Déclaration de Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels sur la réforme de la voie professionnelle, à l'Assemblée nationale le 9 janvier 2023.

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Intervenant(s) : 
  • Carole Grandjean - Ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Texte intégral

Mme la présidente.
L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme de la voie professionnelle.
Ce débat a été demandé par le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'environ une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'environ une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Sigrid Gérardin, cosecrétaire générale du SNUEP-FSU – Syndicat national unitaire de l'enseignement professionnel-Fédération syndicale unitaire –, à Mme Prisca Kergoat, professeure des universités, et à M. Christophe Doré, président de la chambre de métiers et de l'artisanat (CMA) de Normandie.
Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d'environ cinq minutes.

(…)

Mme la présidente.
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels.

Je remercie le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES d'avoir proposé ce débat consacré à la prochaine réforme de la voie professionnelle. Nos échanges s'inscriront – je n'en doute pas – dans la même démarche de concertation, de dialogue et d'écoute, que celle dans laquelle j'ai souhaité mener cette réforme. En effet, la consultation de l'ensemble des parties prenantes est pour moi essentielle. Ce débat parlementaire est ainsi le second après celui qui s'est tenu au Sénat sur le même sujet le 14 novembre 2022.

Ce temps de débat me donne donc l'occasion de faire un nouveau point d'étape sur l'avancée des travaux de préparation de cette réforme, notamment des quatre groupes de travail que j'ai installés le 21 octobre 2022 et qui me rendront leurs rapports de synthèse et leurs propositions à la fin du mois.

Mesdames et messieurs les députés, nous pensons tous qu'il est nécessaire de faire reconnaître l'enseignement scolaire professionnel comme une véritable voie de réussite pour les jeunes, leurs familles et les employeurs. La réforme introduite par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a permis de lever des contraintes administratives qui freinaient le développement de l'apprentissage. Elle en a transformé l'image et elle a permis la mobilisation par tous de cette voie pour les jeunes et leurs familles, pour les entreprises de tous les secteurs et de toutes les tailles, pour tous les types de diplômes.

En 2023, le Président de la République a décidé de pérenniser les aides à l'embauche d'apprentis instaurées pendant la crise et ce jusqu'à la fin du quinquennat, pour faire de notre pays une vraie nation de l'apprentissage. Il a également la volonté de faire du lycée professionnel une voie de réussite pour notre jeunesse.

Avec Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous défendons une ambition identique : faire de la voie professionnelle une voie de choix et d'excellence. Le changement d'image est possible : nous l'avons observé concernant l'apprentissage. Il est donc également possible, et il est nécessaire, pour le lycée professionnel : nous nous en donnerons les moyens.

Nous devons reconnaître que le lycée professionnel ne joue pas suffisamment son rôle d'insertion professionnelle des élèves. La situation actuelle est source de frustrations aussi bien pour les jeunes et leurs familles que pour les enseignants. Le sentiment de déclassement nourrit le ressentiment et l'échec non seulement pour les élèves, pour leurs familles mais aussi pour les équipes pédagogiques.

La transformation de la voie professionnelle a commencé lors du précédent quinquennat – vous en avez discuté précédemment – dans le contexte difficile de la crise sanitaire. Ces premiers changements fournissent un socle sur lequel nous continuerons de bâtir grâce à un investissement structurel et résolument tourné vers la réussite des élèves. C'est notre responsabilité à tous : rétablir l'ascenseur social pour ces jeunes et rendre tangible l'égalité des chances pour les publics les plus fragiles et les plus en difficulté. L'enjeu est aussi de préparer mieux aux métiers de demain.

Les lycées professionnels, on le sait trop peu, accueillent un tiers des lycéens en France. Ils représentent donc un enjeu sociétal majeur : on parle ici d'un tiers de la jeunesse de France. Ces 627 000 lycéens professionnels, majoritairement issus de milieux défavorisés, se trouvent souvent en situation d'échec pendant leur scolarité ou à l'issue de celle-ci.

Voici quelques chiffres pour vous en convaincre : 33 % d'entre eux sont issus d'une famille ouvrière et 3 % d'une famille de cadres. Une forte proportion est issue de l'immigration ou est allophone. Dans les lycées professionnels, 5 % des élèves sont en situation de handicap, contre 1 % dans les lycées généraux. Les difficultés de lecture concernent 28 % des élèves en CAP et 16 % en bac pro, contre 3,5 % en bac général. Deux tiers des décrocheurs sont issus de la voie professionnelle. Après deux ans, en dehors de ceux qui poursuivent leurs études, seule la moitié des élèves sont en emploi. Les élèves sortant de bac pro sont de plus en plus jeunes et, souvent, ne sont pas majeurs.

En outre, l'organisation pédagogique et structurelle ainsi que la carte des formations actuelles ne prennent pas suffisamment en compte les mutations économiques ni les défis des territoires : ils ne s'adaptent pas assez aux profils des élèves et à leurs trajectoires. Avec de très grandes disparités selon les établissements, les formations dans les lycées professionnels peuvent être souvent insuffisamment tournées vers les deux voies de la réussite des élèves, à savoir l'insertion ou la poursuite d'étude. Je tiens à souligner l'existence de grandes disparités, car nous connaissons tous des lycées qui ont, d'ores et déjà, ouvert nombre des chantiers que nous mènerons avec cette réforme.

Il est donc nécessaire d'interroger la cohérence des diplômes avec les métiers de demain et donc de repenser la carte des formations. Il est également indispensable de mieux rapprocher l'école de l'entreprise dans la voie professionnelle et de faciliter la poursuite d'études quand cela est nécessaire.

Nous nous sommes assigné trois objectifs clairs pour réussir cette réforme, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter devant le Parlement, et que nous préparons avec l'ensemble des acteurs concernés.

Le premier est de réduire le nombre de décrocheurs. Nous souhaitons prévenir et éviter cette fuite des élèves qui ne trouvent pas leur place en lycée professionnel et qui ne parviennent pas à percevoir toutes les possibilités qui s'offrent à eux. Entendons-nous bien : personne n'accuse les lycées professionnels d'être la cause unique du décrochage de ces élèves. Ils en sont souvent le réceptacle, héritant de difficultés liées aux fragilités personnelles des élèves, au manque de souplesse des parcours de formation et aux orientations trop souvent subies. Il nous appartient dès lors de trouver des réponses et de bâtir ensemble une organisation nouvelle, plus souple, qui permette d'assurer collectivement plus de prévention et d'accompagnement, plus de motivation, plus de sens et d'engagement des jeunes dans leurs parcours.

Le deuxième objectif est de faire progresser significativement le taux d'insertion dans l'emploi. Le bac professionnel et a fortiori le CAP doivent tenir leur promesse républicaine d'insertion dans l'emploi, qui est la raison d'être de ces diplômes. Cette insertion inscrite dans l'ADN de ces diplômes de la voie professionnelle est le gage de leur légitimité que je souhaite renforcer.

Le troisième objectif est de sécuriser la poursuite d'études. Lorsqu'ils ont ce projet et que le métier le requiert, nos jeunes doivent être mieux préparés aux méthodes et aux attendus des études supérieures, notamment ceux des BTS. C'est par ces trois leviers que nous transformerons l'image que tous se forment du lycée professionnel. Surtout, nous en ferons des chemins de développement personnel et professionnel.

Je veux à présent esquisser les premières pistes pour atteindre ces trois objectifs et réformer le lycée professionnel afin d'en faire une voie de réussite. Nous investirons dans les lycées professionnels comme jamais cela n'a été fait auparavant, en travaillant sur de nombreux leviers.

Nous renforcerons les enseignements généraux, car les entreprises ont besoin non seulement de compétences techniques mais aussi de citoyens éclairés. Nous construirons des formations d'avenir à destination des élèves, qui soient davantage en phase avec la préparation des grands défis collectifs de demain : les transitions écologiques et numériques, la révolution de la longévité, c'est-à-dire les enjeux du vieillissement de la population, la transition vers une société plus inclusive et plus solidaire qui passe par un meilleur accompagnement du handicap dans tous les secteurs et, enfin, notre politique de souveraineté économique et de réindustrialisation du pays.

La gratification des élèves pour les périodes de formations en milieu professionnel que nous mettrons en place et accompagnerons dès la rentrée 2023 doit conforter la motivation des élèves et leur engagement à réussir. Comme ces périodes contribuent à donner du sens et de l'expérience aux élèves tout en leur assurant des contacts, elles doivent être valorisées.

Vous avez déjà débattu du suivi renforcé des élèves pendant ces périodes pour que celles-ci soient à la hauteur de l'expression qui les désigne, de véritables "périodes de formation" qui aient bien lieu dans un environnement "professionnel". Nous devons aussi être les garants de la qualité de ces périodes qui pourront, quand cela se révèle nécessaire, être prolongées. Enfin, nous voulons améliorer la formation initiale et continue des professeurs eux-mêmes.

Pour ce faire, je vous annonce très clairement que les moyens dédiés aux lycées de la voie professionnelle seront maintenus à la rentrée 2023. Notre logique est donc bien celle du développement du lycée professionnel et de l'intensification de l'accompagnement des jeunes. Nous croyons en une voie éducative pour la jeunesse dont notre pays a besoin ; une jeunesse qu'il reconnaît, qu'il valorise, et donc dans laquelle il investit.

Pour toutes ces raisons, j'ai lancé, le 21 octobre dernier, quatre groupes de travail qui ont pour mission de formuler des propositions sur les évolutions à appliquer progressivement dans le cadre de la réforme. Ces groupes portent respectivement sur la réduction du nombre de décrocheurs, la préparation à la poursuite d'études supérieures requise par certains métiers, l'amélioration significative du taux d'accès à l'emploi après l'obtention du diplôme et les capacités d'initiative qui peuvent être données aux établissements sans compromettre le caractère national des diplômes.

Pilotés par quatre recteurs, ces groupes de travail, qui auditionnent en particulier des experts, sont constitués de trente à quarante personnes, notamment de représentants des organisations syndicales, éducatives et interprofessionnelles – certains ont effectivement siégé au sein des groupes de travail –, de représentants des régions et des fédérations d'élèves, ainsi que de chefs d'établissements, de professeurs de lycées professionnels et d'élèves eux-mêmes. Nous sommes prêts à mobiliser tous les leviers qui permettront d'augmenter la réussite de nos élèves et d'assurer de meilleures conditions d'exercice aux professeurs : nous attendons que les groupes de travail formulent leurs propositions.

Vous l'aurez compris, l'objectif de la réforme est de faire de la voie professionnelle une voie choisie, une voie de réussite et un véritable lieu de formation aux compétences clés qui permettront à la nation de relever les défis de demain. Les lycées professionnels seront alors reconnus comme des voies d'excellence, choisies par les élèves et leurs familles autant que par les entreprises : c'est ainsi que nous assurerons à un tiers de la jeunesse de France que nous comptons sur elle et qu'elle a sa place dans notre société – sur le marché du travail comme dans les études supérieures.

Nous écrirons cette réforme ensemble, progressivement et après concertation avec toutes les parties prenantes.

Mme la présidente.
Nous en venons aux questions, qui sont nombreuses. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.

Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES).
La réforme du lycée professionnel annoncée nous inquiète. À nos yeux, elle ne répond pas aux difficultés rencontrées par les élèves et les enseignants de la voie professionnelle ; pire, elle risque de les aggraver.

Plusieurs réformes menées par le passé ont déjà abouti à la réduction de quatre à trois années la formation au bac professionnel, conduisant à une réduction du nombre d'heures de cours pour les élèves et à la suppression de nombreux postes d'enseignants. En proposant de réduire le nombre d'heures de cours au profit d'heures de stages en entreprise, vous allez fragiliser un peu plus encore le socle de connaissances générales et professionnelles délivré aux élèves par les professeurs, et réduire – voire supprimer – les projets culturels et artistiques.

La réforme nous inquiète particulièrement car elle va toucher des élèves issus de milieux populaires, qui ont pourtant besoin d'une formation générale autant que qualifiante, une formation qui participe à leur émancipation et leur permette de devenir non seulement des travailleurs, mais aussi des travailleurs citoyens. Voilà ce qui différencie nos deux projets : nous voulons non pas d'un lycée qui forme à des tâches précises, à un poste de travail précis dans une entreprise précise, mais d'un lycée qui donne accès à une formation complète et permette aux élèves d'intégrer n'importe quelle entreprise et, surtout, de s'y épanouir.

Votre proposition d'augmenter le nombre d'heures de stage en entreprise est symptomatique du niveau de déconnexion de votre ministère avec la réalité. Tous les enseignants font le même constat : il est de plus en plus difficile de trouver un stage qualifiant pour chaque élève. Toutes les entreprises ne jouent pas le jeu, et certaines utilisent les stagiaires pour effectuer les basses besognes, ce qui conduit souvent à une démotivation des élèves, parfois même à leur décrochage. Le monde de l'entreprise ne présente pas le même niveau d'exigence que l'école en matière d'encadrement, de formation et de bienveillance face à de jeunes élèves – souvent mineurs – en apprentissage. C'est pourquoi la réforme, qui ne fera que renforcer la mainmise du monde entrepreneurial sur les formations, m'inquiète.

J'en viens à mes questions :…

Mme la présidente.
Je vous remercie de conclure : les deux minutes de temps de parole sont écoulées.

Mme Soumya Bourouaha.
Je n'ai pas eu le temps de poser mes questions !

Mme la présidente.
Je comprends, mais nous avons quinze inscrits. Je vous propose de poser rapidement vos questions.

Mme Soumya Bourouaha.
Madame la ministre déléguée, confirmez-vous vouloir diminuer les heures d'enseignement en lycée professionnel ? Par ailleurs, quel processus démocratique allez-vous instaurer pour discuter de la réforme ? Vous avez déjà abordé le sujet, mais je souhaiterais davantage de précisions, s'agissant notamment du calendrier.

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Je vous remercie pour votre question, qui me permet de préciser des éléments déjà présentés. Dans mon propos liminaire, j'ai insisté sur l'attachement du Président de la République aux savoirs fondamentaux, attachement que j'ai rappelé lors de nombreuses interventions. En effet, les savoirs fondamentaux font partie non seulement de l'éducation du futur citoyen, mais aussi des attendus des entreprises. J'ai pris le temps de discuter avec les chefs d'entreprise, les enseignants et les familles : tous s'accordent à reconnaître qu'il est essentiel de renforcer les enseignements fondamentaux, mais qu'aujourd'hui, tel qu'il est organisé, le lycée professionnel ne pallie pas certaines des difficultés rencontrées. C'est là tout l'enjeu : mieux accompagner les élèves qui rencontrent des difficultés et prendre en considération la réalité de parcours scolaires parfois difficiles. Nous allons donc renforcer l'enseignement des matières fondamentales pour les élèves qui en ont besoin.

Contrairement à une précédente réforme, qui avait abouti à la diminution du nombre d'années de formation, nous souhaitons renforcer certains enseignements, pour donner plus de temps à certains élèves tout en maintenant le caractère national des diplômes – je l'ai rappelé dans mon intervention.

Nous continuerons donc d'avancer sur ces deux plans : renforcer les enseignements généraux tout en améliorant les enseignements métiers. Cet objectif doit s'inscrire dans le nécessaire rapprochement de l'école et de l'entreprise, qui donne du sens à la formation de l'élève en lui offrant des perspectives d'insertion professionnelle : il s'agit bien là de l'ADN de la voie professionnelle. Le constat actuel est inquiétant : parmi les élèves qui ne souhaitent pas poursuivre leurs études, un diplômé sur deux ne trouve pas d'emploi. Il est donc de notre responsabilité d'agir.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Béatrice Piron.

Mme Béatrice Piron (RE).
Comme vous l'avez souligné, madame la ministre déléguée, la réforme de la voie professionnelle a notamment pour objectif de faire progresser le taux d'insertion dans l'emploi et de faciliter la poursuite d'études. En préparant mieux les élèves au monde professionnel, je pense que l'augmentation de la durée des stages aura un impact direct sur la progression du taux d'insertion. À cet égard, on peut d'ailleurs souligner le succès que connaît actuellement l'apprentissage, voie plébiscitée par les familles notamment en raison du taux d'insertion à la sortie.

Si je suis convaincue que les entreprises contribueront à la formation professionnelle des jeunes, vous connaissez mon intérêt pour la maîtrise des savoirs fondamentaux et l'importance que j'accorde à l'enseignement général : il faut que son volume d'heures annuel soit garanti, voire augmenté, car il est actuellement très faible. Ainsi, parallèlement à l'augmentation du nombre de semaines de stage, il me semble important d'augmenter également le nombre d'heures d'enseignement général lors des semaines passées au lycée, afin de ne pas obérer la possibilité des élèves à poursuivre leurs études ou à évoluer tout au long de leur vie professionnelle.

Si nous souhaitons que les jeunes de la voie professionnelle puissent un jour devenir des artisans autonomes, des encadrants ou des chefs d'entreprise, ils doivent avoir un bagage solide. Or tous les professeurs de français que j'ai rencontrés se plaignent du faible nombre d'heures d'enseignement dont ils disposent actuellement. Lors de la rencontre-débat transpartisane organisée le 15 décembre par un collègue et le collectif Une voie pour tous, des élèves de lycée professionnel ont également évoqué leur souhait de s'initier à la philosophie, afin de devenir des citoyens à part entière, disposant de toutes leurs capacités d'analyse et de discernement.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de l'augmentation du nombre d'heures d'enseignement en français, mathématiques, langues étrangères, voire philosophie, pour les élèves de la voie professionnelle, qui rêvent d'y avoir accès ?

Par ailleurs, ma collègue Céline Calvez, qui nous a quittés, souhaitait vous interroger sur certaines filières qui connaissent une forte dégradation de leurs débouchés, comme la filière gestion et administration. Celle-ci forme majoritairement des filles, qui manquent par ailleurs cruellement dans d'autres secteurs, comme le numérique et la tech. Pourquoi ne pas créer de nouveaux métiers dans ces filières, comme celui de conseiller numérique ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Je voudrais réaffirmer l'importance des savoirs généraux, que vous avez également soulignée : l'augmentation de la durée des périodes de formation en milieu professionnel ne se fera pas au détriment des enseignements au lycée, et la réforme ne signe pas le renoncement aux enseignements fondamentaux. Le diagnostic est clair : les élèves de la voie professionnelle maîtrisent nettement moins bien les savoirs fondamentaux que les élèves de la voie générale ou technologique. Consolider les savoirs en français et en mathématiques dès la classe de seconde professionnelle est donc l'une des priorités de la réforme que je souhaite mener, en y investissant davantage de moyens organisationnels et humains.

Au regard des fragilités des élèves, la question n'est pas d'enseigner plus, mais d'enseigner mieux, et peut-être différemment, les matières générales. Comme je l'ai souligné dans mon intervention, une forte proportion d'élèves de la voie professionnelle est issue de l'immigration ou allophone : l'accompagnement doit être adapté à cette réalité. En outre, 5 % des élèves sont en situation de handicap : là encore, il faut apporter des réponses adaptées. Je rappelle que les difficultés en lecture touchent 28 % des élèves en CAP, contre 16 % des élèves en bac professionnel et seulement 3,5 % des élèves en filière générale.

Par ailleurs, si les jeunes filles représentent 40 % des élèves de la voie professionnelle, elles ne sont en effet que 13 % à être inscrites dans des filières dites de production, qui se trouvent être celles offrant le meilleur taux d'insertion, en particulier dans des secteurs comme l'industrie, le numérique ou la transition énergétique : relever ce taux est un défi, et nous allons y travailler, notamment en faisant évoluer l'offre de formation.

Mme la présidente.
La parole est à M. Roger Chudeau.

M. Roger Chudeau (RN).
Voici donc venir une énième réforme de l'enseignement professionnel ! Aucun ministre, aucun gouvernement, n'aura manqué d'afficher sa volonté de revaloriser l'enseignement professionnel pour en faire une voie d'excellence. Pourtant, ces déclarations lénifiantes ont toujours eu un effet inversement proportionnel à leur volontarisme affiché.

Pour notre part, nous considérons que les maux et difficultés de l'enseignement professionnel ne sont pas à rechercher dans son organisation ou son fonctionnement – sauf, évidemment, dans la réforme du baccalauréat général et technologique et du lycée défendue par Jean-Michel Blanquer, qui a sensiblement diminué le temps d'enseignement consacré aux humanités, et qu'il faudrait d'ailleurs rétablir.

Les sources des problèmes rencontrés par l'enseignement professionnel sont bien plutôt à rechercher en amont : en effet, c'est au collège que se construit la maîtrise des fondamentaux et que se décide l'orientation. Or, nous savons que celle-ci s'effectue toujours par défaut – et ce, de façon systémique. J'en profite pour saluer le dévouement et l'engagement professionnel des personnels du lycée professionnel qui accueillent, comme le disait une syndicaliste dans la première partie du débat, des enfants cabossés par l'institution.

Il faut donc s'attaquer à la racine du problème. Madame la ministre déléguée, pourquoi y a-t-il des décrocheurs ? Parce qu'une proportion non négligeable d'élèves ne maîtrise ni la lecture, ni le calcul élémentaire. Par conséquent, ces élèves ne peuvent évidemment pas suivre les enseignements en lycée professionnel. Or, pourquoi beaucoup d'élèves de lycée professionnel ne maîtrisent-ils pas les fondamentaux ? Parce que rien n'est aujourd'hui prévu au collège pour les remettre à niveau – ni structure ad hoc , ni temps, ni programme.

Pourquoi l'insertion professionnelle est-elle parfois difficile pour des élèves pourtant titulaires d'un CAP ou d'un bac professionnel ? Parce que des formations parking existent encore, qui ne répondent plus à aucun besoin économique mais dans lesquelles on envoie les laissés pour compte de l'orientation. La coordination des politiques de formation professionnelle est d'ailleurs une compétence régionale, et ne dépend donc pas de l'État.

Le Gouvernement serait donc bien inspiré de réformer rapidement et profondément le collège – ses cursus, ses programmes et sa caricature d'examen terminal qu'est le diplôme national du brevet (DNB). Ne croyez-vous pas, madame la ministre déléguée, qu'il faut revoir d'urgence votre copie ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Voilà qui est peut-être quelque peu manichéen, d'autant que le contenu de la réforme n'est pas encore arrêté !

S'agissant de la question de l'orientation, un grand chantier doit effectivement être ouvert : nous y travaillons déjà ardemment, et Régions de France participe à la réflexion. À la rentrée 2022, nous avons lancé une expérimentation portant sur la découverte des métiers, déjà plébiscitée par 10 % des 6 000 collèges concernés. Il existe donc une réelle volonté des collèges de s'inscrire dans cette démarche, que nous élargirons à l'ensemble des collèges de France à la rentrée 2023.

C'est là une vraie nécessité en vue de lutter contre le phénomène que vous mentionnez – l'orientation subie, liée au décrochage, et dont la réalité est indéniable. Du reste, en France, le décrochage lui-même est très important : il touche encore 10 % des jeunes. Sur les 80 000 élèves sans diplôme qui abandonnent chaque année leurs études, 13 % le font à la sortie du collège, comme vous l'avez évoqué clairement, 20 % à la sortie du lycée général et technologique, et 67 % au lycée professionnel. Par conséquent, plus tôt nous agirons, meilleures seront nos chances de relancer leur parcours d'insertion : là réside tout l'enjeu de la réforme des collèges engagée par M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Il s'agit d'œuvrer à la découverte des métiers, pour agir sur les leviers du décrochage que sont l'orientation subie et la difficulté qu'ont les jeunes à trouver du sens à la formation qu'ils suivent, même lorsqu'ils sont déjà au lycée professionnel. Notre volonté de rapprocher l'école de l'entreprise, de faire passer aux élèves plus de temps au sein de cette dernière, de permettre qu'ils soient mieux accompagnés, au cours de leur formation en milieu professionnel, à la fois par l'entreprise et par le professeur, en bref d'améliorer la qualité du stage, vise à agir sur les causes du décrochage et constitue l'un des axes majeurs de la réforme du lycée professionnel que nous souhaitons engager.

Mme la présidente.
La parole est à M. Jérôme Legavre.

M. Jérôme Legavre (LFI-NUPES).
Madame la ministre déléguée, la fin de l'année 2022 a été marquée par des mobilisations et des grèves massives, au sein des lycées professionnels, contre votre projet de réforme, lequel prévoit notamment de favoriser toujours plus l'apprentissage. Nous connaissons par cœur l'argument ressassé : celui-ci permettrait de lutter contre le chômage des jeunes. Il n'est donc pas inutile de rétablir quelques faits.

Depuis le début du siècle, les lycées professionnels ont perdu 100 000 élèves, tandis que l'apprentissage patronal gagnait 500 000 jeunes. Or, au début des années 2000, on recensait 400 000 chômeurs de moins de 25 ans ; en 2022, ils étaient encore 380 000 : donc 20 000 de moins. Où est donc le bilan tant vanté de l'apprentissage ? Peut-être, tout simplement, votre objectif se situe-t-il ailleurs. À Nîmes, il y a quelques mois, les salariés de Carrefour étaient en grève. Voici ce que déclarait l'une d'entre eux : "Ils emploient des jeunes en apprentissage, formés à la va-vite. C'est très rare qu'ils les gardent." De fait, le taux de rupture des contrats d'apprentissage est en moyenne de 25 % ; il atteint 30 % dans la restauration. Le taux de précarité des 15-24 ans est quant à lui passé de 17 % à 53 % en quarante ans ! Enfin, les jeunes qui choisissent l'apprentissage ont beaucoup moins de chances d'obtenir un diplôme que ceux qui optent pour la voie scolaire : il y a 26 points d'écart entre les deux chiffres.

Madame la ministre déléguée, l'enseignement professionnel a été institué, après la seconde guerre mondiale, dans le but de soustraire la jeunesse à la tutelle des patrons. Pourtant, au moment où je vous parle, six lycées professionnels sont menacés de fermeture en région parisienne, dix dans le Grand Est. Quand renoncerez-vous à votre projet destructeur, qui n'a en réalité d'autres objectifs, au prix de 35 milliards – une paille ! – d'aides publiques en trois ans, que de fournir aux entreprises une main-d'œuvre gratuite et de faire artificiellement baisser les chiffres du chômage ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Monsieur le député, l'apprentissage constitue l'une des vraies réussites du précédent quinquennat, réussite d'ailleurs saluée par l'ensemble des acteurs et dont les effets sur l'insertion des jeunes – ainsi que sur leur taux de chômage, qui n'avait jamais été aussi bas depuis plus de trente ans – sont très nets. Nous pourrions tous ici, unanimement, au-delà des considérations politiques voire politiciennes, en tirer satisfaction.

Je tiens en outre à souligner que notre objectif n'est pas de susciter une concurrence entre la voie scolaire, c'est-à-dire le lycée professionnel, et l'apprentissage. Leur complémentarité peut au contraire fournir aux jeunes un maximum de leviers de réussite en leur donnant la possibilité de choisir : il conviendrait même d'apporter plus de souplesse dans le parcours, afin que les jeunes, qui s'engagent dans tel chemin à un certain degré de maturité, puissent reconsidérer ce choix avec l'âge. Du point de vue de l'entreprise, l'apprentissage ne souffrira non plus d'aucune concurrence avec le lycée professionnel, la durée de stage n'étant pas comparable. Nous devons toutefois appliquer au second la même ambition qu'au premier : donner, je le répète, des leviers de réussite aux jeunes.

Enfin, si nous améliorons l'insertion des élèves dans l'emploi, ce sera par de multiples vecteurs, notamment les diplômes professionnels. Il existe aujourd'hui non seulement de nombreux métiers en tension, mais également des métiers en devenir, sur lesquels nous devons travailler davantage, ce qui implique d'agir de manière bien plus volontariste sur la carte des formations. Une autre question est celle de l'orientation : trop de choix sont subis, ou seulement mal éclairés, par exemple en raison de biais de genre. Trop de perspectives de poursuite d'études font également défaut. Là encore, nous souhaitons substituer le levier à l'obstacle.

Mme la présidente.
La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri (LR).
Ma suppléante, Mme Sylvie Bonnet, et moi-même avons été récemment alertés par les professeurs du lycée Adrien-Testud du Chambon-Feugerolles, dans le département de la Loire, au sujet de la réforme des lycées professionnels annoncée par le Président de la République. Les enseignants s'inquiètent des objectifs de cette réforme, en particulier de l'augmentation de 50 % de la durée des stages dans le cadre du volume global d'enseignement, c'est-à-dire au détriment des matières générales et technologiques, pourtant indispensables à la culture générale et à l'avenir professionnel des élèves. L'importante diminution des heures d'enseignement classique priverait en effet ces derniers du socle de connaissances nécessaire à leur réussite dans l'enseignement supérieur, notamment à l'obtention d'un BTS.

Par ailleurs, ces mêmes enseignants doutent de la capacité des entreprises à assurer cette formation alors qu'en l'état actuel des choses, 90 % des élèves ligériens ne parviennent déjà pas à effectuer toutes leurs périodes de stage. Ce qu'ils demandent, madame la ministre déléguée, c'est surtout la possibilité de former de futurs citoyens en faisant bénéficier leurs élèves d'une ouverture culturelle et intellectuelle, et de faire d'eux de bons professionnels, formés à un métier, non à un poste spécifique au sein d'une seule entreprise. De plus, avec votre réforme, qu'en serait-il de la mobilité des travailleurs ? Tout comme notre collègue Chudeau, madame la ministre déléguée, je vous invite à revoir votre copie !

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Pour commencer, monsieur Cinieri, je voudrais répondre aux inquiétudes exprimées par ces professeurs, qui devraient déjà trouver dans mes précédents propos de quoi être rassurés : notre méthode a consisté à recourir à des groupes de travail où sont représentés les organisations syndicales et patronales, les enseignants et personnels éducatifs, les parents d'élèves, les élèves eux-mêmes. Cette pluralité était essentielle en vue de recueillir le point de vue de chacun concernant l'approche à adopter. En outre, la réforme sera instaurée progressivement, afin que les établissements puissent concevoir pour leurs élèves des leviers de réussite adaptés à leur implantation rurale ou urbaine, aux secteurs d'activité qui font l'objet d'une formation, aux élèves eux-mêmes. Il importe, je le répète, de rassurer les enseignants : ils auront à élaborer un projet et à travailler à l'organisation de l'établissement en vue de mieux accompagner la réussite des jeunes grâce aux instruments que nous proposerons.

Quant à l'augmentation de la durée des stages, sur laquelle vous mettez une nouvelle fois l'accent, je répondrai une nouvelle fois qu'il n'est pas question de réduire le temps consacré à l'enseignement général – essentiel non seulement à l'insertion professionnelle de ces jeunes, mais aussi à leur éducation en tant que futurs citoyens. J'insiste également sur le caractère national des diplômes. Enfin, nous travaillerons à renforcer l'enseignement en vue de remédier aux difficultés de ces élèves, qui en rencontrent effectivement davantage que d'autres – c'est là un diagnostic que nous pouvons partager.

Mme la présidente.
La parole est à M. Frédéric Zgainski.

M. Frédéric Zgainski (Dem).
Madame la ministre déléguée, je souhaiterais davantage d'informations au sujet de la future mesure concernant la gratification des stages. Alors que le débat se concentre souvent sur l'accroissement de la durée des périodes passées en entreprise, durée qu'il conviendrait de rendre progressive au cours de la scolarité, la volonté du Gouvernement de mieux rémunérer les stagiaires va dans le bon sens. Pourriez-vous donc, s'il vous plaît, nous exposer en détail ce point de la réforme ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
La gratification des stages en entreprise, qui sera appliquée dès la rentrée 2023, répond à plusieurs objectifs : motiver davantage les élèves, les valoriser, renforcer l'attractivité de la voie professionnelle, autant de moyens d'accroître l'investissement de ces stagiaires. Il s'agit aussi d'accentuer le rapprochement de l'école et de l'entreprise, de manière à multiplier les possibilités de stage offertes à tous les élèves, notamment aux plus fragiles, comme vous l'aviez évoqué lors de la table ronde qui a précédé. Nous en attendons également que les entreprises, dont on sait les besoins en matière de recrutement, s'engagent davantage envers les stagiaires : là encore, il s'agit de renforcer l'attractivité de certaines filières.

Enfin, nous comptons faire porter nos efforts sur la recherche de stage, parfois difficile, en particulier pour les jeunes dont la famille ne dispose d'aucun réseau : la réforme doit permettre à tous les élèves de la voie professionnelle de bénéficier des mêmes chances de réussite, quel que soit le milieu social dont chacun est issu. Nous travaillerons à leur accompagnement dans la recherche d'un stage de qualité, ainsi qu'au rapprochement entre professeurs des lycées professionnels et tuteurs en entreprise : ces deux sujets majeurs ont été abordés au sein des groupes de travail créés le 21 octobre dernier. Cela leur a d'ailleurs donné l'occasion de discuter des expérimentations d'ores et déjà engagées dans certains lycées professionnels et portant entre autres sur le mentorat – on conçoit l'intérêt pour les élèves d'être mieux accompagnés grâce au dispositif "1 jeune, 1 mentor" ou au dispositif expérimental de Pôle emploi, qui concerne la recherche d'un stage ou d'un emploi après obtention d'un diplôme. Des travaux consacrés à l'image de soi et à la manière de se présenter ont également été engagés sous forme d'expérimentation.

Mme la présidente.
La parole est à M. Alain David.

M. Alain David (SOC).
Merci, tout d'abord, aux collègues du groupe GDR-NUPES, auxquels nous devons, dans le cadre de cette semaine de contrôle, l'inscription à l'ordre du jour de ce débat consacré à la réforme de la voie professionnelle. En effet, alors même que les annonces faites en novembre dernier par le Gouvernement sont passées quasiment inaperçues, sa volonté d'accroître le temps que les élèves de la voie professionnelle passent dans les entreprises, réduisant une nouvelle fois leurs heures de cours, mérite discussion.

Il ne s'agit pas seulement là du débat habituel entre ceux qui souhaitent que le travailleur-citoyen bénéficie d'un enseignement complet et ceux qui souhaitent cantonner les moins qualifiés au seul apprentissage des techniques de production. Mes collègues du groupe Socialistes et apparentés et moi-même déplorons dans cette réforme un nouveau moyen déguisé de limiter le nombre d'heures passées en classe, donc le nombre d'enseignants, plutôt que d'avoir l'ambition d'innover, d'offrir à ces élèves, certes parfois mal à l'aise vis-à-vis de l'école, de l'écoute, de l'imagination, de l'adaptabilité, de la créativité – et surtout du temps, le temps de classe, le temps avec les élèves que réclament les équipes éducatives, à entendre les intervenants, afin de mener à bien leur mission d'accompagnement des enfants qui leur sont confiés. Les lycéens professionnels, pour leur part, souhaitent être considérés comme les égaux en dignité de leurs pairs de la voie générale. Enfin, les maîtres de stage ne demandent pas forcément à encadrer plus longuement des stagiaires encore trop jeunes et inexpérimentés.

Je m'interroge donc sur cette façon qu'a le Gouvernement – la voie professionnelle n'étant d'ailleurs pas le seul sujet en cause – de déguiser en innovations des reculs, en l'occurrence la réduction du temps scolaire. Est-ce une réelle avancée pédagogique que de placer plus longtemps des élèves en entreprise, au risque que leurs acquis soient ceux que requiert un seul poste de travail, alors qu'il faudrait les aider…

Mme la présidente.
Je vous remercie de conclure.

M. Alain David.
…à valider des compétences plus étendues, ainsi qu'à acquérir les savoirs fondamentaux indispensables à leur vie d'adulte et à leur insertion dans le marché du travail ? Le 49.3,…

Mme la présidente.
Il faudrait à présent poser votre question, monsieur David.

M. Alain David.
…en interrompant la discussion budgétaire, nous avait dans un premier temps privés d'un débat sur ce point. Aujourd'hui, madame la ministre déléguée, je n'ai pas de question à vous adresser : je souhaiterais plutôt que vous répondiez à celles des syndicats d'enseignants, qui s'interrogent, et qui indiquaient tout à l'heure n'avoir pas été consultés.

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
À ce stade, c'est plutôt une méthode que j'ai annoncée le 21 octobre dernier, lorsque j'ai lancé les groupes de travail ; j'ai aussi partagé des constats et donné des objectifs. Nous sommes encore en train de construire la réforme du lycée professionnel, notamment au travers du dialogue que j'ai évoqué. J'ai reçu moi-même les partenaires sociaux dès le mois de juillet 2022 et nous avons eu des échanges réguliers tout au long de l'année. Nous avons invité l'ensemble des syndicats de l'éducation et interprofessionnels à participer aux groupes de travail. Certains sont venus et y ont participé activement, ce dont je les remercie ; d'autres ont préféré ne pas y participer, je respecte leur choix.

Je me permets néanmoins de répéter qu'à côté de l'accroissement du temps de formation en milieu professionnel, une attention particulière sera portée aux heures d'enseignement général, que nous souhaitons maintenir. La réforme ne doit pas se faire au détriment de ces heures qui répondent à une vraie nécessité. Comme je l'indiquais à l'instant, le pourcentage d'élèves en difficulté en lecture, en écriture et en calcul nous oblige à mieux faire encore ces enseignements et probablement à accompagner davantage ceux qui rencontrent des difficultés particulières dans la voie professionnelle.

Nous travaillerons bien sûr avec les enseignants pour appréhender la forte hétérogénéité des élèves accueillis dans la voie professionnelle, laquelle nécessite un accompagnement et une formation des professeurs au plus près des jeunes. L'expertise pédagogique des professeurs de l'enseignement professionnel, d'ores et déjà extraordinaire, restera centrale dans la construction du portefeuille de compétences des jeunes. Nous devons tirer les conséquences du passé et trouver les leviers pour une formation continue de qualité qui pourra être proposée aux enseignants, afin d'ajuster les enseignements et de mieux accompagner les élèves en difficulté.

Pour répondre, enfin, à l'interpellation de M. le député sur les questions budgétaires, j'ajoute que des moyens très importants seront alloués à l'enseignement professionnel. Aujourd'hui, près de 5 milliards d'euros sont ainsi consacrés aux dépenses liées à cet enseignement, notamment à la rémunération des enseignants.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES).
J'aimerais vous interroger à deux sujets, madame la ministre déléguée, en commençant par celui des stages. "Mon premier stage en comptabilité, je n'ai pas fait de compta : j'ai nettoyé les toilettes. Ma fille c'est pareil, elle a passé le balai." Voilà ce que dit Jimmy. "Je me suis retrouvé à faire les tâches les plus pénibles dans l'entreprise où j'ai fait un stage, comme ramasser les détritus", dit Almamy. "Les stages sont subis. Mon premier stage relevait clairement de l'exploitation. Les salariés renvoyaient leurs erreurs sur les stagiaires", dit Andy. Tout cela sans compter les autres témoignages que nous avons tous entendus dans nos circonscriptions.

Les enseignantes de la filière médico-sociale expliquent, par exemple, que le problème n'est pas que les stagiaires ne soient pas bien traités, mais qu'ils ne trouvent pas de stage. La situation dans laquelle se trouvent les filières médico-sociale et médicale ne permet pas en effet aux agents d'accueillir et d'encadrer des stagiaires – d'autant plus qu'ils disent ne pas pouvoir être tuteurs de stagiaires mineurs. Il n'y a donc pas de stages. Vous dites par ailleurs vouloir mieux encadrer les stages, madame la ministre déléguée : encore faudrait-il en trouver, d'abord ; et avec quels moyens, ensuite ? Peut-être serait-il intéressant que les élèves en lycée professionnel suivent quelques cours consacrés au droit du travail, ce qui leur permettrait certainement de mieux faire valoir leurs droits.
J'en viens à ma seconde question. Mes collègues et moi devons être stupides, car nous ne comprenons pas la signification de l'expression "mieux d'enseignement général" que vous avez utilisée il y a quelques instants. Vous avez également souligné au cours de votre propos liminaire que – ô, miracle ! – les moyens alloués aux lycées professionnels seraient maintenus. Dans le cadre d'une réforme dite ambitieuse, nous aimerions plutôt que des engagements soient pris quant à leur augmentation. Qu'est-ce que "mieux d'enseignement général", sinon une forme de novlangue incompréhensible ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Vous avez posé de nombreuses questions, madame la députée. Je crains que votre groupe politique et vous-même n'attendiez le statu quo pour les élèves de l'enseignement général. Nous constatons pourtant de façon objective, et vous aussi, qu'ils se trouvent davantage en difficulté que les autres élèves de notre pays et qu'ils rencontrent des obstacles pour s'insérer dans l'emploi ou poursuivre des études ; nous observons ensemble qu'ils représentent deux tiers des décrocheurs. Pourtant, vous attendez que nous n'agissions pas.

Mme Sophie Taillé-Polian.
Ce n'est pas vrai, madame la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Je le regrette évidemment mais nous prendrons de toute façon une autre voie, celle de l'action : nous souhaitons améliorer les enseignements généraux en permettant, par exemple, aux élèves de travailler en petits groupes ou en donnant plus de temps à certains d'entre eux pour acquérir certaines compétences. Nous travaillerons également au rapprochement avec les entreprises et, en collaboration avec ces dernières et avec les établissements, à la qualité des stages. Nous voulons faire en sorte que les jeunes trouvent du sens dans l'enseignement qu'ils reçoivent et qu'ils disposent de perspectives d'insertion professionnelle : cela me semble absolument nécessaire.

Nous travaillerons également à mieux organiser la carte des formations, ce qui aidera les jeunes à trouver des possibilités de stage : le milieu professionnel les attendra à bras ouverts s'ils sont formés à des métiers qui répondent aux enjeux économiques d'aujourd'hui et de demain. Dans le cadre des consultations menées avec les organisations syndicales et l'ensemble des partenaires, au sein des groupes de travail, nous chercherons également à améliorer la qualité des stages. Il est essentiel pour nous de répondre à la question de la minorité que vous évoquez, madame la députée. Ces élèves sont jeunes, souvent mineurs. Ils doivent donc pouvoir bénéficier d'accompagnements adaptés et, parfois, selon leurs difficultés, de plus de temps. C'est ce que nous souhaitons leur offrir.

Mme la présidente.
La parole est à M. Alexis Izard.

M. Alexis Izard (RE).
Je souhaite associer à ma question le lycée d'enseignement professionnel Paul-Belmondo d'Arpajon, dans ma circonscription – vous avez eu l'occasion de le visiter, madame la ministre déléguée – ainsi que ma stagiaire Sajda, qui y étudie. Le Gouvernement et notre majorité souhaitent entamer une réforme inédite et profonde de l'enseignement professionnel. À titre personnel, je me félicite de cette ambition, qui montre à nouveau la volonté du Gouvernement d'accompagner les jeunes vers la réussite tout en les formant aux métiers de demain. Souhaitons que cette réforme rencontre le même succès que celle de l'apprentissage qui a permis, je le rappelle, la signature de 800 000 contrats au cours de l'année 2022.

Je voudrais vous interroger en particulier, madame la ministre déléguée, sur la question des stages. Vous avez indiqué à plusieurs reprises que vous souhaitiez accroître leur nombre durant le cursus afin que les jeunes soient formés de manière continue et efficace. Si je reconnais le besoin des étudiants de découvrir un nombre varié de secteurs d'activité, je voudrais aussi souligner que plusieurs entreprises de ma circonscription m'ont fait part de leur préférence pour les stages longs, de huit semaines ou plus, par rapport aux stages de courte durée. Les stages plus longs leur permettent en effet de mieux former les jeunes et de les faire monter plus efficacement en compétences. Il est également plus aisé pour les étudiants de trouver des entreprises pour des stages de cette durée. Bien qu'elle constitue une part essentielle de leur apprentissage, la recherche de stage n'est pas aisée pour les jeunes et peut être une source de grande préoccupation. Afin de rassurer les entreprises et l'ensemble des acteurs du secteur, pourriez-vous détailler, madame la ministre déléguée, vos projets concernant les stages en entreprise ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
J'ai eu l'occasion de me rendre effectivement au lycée Paul-Belmondo d'Arpajon en novembre dernier, dans le cadre de mes déplacements réguliers. J'ai pris en compte les remontées des représentants de l'établissement et leur ai expliqué, comme je le répète aujourd'hui, que le renforcement des interactions entre le monde économique professionnel, d'un côté, et les élèves et professeurs, de l'autre, est indispensable pour accroître le taux d'insertion des élèves. Pour la préparation du baccalauréat professionnel, 22 semaines de stage sont aujourd'hui prévues sur les 108 semaines de scolarité. Nous souhaitons consacrer nos réflexions non seulement à la durée des stages mais aussi à leur qualité. Les professeurs et les entreprises doivent mieux travailler ensemble afin de donner aux jeunes leur place et de leur faire découvrir l'environnement professionnel ainsi que les codes qui favoriseront leur insertion.

Pour y parvenir, les entreprises doivent prendre une plus grande place dans les établissements professionnels. Il faut aussi que les jeunes aient la possibilité de trouver des offres de stages plus nombreuses, notamment grâce au plan "1 jeune, 1 solution" instauré durant le quinquennat précédent et grâce au développement d'outils qui les aideront à trouver des stages et contribueront à leur réussite. Le mentorat doit être l'un de ces points d'appui.

Je voudrais souligner que la gratification participe de la valorisation des stages : elle sera mise en place dès la rentrée 2023. Nous souhaitons faire des stages de véritables leviers de réussite et d'insertion professionnelle et nous travaillerons évidemment avec les professeurs afin qu'ils soient réellement accompagnés.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Angélique Ranc.

Mme Angélique Ranc (RN).
La transformation de l'appareil de formation initiale et continue pour former aux métiers de demain, en passant par une meilleure adaptabilité du bac professionnel aux besoins des entreprises, me paraît nécessaire au vu de la pénurie de main-d'œuvre dans certains secteurs. J'y vois l'occasion d'ouvrir de nouveaux horizons pour nos jeunes et de rendre leurs attractivités à certains métiers dont nous avons cruellement besoin en France. Soyons bien clairs cependant : cette "révolution complète – complète – des lycées professionnels", pour reprendre les mots de notre président, ne doit pas aboutir à faire faire à nos enfants le sale boulot dont personne ne veut – qui plus est lors de stages où, contrairement aux contrats d'alternance, l'élève est souvent payé une misère.

Emmanuel Macron pense que "l'école, ce n'est pas non plus simplement former des citoyens qui apprendraient des savoirs et des valeurs qui n'ont rien à voir avec la vie professionnelle" : cependant, cette "révolution complète" désirée ne saurait se faire sans d'autres travaux prioritaires. Préparer le terrain, c'est déjà s'atteler aux problèmes d'illettrisme et d'acquis des fondamentaux. Les récentes évaluations au collège le prouvent : il est plus que temps d'accompagner les élèves confrontés à des difficultés en français et en mathématiques. Les élèves de baccalauréat professionnel ne doivent pas être laissés de côté : ils ont aussi besoin de cet accompagnement. Préparer le terrain, c'est aussi et avant tout revaloriser les métiers de secteurs en mal d'attractivité et de main-d'œuvre.

Je rejoins l'inquiétude de la FSU : nous nous dirigeons vers un système dans lequel il y aura moins d'école et plus d'entreprise. Or ce système ne rendra pas service aux entreprises, car celles-ci ont besoin de jeunes ayant déjà reçu une formation complète et possédant une bonne connaissance des bases. À la lumière de ces considérations, considérez-vous, madame la ministre déléguée, que l'augmentation du temps de stage au détriment de la formation est vraiment une idée judicieuse ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Notre ambition, avec la réforme du lycée professionnel, est de faire de ce dernier une voie de réussite, une voie qui soit choisie par les élèves et leurs familles et valorisée par l'ensemble de la société comme un levier d'insertion professionnelle et de développement personnel des jeunes. Je l'ai déjà dit, et votre question m'amène à le rappeler : il s'agit pour nous de tenir compte de la disparité des niveaux scolaires des jeunes et de les accompagner en insistant sur les enseignements fondamentaux, afin d'apporter une réponse plus efficace à leurs difficultés et à leurs fragilités.

La réforme s'appuiera sur de nombreux leviers : une meilleure information des collégiens sur les métiers et les parcours de formation qui permettent d'y accéder ; un renforcement des savoirs fondamentaux, sur lequel j'insiste à nouveau ; des parcours de formation plus agiles, permettant aux jeunes de réussir à leur rythme, d'atteindre le niveau de qualification qu'ils souhaitent et de poursuivre leurs études s'ils en ont l'envie ; enfin la création de nouvelles filières contribuant à l'insertion des jeunes. J'ai sollicité dans ce but le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), qui nous accompagnera dans la transformation de l'offre de formation et dans son adaptation aux enjeux de France 2030.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Fatiha Keloua Hachi.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC).
Les constats que vous posez comme base de réflexion pour votre prochaine réforme sont les mêmes que ceux posés par Jean-Michel Blanquer en 2018 : le taux d'élèves décrocheurs dans les voies professionnelles est trop bien trop important, le taux d'insertion dans l'emploi après ces formations n'est pas satisfaisant et la poursuite d'études n'est pas facilitée pour les élèves diplômés des filières professionnelles. Mon groupe Socialistes et apparentés partage vos constats, tant sur l'inefficacité de votre dernière réforme – puisque vous en préparez déjà une autre – que sur les faiblesses de la voie professionnelle. Néanmoins, l'accumulation de réformes tous les quatre matins ne réglera pas les insuffisances de la voie professionnelle. Prenons le temps d'une réflexion globale. Écoutons les professionnels et les premiers concernés par les réalités de terrain : les enseignants, les élèves, les anciens élèves, les structures accueillant les stagiaires et les régions chargées de cette compétence.

Il y a, pour le moment, consensus contre votre projet de réforme. Combien de suppressions de postes d'enseignant en lycée professionnel prévoyez-vous ? L'emploi du temps des élèves n'étant pas extensible, comment entendez-vous sanctuariser les heures de classe tout en augmentant de 50 % le temps passé en entreprise ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Un bilan de la réforme pédagogique de 2018 a pu être établi et les résultats sont tout à fait encourageants. Depuis septembre 2019, un comité national suit la transformation qui a été engagée. De nombreuses innovations pédagogiques ont déjà été mises en place. Ainsi, la co-intervention, en associant plus étroitement enseignements généraux et enseignements professionnels de spécialité dans des classes à effectifs réduits, permet aux élèves de trouver du sens aux enseignements généraux et de les intégrer plus facilement. Quant à la pédagogie du chef-d'œuvre, elle donne des signaux encourageants. La réforme de 2018 a aussi permis aux élèves de mieux construire leur propre parcours et de faire, s'ils le souhaitent, le choix de l'apprentissage.

Des axes d'amélioration existent cependant et un groupe de suivi, dirigé par Marc Foucault, sera mis en place dès le mois de février. Notre ambition, je veux le souligner, est de placer l'élève en situation de réussite et de faire de la voie professionnelle une voie choisie. Pour cela, il faut renforcer encore l'accompagnement des élèves et l'investissement dans les lycées professionnels, en jouant sur de nombreux leviers : formation des professeurs, formations d'avenir en phase avec les besoins de la nation, gratification des élèves lors des périodes de formation en milieu professionnel, maintien des effectifs de professeurs pour la rentrée de 2023.

Mme la présidente.
La parole est à M. Fabrice Le Vigoureux.

M. Fabrice Le Vigoureux (RE).
J'ai dirigé durant dix ans une école universitaire de management – un institut d'administration des entreprises (IAE). La moitié des étudiants se trouvaient en formation continue et une proportion significative d'entre eux avaient été, dix ou vingt ans auparavant, des lycéens de la voie professionnelle. Ils réussissaient plutôt bien : certains se sont même engagés dans un cursus doctoral.

Il me semble essentiel d'expliquer aux lycéens professionnels, qui n'en ont pas toujours conscience, que jamais les passerelles n'ont été aussi nombreuses dans notre pays et qu'en validant ses acquis par l'expérience, on peut, à tout âge, valoriser son parcours et obtenir les plus hauts diplômes universitaires – qu'on croit trop souvent réservés aux cursus académiques solides et aux parcours linéaires.

C'est une façon, aussi, de leur dire que les enseignements fondamentaux ont toute leur place dans leur formation, qu'ils seront un levier dans leur vie. Je me réjouis, à cet égard, que vous ayez indiqué avec la plus grande clarté que la réforme maintiendra les enseignements fondamentaux à leur niveau actuel, voire les renforcera. On peut être allergique aux savoirs académiques à 17 ans et, à 35 ans, en comprendre toute la richesse. Ce n'est pas un problème, dès lors qu'on a su les côtoyer, à bonne hauteur, au lycée.

Il est également important de mieux insérer ceux qui ne poursuivent pas leurs études immédiatement. Vous avez raison de dire que les contenus doivent être adaptés ou repensés. J'ai vu des maquettes de formation en commerce qui n'abordaient que succinctement le commerce électronique ou des formations à la plasturgie qui faisaient pratiquement l'impasse sur la question du recyclage.

Enfin, l'allongement éventuel des stages devrait concerner plutôt les élèves de deuxième et de troisième année, la première année étant plutôt consacrée à l'acquisition du savoir technique dans les ateliers du lycée.

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Je partage pleinement votre conviction : il faut valoriser ces jeunes, en qui la nation place beaucoup d'attentes. Ils ont des perspectives immenses d'insertion professionnelle. Nous souhaitons investir encore davantage dans le lycée professionnel pour offrir à un plus grand nombre d'entre eux, et dans des domaines plus variés, des parcours professionnels qui soient gages de réussite. Il faut, à cette fin, travailler à élargir la carte des formations.

Je vous rejoins aussi sur un autre point : la formation ne se limite pas à la formation initiale. Dans la mesure où on est appelé à changer de métier entre cinq et treize fois, la formation tout au long de la vie est d'une importance majeure. Cependant, nous pouvons rassurer les élèves et leur montrer que nous voulons faire en sorte qu'ils puissent poursuivre, dans la foulée, leurs études, en s'insérant dans des parcours de formation de type BTS ou BUT – bachelor universitaire de technologie.

Nous travaillerons aussi sur les stages, conscients qu'ils pourraient certes profiter davantage à des étudiants plus âgés et plus mûrs. Ces périodes de formation en milieu professionnel pourraient être effectuées à d'autres moments, afin de donner aux jeunes le temps de se préparer à la poursuite d'études ou à l'insertion professionnelle, notamment par le retour d'expérience. Il ne faut pas toujours penser à système constant : les modalités sont diverses.

Mme la présidente.
La parole est à M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier (RE).
Je vous remercie d'avoir rappelé les objectifs de cette réforme en coconstruction. Il s'agit de réduire le nombre de décrocheurs, d'améliorer le taux d'insertion et de sécuriser la poursuite des études. Dans nos circonscriptions, les professeurs et les proviseurs ont manifesté leur inquiétude : il était important de préciser que la réforme ne se ferait pas au détriment des savoirs fondamentaux.

Pourriez-vous nous en dire plus sur la méthodologie et le calendrier des groupes de travail ? Après la remise des rapports, il serait judicieux d'organiser une consultation des acteurs de terrain – ils en sont demandeurs. Les territoires présentent en effet des spécificités qui doivent être prises en compte. Ainsi, dans le Tarn, département rural, les lycées professionnels sont très enclavés et il est difficile, quand on est loin de tout, de trouver un stage. Après la concertation, cette réforme comprendra-t-elle une phase d'expérimentation ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée.
Notre souhait est d'aider ces lycéens qui passent par la voie professionnelle – un tiers d'entre eux – à réussir et de répondre aux besoins de la nation en matière de compétences. Convaincus de l'engagement des professeurs, nous souhaitons leur donner plus de moyens pour combattre le décrochage des élèves lié à l'orientation subie et à leurs fragilités spécifiques. Les parcours pédagogiques doivent être ajustés pour que les jeunes retrouvent, dans ces parcours, le sens qui leur fait défaut, grâce à un resserrement des liens entre les enseignements et le monde de l'entreprise auquel ils préparent.

Il est terrible de constater que tant d'élèves ne souhaitent pas poursuivre leurs études et nous vivons le décrochage comme un échec. Nous savons pouvoir compter sur les équipes pédagogiques et sur leur connaissance des élèves et des enjeux économiques du territoire. Nous souhaitons donc donner aux établissements des marges de manœuvre et, tout en conservant le caractère national des diplômes, permettre à leur conseil d'administration de prendre des initiatives pour répondre aux difficultés spécifiques rencontrées localement.

Nous avons mis en place une nouvelle méthode : les conclusions de ces groupes de travail feront l'objet de concertations avec les partenaires sociaux et, sur le plan local, de concertations au sein des CNR – conseils nationaux de la refondation – territoriaux.

Mme la présidente.
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 11 janvier 2023