Texte intégral
Q - Bonsoir Olivier Becht.
R - Bonsoir.
Q - Vous êtes ministre du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, vous êtes rattaché au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Vous revenez d'un déplacement en Afrique, en Côte d'Ivoire précisément, où vous avez lancé la Communauté Afrique-France des entrepreneurs. On va en dire quelques mots. Quels sont, Monsieur le Ministre, les atouts de la France pour s'imposer dans le monde, entre des Etats-Unis qui sont omniprésents et une Chine prédatrice, en Afrique comme ailleurs ?
R - D'abord la France est devenue depuis trois ans le premier pays en termes d'attractivité en Europe. Nous sommes la première terre d'investissements étrangers en Europe. C'est le fruit, en réalité, des efforts que nous avons faits depuis cinq ans avec les gouvernements du Président de la République pour, à la fois simplifier le droit du travail, pour réduire la fiscalité sur les entreprises, et pour simplifier les démarches administratives. Et donc, cela veut dire que les projets étrangers, aujourd'hui, se dirigent vers la France, ce sont des projets qui sont importants pour la ré-industrialisation de la France et qui créent des milliers d'emplois sur notre territoire. C'est évidemment une bonne nouvelle.
Q - Le fait est, quand même, Monsieur le Ministre, que la compétitivité de la France n'est pas au meilleur de sa forme. Depuis le début de la pandémie, on a vu notamment qu'on a perdu beaucoup de parts de marché dans les exportations de biens de la zone Euro. Est-ce qu'on a réellement les moyens aujourd'hui de redresser la barre ?
R - Oui, bien sûr. En matière d'exportations, il faut regarder à la fois, sur notre balance commerciale, la conjoncture, qui est évidemment dégradée par ce qu'on appelle la balance énergétique, c'est-à-dire que les prix de l'énergie ont été multiplié quasiment par 5 depuis 2020. Derrière, en plus, il y a une dépréciation de l'euro par rapport au dollar. Donc forcément, nous payons notre énergie, le gaz, le pétrole, notamment, beaucoup plus cher. Cela dégrade la balance commerciale. Mais nos exportations se portent plutôt bien.
Q - Mais le déficit commercial de la France est quand même de 156 milliards d'euros aujourd'hui. C'est historique. En 2021, on était à 85 milliards. Comment peut-on redresser autant ?
R - C'est l'énergie. Quand on regardera les chiffres, on se rendra compte que hors déficit de l'énergie, notre déficit commercial ne se sera pas aggravé. On sera aux alentours de 36 milliards, hors énergie. Et cela, c'est une bonne nouvelle. Cela veut dire aussi que derrière, nous devons 36 milliards, on peut évidemment faire beaucoup mieux et on va faire mieux. Il y a deux choses que nous devons faire aujourd'hui pour améliorer ce déficit commercial : la première, c'est évidemment la ré-industrialisation du pays. Ça, forcément, cela prend du temps.
Q - Pas forcément. Les relocalisations ? Vous parlez plutôt de ré-industrialisation ? Ce n'est pas la même chose.
R - Ré-industrialisation. La relocalisation, c'est aussi de la ré-industrialisation. Je prends un exemple STMicroelectronics and GlobalFoundries, nous réindustrialiserons, nous allons produire en France les fameuses micro-puces, les processeurs. C'est 5,6 milliards d'euros d'investissements, c'est 1000 emplois créés. Cela participe forcément au mouvement à la fois de ré-industrialisation et de relocalisation.
Et la deuxième chose, c'est important, ce sont les PME : c'est pousser les petites et moyennes entreprises à l'exportation. On n'a que 20% de PME françaises qui exportent. C'est 80% en Allemagne. C'est là où je souhaite porter l'effort aujourd'hui.
Q - Alors, justement, vous parlez d'Allemagne. Le chancelier allemand va vendredi en Chine, seul, alors que le président Emmanuel Macron lui avait proposé de faire tronc commun, au nom de l'Europe et du couple franco-allemand. Le chancelier allemand a dit à Emmanuel Macron " non, vous restez à Paris, je pars seul voir le président chinois ". Est-ce que c'est logique ? Est-ce une faute diplomatique de la part du chancelier allemand ?
R - Je ne pense pas que ce soit une faute diplomatique du chancelier allemand. Chaque Etat a ses visites protocolaires dans les différents pays. Le président Macron, ira aux Etats-Unis, début décembre, je ne crois pas qu'il y aille avec le chancelier Scholz.
Q - Ce n'est pas une erreur économique pour le couple franco-allemand ?
R - Je pense très sincèrement qu'au niveau de l'Allemagne, l'industrie allemande a une dépendance par rapport à la Chine que la France n'a pas, ou en tout cas de manière beaucoup plus allégée. Donc, il n'est pas illogique que le chancelier aille en Chine, et qu'il y aille seul, si c'est pour parler, justement, de la dépendance, de la vulnérabilité de l'économie allemande par rapport à la Chine.
Je pense très sincèrement que le couple franco-allemand reste solide, même si, bien sûr, nous devons raffermir un certain nombre de coopérations et avancer ensemble pour relever les défis qui sont aujourd'hui les nôtres, en Europe et dans le monde.
Q - Donc il n'y a pas d'accroc entre Paris et Berlin sur cette visite d'Olaf Scholz en Chine ?
R - Il n'y a pas d'accroc et le couple franco-allemand travaille en confiance et doit forcément se renouveler, dans une période qui est compliquée, où il y a beaucoup de choses qui changent en même temps, notamment en matière de défense, en matière d'énergie, en Europe. Et donc, forcément, nous devons retrouver de nouveaux fondamentaux.
Q - Au sujet de la relance extérieure, vous parlez de ré-industrialisation. Les ministres du Travail et de l'Intérieur, Olivier Dussopt et Gérald Darmanin, l'ont annoncé ce matin, le Gouvernement veut créer un titre de séjour "métiers en tension" pour favoriser le recrutement de travailleurs étrangers en situation irrégulière dans les secteurs qui peinent à recruter. Est-ce que c'est une mesure positive à vos yeux ? Est-ce que cela va inciter des entrepreneurs étrangers à venir investir en France ?
R - La mesure est surtout faite pour répondre aux entrepreneurs français. J'étais, il y a quelques semaines, en Bretagne, je rencontrais des chefs d'entreprise qui me disaient : nous sommes en tension, nous avons 4,5-4,6% de chômage dans les Côtes-d'Armor. Nous avons besoin de main d'œuvre. Et donc oui, le fait, à un moment ou un autre, d'avoir des titres de séjour pour régulariser des personnes qui travaillent déjà, qui sont dans les entreprises...
Q - Mais plutôt au noir. Disons que cela leur permettrait de régulariser leur situation.
R - Cela permet de régulariser et surtout de maintenir la main d'œuvre dont nous avons besoin. Et ce n'est pas exclusif, contrairement à ce que nous pouvons entendre chez certains responsables politiques, des efforts que nous devons faire pour réduire encore davantage notre taux de chômage. Ce sont les réformes que nous souhaitons faire sur l'assurance chômage, ou encore sur le RSA, pour faire que les personnes qui sont en capacité de travailler soient formées pour pouvoir être sur le marché du travail et répondre aux besoins des entreprises.
Q - Cela peut créer un appel d'air, en termes de main d'œuvre, cette simplification ?
R - Je ne pense pas que cela crée un appel d'air, car les personnes sont déjà sur le sol national et, encore une fois, nous avons besoin en Europe de main d'œuvre. Nous avons aujourd'hui une économie en France qui se porte plutôt mieux que nos partenaires et nos voisins. Nous avons 1%...
Q - Grâce notamment aux milliards et dizaines de milliards qui sont dépensés par le gouvernement, par l'Etat, pour soutenir l'activité.
R - Oui, mais regardez, l'Allemagne dépense 200 milliards sur l'énergie, et pourtant...
Q - Pour la seule Allemagne.
R - ... pour la seule Allemagne, et pourtant nous avons en France un taux de croissance qui reste supérieur. Nous avons un taux d'inflation qui reste inférieur, quasiment de moitié, à celui de l'Allemagne. Donc, cela veut dire que nous nous portons bien...
Q - Espérons que cela va durer.
R - Voilà. Nous nous portons pour l'instant plutôt mieux que certains de nos partenaires et c'est une bonne nouvelle aussi.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2022