Interview de Mme Isabelle Rome, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, à Public Sénat le 16 janvier 2023, sur les violences conjugales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Isabelle Rome - Ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances ;
  • Oriane Mancini - Journaliste

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Bonjour Isabelle ROME. Merci beaucoup d’être notre invitée ce matin. Vous êtes ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances et on va parler des violences conjugales puisque la proposition de loi de la sénatrice centriste, Valérie LETARD, qui a déjà été adoptée par le Sénat est examinée par l’Assemblée nationale aujourd’hui. Avant de vous entendre et d’entendre votre position, on va faire un petit rappel de ce qu’est ce texte avec vous, Alex POUSSARD. Que contient cette proposition de loi ?

ALEX POUSSARD
Eh bien, Oriane, ce texte, il part d’un constat, les femmes victimes de violences conjugales ont du mal à quitter le domicile. En 2020, 50% des victimes de violences souhaitaient quitter le domicile et seulement 18% l’ont réellement quitté. Alors comment expliquer ces difficultés des femmes à partir du domicile ? Eh bien, il y a certes l’emprise psychique du conjoint violent mais il y a aussi des raisons économiques. Une femme victime de violence peut être sujette à de la précarité, de l’incertitude financière, elle peut subir aussi ce qu’on appelle une emprise économique de la part du conjoint violent, qui peut lui faire un chantage financier, lui confisquer ses ressources ou ses moyens de paiement ou faire en sorte qu'elle croule sous les dettes. Et donc la proposition de loi de la sénatrice centriste Valérie LETARD entend essayer d'aider financièrement les victimes pour qu'elles puissent se mettre à l'abri avec le dispositif suivant : un prêt qui sera versé par la Caisse d'allocations familiales à la victime dans un délai de 3 jours maximum, un prêt à taux 0 versé en 3 mensualités et qui permettra notamment à la victime de trouver un domicile et puis s'ajoute à ce prêt un accompagnement social et professionnel. Il n'y a pas de conditions financières pour obtenir cette aide, il faut juste déposer plainte et puis faire l'objet d'une ordonnance de protection délivrée par le juge des Affaires familiales. A noter que ce prêt devra ensuite être remboursé par le conjoint violent s'il est condamné ; donc voilà pour le dispositif de cette proposition de loi qui a été adoptée à l'unanimité à la fin de l'année dernière par le Sénat et qui, cette semaine, devrait être adoptée par l'Assemblée nationale.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup Alex, à tout à l'heure. Madame la Ministre, est-ce que vous allez soutenir ce texte cet après-midi et est-ce que vous allez le soutenir tel quel ou est-ce que vous souhaitez y apporter des modifications ?

ISABELLE ROME
Et oui, eh bien, je suis heureuse justement que nous ayons pu avoir une concertation fructueuse trans-partisane sur ce sujet extrêmement grave des violences conjugales et j'espère que nous aboutirons justement à l'adoption d'une loi cet après-midi qui sera vraiment une avancée pour les femmes victimes de violences conjugales. Donc moi, j'ai souhaité, au nom du Gouvernement, améliorer ce dispositif proposé dans le cadre de cette proposition de loi en en faisant en sorte que puisse être octroyée à toute victime de violences conjugales en difficultés, en situation de difficultés immédiates, une aide universelle d'urgence sous forme de don, voilà de don. C’est l'amendement proposé par le gouvernement voilà et c'est, en plus, bien sûr du prêt qui est ...enfin en plus du prêt qui peut être aussi proposé donc dans le cadre de la proposition de loi telle que présentée par la sénatrice Valérie LETARD.

ORIANE MANCINI
Donc juste pour qu'on comprenne bien, il y aura les deux, donc il y aura un don, il y aura un prêt parce que là, l’aide est universelle, donc sans conditions de ressources. Alors qui pourra bénéficier du don ?

ISABELLE ROME
Alors donc en fait il s'agit d'une aide universelle d'urgence, donc ça veut dire sans conditions de ressources et donc il faut que la victime réponde à l'un des 3 critères suivants, c'est-à-dire soit qu'elle bénéficie d'une ordonnance de protection prononcée donc par un juge aux Affaires familiales, soit qu'elle ait déposé plainte, soit qu'un signalement ait été adressé au procureur de la République. Voilà les 3 situations dans lesquelles une victime en situation de difficultés immédiates pourra justement bénéficier de cette aide universelle d'urgence sous forme de don.

ORIANE MANCINI
Alors ça c'est les conditions, elles sont dans le texte de Valérie LETARD mais ce que je …

ISABELLE ROME
L’amendement, c’est l’amélioration justement proposée .…

ORIANE MANCINI
Oui mais ce que je voudrais bien comprendre, c'est du coup, qui pourra, quelle victime pourra bénéficier d'un prêt et quelle victime pourra bénéficier d'un don ? Est-ce que toutes les victimes pourront bénéficier d'un don ou est-ce que c'est en condition de ressources ? Quand vous avez entre guillemets les moyens de rembourser, ce sera un prêt ; quand vous ne l'avez pas, ce sera un don ?

ISABELLE ROME
Non alors, l'examen de la situation sera confié à la Caisse d'allocations familiales mais je pense que là que dans la plupart des cas, on ira plutôt vers un don.

ORIANE MANCINI
Donc plus de prêt ? Ce sera un don pour tout le monde ?

ISABELLE ROME
A titre peut-être, subsidiairement… Ensuite si vous voulez, il va y avoir aussi un décret qui sera pris, si vous voulez, il y a... Tout ce qui est chiffrage, etc., sera aussi discuté là avant même la prise de ce décret, donc voilà tout ça sera ajusté mais ce ne sera pas… enfin, je veux dire le principe principalement, ça sera plutôt un don …

ORIANE MANCINI
Un don plutôt qu’un prêt …

ISABELLE ROME
Voilà.

ORIANE MANCINI
Ca veut dire qu'il n'y aura pas de remboursement de la part des victimes ou est-ce que dans certains cas, il y aura quand même des demandes de remboursement ?

ISABELLE ROME
C’est-à-dire que enfin, moi si j'ai souhaité qu'on puisse justement octroyer vraiment un don, c’est aussi parce que je voilà j'ai rencontré de nombreuses victimes tout au cours de ma carrière précédente de magistrate et de juge et je vois dans quelle situation de détresse et de désarroi se trouvent les victimes à ce moment-là et c'est vrai que c'est difficile pour elles de se projeter dans l'avenir. Et donc la seule chose qui leur importe, c’est sauver leur peau et sauver la peau de leurs gamins éventuellement. Donc c'est pour ça que voilà pour moi, c'est fondamental qu'on puisse aussi les aider sans contrepartie.

ORIANE MANCINI
Quel sera le montant de ce don ?

ISABELLE ROME
Alors, justement ce montant va être chiffré là pendant les semaines qui viennent et sera fixé par décret et il y aura certainement …

ORIANE MANCINI
Vous souhaitez qu’il soit de combien ? Vous pouvez me donner une fourchette ?

ISABELLE ROME
Il y aura certainement un barème avec forcément bien sûr aussi un montant maximal, voilà mais je ne peux pas m'engager aujourd'hui sur un montant. Ce qui compte, c'est de pouvoir…

ORIANE MANCINI
Sur une fourchette pour qu'on ait à peu près un ordre de grandeur ?

ISABELLE ROME
...c’est de pouvoir partir, voilà, je pense qu'on ne dépassera pas tout de même des sommes de 5 000 euros mais ça peut être aussi moins, voilà après, il y aura, je vous dis, un maximum et puis aussi un barème qui aussi sera mis en place en fonction de la situation personnelle de la victime mais aussi de la présence ou non d'enfants. Ca sera aussi bien sûr un critère qui sera pris en place sur la fixation du montant qui pourra lui être octroyé, voilà.

ORIANE MANCINI
Vous êtes confiante du coup sur le fait que l'Assemblée adoptera ce texte cet après-midi ?

ISABELLE ROME
Ecoutez, c’est en tout cas, c'était tout l'objet de la concertation que nous avons eue donc avec les groupes de la majorité, la sénatrice Valérie LETARD et les co-rapporteurs de la proposition de loi.

ORIANE MANCINI
Excepté le fait de faire un don et non plus un prêt, vous ne touchez rien d'autre à la proposition ? Vous ne changez rien sur le mécanisme ou il y aura aussi d'autres choses que vous souhaitez modifier ?

ISABELLE ROME
Techniquement, c'est un peu… Enfin, je pense que c'est un peu à la marge, c'est-à-dire que l’aide pourra être débloquée dans les 3 jours et ça sera au maximum dans les 6 jours, si jamais la personne n'est pas déjà, vous voyez, connue de la Caisse d'Allocations familiales, ce qui est quand même assez rare. Après, c’est vraiment à la marge et puis que je souhaite dire c'est que cette aide universelle d'urgence, elle s'inscrit aussi dans le cadre du dispositif que je souhaite mettre en place et que la Première ministre a annoncé depuis le mois de septembre déjà, le "pack nouveau départ" qui comporte justement une aide globale de ces victimes, c'est-à-dire certes cette aide universelle d'urgence mais aussi une aide à l'insertion professionnelle, à la formation, une aide aussi pour la garde des enfants, un accompagnement psychologique et si besoin un hébergement d'urgence. Moi, je suis extrêmement attachée à cette prise en charge globale des victimes.

ORIANE MANCINI
Cette proposition de loi de Valérie LETARD, elle semble un peu tomber sous le sens, pouvoir aider des femmes victimes de violences conjugales à partir de chez elles et que la question financière ne soit pas un frein, ça paraît une évidence ; pourquoi il a fallu que ce soit une sénatrice qui s'en empare ? Pourquoi le Gouvernement n’a pas pris cette mesure plus tôt ?

ISABELLE ROME
Mais je crois qu’enfin, vous n’êtes pas sans savoir que, enfin je veux dire que le nouveau Gouvernement a été nommé juste avant l'été. Moi, dès mes premières semaines, j'ai souhaité mettre en place ce « pack nouveau départ » ; la Première ministre l'a annoncé dès début septembre. Donc je pense que le Gouvernement était bien au rendez-vous.

ORIANE MANCINI
Les associations et la gauche aussi demandent un milliard d'aide pour les victimes de violences conjugales et pouvoir lutter contre ces violences conjugales, pourquoi le Gouvernement ne débloque pas cette somme ?

ISABELLE ROME
Alors en fait, c'est un peu plus complexe, c'est-à-dire qu’il n'y a pas seulement ce que met le ministère, mon ministère en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes mais il faut toujours penser que l'ensemble des ministères contribuent à cette politique… de violences conjugales de même que les collectivités locales, les ARS, les Agences régionales de santé etc. Donc quand on ajoute ce que mettent les différents ministères sans parler de des collectivités locales etc., on a une somme de 2,4 milliards consacrée à l'égalité entre les femmes et les hommes, voilà donc en fait je pense que je comprends, je veux dire, ce credo un petit peu qui est quand même toujours présent de la part des associations sauf que je pense que les moyens sont tout de même mis. Et puis aussi, ce que je souhaite dire, c'est que beaucoup aussi doit être fait en termes de méthodes de travail, en termes de formation des différents acteurs et que ça aussi, c'est extrêmement important, c'est-à-dire qu'on peut mettre des millions mais si les personnes qui doivent traiter de ces violences ne sont pas bien formées, eh bien, on laissera les personnes en situation de danger et ça, je ne le veux pas.

ORIANE MANCINI
La question des violences conjugales télescope une question plus politique, c'est celle du retour du député Adrien QUATENNENS à l'Assemblée, condamné pour violences conjugales. Comment jugez-vous son retour ? Est-ce que vous trouvez normal qu'il retrouve les bancs de l'Assemblée ?

ISABELLE ROME
Alors, juridiquement en l'état, il est possible pour ce député de siéger de nouveau. Pour le reste à l'heure actuelle c'est vraiment, c’est à lui qu'il appartient et aussi d'ailleurs à son groupe de savoir ce qu'il doit être fait. Je sais qu’Aurore BERGE souhaite justement proposer qu’une peine d'inéligibilité, une peine complémentaire d'inéligibilité obligatoire soit prononcée, y compris pour des faits de violences conjugales ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours ; bien sûr que je soutiendrai une telle proposition.

ORIANE MANCINI
Aurore BERGE a dit aussi qu'elle, elle n'accepte pas de siéger à côté de lui et que s’il faut multiplier les suspensions de séance, elle multipliera les suspensions de séance pour qu'il quitte l'Assemblée. Vous êtes d'accord avec cette méthode ?

ISABELLE ROME
Ca, c’est, j'allais dire, je laisse le Parlement et les députés, je veux dire, adopter la position qui leur semble la plus adaptée.

ORIANE MANCINI
Un dernier mot sur une autre question d’actualité puisque après un audit, l'Inspection générale a émis un signalement à la justice sur Noël LE GRAËT, le patron qui est toujours le patron de la Fédération française de foot pour outrages sexistes, il a été mis en retrait. Est-ce ce qu'il doit démissionner après ça ?

ISABELLE ROME
Je pense que ça serait un signal extrêmement positif envoyé à l'ensemble des victimes.

ORIANE MANCINI
Merci Isabelle ROME, merci beaucoup…

ISABELLE ROME
Merci à vous !

ORIANE MANCINI
...d’avoir été notre invitée. On suivra bien sûr l'examen à l'Assemblée de cette proposition de loi de la sénatrice centriste Valérie LETARD qui sera donc examinée cet après-midi, merci beaucoup d'être venue nous en parler !

ISABELLE ROME
Merci à vous


source : Service d’information du Gouvernement, le 17 janvier 2023