Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Christophe COMBE, bonjour.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue dans ce mercredi de shabbat, donc vous l’avez compris.
Le Président de la République a défendu la réforme des retraites hier lors d’une visite à Rungis. L’opposition des Français demeure forte néanmoins. Est-ce qu’on peut encore convaincre la population que 64 ans, c’est nécessaire ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Là, je pense qu’on est au milieu du dies. Ce que le Président de la République, a rappelé hier, c’est que notre système de solidarité, il repose sur le travail. Il n’y a pas de solidarité dans notre pays sans travail. La solidarité, elle est financée par le fruit du travail, des cotisations patronales, sociales, salariales et pas nos impôts et c’est important de le rappeler. Et je crois qu’aujourd’hui, le texte, il va arriver au Sénat. Je pense qu’on va pouvoir avoir un débat a priori plus apaisé que celui qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, qui va pouvoir nous permettre de continuer à expliquer, à être clair, à faire de la pédagogie autour de cette réforme difficile mais nécessaire.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, lors de la première lecture, on a vu que le diable était dans les détails, beaucoup de points techniques ont surgi, qui ont soulevé la polémique, notamment à un moment donné, on a soupçonné le Gouvernement de vouloir financer les retraites pour puiser dans la caisse des retraites qui serait bénéficiaire et financer autre chose ; financer par exemple, par exemple l'autonomie, la grande dépendance du grand âge. Est-ce que ça, c'est encore un horizon ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
On a toujours été très clair. Il n’y a pas une cotisation pour les retraites qui ira à autre chose qu'au financement des retraites. Et d'ailleurs, l'objectif de cette réforme c'est à la fois d'équilibrer le système, mais aussi de réinvestir dans des mesures d'équité l'argent qui aurait été gagné. En revanche, ce qui est clair, c'est que tout se tient. Notre système de protection sociale, il doit être équilibré si on veut pouvoir porter de nouvelles réformes. Et moi ce que j'ai dit, c'est qu’évidemment, si on n'arrive pas à équilibrer la branche vieillesse - notre système de retraite - on n'arrivera pas à trouver des financements nécessaires demain pour financer la perte d'autonomie dans notre pays. Et c'est important de le savoir.
CHRISTOPHE BARBIER
Cette perte d'autonomie, vous arrivez à savoir combien ça va nous coûter dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Il y a un consensus. Aujourd'hui, il y a beaucoup d'études qui ont été faites. On estime à entre 7 et 10 milliards d'euros le besoin en financement nécessaire par année d'ici à 2030. Et donc, c'est l'argent qu'il faudrait trouver si on voulait pouvoir répondre aux besoins aujourd'hui exprimés par la majorité des Français.
CHRISTOPHE BARBIER
On a assez peu parlé, pendant cette première lecture de la réforme des retraites, des travailleurs handicapés. Vous avez le Handicap dans votre portefeuille, quelles seront leurs conditions de départ à la retraite ? Est-ce qu'on a droit à des trimestres supplémentaires si on a un handicap ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Ce qui est important de bien comprendre avec cette réforme des retraites, c'est qu'on va demander un effort aux Français de travailler un petit peu plus longtemps. Donc, l'âge va être repoussé de façon progressive d'ici à 2030, mais que considérant que chaque Français n'est pas égal vis-à-vis du travail tout au long de sa carrière, on va prendre des mesures qui vont permettre de compenser ces inégalités pour les personnes vulnérables et en particulier pour les personnes en situation de handicap qui continueront à partir à la retraite à 55 ans, comme c'était le cas précédemment. Il y a d'autres mesures qui vont concerner les aidants donc pour lutter contre les carrières hachées. Vous êtes parents d'enfants en situation de handicap, vous êtes enfant de personnes en perte d'autonomie, vous allez pouvoir accumuler des trimestres qui vont compter dans le calcul de votre retraite.
CHRISTOPHE BARBIER
Tout en arrêtant de travailler, en devenant aidants, on ne perd pas le calcul des retraites.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Exactement. Parfois, vous êtes obligé d'arrêter de travailler pour vous occuper, encore une fois, de votre enfant en situation de handicap ou votre parent en perte d'autonomie ; eh bien, ça, c'est une difficulté, une inégalité face à la vie à laquelle on répond dans cette réforme des retraites et pouvoir cumuler des trimestres qui vont compter pour votre retraite. De la même façon, on ne va pas bouger l'âge de départ à la retraite pour les personnes qui vont être en invalidité ou en inaptitude ; c'est 62 ans, ça restera 62 ans.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a aussi les bénévoles dont on a parlé dans cette première lecture. Vous avez été directeur général de la Croix-Rouge, vous avez eu beaucoup de bénévoles. Est-ce qu'on arrivera à donner des trimestres en cadeau à ceux qui font du bénévolat ou est-ce que c'est trop cher payé ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Ce n'est pas une question de cher payé. Moi, effectivement, j'ai été onze ans directeur général de la Croix-Rouge, je suis quelqu'un d'engagé. Je crois vraiment dans le bénévolat comme une forme d'engagement désintéressé dans la société. La société a besoin de ce bénévolat. D'ailleurs, quand je parle de bien vieillir, je parle beaucoup de l'intérêt d'avoir des retraités dans nos associations. Le bien vieillir c'est aussi la promotion d'une société de l'engagement. Je ne pense pas qu'il faille comparer le bénévolat à du travail. A partir du moment où vous dites « on gagne des trimestres », ça veut dire que, enfin parallèle, entre eux l'engagement bénévole, qui finalement ne serait plus si désintéressé que ça, et le travail. Moi, je crois vraiment qu'il faut promouvoir une vision de l’engagement, encore une fois, qui soit libre, qui soit désintéressé. Il faut travailler évidemment sur la reconnaissance du bénévolat mais pas sur des choses qui correspondent au travail parce qu'on est sur deux engagements qui sont, et deux moments de vie aussi, qui sont complètement différents.
CHRISTOPHE BARBIER
Beaucoup d'opposants à la réforme disent « on a besoin des retraités, en effet, pour les associations, pour être aussi des élus locaux. Et si on fait partir les gens à 64 ans, on perdra un peu de cette force vive. » Est-ce que vous entendez cet argument ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Entre 62 et 64 ans, je pense qu'il n’y a pas beaucoup de différences. Je pense que… voilà. Ce qu'il faut aussi, c'est que les associations, elles puissent adapter à leur capacité à accueillir des bénévoles qui sont actifs. Et je pense que c'est important. Pour moi, je ne pense pas que ce soit un argument vraiment valable. Quand on voit aussi la moyenne d'âge des bénévoles aussi dans notre pays, la moitié ont plus de 60 ans aujourd'hui. Les bénévoles aussi, ils sont très âgés dans nos associations donc on a le temps, je pense, après 64 ans pour donner du temps pour les autres, comme on peut le faire aussi tout au long de la vie. Et puis, on dit que ce qu'il va falloir qu'on travaille avec cette réforme des retraites, c'est quand même la transition entre la vie active et la retraite. Et c'est pour ça qu’il y a des dispositifs qu'on souhaite mettre en place avec cette réforme des retraites : de retraite progressive, de cumul emploi retraite pour permettre aussi à des seniors en entreprise de pouvoir déjà s'engager, à ce moment-là, de bascule dans la retraite.
CHRISTOPHE BARBIER
Dans votre périmètre, on trouve beaucoup de personnels du médico-social qui se plaignent de la pénibilité de leurs tâches. On a l'impression que repousser l'âge de la retraite, ça va aggraver les problèmes de recrutement.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Ça ne va pas aggraver les problèmes de recrutement. En tout cas, c'est un problème qu'il faut qu’on aborde de façon sérieuse. Je dis, moi, je porte le Conseil national de la refondation sur le Bien Vieillir. L'une des priorités, c'est l'attractivité des métiers. On a le plus grand mal, aujourd'hui, à recruter des auxiliaires de vie, des aides-soignants, des infirmières diplômées d'Etat pour s'occuper des personnes âgées, des personnes handicapées ou des personnes ou des enfants. D'ailleurs, dans la petite enfance, c’était la même chose. C'est tout au long de la carrière que ça se travaille. Il faut qu'on offre d'autres conditions de travail à ces professionnels pour leur donner envie de s'engager, qu'on travaille entre l'équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, qu'on travaille sur les organisations, sur la qualité de vie au travail, sur les parcours professionnels. Vous savez, il y a beaucoup d'auxiliaires de vie aujourd'hui qui me disent « moi, ce dont j'ai envie en fin de carrière… évidemment, quand je vais arriver à 62 ou 64 ans, je vais avoir mal au dos. » Voilà, donc on peut travailler sur la prévention des troubles musculosquelettiques, comme on dit, pour faire en sorte que l’âge va casser à la retraite. Mais on peut aussi imaginer une autre forme d'évolution de leur carrière professionnelle. Elles disent « moi, j'ai envie de transmettre, j'ai envie d'apprendre à des jeunes ce que c'est que le métier d'auxiliaire de vie, ce que c'est ces métiers du lien, du soin, ce que c'est de faire du lien avec des personnes âgées ou des personnes en situation de handicap. Et donc, c'est tout au long de la carrière que ça doit se travailler. Il y a des mesures aussi dans la réforme des retraites avec la réforme du compte pénibilité, avec l'investissement qu'on va avoir justement pour travailler sur la pénibilité tout au long de la carrière et prévenir. Voilà, c'est une vraie révolution de la prévention qu'on veut introduire avec cette réforme des retraites. Mais la réalité, c'est qu’il faut faire croire aux Français que c'est la réforme des retraites qui va répondre à tous les problèmes d'inégalités qu’on va accumuler tout au long de sa carrière. Et c'est la responsabilité des organisations professionnelles, des pouvoirs publics aussi d'accompagner ces professionnels tout au long de leur carrière.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que vous êtes prêt à rédiger un grand plan pour la natalité ? Parce que les enfants d'aujourd'hui, c'est les actifs dans 25 ans qui paieront les retraites.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Moi, je suis ministre des Familles et de la petite enfance. Le Président de la République m'a confié à une mission : celle de mettre en place un service public de la petite enfance, justement, pour répondre à cette problématique de la natalité, pour répondre à la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes, pour répondre aussi à notre ambition du plein emploi dans notre pays. Aujourd'hui, il y a 160 000 femmes qui renoncent à un emploi pour pouvoir garder leurs enfants ; tout simplement parce qu'elles n’ont pas de place en crèche ou chez une assistante maternelle. Donc, l'objectif…
CHRISTOPHE BARBIER
Et ce plan sera prêt bientôt ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Il va être très bientôt. On a fini la concertation et je ferai des annonces d'ici à la fin du mois de mars pour lancer la mise en place de service public de la petite enfance ; créer, d'ici à 2030, 200 000 places. Et puis, réfléchir et moderniser un outil qu'on a aussi au service des familles qui est celui du congé parental. On peut dire que le congé parental, il est mal indemnisé, il est long, il n’a pas beaucoup de sens. Majoritairement, c'est les femmes qui prennent ce congé parental : c’est 400 euros par mois. C'est vraiment très mal indemnisé. L’idée, c'est de le raccourcir, de mieux l'indemniser pour permettre aux mamans ou aux papas de pouvoir le prendre.
CHRISTOPHE BARBIER
Plus intense et mieux rémunéré.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Voilà et l'objectif de tout ça, c'est de rapprocher le taux de fécondité qui, aujourd'hui, dans notre pays est de 1,8 point par femme, à peu près.
CHRISTOPHE BARBIER
Et c'est 2,1 le renouvellement.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Le renouvellement c'est 2,1 ; mais le désir d'enfant, il est à 2,4.
Et donc ça veut dire qu'il y a autant de vies qui sont contrariées, autant de projets familiaux qui sont contrariés parce que notre pays aujourd'hui ne permet pas l'accueil, l'accompagnement, l'éducation du jeune enfant comme ces familles le souhaiteraient.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, il y a la petite enfance, il y a la fin de vie. La Convention citoyenne sur la fin de vie a tranché : 84% de ses membres souhaitent que l'on réforme la fin de vie ; 75% que l'on crée une aide active à mourir. Quelle est votre position ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Ma position, je pense, importe peu. On est encore dans un moment de débat. D'ailleurs, on attend avec impatience les conclusions plus précises, plus fines aussi, de la Convention citoyenne. Je pense là, tout le monde a été interpellé aussi par la clarté, on va dire, du vote et l'appel à faire évoluer la loi. C'est le Président de la République qui décidera de la façon dont on s'emparera de ce sujet. Moi, je dis une chose assez simple : c'est que, eh bien, il y a la question de la liberté de choix face à la mort. Et on voit bien qu'aujourd'hui, une majorité manifestement de citoyens de cette convention souhaite qu'on évolue sur ce point. Moi, je suis ministre des Solidarités. Je suis ministre de toutes les vulnérabilités. Mon rôle, c'est de protéger les personnes vulnérables. Il faut trouver l'équilibre entre cette liberté de choix et la protection des personnes vulnérables. Ce que je dis depuis le début, c'est que cette liberté de choix, elle ne doit pas, comment dirais-je, donner aux gens qui, aujourd'hui, considéreraient que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue parce qu’on est en situation de handicap, parce qu’on n’est pas assez autonome, parce qu’on est pauvre, eh bien, de disparaître, parce qu’on aurait cet outil-là à notre disposition.
CHRISTOPHE BARBIER
Une majorité de la Convention est aussi favorable à un suicide assisté pour les mineurs malades incurables. Ça va très loin.
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Alors, je n'avais pas vu que… Moi, ce qui m’avait interpellé c'était plutôt qu'il y avait 56%, effectivement, des membres de la Convention qui avait voté en faveur du suicide assisté, justement, sans la condition en fait de cette mort imminente. Et c'est vrai que ça m'a plutôt interpellé. On avait tous été choqués il y a quelques mois de ce suicide assisté, en Belgique, des jeunes dépressifs. Voilà, ça ce sont des éléments qui, pour moi, m'interrogent et qu’il faudra regarder finement, qu'il faudra analyser.
CHRISTOPHE BARBIER
En terminant pas un référendum ?
JEAN-CHRISTOPHE COMBE
Je ne sais pas. Ça sera au Président de la République de le décider. Il faudrait que le Parlement s'empare aussi de cette question et on verra comment on le conclura.
CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Christophe COMBE, merci et bonne journée.
CHRISTOPHE BARBIER
Merci.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 23 février 2023