Interview de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à RFI le 18 janvier 2023, sur la réforme des retraites, les prix de l'agroalimentaire et la signature d'un Traité d'amitié franco-espagnol.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FRÉDÉRIC RIVIERE
Bonjour Marc FESNEAU.

MARC FESNEAU
Bonjour.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Vous êtes donc ministre de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire, mais aussi vice-président du MoDem. Le président de votre parti, François BAYROU, a exprimé des réserves sur le projet de loi de réforme des retraites, un texte, a-t-il dit, qui mérite d'être amélioré. Est-ce que vous partagez son avis ?

MARC FESNEAU
Alors, il n'a pas exprimé des réserves, il a dit, comme il me semble que c'est important pour un responsable public, qu'il y avait des choses intéressantes qui étaient posées en termes de pénibilité, d'équilibre des comptes des retraites, et puis deux, de progressivité de la réforme, et qu'en même temps le débat pouvait permettre d'améliorer le texte. On ne peut pas être à la fois responsable public, pour ce qui me concerne, ancien parlementaire et ancien ministre des Relations avec le Parlement, et ne pas penser que le débat parlementaire peut être utile pour faire en sorte d'améliorer ce régime de retraite, et donc il me semble que…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Oui, quelles sont les pistes d'amélioration que vous voyez ?

MARC FESNEAU
Oh, il y a sans doute, et ça a été ouvert d'ailleurs par la Première ministre, des travaux à faire sur affiner le registre de la pénibilité, regarder comment se met en œuvre la progressivité, clarifier un certain nombre de points. Je pense que le débat parlementaire il sert parfois à améliorer les éléments de textes, et parfois aussi à éclairer les débats et à faire en sorte que les Français puissent voir ce qu'on essaie de faire au travers de cette réforme de retraites. Au fond, si je voulais résumer les choses, c'est : assurer le système par répartition, et donc son équilibre, et deuxièmement mettre plus de justice. La question c'est : est-ce que le système sera plus juste après qu'aujourd'hui ? Et à mon sens il est plus juste après qu'aujourd'hui, et c'est aussi comme ça qu'il faut regarder ce système.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
François HOLLANDE, qui était interrogé il y a quelques jours, disait qu'il n'y a certes jamais de bon moment pour lancer une réforme des retraites, mais qu'il y en a de mauvais, et que là précisément c'en est un mauvais, un mauvais moment, après 2 ans et demi de crise sanitaire, avec les fortes tensions sur les prix de l'énergie, avec l'inflation qui pénalise les ménages, est-ce qu'il n'est pas en effet un peu déraisonnable de se lancer dans cette réforme, qui rappelons-le est très majoritairement rejetée par les Français et puis aussi par l'ensemble des syndicats de salariés ?

MARC FESNEAU
Pardon de le dire ainsi, alors il y a l'habileté des mots du président HOLLANDE, mais la vérité, s'il n'y a jamais de bon moment, c'est qu'il y a toujours un bon moment, et que c'est à force d'avoir dit qu'il n'y a jamais de bon moment qu'on n'a jamais fait ces réformes, qui sont des réformes pourtant nécessaires. Pour autant, je comprends tout à fait que certains puissent avoir des craintes, que dans le moment ou les moments difficiles que peuvent traverser les Français, que nous avons traversés avec eux d'ailleurs, puisse y avoir des inquiétudes, mais on le fait aussi parce que si on ne s'y prend pas suffisamment tôt, le rattrapage qu'on aurait à produire dans 6 mois, 1 an, 2 ans ou 3 ans, serait beaucoup plus fort, et donc il me semble que c'est un élément de responsabilité. C'est pas forcément une reforme évidemment qui est populaire, d'ailleurs je ne connais pas de réforme des retraites qui puisse être populaire, simplement je pense que c'est une question de responsabilité, et c'est ça qu'on essaie de porter devant les Français, une question de responsabilité et d'équilibre de ce système. Parce que moi, ma préoccupation, c'est que le système soit équilibré, parce que s'il n'était pas équilibré, je sais qui seraient les plus défavorisés, c'est les plus fragiles d'entre nous, ceux qui ont le plus de carrières hachées, et donc c'est ça qui est à l'œuvre et qu'il faut qu'on essaie de développer dans les semaines qui viennent, dans le débat qui va s'ouvrir.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Il y a eu une réforme des retraites populaire, c'était celle de François MITTERRAND, la retraite à 60 ans.

MARC FESNEAU
Sur laquelle est revenu d'une certaine façon, sont revenus assez rapidement les socialistes, et donc on peut être populaire provisoirement et après on devient impopulaire dans la durée. Et je pense que la crédibilité de la parole publique, ce n'est pas de chercher la popularité immédiate, c'est chercher l'intérêt, et on essaie de travailler à l'intérêt du pays, et c'est ce qu'on essaie de développer au travers de cette réforme.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Le patron des Centres LECLERC est en colère : " Incroyable, dit-il sur Twitter, des députés seraient désormais favorables à la hausse des prix, deux députés veulent faire en sorte que les multinationales puissent répercuter, sans négociations, leurs hausses sur les consommateurs, ça provoquerait, dit-il, de nouvelles augmentations de 10 à 30 % ". Il s'agit donc de la loi EGALIM qui régit les rapports entre les fournisseurs et les distributeurs. Michel-Edouard LECLERC a-t-il raison ?

MARC FESNEAU
Non, d'abord il ne décrit pas la réalité des choses. C'est pas du tout ce qu'il y a de marqué dans le texte. Je…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
On parle d'un amendement du député Frédéric DESCROZAILLE…

MARC FESNEAU
Non non, là on parle d'un article, qui est l'article 3 de ce texte…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Oui…

MARC FESNEAU
On peut rentrer un tout petit peu dans le détail, mais qui vise à essayer de rééquilibrer les rapports de force entre la grande distribution, je rappelle, il y a 4 centrales en France, et il y a 380 000 agriculteurs. Voyez que le rapport de force n'est pas de même nature, y compris dans les négociations, et il y a 16 000 entreprises agroalimentaires. Le texte initial, tel qu'il est en débat cet après-midi, on a commencé les débats hier soir, il ne dit pas du tout ça, il dit simplement que quand vous êtes à un contrat et que vous vous n'êtes pas d'accord sur les tarifs, il faut que le fournisseur puisse se délester de son contrat avec le distributeur, pour ne pas être obligé de continuer à livrer aux tarifs qui ne lui conviennent pas. Ça me paraît une forme de liberté du commerce, qui est excellente. Qui est excellente et qui est de bonne facture. Deuxième élément, on ne peut pas se parer derrière des questions en permanence d'inflation comme le fait parfois monsieur LECLERC, pour essayer de défendre l'indéfendable. Parce que défendre l'indéfendable, c'est quoi ? C'est finalement de ne jamais rémunérer à la fin des agriculteurs. Et ce n'est pas simplement de l'intérêt des agriculteurs cette affaire-là, c'est de l'intérêt évidemment de l'industrie agroalimentaire, mais c'est aussi l'intérêt des consommateurs. Parce que la logique qui pousse toujours vers le prix le plus bas, c'est une logique mortifère pour l'agriculture. Vous vous souvenez…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Depuis qu'on parle de cet objectif de mieux rémunérer les agriculteurs, de rééquilibrer les…

MARC FESNEAU
Ça a commencé à fonctionner…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Oui, mais est-ce que la grande distribution a joué le jeu ?

MARC FESNEAU
Elle a été obligée de le faire, et y compris ceux qui étaient les plus réticents, parce que reconnaissons à monsieur LECLERC une forme de continuité dans l'action, ce n'est pas le cas de toutes les enseignes de grande distribution, il faut quand même distinguer. Ça fait des années qu'il est sur une loi de la jungle, qui se passe d'ailleurs dans les box de négociations, mais reconnaissons que l'année 2022, y compris dans une logique qui était une logique un peu déréglée par l'inflation, a montré que pour la première fois depuis 10 ans, nous avions inversé la courbe, qui était une courte déflationniste. En 10 ans, pendant 10 ans, les prix agricoles d'une année sur l'autre étaient rémunérés de façon moins élevée, d'une année sur l'autre, aux agriculteurs. Ça n'existe pas, même en inflation faible, à 1, allez, 1,8, entre 1 et 2 %, qu'on rémunère d'une année sur l'autre, moins que les agriculteurs. Et donc c'est un élément important. On y reviendra peut-être, c'est un élément de souveraineté. Si vous ne rémunérez pas vos agriculteurs et votre industrie agroalimentaire, elle s'efface, elle s'affaisse, elle disparaît, et à la fin qu'est-ce qu'il se passera pour les consommateurs ? C'est qu'on vivra de la nourriture de produits qui sont importés. Vous savez, vous vous souvenez sans doute comme moi, il y a quelques années il y avait eu un bon slogan, je trouve, c'est : "Nos emplettes sont nos emplois". Nos emplettes sont non seulement nos emplois et nos emplettes sont aussi les éléments de la souveraineté du pays, d'un pays comme le nôtre, et donc c'est une question de responsabilités.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
C'est ce que vous a dit il y a quelques jours, lors de vos vœux au monde agricole, puisque je le rappelle, vous êtes ministre aussi de la Souveraineté alimentaire, et vous avez dit que l'un des éléments, l'un des piliers de cette souveraineté alimentaire c'est le revenu des agriculteurs. Or en la matière, il y a encore du chemin à faire.

MARC FESNEAU
Il y a encore du chemin à faire. Je le répète la loi EGALIM 2, qui est à l'oeuvre actuellement, la loi dont on parle c'est un ajustement pour éviter des pénalités logistiques, les abus de position dominante de la grande distribution sur un certain nombre de sujets, notamment les centrales d'achats, et d'autres ajustements. Oui, il n'y a pas de souveraineté possible s'il n'y a pas de rémunération. Parce que si vous n'offrez pas des perspectives à des jeunes ou des moins jeunes qui s'installent, de rémunération ; évidemment ils ne s'installeront pas dans le métier.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Est-ce qu'il y aura une loi EGALIM 3 ?

MARC FESNEAU
Non, alors, je ne sais pas ce qu'il y a, là on est surtout des ajustements d'EGALIM 2. EGALIM 2 c'est il y a 14 mois, donc il faut quand même laisser vivre un peu les lois, parce que je me méfie des lois qu'on…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Il y a des domaines dans lesquels les lois s'ajoutent aux lois…

MARC FESNEAU
Oui, mais justement…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Ça vous le savez.

MARC FESNEAU
… 14 moins, reconnaissons que c'est impactant…

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
C'est vrai, c'est vrai…

MARC FESNEAU
Et je trouve que dans les débats parlementaires, je dis souvent que trop de lois, tue la loi, là on est sur des ajustements, et je trouve que c'est bien et d'ailleurs la loi EGALIM 2 est le produit d'une évaluation de la première loi sur EGALIM, et j'ai trouvé que ça, pour le coup, le travail parlementaire avait été fort utile.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Vous serez à Barcelone demain avec le président de la République et 10 de vos collègues ministres, pour la signature d'un Traité d'amitié franco-espagnol. Ce traité aura-t-il un volet agricole ?

MARC FESNEAU
Oui, d'abord parce qu'on a beaucoup de similarités, de problématiques, de sujets devant nous avec, et j'en parle souvent avec mon collègue espagnol Luis PLANAS, et en particulier on aura des sujets sur des questions de souveraineté, sur les questions d'accès aux fertilisants, parce que c'est un sujet majeur pour nous et pour les pays qui nous entourent, et puis sur les sujets d'eau, parce que l'Espagne a beaucoup d'expérience en ce domaine, et malheureusement ils sont victimes depuis plus longtemps que nous des sujets de dérèglement climatique, et on peut tirer expérience, notamment en termes de réutilisation des eaux, pour essayer d'atteindre un système vertueux pour l'agroalimentaire ou pour l'agriculture.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Sur le bio, le niveau d'exigence, il y a une harmonisation européenne ?

MARC FESNEAU
Alors, le cahier des charges est de même nature, et on a tous la volonté à la fois de développer le bio, dans un cadre qui leur permette aussi de trouver leur rémunération. On est dans une phase, je le dis au passage, on y travaille d'ailleurs au ministère, de difficultés pour le bio, puisque la rémunération n'étant pas au rendez-vous, évidemment il y a un risque que l'on perde des producteurs bio.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Merci Marc FESNEAU.

MARC FESNEAU
Merci à vous.

FRÉDÉRIC RIVIÈRE
Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 janvier 2023