenaires sociaux et sur la base du projet de loi qui a été adopté par l'Assemblée nationale et par le Sénat, et qui fera l'objet d'une discussion en commission mixte paritaire bientôt…

NEÏLA LATROUS
Texte qui a été durcit par les Sénateurs, notamment…

OLIVER DUSSOPT
Qui a été un peu durci par le Sénat, nous y reviendrons…

LORRAIN SENECHAL
Oui, parce que voilà, les deux versions ne sont pas d’accord. Ce ne sont pas les mêmes.

OLIVER DUSSOPT
Et sur la base de ce texte, nous pourrons d'ici la fin de l'année, prendre un texte réglementaire permettant d'introduire l'idée d'une régulation des règles de d'assurance chômage, en fonction de l'état du marché du travail.

NEÏLA LATROUS
Les sénateurs de droite ont durci notamment le texte sur les refus répétés de CDD à l'issue… de CDI pardon à l'issue d'un CDD ou d'une période d'intérim, en disant : dans ce cas-là, s’il y a des refus répétés, il n’y a plus d'allocations chômage. Est-ce que c’est des dispositions que vous acceptez ?

OLIVER DUSSOPT
Le Sénat a intégré un certain nombre de dispositions qui vont dans le bon sens, sur la question de la contrat-cyclicité et de la prise en compte de l'état du marché…

NEÏLA LATROUS
La contrat-cyclicité c’est : quand ça va bien, on protège moins, quand ça ne va pas bien…

OLIVER DUSSOPT
On protège plus.

NEÏLA LATROUS
Voilà.

OLIVER DUSSOPT
Sur la précision juridique de certains aspects, et c'est plutôt très bien, le Sénat a aussi adopté des amendements, comme vous l'avez dit, pour priver d'allocations au retour à l'emploi, donc d'allocations chômage, les salariés en intérim qui refuseraient un CDI, et les salariés en CDD qui refuseraient 3 CDI au cours de la même année.

NEÏLA LATROUS
Une forme de bon sens.

OLIVER DUSSOPT
Donc nous nous sommes opposés au nom du gouvernement, à ces deux dispositions, considérant d'une part que ça risquerait de tarir et de détourner de l'intérim des hommes et des femmes qui aujourd'hui acceptent ces missions-là et pour des missions dont les entreprises ont besoin. Et par ailleurs, pour ce qui concerne le refus d'un CDI à l'issue d'un CDD, je souhaite que le débat puisse continuer en commission mixte paritaire, dans la mesure où lorsqu'un salarié a signé un engagement, un contrat de travail à durée déterminée, et qu'il a tenu la totalité de ses engagements, il est moins légitime à mes yeux de le sanctionner, contrairement par exemple à quelqu'un qui abandonne délibérément un poste.

LORRAIN SENECHAL
Oliver DUSSOPT, ministre du Travail, vous restez avec nous, on va parler de la réforme des retraites dans un tout petit instant. 08h51, le Fil info, Armêl BALOGOG.

Fil Info

NEÏLA LATROUS
Toujours avec Olivier DUSSOPT, ministre Travail, du Plein emploi et de l'insertion. La réforme des retraites, le texte arrive sur la table du Conseil des ministres en début de l'année prochaine, est-ce que vous savez déjà ce qu'il y aura dedans ?

OLIVER DUSSOPT
Nous savons les objectifs et nous savons dans quel cadre nous travaillons. Pour le reste il y a des concertations qui sont ouvertes, que je mène avec les organisations syndicales et patronales. Nous avons commencé par les questions d'usure professionnelle, donc de prévention de la pénibilité, la question cruciale, tant pour la réforme que pour le plein emploi, du travail des seniors, et dans quelques jours nous ouvrirons un cycle autour des questions de justice sociale, du minimum de pension que nous voulons revaloriser, et d'équité, avant de terminer sur les questions d'équilibre financier.

NEÏLA LATROUS
Sur la pénibilité…

OLIVER DUSSOPT
La pénibilité fait partie des premiers cycles que nous avons ouverts…

NEÏLA LATROUS
Que vous évoquez.

OLIVER DUSSOPT
… ce que nous appelons la prévention de l'usure professionnelle, pour trouver un terme qui convient à l'ensemble de nos partenaires. Donc nous travaillons avec eux, quasiment tous sont présents autour de la table, les organisations professionnelles sont là, la quasi-totalité des organisations syndicales, et nous instruisons un certain nombre de mesures et d'accompagnement. Le cadre qui est le nôtre, c'est le cadre posé par le président de la République pendant la campagne présidentielle.

NEÏLA LATROUS
65 ans…

OLIVER DUSSOPT
65 ans en 2031.

NEÏLA LATROUS
… avec prolongation de la durée de cotisations.

OLIVER DUSSOPT
Oui, et pendant la campagne présidentielle, c'est d'ailleurs un risque politique qu'il avait pris, en fixant un cap à 65 ans en 2031, avec une augmentation progressive de l'âge, pour faire en sorte que le système soit équilibré. L'essentiel pour nous, c'est que nous puissions améliorer notre système, mieux prendre en compte la pénibilité, la précarité, augmenter les petites pensions et l’équilibrer financièrement. Parce qu’aujourd’hui, le système n’est pas équilibré.

NEÏLA LATROUS
Sur la pénibilité, Oliver DUSSOPT, 4 des facteurs de pénibilité ont été supprimés, au cours du quinquennat précédent 3, 4 disent les syndicats. Ces critères permettaient notamment de partir à la retraite plus tôt, certains syndicats réclament leur retour, la CFDT vous fait une autre proposition, elle dit : d'accord, c'était compliqué pour les entreprises de compter individuellement si chaque salarié correspondait à ces critères ou pas. Pourquoi ne pas le faire au niveau des banches ? Est-ce que c'est une proposition de la CFDT que vous accueillez en disant : pourquoi pas, ça s'examine ?

OLIVER DUSSOPT
Sur la question de la prévention de la pénibilité, vous avez des organisations syndicales qui demandent le rétablissement de ce qu'on appelle le C3P, que nous avons…

LORRAIN SENECHAL
Il faut que vous nous expliquiez.

OLIVER DUSSOPT
C'est un Compte personnel de pénibilité, que nous avons simplifié en 2017, parce que comme cela a été dit à l'instant, ça n'était pas praticable en réalité, ça n'était pas faisable techniquement par les entreprises. D'autres notamment du côté des organisations d'employeurs, nous disent : peut être qu'on peut faire un suivi individuel uniquement médical, donc sous l'angle de la réparation. Et puis il y a des propositions qui sont faites, des propositions en matière de formation, pour faire de la prévention, permettre des mobilités, et puis il y a la proposition que vous avez évoquée, de travailler au milieu des branches. Et je dis que ça s'instruit et que ça se regarde. Nous avons un travail qui a déjà été réalisé aujourd'hui, à la fois par les branches mais particulièrement dans le cadre de la gestion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécu, qu'on appelle souvent la branche ATMP par son acronyme. Ce travail permet d'identifier des codes risques, pour identifier des métiers qui sont soumis à des risques de maladies professionnelles ou des risques plus importants d'accidents du travail. Regardons si nous ne pouvons pas croiser ces critères, pour faire en sorte justement d'avoir la meilleure prise en compte de la pénibilité, de l'usure et plus encore qu'une meilleure prise en compte sous l’angle de la réparation, faisons de la prévention. La meilleure façon de répondre à cette question de l'usure professionnelle, c'est la prévention.

LORRAIN SENECHAL
Mais vous n'allez pas dissocier ce volet de la réforme avec les mesures d'âge.

OLIVER DUSSOPT
Non.

LORRAIN SENECHAL
C'est un tout.

OLIVER DUSSOPT
La réforme est un tout, par contre, ce que je dis à nos partenaires et aux acteurs sociaux…

LORRAIN SENECHAL
Même si vous trouvez un accord avec les partenaires sociaux sur d'autres volets de la réforme.

OLIVER DUSSOPT
Ce que j'ai dit aux partenaires sociaux, et en particulier aux organisations syndicales, c'est que je sais que nous avons une différence, que nous avons une divergence sur la question de l'âge de départ ou de la durée de cotisations. Je sais aussi qu'on peut trouver des consensus sur un certain nombre de mesures. Et ce n'est pas parce que nous serons d'accord, si nous y arrivons, sur des questions comme la prévention de l’usure professionnelle, de la formation de l'emploi des seniors, que je considérerais qu'ils sont d'accord sur la totalité. On peut aborder une réforme, lorsqu'on est partenaire social, du côté des partenaires sociaux, en disant qu'il y a des choses qui conviennent et d'autres qui me conviennent pas. Mon objectif c'est qu'il y ait un maximum de points de consensus.

NEÏLA LATROUS
Sur l'emploi des seniors, vous avez des propositions du patronat ? Parce que pour l'instant c'est vrai qu'on a l'impression que les propositions que vous mettez au débat sont rejetées par le MEDEF, par exemple l'index professionnel de l'emploi des seniors que vous proposez, ce n’est pas pratique dit le MEDEF.

OLIVER DUSSOPT
Le MEDEF a dit son opposition à l'idée d'un index, de la même manière que le MEDEF et d'autres organisations patronales, il n'y a pas que le MEDEF, nous a proposé par exemple les systèmes d'exonération de cotisations pour favoriser le maintien dans l'emploi des seniors. Tout ça se regarde, et tout est versé au débat. Il y a aussi en la matière, pour le travail des seniors, des choses que nous pouvons faire, que nous pouvons encourager, sur des questions de transition progressive, entre la retraite progressive, puis après le départ à la retraite, le cumul emploi retraite pour ceux qui le souhaitent, qui le peuvent. Mais il y a aussi des questions…

NEÏLA LATROUS
Pour tous ?

OLIVER DUSSOPT
Oui, il faut l'ouvrir. Il y a des questions en matière de formation. Aujourd’hui, quand on regarde ce qui se passe dans les entreprises, on voit que l'accès à la formation, comme l'investissement des entreprises dans la formation des plus de 50 ans, est presque moitié moins importante que l'accès à la formation et l'investissement dans la formation des moins de 50 ans. Après…

NEÏLA LATROUS
On est très loin en matière d'emploi des seniors, d’autres pays, si on compare à l'Allemagne…

OLIVER DUSSOPT
On est très loin et ça explique une partie de notre taux de chômage et de nos difficultés en matière d'atteinte de cet objectif de plein emploi. Misons aussi sur les seniors. Misons sur les seniors, misons sur ceux qui sont qualifiés, qui ont de l'expérience, pour leur proposer des mobilités, des changements de postes et des reclassements, y compris quand ils sont à 10 ans ou 15 ans de la retraite.

LORRAIN SENECHAL
Dernière chose, Oliver DUSSOPT, Gabriel ATTAL, votre son collègue du Budget, a parlé d'un dispositif à la pompe au 1er juillet pour remplacer la ristourne, elle va passer à 10 centimes dans une dizaine de jours, et elle sera supprimée à partir du 1er janvier, un dispositif : gros rouleur - gros bosseur. Est-ce que vous avez réussi à définir qui sont les gros bosseurs, comme dit Gabriel ATTAL ?

GABRIEL ATTAL
C’est un travail qui est en cours avec les services de Gabriel au Budget, services que je connais bien par ailleurs, pour en avoir eu la responsabilité…

LORRAIN SENECHAL
Puisque vous étiez à sa place il y a quelques mois.

OLIVER DUSSOPT
… et nous sommes actuellement à la fois dans une période d'examen par le Parlement et d'adoption, tant du projet de loi de finances que du projet pour la Sécurité sociale…

LORRAIN SENECHAL
Et vous dites : il y a encore le temps de s’atteler à cela.

OLIVER DUSSOPT
… et on y travaille, on y travaille en bonne intelligence, et je sais que Gabriel est particulièrement mobilisé sur ces sujets-là.

LORRAIN SENECHAL
Oliver DUSSOPT, merci beaucoup.

OLIVER DUSSOPT
Merci à vous.

LORRAIN SENECHAL
Ministre du Travail, invité du 8 :30 de France Info. Bonne journée à vous.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 4 novembre 2022