Interview de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à France Info le 2 février 2023, sur la réforme des retraites et l'emploi des séniors.

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Média : France Info

Texte intégral

ALIX BOUILHAGUET
Bonjour Olivier DUSSOPT

OLIVIER DUSSOPT
Bonjour.

ALIX BOUILHAGUET
La réforme des retraites suscite des interrogations et des doutes. Nous les entendons. C'est ce qu'a dit Élisabeth BORNE après les mobilisations de mardi. "Entendre", ça veut dire quoi ? Est-ce que ça veut dire être par exemple plus coercitif avec les entreprises sur l'emploi des seniors ?

OLIVIER DUSSOPT
Sur l'emploi des seniors, nous avons déjà acté un certain nombre de dispositions. Il y a la volonté de créer un index, mais cet index a un objectif qui est de mesurer l'implication des entreprises, notamment les plus grandes pour l'emploi des seniors, le maintien dans l'emploi qui est pour nous la priorité première, et l'accès à l'emploi des seniors. Il y a…

ALIX BOUILHAGUET
Est-ce que cet index, il pourrait être élargi à des entreprises de plus de 500 salariés ?

OLIVIER DUSSOPT
C'est la volonté de beaucoup de députés de la majorité. J'ai eu l'occasion de le dire pourquoi pas ? À condition que ça soit adapté à la taille des entreprises. Il ne faut pas créer quelque chose qui soit une tracasserie administrative. Et puis, il y a d'autres réflexions portées par des députés. C'est là l'intérêt du temps parlementaire, pour voir si une fois que l'index a été mis en place, les entreprises qui seront obligées de remplir l'index. Si elles ne le font pas, elles seront sanctionnées. Il y aura une obligation de négociation sur l'emploi des seniors.

ALIX BOUILHAGUET
Sanctionnées financièrement ?

OLIVIER DUSSOPT
Financièrement si elles ne publient pas les résultats, si elles ne remplissent pas l'index. Il y aura ensuite une obligation de négociation autour de l'emploi des seniors ; de dialogue social dans l'entreprise, dans les instances représentatives. Et puis certains parlementaires, certains députés nous disent "mais qu'est-ce qui se passe si un an, deux ans après la première publication d'index, la première négociation, …

ALIX BOUILHAGUET
Il ne se passe rien.

OLIVIER DUSSOPT
Rien n'a changé ? c'est ce qu'il faut qu'on regarde, comment on fait pour que dans un deuxième temps…

ALIX BOUILHAGUET
Inciter les entreprises à garder leurs seniors.

OLIVIER DUSSOPT
Une fois qu'on aura vu l'évolution, qu'on aura pu mesurer si une entreprise ne joue vraiment pas le jeu, qu'est-ce qu'on crée, qu'est-ce qu'on invente pour faire en sorte que cet emploi des seniors soit bien au rendez-vous ? Parce qu'on sait que c'est une clé ; une clé pour la réforme, mais aussi une clé pour le plein-emploi dans un pays où l'emploi des seniors est moins développé qu'ailleurs.

ALIX BOUILHAGUET
C'est ça. C'est comment faire pour que cet index senior ne soit pas juste un gadget mais qui ait une vraie répercussion pour les entreprises ?

OLIVIER DUSSOPT
Vous savez, nous avons déjà une première expérience avec un autre index qui est l'index sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cet index, il est accompagné de pénalités. Dès cette année, il y a une cinquantaine de pénalités qui ont dressé. Mais surtout, cet index, il nous montre que les entreprises qui doivent le remplir, ont une note qui progresse d'année en année. Et c'est plutôt bon signe parce que ces entreprises se mobilisent pour atteindre les objectifs.

ALIX BOUILHAGUET
Donc c'est vertueux, c'est que vous nous dites ce matin ? Entendre, est-ce que c'est permettre aux femme diplômées et actives de conserver qui ont eu des enfants, de conserver leurs avantages liés à ses enfants ? Je vous prends un exemple, une femme de 25 ans, qui commence à travailler à 25 ans, 43 annuités, ça lui fait une retraite à 68 ans. Elle a eu trois enfants, ça fait 62 ans, et avec votre réforme, c'est 64 ans.

OLIVIER DUSSOPT
Pardon mais ça ne fait pas 68, ça fait 67 parce que nous maintenons l'âge de suppression de la décote et l'âge de départ à taux plein à 67 ans. C'est important, c'est la première fois qu'une réforme des retraites bouge l'âge légal de départ à la retraite sans bouger l'âge de suppression de la décote.

ALIX BOUILHAGUET
Et vous voyez bien que dans cet exemple-là…

OLIVIER DUSSOPT
Derrière votre question, je l'entends très bien…

ALIX BOUILHAGUET
Elle perd ses avantages acquis.

OLIVIER DUSSOPT
Je ne crois pas que ce soit une perte d'avantages acquis parce quand on regarde les prévisions, je l'ai dit hier devant la délégation Droits des femmes de l'Assemblée nationale, on voit qu'aujourd'hui, à l'heure où nous parons, les femmes ont un âge effectif, c'est-à-dire un âge constaté, on ne parle pas d'âge légal mais vraiment l'âge constaté, de départ à la retraite qui est légal, exactement le même que celui des hommes. Pendant très longtemps, les femmes sont parties plus tard parce qu'elles avaient des carrières hachées, elles s'arrêtaient de travailler plus fréquemment souvent que les hommes, pour notamment des questions liées à la parentalité. Et dans la réforme que nous mettons en œuvre, on voit qu'en 2030, progressivement, on voit que l'âge de départ des femmes devient inférieur à celui des hommes. Par contre, derrière votre question, il y a un vrai sujet : les trimestres, les quatre trimestres accordés dans le secteur privé (et soulignons que dans le secteur public, c'est deux trimestres) Pourquoi cette inégalité ? C'est une question aussi à laquelle nous devons aussi répondre. Mais, on voit que ces trimestres ont été accordés à partir de la fin des années 60, le début des années 70 : à un moment où lorsqu'une femme avait un enfant, elle s'arrêtait de travailler, elle s'arrêtait de cotiser et ces trimestres dépensaient comme une contrepartie, une compensation.

ALIX BOUILHAGUET
Donc, vous êtes en train de me dire que c'est moins valable aujourd'hui d'avoir deux ans par enfant ?

OLIVIER DUSSOPT
Non, ce n'est pas ce qu'il faut dire parce que c'est un sujet qui est passionnel, il faut vraiment le prendre avec beaucoup d'attention. Ce que je dis c'est que nous sommes aujourd'hui dans une situation différente et c'est une très bonne nouvelle : l'emploi des femmes s'est développé, la capacité à concilier vie professionnelle et vie personnelle s'est développée même s'il y a d'immenses progrès à faire. Et nous sommes dans un système où l'attribution trimestre vient en plus des trimestres validés par l'activité professionnelle qui est maintenue. Et donc, ce que nous voulons avec la Première ministre, c'est avoir un chantier, un vrai travail de réflexion, avec les parlementaire, l'Assemblée, le Sénat sur ce qu'on appelle les droits familiaux : les questions de maternité, les questions de parentalité parce qu'il y a des trimestres pour l'éducation des enfants qui peuvent être partagée entre le conjoint ou la conjointe, et des questions sur les droits à la pension réversion parce que là aussi, il y a treize règles différentes. Donc, c'est un énorme chantier qu'il faut faire avec une réforme que nous portons aujourd'hui qui fait que les femmes partiront plus tôt que les hommes et qui fait que les femmes les plus fragiles, celles qui ont les plus petites retraites, celles qui ont les carrières les plus hachées vont être mieux protégées.

ALIX BOUILHAGUET
Ça, on l'entend, mais c'est vrai que je parle aussi des autres. Est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui que, par exemple, la solution, ce serait une majoration de pensions pour ces femmes-là ? Est-que ça, ça serait possible ?

OLIVIER DUSSOPT
Je veux dire aujourd'hui, la solution, c'est cela. Ce serait aller trop vite. Trop vite parce qu'il y a des débats. L'Assemblée nationale va être saisie du texte à partir de lundi prochain, les amendements ne sont pas encore déposés, donc il faut respecter ce temps parlementaire. ll y a une piste en termes de majoration que vous évoquez, il faut regarder chaque cas, chaque situation. Pour certaines femmes, ces trimestres validés permettent de compenser, de diminuer les effets négatifs d'une carrière hachée.

ALIX BOUILHAGUET
Oui, mais qu'elles perdent peut-être à l'autre bout.

OLIVIER DUSSOPT
Pour d'autres qui ont une carrière complète, qui ont travaillé toute leur vie, ces trimestres sont moins intéressants, non pas seulement à cause de la question de l'âge mais aussi parce qu'on a une augmentation de la durée de la cotisation qui a été votée depuis 2013. Et donc, c'est un chantier extrêmement complexe qu'il faut regarder avec attention.

ALIX BOUILHAGUET
Dans le détail.

OLIVIER DUSSOPT
Et dans ce premier texte, notre objectif, je le répète, c'est d'aider les femmes les plus précaires, les plus fragiles, celles qui ont les plus petites retraites et celles qui ont les carrières hachées.

ALIX BOUILHAGUET
On vous entend. Quoiqu'il arrive, il n'y a pas de ... vous n'avez pas l'intention d'ouvrir des dérogations au cas par cas sur les 64 ans ?

OLIVIER DUSSOPT
Je pense que lorsqu'il y a un âge de départ qui est fixé, cela a toujours été le cas dans notre pays, l'âge est le même pour les hommes, pour les femmes. Et en réalité, derrière ce sujet-là, au-delà de ce que j'évoque sur les droits familiaux, la vraie injustice, la vraie explication à ces inégalités parce qu'on parle depuis tout à l'heure de l'âge. Et la pire des inégalités, c'est que la pension de retraite des femmes est encore 30% inférieure à celle des hommes. Pourquoi est-ce que c'est le cas ? Non pas parce que le système des retraites est défavorable aux femmes, mais parce que tout au long de la vie, les inégalités professionnelles sont trop importantes. Et si on veut réduire les inégalités à la retraite, il faut d'abord et avant tout commencer par réduire les inégalités dans la carrière.

ALIX BOUILHAGUET
Deux petites questions rapides, encore une fois un peu techniques, mais est-ce que maintenant, est-ce que maintenir la durée de cotisation à 43 ans y compris pour ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans, ça aussi, ça ne bougera pas ou vous pourriez aménager ça ?

OLIVIER DUSSOPT
Le passage de 42 à 43 ans de cotisation a été voté en 2013, au début du quinquennat de François HOLLANDE. Et nous travaillons avec la Première ministre, avec Élisabeth BORNE, avec un objectif qui est de réduire les inégalités. C'est, là aussi, un sujet ancien. Avant 2003, lorsque les carrières, ce qu'on appelle les carrières longues n'existaient pas, l'âge de départ est à 60 ans, la durée de cotisation à un peu plus de 37 ans et…

ALIX BOUILHAGUET
Je vous entends. Mais ça, c'est une grosse demande des Républicains.

OLIVIER DUSSOPT
Non, mais justement ça fait partie des choses sur lesquelles on échangeait avec eux. Mais avant 2003, si vous commencez à travailler à 15 ans, vous travaillez 45 ans pour avoir votre retraite à 60 ans. Celui qui commençait à travailler à 22 ans, travaillait 37,5 ans, 38 ans pour avoir sa retraite à 60 ans. Aujourd'hui, nous réduisons l'écart. Et il y a un minimum qui est 43 ans, c'est un plancher. La durée de cotisation a toujours été un plancher, c'est le nombre de trimestres à partir duquel vous avez droit à une retraite à taux plein. Et puis, il y a une volonté de tenir compte des carrières longues. Ce que nous faisons, c'est que nous réduisons à maximum l'écart entre ceux qui commencent à travailler très tôt et ceux qui commencent à travailler plus tard.

ALIX BOUILHAGUET
Donc, certains pourraient quand même travailler 44 ans ?

OLIVIER DUSSOPT
Mais c'est déjà le cas. Pardon mais aujourd'hui, dans le système tel qu'on le connaît…

ALIX BOUILHAGUET
Donc, votre réforme, elle ne réduit pas les inégalités ?

OLIVIER DUSSOPT
Si. Pardonnez-moi mais aujourd'hui, il y a des hommes et des femmes qui, pour prendre leur retraite, doivent travailler 45 à 46 ans, ceux qui ont commencé très tôt. Demain, ce sera au maximum 44. Mais surtout, ce que je veux dire par là, c'est qu'aujourd'hui, dans le système tel qu'on le connaît, sans la réforme, vous avez à peu près 800 000 départs à la retraite par an. 180 000 personnes sur ces 800 000 partent avec plus de trimestres qu'il n'en faut parce que c'est un plancher. Cela a toujours été un plancher. Les Républicains ont un certain nombre de propositions, nous avons rencontré hier, avec la Première ministre, nous y travaillons pour voir comment améliorer encore cette égalité.

ALIX BOUILHAGUET
Qu'est-ce que vous pensez du conseil de Nicolas SARKOZY, c'était dans Le Figaro, il dit "plus vous négociez, plus vous mobilisez la gauche qui pense que vous allez céder." En clair, il dit que vous y prenez mal, qu'il faut arrêter de négocier. On veut la réforme ou pas.

OLIVIER DUSSOPT
J'ai aussi lu dans la même interview qu'il était plutôt en soutien, et qu'il pensait que ça va dans le bon sens. Il y a d'autres acteurs politiques qui le disent aussi.

ALIX BOUILHAGUET
C'est un petit coup de canif sur la méthode peut-être.

OLIVIER DUSSOPT
Je ne sais pas si c'est un coup de canif. En tout cas, ce dont je suis absolument convaincu, c'est que le travail de concertation que nous avons fait pendant quatre mois jusqu'à la présentation de la réforme avec tous les partenaires sociaux, toutes les organisations syndicales, toutes les organisations patronales. Evidemment, il reste des désaccords. Sur l'âge en particulier, il y a un gros désaccord avec les organisations syndicales. Mais ce travail de concertation, nous a permis d'améliorer la réforme sur la pénibilité, sur le minimum de pension et cette garantie de 85% du SMIC.

ALIX BOUILHAGUET
Sauf que pour l'instant, vous n'avez pas la majorité. Enfin, il manque, et notamment dans votre camp, des députés pour voter cette réforme.

OLIVIER DUSSOPT
Je crois que la majorité sera au rendez-vous et elle sera unie pour voter la réforme.

ALIX BOUILHAGUET
Et y compris à droite ? Comment vous gérez la droite avec ce groupe un peu hétéroclite ?

OLIVIER DUSSOPT
Il ne vous a pas échappé que le groupe LR n'est pas dans la majorité.

ALIX BOUILHAGUET
Oui mais vous avez besoin de la droite pour la réforme.

OLIVIER DUSSOPT
J'ai entendu Éric CIOTTI dire, le soutien qu'il apporte à la réforme avec un certain nombre de conditions, cela fait partie du débat qui va s'ouvrir.

ALIX BOUILHAGUET
Je voudrais qu'on dise un mot rapidement sur le projet de loi immigration. Quand on entend un peu les débats, il ne plaît ni à la gauche parce que c'est trop à droite, ni à la droite parce que c'est trop laxiste. Il y a un point qui fait un point de friction, c'est la création d'un titre de séjour pour les métiers en tension. Est-ce que vous pourriez revenir là-dessus ? La droite, elle parle d'un appel d'air d'une régularisation massive des étrangers.

OLIVIER DUSSOPT
Mais de quoi parlons-nous ? Nous parlons d'hommes et de femmes qui sont sur notre territoire depuis des années, qui travaillent dans des métiers dans lesquels on a du mal à recruter : des métiers de la restauration, des métiers de la propreté, des métiers de l'industrie, des secteurs où la première difficulté des entreprises c'est de recruter. Et nous avons des salariés…

ALIX BOUILHAGUET
Donc, vous conservez cette mesure ?

OLIVIER DUSSOPT
Et nous avons des salariés qui travaillent légalement, mais qui, eux, sont en situation irrégulière. Ce que nous proposons, c'est qu'à partir d'un certain nombre d'années sur le territoire, à partir d'un certain nombre de mois d'ancienneté dans ce travail, dans cet emploi, nous puissions leur accorder une carte de séjour temporaire d'un an pour régulariser leur situation. C'est leur donner de la sécurité à eux mais aussi à leur employeur.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup Olivier DUSSOPT. Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 février 2023