Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec LCI le 26 janvier 2023, sur le conflit en Ukraine.

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Q - Bonjour, Madame la Ministre. Merci de répondre à nos questions et de prendre encore quelques minutes avec TF1 et LCI. Après la livraison de chars lourds par les Occidentaux à l'Ukraine, Moscou dénonce l'engagement direct des Européens. Est-ce que c'est le cas et qu'est-ce que ça change ?

R - Je crois que c'est surtout l'occasion de rappeler que dans cette guerre, qui a été décidée par la Russie, il faut qu'il soit clair qu'il y a un agresseur et un agressé. Et l'agresseur, c'est la Russie. C'est elle qui a choisi d'entrer en guerre et qui, depuis bientôt un an, mène cette guerre, et la mène avec des exactions et même des crimes. Ce qu'on a vu ce matin, c'est-à-dire de nouvelles frappes sur les installations civiles ukrainiennes, ce n'est pas faire la guerre : c'est faire des crimes de guerre.

Q - Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne... D'autres pays ont décidé de livrer des chars lourds à l'Ukraine. Quelle est la position française sur le sujet ?

R - Vous savez que la France a décidé de livrer des chars AMX-10. Et, hier, un certain nombre de partenaires et d'alliés ont pris des décisions pour ce qui les concernait. Si votre question concerne les chars Leclerc, parce qu'elle nous est assez souvent posée, je redirais que le Président de la République a demandé au ministre des Armées d'étudier cette question. Et au moment où je vous parle, aucune décision n'est prise et aucune décision n'est exclue. Par ailleurs, nous sommes en contact constant avec les autorités ukrainiennes pour regarder quels sont leurs besoins, et répondre du mieux que nous le pouvons à leurs besoins. Et leurs besoins prioritaires aujourd'hui, ce sont des moyens de défense aérienne. Le ministre ukrainien de la Défense l'a encore rappelé hier. Nous répondrons à ces besoins, et nous y répondrons de façon renouvelée, accrue, plus intense.

Q - Est-ce que ces livraisons de chars marquent une rupture dans le conflit en cours, une nouvelle étape de cette guerre ?

R - Pour le moment, ce n'est pas ce qui est, sur le terrain, observé. Il y a au contraire, pendant l'hiver, une tendance à ce que les lignes de front soient fixées ; à ce que, d'un côté comme de l'autre, chacun renforce ses défenses. Mais en effet, peut-être pour des moments où la fin de l'hiver arrivera, il peut y avoir des contre-offensives ou des offensives. Et donc, il est important que l'Ukraine puisse, à ce moment-là, se défendre, continuer à se défendre, continuer à résister ; et recouvrer sa souveraineté, recouvrer son indépendance. C'est pour cela que nous sommes à ses côtés.

Q - Ces chars lourds, livrés à l'Ukraine, c'est un pas de plus vers la guerre, ou vers la paix ?

R - L'Ukraine a le droit de se défendre. L'Ukraine est en situation de légitime défense. Et nous, nous avons le devoir de l'aider. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle est attaquée, sans raison, en violation flagrante des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, mais aussi en violation par la Russie de ses propres engagements. Et donc ce qui est en cause, c'est aussi l'ordre international, bien au-delà du continent européen. Donc nous ne pouvons pas laisser faire. La Russie ne doit pas gagner, ne peut pas et ne doit pas gagner. Et nous sommes aux côtés de l'Ukraine parce que c'est aussi notre intérêt, et la défense d'un ordre international fondé sur les règles et cherchant la paix, et non pas l'agression et le conflit.

Q - Pardon, je précise ma question : est-ce que ces livraisons de chars lourds éloignent le temps de la diplomatie ?

R - Je ne le pense pas. Vous savez qu'il faudra qu'après cette phase, une phase de dialogue s'engage. Mais pour qu'elle s'engage, parce qu'aujourd'hui l'heure est aux armes du fait de l'agression russe, pour que cette phase nouvelle s'engage, il faut que l'Ukraine soit en position d'avoir établi un meilleur rapport de force, d'avoir récupéré une partie de ses territoires. Et comme elle l'a dit, comme le président Zelensky l'a rappelé dans son plan en dix points, l'Ukraine est ouverte au dialogue. Ce n'est pas elle qui a déclenché le conflit.

Q - Dans les conditions actuelles, est-ce qu'on peut continuer à parler avec Moscou ?

R - Nous sommes plusieurs pays à le faire et il est important de garder un canal de communication avec Moscou pour dire ce que nous pensons, pour essayer de faire comprendre un certain nombre de messages. Alors oui, cela ne donne pas toujours les résultats espérés, mais il faut conserver ce canal de dialogue. C'est important. Et beaucoup de pays le font, la France parmi d'autres.

Q - Une dernière petite question, Madame la Ministre : après ces annonces de livraison de chars lourds, Volodymyr Zelensky a remercié ses alliés évidemment. Il réclame désormais des missiles longue portée et des avions. Faut-il considérer cette demande ? Est-ce trop tôt, ou faut-il les lui fournir ?

R - Il a d'abord et aussi remercié la France pour les chars qui vont lui être livrés, et il l'a fait d'abord parce que la France a été la première à prendre cette décision, de donner ce type de matériel en complément, vous le savez bien, des moyens d'artillerie, des missiles, de la défense antiaérienne, d'un certain nombre de véhicules de l'avant blindé, des munitions, de la maintenance... De ce paquet global que nous avons offert à l'Ukraine. Et nous continuerons, je l'ai dit tout à l'heure, à nous adapter à leurs demandes en fonction des nécessités du terrain, et en fonction des nécessités du moment, et le tout en coordination avec nos alliés.

Q - Vous parlez de paquet global : combien d'AMX-10 ? Les chiffres qui ont été évoqués étaient entre 10 et 30, est-ce que vous avez un chiffre plus précis à nous communiquer ?

R - Je crois qu'aucun chiffre officiel n'a pour le moment été donné. Des décisions sont en train d'être prises !

Q - Merci, Madame la Ministre.

R - Merci beaucoup. Merci d'être là.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2023