Texte intégral
Q - C'est votre premier voyage en Arabie saoudite, comment qualifiez-vous les relations franco-saoudiennes ?
R - Je suis très heureuse de venir en Arabie saoudite, pour la première fois en tant que Ministre des affaires étrangères. C'est la première étape d'un déplacement effectué pour aider à la stabilité de la région, dans un contexte de tensions croissantes.
Le Royaume a évidemment un rôle majeur à jouer à cet égard dans cette région troublée, en tant que plus grand pays du Golfe, tant par son poids démographique, économique, énergétique, que par son importance historique et religieuse. La France souhaite accompagner le Royaume dans la réalisation de la vision 2030 voulue par Son Altesse Royale, le Prince héritier et Premier ministre, Mohamed bin Salman, qui est une vision résolument moderne, d'avenir, que nous soutenons dans toutes ses dimensions : l'économie bien entendu, pour diversifier l'économie du Royaume, mais aussi la culture, qui est une source possible de rapprochement.
Les relations bilatérales franco-saoudiennes sont en plein essor. Elles sont caractérisées par la confiance, et par l'ambition commune. Nous avons une base solide, et nous souhaitons l'approfondir encore davantage.
Les domaines de coopération sont nombreux, mais je ne m'attarderai que sur l'un d'entre eux, tant il est majeur, mais aussi symbolique du partenariat moderne que nous souhaitons bâtir : la culture. La France est devenue le principal partenaire du Royaume dans le domaine culturel, symbolisé par le développement du site d'AlUla avec l'Agence française AFALULA, qui est devenu un des fleurons de notre coopération à l'échelle internationale, avec une dimension culturelle et patrimoniale exceptionnelle. L'archéologie est un pilier ancien et connu de notre coopération mais il n'est pas le seul : nous avançons pour élargir le partenariat aux musées, à la recherche, avec par exemple la préfiguration de la Villa Hégra qui a vocation à devenir un grand centre culturel à l'échelle régionale.
La France met aussi à la disposition des autorités saoudiennes son expertise dans le secteur des Industries culturelles et créatives, notamment la mode, le design, le cinéma ou encore la gestion des musées. Nous espérons aussi contribuer à la mise en place de grands événements culturels en Arabie à travers la participation à de expositions ou la production de spectacles.
Enfin, je suis également en Arabie saoudite pour que nous aller plus loin dans notre coopération économique et énergétique.
Vous voyez que les sujets ne manquent pas ! Ils reflètent la qualité et l'ambition de notre relation, résolument tournée vers l'avenir.
Q - Le Plan France 2030 et la Vision saoudienne 2030 ont beaucoup en commun... Comment voyez-vous les opportunités d'investissement et de coopération entre les deux pays ?
R - Elles sont majeures. La France et l'Arabie se donnent les moyens de matérialiser leurs ambitions, en mettant en oeuvre des réformes structurelles très claires.
La France est un pays d'opportunités d'investissement et l'économie française est de plus en plus attractive. Elle conserve sa première place en 2021 en termes de nombre de projets d'investissements étrangers annoncés en Europe, pour la troisième année consécutive.
Les relations économiques entre la France et l'Arabie saoudite sont historiquement fortes et ne cessent de progresser. Au terme des dix premiers mois de 2022, l'Arabie saoudite est devenue notre 29ème client, c'est une progression de six places par rapport à 2021 et elle est notre 25ème fournisseur, là aussi, ce sont sept places de gagnées ! Aujourd'hui, la France accueille des investissements saoudiens dans les secteurs traditionnels de l'immobilier et de l'hôtellerie. Nous souhaitons attirer toujours davantage d'investissements dans d'autres secteurs.
Côté saoudien, 130 entreprises françaises sont actuellement installées dans le Royaume et opèrent dans les secteurs du transport, de l'aéronautique, de l'énergie, des énergies renouvelables, de l'eau et des déchets, du pétrole et de la construction.
Nous souhaitons aller plus loin. Nous avons l'ambition de renforcer notre coopération dans les domaines de l'économie du futur : le numérique - avec la blockchain et l'intelligence artificielle, les énergies renouvelables, les smart-grids, la Foodtech, le spatial.
Il s'agit de s'adapter, d'anticiper les changements de nos modes de consommation et là encore, de s'en donner les moyens.
Q - Quelles sont les questions régionales sur lesquelles le gouvernement français se coordonne avec le Royaume ?
R - Votre question est l'occasion de réaffirmer la permanence de notre soutien de sécurité et stratégique au Royaume. Nous considérons l'Arabie saoudite comme une puissance de stabilisation régionale.
C'est d'autant plus important dans le contexte régional, marqué par une instabilité chronique, et en hausse.
Cette instabilité touche non seulement le Moyen-Orient, mais aussi l'Europe. Tout est lié : nous avons un intérêt commun, un intérêt de sécurité, à contrer cette instabilité et sa propagation.
Les causes de l'instabilité sont connues, et on peut citer évidemment l'Iran, et les activités déstabilisatrices menées par ce pays à travers la région. Nous sommes déterminés à y faire face avec nos amis saoudiens.
Plusieurs autres points chauds augmentent les risques : la montée des tensions en Israël et dans les territoires palestiniens, le vide politique persistant au Liban, l'instabilité et la volatilité de la situation au Yémen en l'absence de trêve, ou encore la faillite de la Syrie, devenue un narco-Etat et non-réconciliée avec elle-même, et donc toujours en proie aux appétits des voisins.
Dans ce contexte troublé, mon message est clair : la France est fidèle à son engagement aux côtés de ses partenaires du Golfe et en faveur de leur sécurité. Et la France est disposée à renforcer sa coopération avec l'Arabie saoudite pour résoudre les crises régionales et lutter contre les foyers d'instabilité dans la région.
Il existe des opportunités à saisir pour injecter du dialogue dans la région et faire baisser le niveau de conflictualité. La France ne ménage aucun effort pour favoriser le dialogue. C'est tout le sens de la Conférence de Bagdad 2 tenue en décembre dernier sur les bords de la Mer Morte. Le potentiel de coopération entre les pays de la région est énorme. Il faut le matérialiser, le faire advenir. Il faut injecter de la coopération dans cette région troublée, au bénéfice de tous, et en premier lieu, au bénéfice des peuples de la région.
Un mot spécifique sur le Liban, qui est un pays de coeur pour nombre de Français, et un pays lui aussi pivot dans la région, avec son histoire si singulière. Ce pays est en proie depuis le 31 octobre à une vacance présidentielle et a sombré dans une crise économique sans précédent. La France et l'Arabie saoudite agissent déjà ensemble en soutien à la population libanaise. Mais je souhaite que nous allions plus loin, que nous fassions davantage en commun, au bénéfice de la population libanaise - ce ne sont pas les dirigeants qui souffrent, ce sont les Libanais, le peuple libanais.
Q - Quelle est la position de France sur le Nucléaire Iranien et sur le JCPOA ?
R - Il y a une situation de blocage, dont l'Iran porte l'entière responsabilité. Le Coordinateur européen a fait en août une proposition qui est la meilleure possible pour revenir à la pleine mise en oeuvre de l'accord. L'Iran n'a pas saisi cette opportunité et conditionne sa décision à des exigences qu'il sait inacceptables sur le dossier entièrement distinct des questions "en suspens" à l'AIEA.
L'escalade nucléaire de l'Iran fragilise d'autant plus ce cadre. L'Iran a de nouveau annoncé fin novembre des activités qui emportent des risques sérieux de prolifération et n'ont aucune justification civile crédible. Ce faisant, l'Iran vide encore davantage le JCPoA de son contenu et complique un retour à l'accord.
Nous demeurons mobilisés pour empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Nous nous coordonnons avec nos partenaires internationaux, dont l'Arabie saoudite, sur la meilleure manière de répondre à l'escalade et pour trouver une solution diplomatique à la situation actuelle. L'Iran doit immédiatement cesser sa fuite en avant et respecter ses engagements.
Malheureusement, le sujet nucléaire n'est pas le seul motif de préoccupation.
L'Iran menace son environnement régional et s'emploie à le déstabiliser. L'Iran agit directement chez ses voisins, et via des proxies à sa solde dans la région. Ces activités déstabilisatrices sont à la hausse. Cela est très clair, quand on regarde tous les dossiers : le nucléaire bien sûr, mais aussi l'augmentation massive de l'arsenal de missiles iraniens, et de drones, ainsi que leur utilisation en situation réelle, par exemple en Iraq. Ou encore la dissémination de ces moyens vers la Russie, et vers les acteurs non-étatiques de la région. C'est un foyer d'instabilité majeur, qui est entretenu par l'Iran. L'Arabie saoudite en a été victime directement, elle l'a été à de nombreuses reprises, on ne compte plus les frappes ces dernières années violant son intégrité territoriale, frappant parfois des civils, et allant jusqu'à perturber sciemment l'économie mondiale et les cours du pétrole. A chaque fois, la France a été au rendez-vous de la solidarité. C'est conforme à notre partenariat.
Q - Comment la France voit et évalue-t-elle la situation actuelle au Yémen ? Comment percevez-vous le rôle de l'Iran et son soutien à la milice des Houthis ?
R - Sur le Yémen, nous restons préoccupés, et l'apparence de calme ne doit tromper personne. L'absence de trêve formelle accroît la volatilité de la situation sur le terrain, et les hostilités peuvent reprendre à tout moment. Les Houthis sont pleinement responsables de l'absence de trêve. Nous sommes au clair sur ce point.
Donc il faut une paix durable. Les conditions d'un retour à cette paix passent par la reprise de négociations politiques directes entre les Houthis le gouvernement de M. Alimi sous l'égide de l'envoyé spécial des Nations unies.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2023