Interview de M. Olivier Becht, ministre chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, à RFI le 13 décembre 2022, sur le soutien à l'Ukraine face à l'agression de la Russie.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Bonjour Olivier BECHT.

OLIVIER BECHT
Bonjour.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
L'Ukraine va être aujourd'hui au cœur de la machine diplomatique et économique française. Deux conférences destinées à venir en aide à l'Ukraine vont se succéder, deux grandes thématiques : les besoins urgents pour passer l'hiver, et à plus long terme le scénario de l'après-guerre et de la reconstruction de l'Ukraine. Une cinquantaine d'États devraient y participer. Parlons d'abord de l'urgence : qu'est-ce qui peut être décidé et mis en place aujourd'hui ?

OLIVIER BECHT
Je pense que la priorité aujourd'hui, c'est d'aider le peuple ukrainien à passer l'hiver. Donc nous savons que beaucoup d'infrastructures ont été détruites, notamment sur le plan de l'énergie, et donc nous allons voir comment est-ce que nous pouvons faire pour mettre en place avec les entreprises notamment. Il y aura, vous l'avez dit, cinquante États mais il y aura aussi plus de 500 entreprises françaises qui vont participer à cette réunion internationale, et voir concrètement comment est-ce qu'on peut faire pour amener des générateurs, pour amener des technologies qui permettent de réparer les installations électriques, mais également les installations d'eau potable, d'assainissement qui souvent ont été détruites et rendent du coup la vie impossible pour les populations locales. Donc la priorité numéro un, c'est aider les Ukrainiens à passer l'hiver en faisant en sorte qu'on puisse avoir les infrastructures essentielles qui permettent de vivre, c'est-à-dire avoir de l'électricité, de l'eau, de l'assainissement.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Les prioritaires, quels sont-ils ? C'est ça ? C'est se chauffer, se nourrir, se soigner ?

OLIVIER BECHT
C'est ça. Alors, d'abord, il faut de l'électricité ; ça c'est la première des conditions parce que c'est ce qui permet de se chauffer, qui permet de s'éclairer, qui permet de faire fonctionner aussi la machine économique, les hôpitaux. Donc, ça, c'est la première priorité. Ensuite, comme je viens de le dire, il y a également l'eau et l'assainissement parce que s'il n'y a pas d'eau et d'assainissement, vous avez l'apparition de maladies. Et puis ensuite, vous avez bien sûr la santé, faire fonctionner les hôpitaux notamment dans un pays qui reste un pays en guerre. Et derrière également les infrastructures de transport, de mobilité, qui sont importantes à la fois d'un point de vue civil mais aussi d'un point de vue militaire. Reconstruire les ponts qui ont été détruits, ça permet aussi de continuer à acheminer la logistique vers la ligne de front.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Le Parlement européen a voté hier soir un prêt de 18 milliards d'euros à l'Ukraine pour l'année 2023. Est-ce qu'on sait déjà comment va être utilisé cette somme ?

OLIVIER BECHT
Je pense qu'elle sera discutée justement dans le cadre de la conférence internationale. Et la France s'est également engagée depuis mai dernier en aide d'à peu près de deux milliards d'euros pour l'aide au peuple ukrainien. Il y aura de nouvelles annonces aujourd'hui avec de nouvelles sommes qui seront débloquées pour le peuple ukrainien.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
L'aide humanitaire profite très peu aux organisations ukrainiennes locales, selon l'ONU. Sur les 3 600 000 000 d'euros qu'elle a collectés cette année, seul 1% a été reversé aux ONG ukrainiennes ; le reste a été recueilli par les grandes organisations non gouvernementales internationales. Comment peut-on améliorer cette répartition pour que finalement l'aide de proximité fonctionne au mieux ?

OLIVIER BECHT
Alors, d'abord, je pense que lorsque les grandes ONG s'emparent également de l'aide humanitaire, l'aide humanitaire, elle arrive au final au peuple ukrainien. Quand c'est Médecins du monde ou d'autres organisations qui vont au contact, c'est une aide qui profite aussi aux Ukrainiens et c'est ça l'important. Ensuite, nous sommes en train de travailler pour voir effectivement comment est-ce qu'on peut agir le plus en proximité ? Et agir le plus en proximité, c'est peut-être également travailler avec les collectivités locales. Nous avons des partenariats qui sont en train de se monter pour passer à travers les municipalités ukrainiennes, c'est-à-dire aller au plus proche de la population.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Sur le plus long terme, donc la deuxième conférence, c'est-à-dire se projetait dans l'après-guerre, dans la reconstruction, quelle est l'ambition aujourd'hui de ce rendez-vous ?

OLIVIER BECHT
Mais écoutez, l'ambition, c'est déjà de mobiliser nos entreprises. Nous avons 500 entreprises qui seront présentes à cette conférence et qui vont commencer à prendre date, à prendre des contacts justement avec les municipalités ukrainiennes pour voir comment est-ce qu'on arrive à reconstruire. Il s'agit de reconstruire d'abord des infrastructures. On en a parlé, beaucoup de bâtiments qui ont été détruits ; il y aura des infrastructures énergétiques à reconstruire, des hôpitaux, des écoles, des infrastructures culturelles qui sont aussi indispensables à la vie d'un pays pour passer dans une nouvelle phase de sa vie après la guerre. Et donc c'est aujourd'hui mobiliser notre réseau, prendre les contacts avec les Ukrainiens pour faire en sorte que dès que la paix sera installée sur le territoire ukrainien, on puisse lancer la reconstruction très rapide de ce pays et l'accueillir. Nous le souhaitons au sein de l'Union européenne.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Est-ce que cette conférence, c'est aussi une manière - sans cynisme mais en toute lucidité - pour la France d'essayer de prendre pied dans cet immense chantier que sera la reconstruction de l'Ukraine ?

OLIVIER BECHT
Oui, bien sûr. Nous avons des entreprises de premier plan au niveau mondial dans différents domaines, notamment dans le domaine - on parlait tout à l'heure – de l'eau et de l'assainissement, comme VEOLIA ou comme SUEZ. Nous avons également des entreprises de premier plan en matière de transport et de mobilité ; je pense notamment à ALSTOM, je pense à AIRBUS. Nous avons des grands constructeurs comme VINCI, comme BOUYGUES, comme EIFFAGE qui sont au service aussi du développement économique de l'Europe et donc de la reconstruction de l'Ukraine.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Les Etats-Unis ont-ils la plus grande part de cette reconstruction ?

OLIVIER BECHT
Je ne pense pas qu'aujourd'hui, il faille voir la question comme un partage du gâteau. Je pense qu'aujourd'hui, il faut d'abord…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Sur tout ce qui existe. On l'a vu par exemple en…

OLIVIER BECHT
Oui, on l'a vu en Irak, etc, bien sûr. Si vous voulez, je pense que d'abord, l'Ukraine est en Europe, donc il est normal que ce soit aussi les entreprises, pour des questions d'ailleurs très matérielles, c'est : comment est-ce qu'on arrive à se projeter rapidement sur le territoire ukrainien pour apporter des hommes, des machines, pour permettre la reconstruction ? Mais je pense qu'il n'est pas totalement illogique que ce soit l'Europe qui ait - on va dire - le leadership de la reconstruction de ce pays. Ce seront bien sûr aux Ukrainiens, d'un point de vue démocratique, de décider celles et ceux qui les accompagneront dans cette tâche de reconstruction. Mais je dois dire : avant évidemment de penser à gagner la paix, il faudra aussi d'abord gagner la guerre.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Alors à propos justement de paix, la France soutient le plan de paix en dix points qui a été proposé par le Président ukrainien. Ce texte demande la création d'un tribunal spécial pour le crime de l'agression russe et il prévoit aussi le paiement d'une forme de dette de guerre par la Russie. Est-ce que pour la Russie, ces éléments ne relèvent pas plus d'une capitulation d'un plan de paix ?

OLIVIER BECHT
Écoutez, ce n'est pas à moi de considérer aujourd'hui quelles sont les conditions de la paix sur son abord ?

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Oui, mais la France approuve ce plan en dix points. Est-ce que demander la dette de guerre, le tribunal spécial, est-ce que c'est acceptable ? Est-ce qu'on peut aller à la part avec cette exigence ?

OLIVIER BECHT
Écoutez, d'une part, il est incontestable qu'il y a eu une agression injustifiée de la Russie vers l'Ukraine ; il y a donc un agresseur et un agressé. Il est normal que les personnes qui se soient rendues responsables de crimes de guerre, voire peut-être de crimes contre l'humanité, soient jugées devant des tribunaux et condamnées pour les crimes qu'ils ont commis. Et deuxièmement, lorsque quelqu'un est responsable d'une agression et de tous les dégâts qui ont été faits, il est normal aussi que cette personne paye les réparations. Après, encore une fois, aujourd'hui, ce sont deux États qui sont en guerre l'un contre l'autre. Il y a des conditions à trouver à la paix, que ce soit sur le champ de bataille ou que ce soit autour d'une table de négociation. Ce seront aux États d'en décider et de décider les conditions qui permettront d'avoir une paix qui ne devra pas simplement être la fin de la guerre mais qui soit également les conditions d'une paix durable.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Merci Olivier BECHT. Bonne journée.

OLIVIER BECHT
Merci à vous.

JOURNALISTE
Entretien avec Frédéric RIVIÈRE, à retrouver en audio et vidéo sur RFI.FR.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 décembre 2022