Texte intégral
DIMITRI PAVLENKO
Bonjour Roland LESCURE.
ROLAND LESCURE
Bonjour.
DIMITRI PAVLENKO
Bienvenue sur Europe 1.
Vous êtes le ministre délégué chargé de l’Industrie.
On n’en parle pas beaucoup d'industriels en ce moment en France ; les retraites prennent toute la place.
On va se rattraper avec vous ce matin.
Une question quand même, Roland LESCURE, sur les débats au Parlement sur la réforme des retraites : quel bilan dressez-vous de deux semaines sous tension au Palais Bourbon ? Est-ce que vous vous dites « vivement ce soir, minuit, que ça s'achève » ? Ou bien qu'on aurait peut-être dû laisser un peu plus de temps aux députés pour en parler ?
ROLAND LESCURE
Non, c'est avant tout un bilan de regrets. Moi, je regrette ce qui s'est passé pendant quinze jours, parce que c'était du mauvais théâtre de boulevard avec, d'ailleurs, un metteur en scène, on l'a vu hier, qui essaie de tirer les fils à distance. Et Jean-Luc MELENCHON qui envoie ses marionnettes faire de l'esclandre à l'Assemblée.
Malheureusement, le Parlement où j'y ai siégé avec bonheur et fierté pendant cinq ans ; on ne sort pas grandi. Le débat n'en sort pas particulièrement éclairé.
On est vraiment … On l'a vu tout à l'heure dans les commentaires d'ailleurs, dans des commentaires sur la tactique parlementaire qui fait partie du jeu. Moi, j'ai vu des tactiques parlementaires, y compris d'obstruction d'ailleurs dans la réforme des retraites de 2020. Mais qui permettait quand même d'avoir du débat.
Aujourd'hui, je pense qu'on a perdu les Français autour d'un débat qui pourtant était important.
DIMITRI PAVLENKO
Mais la faute aux oppositions, Roland LESCURE, ou à un projet mal préparé, mal ficelé ?
Je vous prends l'exemple des retraites à 1 200 euros. Le ministre annonce 800 000 pensionnaires. Finalement, ce sera 13 000, on découvre ça en cours de discussions âpres, au terme de, avec une forte résistance d'ailleurs d'Olivier DUSSOPT qui refuse de répondre aux députés.
Il y a quand même un sentiment de dysfonctionnement.
ROLAND LESCURE
Moi, je trouve ça assez injuste.
Oui, cette réforme, elle est complète, elle est complexe. Elle a énormément de paramètres. Effectivement, au fur et à mesure, il y avait beaucoup d'informations et études d'impact. On a donné de plus en plus d'informations sur les détails mais c'est surtout… Parce que tout ça, c'est des détails.
Il va y avoir des dizaines de milliers de retraités qui vont voir leur retraite augmenter. Il va y avoir des femmes qui vont voir leur retraite augmenter alors qu'aujourd'hui, elles font l'objet d'injustice.
DIMITRI PAVLENKO
Vous dites que la réforme ne peut pas être une somme de cas particuliers, c'est ça ?
ROLAND LESCURE
Non, ce que je veux dire c'est que la réforme, au fond, elle vise à équilibrer le système. Et c'était indispensable (même les oppositions l'ont finalement reconnu) tout en corrigeant un certain nombre d'inefficacités, d'injustices du système de retraite actuel.
Le système de retraite français, il est universel, il est quand même très compliqué. Et les gens le découvrent à l'occasion des discussions sur cette réforme qui vise, à la fois, à l’équilibrer, à le rendre un peu moins injuste et un peu plus efficace.
Mais au fond, ce qui manque, c'est un vrai débat de société autour du financement de notre modèle social.
En France, moi, je suis extrêmement fier, qu’on ait l'école gratuite, qu’on ait l'université gratuite, qu’on ait l'hôpital et la santé gratuite, qu'on ait la retraite gratuite ; puisque c'est vous et moi qui payons la retraite de nos anciens.
DIMITRI PAVLENKO
Vous ne regrettez pas la capitalisation et qu’on ait aussi en complément ?
ROLAND LESCURE
Déjà, on est aujourd'hui face à un système social qu'il faut financer, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, ce sont ceux qui travaillent qui financent ce système social.
Et donc, si on veut préserver, voire même amplifier ce modèle social, il faut travailler davantage. Et ça, ce débat de fond, on ne l'a pas eu suffisamment.
DIMITRI PAVLENKO
Parlons maintenant d'industrie, Roland LESCURE, puisque c'est votre portefeuille. Il y a beaucoup d'actualités. Vous recevez aujourd'hui, à Bercy, près d'une centaine d'industriels du secteur de la santé du monde entier.
Mais d'abord, j'ai une question sur une société française dont on a parlé il y a quelques semaines de cela, c'est CARELIDE, dernier fabricant français de poches de perfusion. Ils font notamment du Paracétamol liquide pour les hôpitaux.
CARELIDE est en redressement judiciaire. Le tribunal de commerce de Lille, je crois, se réunit tout à l'heure à 9h30. Est-ce qu'on va sauver CARELIDE, Roland LESCURE ?
ROLAND LESCURE
Alors, je l’espère.
DIMITRI PAVLENKO
La décision ne vous revient pas.
ROLAND LESCURE
La décision est une décision de justice.
Je vais vous dire, je l'espère et je le pense. Pourquoi ? Parce que, vous l'avez dit, cette société produit des poches à perfusion. C'est une des trois dernières européennes à le faire et la dernière Française.
Et on parle beaucoup de souveraineté industrielle, de souveraineté sanitaire. Il faut être très concret.
Si cette entreprise avait mis la clé sous la porte, on perdait un des trois acteurs. On avait un enjeu (les hôpitaux nous l'ont dit) de capacité à livrer. Et c'est la seule société aujourd'hui qui fait des poches à perfusion de paracétamol. Donc vraiment, on en avait besoin.
DIMITRI PAVLENKO
Il y a une offre de reprise sur la table assez solide quand même.
ROLAND LESCURE
Voilà. D’ailleurs, ça c'est important.
Moi, j'ai eu pendant quelques semaines, monsieur RUFFIN, madame Marion MARECHAL qui me donnaient des leçons en disant de nationaliser etc…
La réalité, c'est que moi, j'ai travaillé avec mes services pour chercher un repreneur. On a parlé à cinquante industriels différents. On en a trouvé un.
DIMITRI PAVLENKO
BREXIT ?
ROLAND LESCURE
DELPHARM, avec Sebastien AGUETTANT à sa tête, qui a fait une offre avec énormément de conditions suspensives, il y a maintenant un mois.
Depuis un mois, on travaille jour et nuit pour les lever.
DIMITRI PAVLENKO
DELPHARM, on connaît parce que ça a été un des façonniers du vaccin du Covid 19.
ROLAND LESCURE
Oui. Et puis, c'est un industriel pharmaceutique ancrée en France, qui fait … vraiment qui a beaucoup de succès.
Je voudrais d'ailleurs en profiter pour dire que celles et ceux qui disent « pour régler un problème des retraites, il faut taxer les riches » ou « les industriels, on n'en veut pas parce que les capitaines d'industrie, on n'en veut pas » se mettent le doigt dans l’oeil.
Si on veut assurer notre souveraineté industrielle, on a besoin de grands industriels. On en a un qui est prêt à prendre CARELIDE. L’Etat, du coup, l'accompagne.
DIMITRI PAVLENKO
C'est-à-dire, concrètement ?
ROLAND LESCURE
Concrètement, on va faire un prêt de 20 millions d'euros et une subvention de 5 millions d'euros.
Mais face à ça, on a un industriel qui, lui, va en mettre 40.
C'est-à-dire, j’ai un industriel qui connaît le métier et qui est prêt à investir dans cette entreprise. Il y a un besoin d'investissement énorme.
Et de ce point de vue-là, je voudrais peut-être finir par dire que : un, j'espère qu'on va déboucher et deux, merci et bravo aux salariés de CARELIDE. Parce que, contrairement aux politiques de tribune qui m'ont donné les leçons et qui ont finalement soufflé sur les braises ; moi, j'ai rencontré les salariés qui ont été extrêmement responsables. Ils tenaient à leur entreprise, ils souhaitaient qu’on la sauve. Ils nous ont demandé de le faire. On le fait, j'espère en tout cas, avec un industriel extrêmement performant. Je dirais « bravo à tous » sauf aux donneurs de leçons qui ont été sur la ligne de côté à souffler sur les braises ; c'est scandaleux.
DIMITRI PAVLENKO
C'était aussi une forme d'inquiétude et je sais que vous la partagez d'une certaine manière.
ROLAND LESCURE
Oui mais on peut partager l'inquiétude.
Et moi, franchement, François RUFFIN, je suis prêt à lui donner une certaine forme de sincérité dans ses colères et de ses inquiétudes.
Mais qu'est-ce qu'il a fait pour sauver CARELIDE, lui, à part brailler ? Est-ce qu'il m'a envoyé ne serait-ce qu'un mot pour me dire « franchement, bravo et merci d'avoir fait le boulot. » Parce que le boulot c'est nous qui l'avons fait avec un repreneur, avec les salariés, ce n’est pas lui.
DIMITRI PAVLENKO
Je vous laisse à vos bisbilles avec François RUFFIN et Marion MARECHAL. Je voudrais parler du dossier CARELIDE. Pourquoi ? parce qu’on peut dire que ça tombe pile avec cette grande réunion que vous organisée à Bercy, je le disais, avec les industriels de la santé. Est-ce qu'on peut prétendre avoir un système de santé robuste sans avoir une industrie de santé puissante derrière ? Ça c'est la question. Et on voit que la France, en matière de pharmacie, décline. On était numéro 1 il y a quinze ans ; on n’est que quatrième aujourd'hui au niveau européen.
De quoi vous allez parler, très concrètement ?
ROLAND LESCURE
On va parler du Triangle des Bermudes de la santé française. On veut soigner les Français. On veut le faire pas trop cher. Mais on veut le faire, vous l'avez dit, avec une industrie pharmaceutique forte et en France. Et ça, c'est un triangle très difficile à concilier.
DIMITRI PAVLENKO
On ne peut pas tout concilier.
ROLAND LESCURE
En fait, si. On doit pouvoir le faire. Parce que je considère que…
DIMITRI PAVLENKO
On peut produire pas cher en France, alors que les industriels ne cessent de nous dire si en débloquant, parce que sinon c’est trop cher en France.
ROLAND LESCURE
Exactement. Avec François BRAUN, on va annoncer aujourd'hui aux industriels de la santé, une doctrine sur la production industrielle sur ce qu'on appelle le critère industriel. Si on produit, en France et en Europe, si on assure la souveraineté industrielle, on doit pouvoir payer un peu plus cher, on doit pouvoir intégrer dans les critères de choix sur…
DIMITRI PAVLENKO
Vous allez relever le prix du médicament ?
ROLAND LESCURE
Pas tous. On est toujours dans une logique d'économie. Mais on doit pouvoir intégrer, à côté des économies, des critères de souveraineté industrielle qui assure…On a eu des tensions…
DIMITRI PAVLENKO
C’est-à-dire, très concrètement, Roland LESCURE, les médicaments que les industriels vont s'engager à produire en France ou à produire à nouveau, en France, cela, la Sécurité sociale les remboursera davantage ?
ROLAND LESCURE
On intégrera dans les critères de fixation des prix, évidemment les économies mais aussi ce critère industriel et de souveraineté. Et donc ça…
DIMITRI PAVLENKO
Mais c'est pour quand ? Il va y avoir un projet de loi, un peu PLFSS rectificatif ?
ROLAND LESCURE
Non, ça va. On en a eu un, merci.
DIMITRI PAVLENKO
Je dis ça parce que vous avez été interpellé, le Gouvernement a été interpellé fin 2022 par les industriels de la santé sur le thème : le projet de loi de santé. Le budget de la Sécurité sociale 2023 n'est pas assez généreux sur le poste médicaments. On n'accompagne pas le coût de la dépense réelle des Français sur cela. Pourquoi ?
ROLAND LESCURE
On assure surtout un sujet sur la fixation des prix. D'ailleurs, on a mis une mission en place avec François BRAUN à la demande de la Première ministre, pour remettre à plat la fixation des prix. Aujourd'hui, on fixe des prix extrêmement contraints. Et on a effectivement des industriels qui, aujourd'hui, ont du mal à investir en France et préfèrent parfois investir ailleurs.
Donc on a remis à plat toute la méthode de fixation des prix et on aura des préconisations concrètes dès cet été. Mais on a d’ores et déjà annoncé aux industriels que sur certains produits particuliers sur lesquels les enjeux de souveraineté sont importants, on est prêt à faire un effort et c'est tant mieux.
DIMITRI PAVLENKO
Mais sur lesquels ? Est-ce que c'est… Le Gouvernement souhaite, on le sait, être en pole position sur les médicaments du futur. Mais quand on voit les pénuries d'Amoxicilline, quand on voit les pénuries de paracétamol, on se dit peut-être qu'il faudrait peut-être commencer par les produits de base. Lesquels allez-vous privilégier dans vos discussions cet après-midi ?
ROLAND LESCURE
En fait, ça, c'est une vraie question. Est-ce qu'il faut mettre tout ça dans un grand sac ? Ou séparer d'un côté les produits innovants, la médecine du futur ? Aujourd'hui, on importe 90% de bio médicaments en France. Ça veut dire qu’on en produit très peu. Donc, oui, on va investir dans l'avenir, mais on va aussi faire en sorte qu'on puisse produire les médicaments du quotidien dont on a le plus besoin.
Alors, j'en profite pour passer un message quand même à nos compatriotes : essayons de consommer moins de paracétamol, moins d'antibiotiques parce qu'aujourd'hui, on en consomme plus qu'ailleurs. Ça, c’est un des défis.
DIMITRI PAVLENKO
Surtout, si on doit payer le plus cher des défis.
ROLAND LESCURE
Voilà. Donc si vous voulez, tout est dans tout. On a tous besoin de faire un effort.
Mais ce que je dis aujourd'hui aux industriels, c'est que l'Etat français est prêt à faire un peu plus pour accompagner la réindustrialisation de la France. Parce que c'est un enjeu de souveraineté, c'est aussi un enjeu d'emploi, c'est un enjeu de prospérité.
Moi, je crois à l'industrie française, c'est mon Dieu homme, si je n'y crois pas, personne n'y croira. Mais je suis persuadé qu'on peut réindustrialiser la France ; un : en la décarbonant, c’est essentiel et deux, en produisant en France des produits qui sont indispensables à notre souveraineté.
DIMITRI PAVLENKO
Roland LESCURE, EDF vient de publier ses résultats il y a quelques minutes de cela. Alors, je ne vais pas vous interroger sur la perte historique affichée par le groupe : 18 milliards pratiquement en 2022. Non, en revanche, sur ce dont parle ce matin Le Parisien qui nous dit que pour construire les futurs réacteurs EPR, que souhaite Emmanuel MACRON dans cet objectif à la fois de transition énergétique et d'indépendance énergétique, il va falloir à EDF recruter 80 000 personnes. Est-ce que ça fait partie des sujets que vous aurez cet après-midi avec les industriels de la santé ? L'emploi dans l'industrie, on sait que c'est un problème.
ROLAND LESCURE
C’est un de mes trois combats essentiels. Le premier : décarboner l'industrie en créant de l'emploi ; deux : partout dans les territoires. Parce que là où une usine se crée, la colère régresse, le Front national recule. Et trois : en créant les compétences et les talents qui vont nous permettre de répondre aux besoins.
Aujourd'hui, il y a plus de 70 000 emplois ouverts aujourd'hui dans l'industrie. Il va y en avoir des centaines de milliards pour voir dans, vous l'avez dit, sans doute 80 ou 90 000 dans le secteur nucléaire. On a un enjeu de formation, on a un enjeu de transition. On sait bien qu'il y a des industries qui sont aujourd'hui en recul ; d'autres en expansion.
Il faut qu'on arrive à former ceux qui sont aujourd'hui dans les industries en déclin et les amener vers les industries de l'avenir. Oui, le nucléaire, mais aussi la décarbonation, la santé.
Et donc, on a un énorme enjeu de formation. On travaille là-dessus avec Sylvie RETAILLEAU, Pap NDIAYE et Carole GRANDJEAN pour réformer toute la filière d'enseignement professionnel, des techniciens aux ingénieurs, de manière à ce qu'on réindustrialise la France, avec des employés français.
DIMITRI PAVLENKO
Merci Roland LESCURE.
ROLAND LESCURE
Merci à vous.
DIMITRI PAVLENKO
D’être venu ce matin sur Europe 1.
Je rappelle que vous êtes le ministre délégué chargé de l'industrie. On retient cette annonce que vous nous faites de cette réunion à Bercy et des objectifs que vous tracez dans cette conversation importante, que vous allez avoir avec eux. Bonne journée à vous.
ROLAND LESCURE
Merci ; à vous aussi.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 22 février 2023