Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Apolline de MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre de l’Economie et des Finances. On va parler salaires, on va parler inflation, mais je voudrais que l’on commence par ces nouvelles aujourd’hui : le bouclier tarifaire à la SNCF qu’on nous annonce, le Chèque fioul qui sera versé normalement à partir d’aujourd’hui, les aides à la pompe qui seront donc prolongées, avec ensuite des aides gros rouleurs dès janvier. Des nouvelles aides aux entreprises. Vous nous aviez dit que le quoi qu’il en coûte c’était fini, mais quand il n’y en a plus, il y en a encore en fait.
BRUNO LE MAIRE
Non, je vous le confirme, le quoi qu’il en coûte est fini, et nous allons vers des aides qui seront plus ciblées, c'est-à-dire qui toucheront les personnes qui en ont le plus besoin, les ménages qui sont le plus touchés par l'inflation, les prix alimentaires, les prix de l'énergie et les prix des carburants, et les entreprises qui sont réellement le plus touchées par l'augmentation du prix des matières premières. Les aides aux entreprises elles sont ciblées. La remise sur les carburants, je l'ai toujours dit, elle s'arrête au 1er janvier, à partir du 1er janvier ce ne sera une aide que pour ceux qui sont obligés d'utiliser leur voiture pour aller travailler. Il y aura une augmentation le 1er janvier de 15% du prix de l'électricité, du prix du gaz, nous l'avons annoncé, le président de la République et la Première ministre l'ont confirmé.
APOLLINE DE MALHERBE
C’est une sorte de " en même temps ", là-dessus.
BRUNO LE MAIRE
Non, c'est est une évolution du dispositif de protection. Nous avons soutenu massivement les ménages et des entreprises depuis près de 2 ans, nous avons mis 110 milliards d'euros sur la table en 2021, 2022 et 2023, et maintenant il faut que nous ciblions les aides, par souci de justice, parce qu'il faut que ça aille à ceux qui en ont le plus besoin, et aussi par souci de remise en ordre de nos finances publiques.
APOLLINE DE MALHERBE
Alors, pardon, mais quand vous dites que vous allez cibler, il y a certes un moment où on se dit que c'est paradoxal, c'est-à-dire que vous poursuivez les aides, mais vous les rendez quasiment impossible à toucher. Je voudrais quand même prendre l'exemple de ce qui se passe aujourd'hui : pour pouvoir toucher le Chèque fuel, il faut s'inscrire sur le site cheque-énergie.fr. Est-ce que vous pensez vraiment que c'est commode, ceux qui utilisent le fioul, c’est notamment les plus modestes, les plus âgés, qui vont devoir aujourd'hui commencer à rentrer sur le site internet cheque-énergie.fr ?
BRUNO LE MAIRE Les plus modestes, ils ont, Apolline de MALHERBE, le Chèque énergie, et eux ils auront automatiquement, ils sont 200 000, le Chèque fuel de 100 à 200 €. Après, par souci de toucher tous ceux qui se chauffent au fuel et qui ont des niveaux de revenus modestes, nous avons ouvert ce site internet, il est très simple, mais je le redis, pour tous ceux qui ont le Chèque énergie, qui sont les plus modestes, le versement est automatique. Même chose, le reproche m'a été fait sur les aides aux entreprises. Moi, quand on me fait des reproches ou des critiques, je les écoute et je corrige.
APOLLINE DE MALHERBE
Je me souviens particulièrement que vous étiez venu annoncer ici…
BRUNO LE MAIRE
Oui, bien sûr…
APOLLINE DE MALHERBE
… un système dont on sentait que vous-même vous saviez que c'était quand même compliqué, et puis finalement, un mois après, vous avez revu la copie.
BRUNO LE MAIRE
Vous savez, ça n'est jamais facile, quand on a un phénomène nouveau qu’est l'inflation, des aides à apporter, qui doivent aller à ceux qui en ont réellement besoin, trouver les meilleurs dispositifs. Vous aurez, à partir de la mi-novembre, une possibilité de guichet pour les entreprises qui en ont besoin, qui sera extrêmement simple, et qui a été construit avec les PME, avec les très petites entreprises, avec les acteurs de terrain, pour être sûr que ça ne soit pas trop compliqué à remplir et que toutes les entreprises qui ont besoin d'une aide pour payer leurs factures d'électricité ou leurs factures de gaz, pourront réellement et rapidement les toucher.
APOLLINE DE MALHERBE
On va y revenir, sur la question du gaz et de l'électricité, mais d'abord vous disiez le mot : inflation, hausse des prix. 12 % d'inflation pour les produits alimentaires, juste l'alimentaire. Michel-Edouard LECLERC ici même, accusait avant l'été les industriels de gonfler leurs marges au passage. Et vous, vous affirmez que non, qu'il n'y a pas de gras, qu'il n'y a pas d'abus, que cette inflation-là elle est juste.
BRUNO LE MAIRE
Il faut toujours se méfier dans ces périodes, qui sont des périodes difficiles, de la logique du bouc émissaire. Ça ne mène nulle part. On pointe du doigt les uns et les autres, et on dit : si les prix augmentent tant, c'est qu’il y en a un qui s'en est mis plein les poches, il y a des gens qui abusent. Moi, ma responsabilité de ministre de l'Economie, c'est de garantir l'ordre public économique. On veut faire la transparence totale. J'ai demandé un rapport, le rapport a été rendu, les parlementaires aussi ont travaillé sur ce sujet, et ce rapport il établit quoi ? Qu'entre 2019 et 2022, si on prend une année de référence classique, hors crise Covid, 2019, les marges de la grande distribution ont légèrement diminué. Les marges de l'industrie agroalimentaire se sont effondrées, c'est-à-dire que les bénéfices de l'industrie agroalimentaire, aujourd'hui, sont beaucoup plus faibles qu'ils ne l'étaient en 2019. Les seuls qui sont protégés, même si je le dis avec prudence, parce qu'il y en a qui souffrent beaucoup aujourd'hui, c'est les agriculteurs, grâce à la loi EGALIM, qu’a voulu mettre en place le président de la République. Quelle est la conclusion que je tire de tout ça ? C'est qu'aujourd'hui il n'y a pas de profiteurs sur les prix de l'alimentation. Il y a tout simplement des prix des intrants qui augmentent, donc le prix du blé qui augmente, donc en bout de chaîne le prix de la baguette qui augmente.
APOLLINE DE MALHERBE
Il n’y a pas de profiteurs, est-ce que diriez même que chacun a fait un geste ?
BRUNO LE MAIRE
Oui.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous iriez jusqu'à dire, non seulement ils n’en ont pas profité, mais ils ont joué le jeu, ils ont baissé leurs marges, comme vous le dites ?
BRUNO LE MAIRE
Ils ont comprimé leurs marges. Alors, après, nos auditeurs qui nous écoutent, ils se disent : mais lui, il rêve, il habite où ? Moi je vois bien que le prix des cuisses de poulet a augmenté au supermarché, que le prix de la baguette a explosé, que le prix des pâtes a exposé, je le sais, je fais mes courses, donc je vois bien à quel point les prix ont fortement augmenté. Mais ils ont augmenté à cause de l'inflation sur le prix des matières premières, pas parce que les distributeurs ou les industriels de l'agroalimentaire s’en seraient mis plein les poches. Il y en a qui doutent. Je vais rendre ce rapport public. Il y en a qui doutent encore ? Nous ferons un nouveau rapport, d'ici 6 mois, je demanderai qu'on fasse exactement la même analyse, pour vérifier…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous serez vigilant, désormais régulièrement.
BRUNO LE MAIRE
Bien sûr. Le rapport date de juillet. Moi je comprends très bien qu'il y en ait qui me disent : mais attendez, juillet c'est pas octobre, et c'est en octobre que les prix de l'alimentation ont le plus augmenté. Je l’entends. Et donc d'ici 6 mois nous aurons un nouveau rapport, que je demanderai à nouveau à l'Inspection générale des finances, en associant à nouveau, s'ils l'acceptent, Stéphane TRAVERT, et des parlementaires, pour à nouveau faire la transparence. Si on veut garantir la cohésion de la société française, il faut de la transparence et s'assurer que personne n’empoche des choses au passage.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est une question de cohésion de la société française ?
BRUNO LE MAIRE
Bien sûr.
APOLLINE DE MALHERBE
C’est une question de sentiment d'injustice, de…
BRUNO LE MAIRE
Mais, c’est normal, quand vous avez…
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a une fragilité…
BRUNO LE MAIRE
Mais il y a une vraie fragilité. Il y a une vraie fragilité économique de beaucoup de ménages dans notre pays, de familles, de gens qui ont du mal à nourrir leurs enfants. Enfin, c'est parfaitement légitime qu'ils me demandent des comptes, qu’ils demandent des comptes à l'industrie agroalimentaire, aux distributeurs, qu'on leur garantisse qu’effectivement tout le monde est solidaire. Nous sommes dans une époque, à une période économique où la solidarité doit être le maître-mot, entre les grandes entreprises et les PME, entre la grande distribution, l'agroalimentaire et les agriculteurs, tout au long de la chaîne, jusqu’aux consommateurs.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vis-à-vis aussi des salariés, on y reviendra dans un instant, mais je reste quand même sur ce point, je citais Michel-Edouard LECLERC qui en a fait une forme de combat, vous dites : attention, non, personne n'en a profité. Mais il y a un patron de grande distribution ; plus modeste, enfin plus discret je dirais, qui est le patron d'INTERMARCHE, Didier DUHAUPAND, président du Groupement des Mousquetaires, il me disait également au micro de RMC il y a un mois, je le cite : " On nous demande des hausses impossibles, Il citait DANONE et MARS. DANONE et MARS qui demandent des hausses pas raisonnables. Et il précisait : nous aussi nous avons nos propres usines, avec nos propres marques, on voit bien qu'il y a des hausses de coûts de production, notamment sur l'eau par exemple, il disait de 7 à 8%, mais DANONE nous demande 22% sur ses eaux minérales et gazeuses ". Quand même, là, ça veut dire qu’il y a un problème.
BRUNO LE MAIRE
Mais bien sûr, c'est bien pour cela que je ne dis pas, c'est pour solde de tout compte, ce rapport que je rendrai public, date de juillet, ça n'est pas pour solde de tout compte. Je m'assurerai, il y aura un nouveau rapport d'ici 6 mois, pour nous assurer que tout au long de l'année, et s'il en faut un nouveau d'ici la fin 2023, on le fera également pour avoir la paix grande vigilance sur le comportement des industriels vis-à-vis des PME et de la grande distribution vis-à-vis de l'industrie agroalimentaire et de nos amis paysans.
APOLLINE DE MALHERBE
Au passage, un mot sur l’inflation, hausse des prix donc de 6,1% sur un an, je disais 12%, ça, c’est sur les produits alimentaires, 6,1, c’est sur tous les prix, est-ce qu’elle va se poursuivre cette inflation ?
BRUNO LE MAIRE
Tout notre combat, c’est de ramener l’inflation à des niveaux plus raisonnables dans les mois qui viennent. Et c’est ça qui nous amène à prendre des décisions qui sont difficiles.
APOLLINE DE MALHERBE
Que ce soit votre combat, je le comprends, est-ce que vous pouvez nous dire ce matin que l’inflation va se poursuivre, que ça va continuer à augmenter, est-ce que vous imaginez que ça se tasser, voire même que ça va redescendre ?
BRUNO LE MAIRE
Je peux vous dire que notre objectif avec nos partenaires européens, c’est de revenir dans les meilleurs délais possibles, mais ça prendra du temps, tout au long de l’année 2023, à une inflation qui soit plus raisonnable, elle doit baisser dans le courant de l’année 2023. C’est le combat…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites : elle doit baisser, mais vous ne dites pas : elle va baisser…
BRUNO LE MAIRE
Mais…
APOLLINE DE MALHERBE
Je veux juste qu’on sache à quoi s’attendre…
BRUNO LE MAIRE
Non, mais, bien sûr, mais je ne veux pas faire des promesses en l’air, si demain, la crise s’aggrave en Ukraine, s'il y a une difficulté avec la Chine, s'il y a un problème avec les Etats-Unis, tout ça a un impact majeur sur le prix des matières premières. Mais notre scénario de référence, c'est une baisse progressive de l'inflation en 2023 et retrouver en 2024 des niveaux d'inflation qui soient plus raisonnables, c'est ça qui nous amène à prendre des décisions qui sont difficiles, cibler davantage les aides, ne pas accepter une indexation globale des salaires sur l'inflation, alors que je sais bien qu'il y a une demande beaucoup de salariés là-dessus, c'est parce que sinon, ça nourrirait l'inflation. Et que notre combat, c'est de nous débarrasser dans les mois qui viennent de cette inflation qui pénalise les plus modestes, qui est injuste, qui est violente pour beaucoup de nos compatriotes.
APOLLINE DE MALHERBE
Et qui est tirée notamment par la question des prix de l'énergie, EDF qui va encore plus mal que prévu, 26 réacteurs nucléaires sont à l'arrêt pour maintenance, problèmes de corrosion sur un parc de 56, et EDF qui a annoncé jeudi un nouveau report de la date de reconnexion de 4 de ses réacteurs, qui, soi-disant, allaient être remis en marche, et qui donc ne le seront pas, est-ce que vous êtes toujours confiant sur notre capacité à traverser l’hiver ?
BRUNO LE MAIRE
Nous sommes surtout exigeants vis-à-vis d'EDF, et je sais que les salariés d'EDF, les ingénieurs, les ouvriers, les soudeurs qui s'occupent de ces corrosions sous contrainte travaillent nuit et jour à améliorer la situation, c'est difficile, mais je veux leur rendre hommage, parce que je sais qu’ils se donnent un mal que personne n'imagine pour tenir les engagements qui ont été pris, 45 gigawatts de puissance qui reviennent en décembre, 50 qui reviennent en janvier…
APOLLINE DE MALHERBE
Non, ça, c’est ce que vous leur avez demandé…
BRUNO LE MAIRE
Oui, c’est ce que nous leur avons demandé…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais ce n’est pas gagné…
BRUNO LE MAIRE
Ce n’est pas gagné, ça reste nos objectifs, ça reste ce qui a été demandé à EDF.
APOLLINE DE MALHERBE
S'il y a des fissures, s’il y a des difficultés, ils ne vont pas remettre en marche nos réacteurs…
BRUNO LE MAIRE
Nous faisons le point, Agnès PANNIER-RUNACHER, qui est en charge du sujet énergétique, fait le point régulièrement avec EDF, j'aurai l'occasion de faire le point avec le nouveau président d'EDF, Luc REMONT, dans les jours qui viennent ; je peux vous dire que nous sommes tous au gouvernement, à EDF, à quelque niveau que ce soit, totalement mobilisés pour essayer de tenir ces objectifs…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes même prêt à leur demander de débrider, comme on dit, les éoliennes et les barrages, est-ce sans danger ?
BRUNO LE MAIRE
Vous posez la question à la ministre de l'Energie, moi, je ne suis pas le spécialiste sur le sujet…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais enfin, vous continuez à leur mettre la pression…
BRUNO LE MAIRE
Mais nous mettons la pression, pourquoi, parce que nous voulons que nos compatriotes passent l'hiver le plus tranquillement possible, et ils font déjà des efforts de réduction de leur consommation d'énergie, ils sont responsables, et je veux que nos entreprises puissent fonctionner sans qu'il y ait de coupure de courant, de délestage, qui pourrait pénaliser leur activité, et donc l'emploi, c'est ça l'enjeu, et c'est pour cela que nous sommes autant mobilisés avec Agnès PANNIER-RUNACHER.
APOLLINE DE MALHERBE
Dividendes salariés, vous y êtes favorable, vous l'avez dit dans une interview au journal Le Parisien ce week-end, comment ça pourrait marcher concrètement, d'abord, quelles entreprises, les grosses, les moyennes, les petites ?
BRUNO LE MAIRE
Toutes les entreprises. Et quelle est la logique derrière, la logique, c'est celle que nous défendons depuis 5 ans avec Emmanuel MACRON, du travail pour tous et du travail qui paie, travail pour tous, on s'en approche, on a réussi à avoir un taux de chômage qui est à un peu plus de 7, et on vise 5% d'ici 2027, du travail qui paie, c'est quoi, c'est d'abord des salaires, et je ne veux laisser aucune ambiguïté là-dessus, j'entends les critiques, là aussi, elles sont intéressantes, non, mais nous, ce qui compte pour nous, c’est les salaires…
APOLLINE DE MALHERBE
Les partenaires sociaux ont dit : mais nous, on ne veut pas de dividendes, on veut du salaire…
BRUNO LE MAIRE
Mais, ils ont raison d'insister sur les salaires, les partenaires sociaux ont raison d'insister sur les salaires, moi-même, depuis près de 3 ans, je n'arrête pas de dire que toutes les entreprises qui le peuvent doivent d'augmenter les salaires, et d'ailleurs, en 2022, elles l'ont fait, plus de 4% d'augmentation des salaires à l'heure où je vous parle, preuve que quand on demande des choses, sans forcément les imposer, parce que ce n'est pas le rôle de l'Etat, ça donne des résultats, plus 4% d'augmentation des salaires en 2022…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais ces dividendes salariés ?
BRUNO LE MAIRE
Ensuite, vous avez deux autres façons d'améliorer le revenu des salariés, vous avez la prime, la prime Macron, 6.000 euros, défiscalisée, je rappelle qu'il y a 10 millions de salariés qui l'ont touchée, pour 550 euros en moyenne, enfin, ce n'est quand même pas rien. C'est des sommes qui sont importantes, c'est cette prime défiscalisée qui a permis d'arrondir les fins de mois de beaucoup de nos compatriotes. Et puis, il y a une troisième possibilité, et elles sont complémentaires, je veux le dire, moi, quand j'entends des syndicats qui nous disent : ah, mais, nous, on est contre la prime…
APOLLINE DE MALHERBE
Ce n’est pas l’un ou l’autre, ce n’est pas salaires ou dividendes…
BRUNO LE MAIRE
On est contre le dividende, on veut le salaire, ce n’est pas l’un ou l’autre. C'est l'un et l'autre, c'est un salaire solide qui doit augmenter dans les entreprises qui le peuvent, plus du versement de primes pour toutes les entreprises qui sont un peu plus incertaines…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que ça veut dire, quand vous parlez de dividendes…
BRUNO LE MAIRE
Plus de l’intéressement et de la participation…
APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous parlez de dividendes salariés, est-ce que ça veut dire que quand une entreprise a de quoi verser des dividendes à ses actionnaires, elle devra aussi verser des dividendes à ses salariés ?
BRUNO LE MAIRE
Oui...
APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire : dividendes actionnaires égal dividendes salariés ?
BRUNO LE MAIRE
C’est la logique de ce dividende salarié, le partage de la valeur, quand une entreprise fait des profits, qu'elle peut verser des dividendes à ses actionnaires, elle doit garantir une meilleure rémunération à son salarié, le dividende salarié…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc elle va prendre un peu de ce qu’elle aurait donné aux actionnaires pour le donner aux salariés…
BRUNO LE MAIRE
Exactement, le dividende salarié, c’est le profit pour tous, ce n’est pas le profit que pour quelques-uns, la logique de partage de valeurs, j'y crois profondément…
APOLLINE DE MALHERBE
On entend bien aussi que c’est une forme de réponse de votre part à cette taxe, cette idée de taxe sur les superprofits, vous, vous dites plutôt que de taxer sur les superprofits, on partage les superprofits…
BRUNO LE MAIRE
Oui, parce que moi, j’ai toujours défendu la même chose, qu'on taxe les superprofits des énergéticiens, parce que les prix explosent, oui, et si ça plaît à certains qu'on emploie ce mot, très bien, eh bien, c'est ce que nous faisons, je rappelle que le mécanisme de rente infra-marginale, pour prendre le terme technique, c'est-à-dire tout ce qu'on récupère sur la rente des énergéticiens, ça va nous rapporter 26 milliards d'euros en 2023. Donc nous taxons bien les superprofits des énergéticiens, mais après, l'idée de taxer toutes les entreprises, je trouve ça totalement stupide, ça ne va pas dans la poche des Français. En revanche, ce que je trouve juste, et ce que je trouve nécessaire pour la société française, comme pour le capitalisme occidental, de manière plus globale, c'est de garantir que quand une entreprise réussit, tout ne va pas dans la poche des actionnaires, il y a une partie plus importante qui va dans la poche des salariés, qui sont quand même les premiers à contribuer au bon fonctionnement de l’entreprise…
APOLLINE DE MALHERBE
Une forme de solidarité, puisque c’est le mot que vous utilisez depuis le début de cette interview…
BRUNO LE MAIRE
C’est une forme de solidarité, et j’insiste vraiment là-dessus, une forme de cohésion, regardez ce qui se passe aux Etats-Unis aujourd'hui, une polarisation totale de la vie de la société, une polarisation totale de la vie politique, dans un pays que j'ai toujours profondément aimé, qui est un pays de la liberté, qui est un modèle…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes inquiet de ces élections de midterms demain ?
BRUNO LE MAIRE
Bien sûr que je suis inquiet, je suis inquiet de la polarisation de la vie politique et de la vie sociale et de la nation américaine. Et je ne veux pas que la même chose arrive en France…
APOLLINE DE MALHERBE
Et ça pourrait avoir un impact chez nous ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne veux pas que la même chose arrive en France.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça pourrait avoir un impact chez nous ?
BRUNO LE MAIRE
Donc si on veut éviter la polarisation, il faut qu'il y ait plus de justice, il faut qu'il y ait du partage de la valeur, il faut qu'il y ait du dialogue, il faut entendre les critiques et améliorer nos propositions, c'est exactement ce que j’essaie de faire depuis ce matin…
APOLLINE DE MALHERBE
Pour une société donc moins divisée, puisque vous parliez des Etats-Unis, un mot sur la relation commerciale avec les Etats-Unis. Vous donnez une interview ce matin dans le journal Les Echos, mais qui est également à d'autres journaux européens, parce que vous alertez, et on a quand même un peu l'impression que vous nous dites qu'avec les Etats-Unis, on n'est plus seulement partenaire, on est en train de devenir concurrent, voire adversaire, pour essayer d'attirer à nous les meilleures entreprises. Ils attirent à eux des entreprises que nous voyons partir.
BRUNO LE MAIRE
Ils les attirent avec ce qu'on appelle l'IRA, l’Inflation Reduction Act, c'est-à-dire des possibilités de subventions pour les entreprises qui sont totalement exorbitantes, qu'est-ce que ça veut dire, très concrètement, je suis en négociation depuis plus d'un an avec une entreprise, dont je ne donnerai pas le nom, qui est une entreprise étrangère, qui travaille dans le domaine du véhicule électrique, et qui dit : voilà, c'est formidable, la France a pris le train en marche, visiblement, elle est très dynamique, elle a des technologies, elle a des ingénieurs, elle est bien placée, je veux investir chez vous, je veux investir et ça va créer 5.000 emplois. Il faut simplement que vous m'aidiez, c'est classique dans ce genre de négociations, combien est-ce que vous pouvez mettre sur la table, moi, je peux mettre à peu près jusqu'à un milliard d'euros, c'est respectueux des règles de l'OMC, c'est respectueux des règles de concurrence. Mais il se trouve que les Etats-Unis, eux, pour attirer la même entreprise, sont prêts à mettre 4 fois cette somme…
APOLLINE DE MALHERBE
4 milliards…
BRUNO LE MAIRE
4 milliards. Et à financer l'intégralité de l'investissement…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est déloyal ?
BRUNO LE MAIRE
Et si je prends bout-à-bout tous les investissements qui sont concernés, ce sont 10.000 emplois industriels qui sont en jeu pour un montant de 10 milliards d'euros. Donc oui, je pense qu'il faut dire amicalement…
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que c’est déloyal, est-ce que…
BRUNO LE MAIRE
Mais clairement à nos partenaires américains, ça n’est pas acceptable, ça nous pose une difficulté majeure, parce que le risque, si on ajoute à cela l'augmentation du prix de l'énergie…
APOLLINE DE MALHERBE
… pardon, mais c’est vrai qu’ils sont ces 4 milliards et que nous on ne les a pas, on n'est pas dans le même jeu.
BRUNO LE MAIRE
Nous sommes l'une des premières puissances commerciales du monde. Quand là encore au lieu de nous opposer nous nous rassemblons entre pays européens, nous sommes le premier marché…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais, Bruno LE MAIRE, de toute façon on ne les a pas.
BRUNO LE MAIRE
Mais nous pourrions les avoir au niveau européen. Et je ne sais pas si c'est la bonne façon de réagir, ce que je sais c'est qu'il faut faire preuve de la plus grande fermeté, de la plus grande clarté, avec nos amis américains…
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous iriez jusqu’à dire, Bruno LE MAIRE, que les Américains…
BRUNO LE MAIRE
…Pour leur dire que ça nous pose un vrai problème. Que nous avons d’un côté l'augmentation des prix de l'énergie en Europe, alors que chez vous les prix de l'énergie n'ont pas augmenté, et en plus vous rajoutez à cela, double peine, des subventions qui sont exorbitantes. Tout cela nous fait courir le risque d'un choc industriel majeur sur l'industrie française et sur l’industrie européenne. Nous sommes entre alliés, nous sommes entre amis, il faut le dire, il faut que nous trouvions des solutions.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que les Américains profitent en quelque sorte de notre situation de faiblesse actuelle ?
BRUNO LE MAIRE
Non, je ne dirais pas ça, je ne suis pas là pour pointer du doigt des alliés et des amis, je suis là simplement pour dire à un ami, une Nation amie, nous avons…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous vous souvenez de la fin des super contrats de sous-marins nucléaires avec l’Australie, les Américains n’avaient que faire de nos désolations.
BRUNO LE MAIRE
Je préfère prévenir, plutôt que guérir. Je pense qu'il est temps que nous Européens, nous disions très clairement à nos amis américains : nous avons sur ce sujet de l'IRA, Inflation Reduction Act, et sur le risque de désindustrialisation en Europe, une préoccupation majeure qui doit être réglée dans les meilleurs délais. Et nous Européens, nous préférons trouver des solutions de compromis avec les Etats-Unis, mais si les solutions de compromis ne sont pas possibles, dans ce cas-là nous saurons faire preuve de la même fermeté.
APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, un mot de la COP qui s'ouvre donc aujourd'hui. Emmanuel MACRON sera présent en Egypte. Ce matin je recevais François GEMENNE, qui est coauteur du rapport du GIEC, qui est expert à la Cop et qui demandait pourquoi est-ce que vous, Bruno LE MAIRE, vous avez refusé les amendements qui devaient permettre notamment des investissements massifs dans la rénovation thermique ? Il disait : c’est un quoi qu'il en coûte qui est nécessaire. Certes, ça va coûter de l'argent, mais c'est comme le Covid, c'est important, c'est nécessaire, c'est vital.
BRUNO LE MAIRE
Parce que ces amendements étaient financés par l'abandon du bouclier énergétique, c'est-à-dire qu'ils étaient financés par des factures d'électricité et de gaz de 200 € en moyenne par mois par ménage en France. C’est tout.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous n’auriez pas pu trouver un autre moyen de les financer ?
BRUNO LE MAIRE
13 milliards, c'est 13 milliards, et en tout cas je ne vais certainement pas déshabiller Paul pour habiller Jacques. Je pense que ce n’est pas la bonne politique, ce n’est pas comme ça qu'on pourra y arriver. Est-ce qu'il faut aller plus loin sur la rénovation thermique des bâtiments ? Oui. Est-ce qu'il faut privilégier des rénovations globales ? Oui. Est-ce que c'est uniquement une affaire d'argent, non, parce quand vous faites une rénovation globale, c'est plus compliqué que lorsque vous changez uniquement les portes et les fenêtres. Très souvent il faut trouver d'autres logements pour les personnes qui sont concernées, ça prend plus de temps, il faut avoir les artisans nécessaires, donc on ouvre cette réflexion globale sur comment passer de gestes singuliers à des rénovations globales, comment est-ce qu'on les finance ? Nous avons décidé dans France 2030 de consacrer des sommes très importantes à ces rénovations globales, donc il y aura l'argent disponible. Comment est-ce que nous faisons ? Quel calendrier, avec quels artisans, avec quelles entreprises ? Ça, ce débat-là j'y suis prêt et je pense même qu'il est indispensable. Mais ne faisons pas ça au détour d'un amendement qui va spolier des Français en les privant d'aides dont ils ont vraiment besoin de manière indispensable pour payer leurs factures de gaz et leurs factures d’électricité.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 15 novembre 2022