Interview de M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France Culture le 22 février 2023, sur le niveau des élèves, les rémunérations et conditions de travail des enseignants, la laïcité et la réforme du lycée professionnel.

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Texte intégral

QUENTIN LAFAY
Invité des « Matins de France Culture », aujourd’hui, le ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse Pap NDIAYE. Bonjour Monsieur le Ministre.

PAP NDIAYE
Bonjour.

QUENTIN LAFAY
Beaucoup de sujets à aborder avec vous ce matin : le niveau des élèves, les rémunérations, les conditions de travail des enseignants et des personnels, la mixité sociale, la laïcité, la réforme du lycée professionnel. Nous y viendrons, mais avant cela, cela fait 9 mois et 2 jours que vous êtes membre du gouvernement d’Elisabeth BORNE, 9 mois que vous faites de la politique, une première pour vous, qui avez mené avant cela une carrière dans l’enseignement et la recherche, dans certaines institutions culturelles également. Alors, une question : est-ce que les qualités, les vertus pour être un enseignant chercheur reconnu, ont quelque chose à voir avec celles qu'il faudrait pour être un bon ministre de l'Education nationale, Pap NDIAYE ?

PAP NDIAYE
Un ministre de l'Education nationale, le ministre que je suis en tout cas, est et restera toujours un professeur. Ça facilite les choses. Beaucoup de professeurs dans l'enseignement secondaire me considèrent comme leur ministre, mais également comme un collègue. Le fait d'être chercheur, c'est également je pense un atout, cela permet au fond de poser un certain nombre de questions, de dossiers, avec l'appui des travaux de recherche, bien sûr, de prendre le temps peut-être aussi de se méfier du temps politique très accéléré, des effets d'annonce, pour travailler au fond les dossiers et pour avancer au service bien entendu de l'Education nationale.

QUENTIN LAFAY
En quoi est-ce que ça aide, Pap NDIAYE, d'avoir été enseignant ? Est-ce qu'au fond vous partagez certains sentiments qu'ils éprouvent aujourd'hui, lorsque cette communauté enseignante aujourd'hui traverse un malaise et un mal-être ?

PAP NDIAYE
C'est le fait de comprendre un certain nombre de questions, sans devoir les regarder de l'extérieur en quelque sorte, c'est de les comprendre parfois même intuitivement, c'est le fait de d'être très à l'aise comme je le suis dans les écoles et lest très nombreux établissements scolaires que je visite, parce que je suis aussi un ministre de terrain. Donc c'est d'abord une manière de de de comprendre les choses, d'être en proximité aussi avec les personnels de l'Education nationale, c'est la moitié de la Fonction publique, c'est évidemment très important, et puis bien sûr c'est aussi le fait d'avancer sur des questions comme celle de la mixité, comme celle du niveau scolaire, du bien-être des élèves, et d'une manière générale de la réforme du système éducatif.

QUENTIN LAFAY
On vous reproche parfois Pap NDIAYE, d'être placé au centre d'un jeu d'ombres et de peiner à trouver la lumière, ombre de votre prédécesseur Jean-Michel BLANQUER, qui avait une politique et une vision qui semblaient nettes. L'ombre aussi du président de la République qui exprime des points de vue affirmés sur la réforme de l'école. Alors, quelle est votre vision, Pap NDIAYE, comment comptez-vous arrêter, inverser notamment la baisse du niveau des élèves dans certains domaines, je pense notamment aux mathématiques et à l'orthographe ?

PAP NDIAYE
La question en effet du niveau scolaire, c'est une question tout à fait centrale, il faut admettre que le niveau scolaire a glissé dans des disciplines aussi fondamentales que le français et les mathématiques, c'est pourquoi d'ailleurs j'ai décidé très rapidement d'introduire les mathématiques en classe de 1ère, dans le tronc commun, de changer également la 6e en créant une heure de consolidation et d'approfondissement en 6e, en français et en mathématiques, qui sera assurée par des professeurs des écoles, un plan mathématiques qui prolonge ce qui a été fait dans le primaire, dans le secondaire, avec notamment des clubs de mathématiques, des modules de consolidation en Seconde, bref on fait des mathématiques une discipline absolument centrale. Il faut remonter la pente, il n'y a aucun doute sur le sujet. Et puis du côté du français, c’est également très important, dans ce fameux cycle 3, vous savez, le Cm1, Cm2, 6e, que l'on saisit à bras-le-corps, avec en particulier une assistance mise sur l'écriture. Les enfants, les élèves n'écrivent plus suffisamment en cours moyen, et donc on a pu parler du retour de la dictée, mais la dictée n'est qu'une modalité de l'écriture, il y a bien des manières d'écrire, des rédactions, des Cahiers d'écrivain, toutes sortes de choses. Il faut à nouveau pouvoir écrire pour maîtriser la langue française, pour pouvoir s'exprimer correctement et donc développer ses idées.

QUENTIN LAFAY
Ecrire, écrire à nouveau, et vous avez dit à plusieurs reprises être ou vouloir être le ministre de l'écriture. Qu'est-ce que ça signifie ?

PAP NDIAYE
Ça signifie justement le fait de placer la question de l'écriture au centre de la pratique scolaire, en particulier dans les cours de français. Evidemment, la lecture est autre chose, compte, mais l'écriture j'insiste particulièrement sur ce point, parce que c'est une forme d'émancipation finalement que l'écriture, si on ne la résume pas bien sûr à la dictée, qui est par ailleurs nécessaire. Et donc j'insiste beaucoup sur le fait d'écrire pour nos élèves, et nous allons déployer une série de choses, il y a aussi des concours, il y a des écrivains qui vont participer à cet effort pour aussi bien connecter l'écriture aux œuvres de fiction, à tout ce qui fait que l'écriture ouvre vers des espaces imaginaires.

QUENTIN LAFAY
On entend ce que vous avez mis en oeuvre Pap NDIAYE dans le domaine des mathématiques, dans le domaine aussi du français. Est-ce que c'est suffisant pour faire face aux enjeux ? Dans une tribune du Monde daté du 22 décembre 2022, vous expliquez que les constats sont durs, très durs, vous parlez de défiance généralisée, des lacunes préoccupantes des élèves, de la crise du recrutement plus aiguë chaque année, et j'en passe. Qu'est-ce que vous avez lancé face à ce constat sans doute lucide mais triste, pour enrayer les choses ?

PAP NDIAYE
Alors, il y a donc la question du niveau dont je viens de parler à l’instant, particulièrement en français et en mathématiques. Ça c'est tout à fait essentiel. Et puis il y a la question de la réforme du système scolaire, avec en particulier cette question dont on va peut-être reparler du recrutement et de la crise de recrutement des professeurs. Si l'on veut un système qui fonctionne, il faut des professeurs en nombre suffisant, ce qui n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui. Donc on a un enjeu, qui est un enjeu immédiat, qui est celui du recrutement des enseignants, d'où les augmentations de rémunération que nous prévoyons à la rentrée 2023. Mais plus largement au fond, la question historique qui se pose à nous, c'est celle du passage d'un système qui a été pensé pour la massification, au XXe siècle, avec l'entrée des classes populaires dans le collège, puis au lycée. Il y a quelques décennies, une minorité de Françaises et de Français accédait au baccalauréat, aujourd'hui c'est 80 %. Donc la question de la massification elle est aujourd'hui résolue, en quelque sorte, et désormais l'enjeu qui se pose à nous c'est celui de la démocratisation, parce que l'école a du mal à effacer les inégalités de naissance, en tout cas à les compenser, et donc en dépit de la massification, l'école reste très inégale, elle ne favorise pas les itinéraires ascendants pour celles et ceux qui sont nés dans des mondes défavorisés, et donc ça c'est le grand enjeu, y compris d'ailleurs en ce qui concerne le niveau scolaire, car les plus grandes difficultés en français et en mathématiques par exemple se concentrent évidemment du côté de celles et ceux qui n'ont pas les bonnes conditions pour travailler et sont issus des mondes les plus fragiles, à tous égards.

QUENTIN LAFAY
On va parler, Pap NDIAYE, de mixité sociale, on y reviendra, mais je voudrais parler à nouveau du niveau des élèves, des lacunes préoccupantes des élèves, selon vos termes. Au fond, tout ce que vous avez mis en oeuvre, tout ce que vous êtes en train de déplier semaine après semaine, mois après mois, est-ce que c'est suffisant, face au constat que vous dressez vous-même ?

PAP NDIAYE
Je pense qu’il faut éviter l'idée d'un grand soir, l'idée et d'un grand mouvement révolutionnaire, qui du jour au lendemain, viendrait tout transformer. Il faut emmener tout le monde, c'est un gros bateau l'Education nationale, et on peut avancer et de façon tout à fait significative, avec un certain nombre de mesures, avec un certain nombre d'annonces, par exemple pour ce qui concerne la 6e, et cela produit des effets. On pourra parler par exemple en matière de mixité, de l'implantation de certaines sections comme des sections internationales dans des collèges défavorisés, eh bien cela peut paraître anodin, mais d'une année sur l'autre on voit la différence, lorsqu’une telle section est implantée. Et donc moi je suis réformiste d'abord, d'un point de vue politique, et puis surtout je pense que l'on peut avancer, transformer les choses en quelques années, poursuivre d'ailleurs ce qui a été fait par exemple en matière de dédoublement des grandes sections de CP et de CE1, de plan de français ou de mathématiques…

QUENTIN LAFAY
Dans les zones REP et REP+.

PAP NDIAYE
Dans les zones REP et REP+, donc avancer sur ce chemin, et puis surtout, comment dirais-je, mettre en route si vous voulez une logique de changement réformiste, qui emmène chacun et en particulier les professeurs, avec dans cette logique réformiste, je pense que c'est la bonne démarche, l'école est également, les personnels sont également fatigués par la crise sanitaire, il y a eu aussi des réformes importantes ces dernières années, et donc je ne suis pas du tout partisan d'une approche qui viendrait bouleverser les choses, il faut tenir compte si je puis dire de l'état de fraîcheur des troupes, et donc prendre son temps pour convaincre, pour expliquer et réformer à un rythme qui soit un rythme consistant, mais qui ne soit pas celui du chaos et de la précipitation.

QUENTIN LAFAY
Les personnels, justement Pap NDIAYE, vous en parlez, vous travaillez depuis plusieurs semaines à une revalorisation des enseignants, cette revalorisation est soumise à concertation jusqu'à la mi-mars, elle serait composée pour la rentrée 2023, de deux segments, l'un sans contrepartie, dit socle, et l'autre pour les enseignants volontaires prêts à accepter de nouvelles missions dites pactes. Alors, commençons par le socle. Toutes les études montrent que les enseignants français sont moins bien payés que les enseignants à l'étranger, notamment les enseignants de l'OCDE, moins bien payés aussi que leurs prédécesseurs, comparé aux enseignants des années 80, moins bien payés que les personnels du privé à niveau de diplôme égal. Qu'est-ce que vous leur proposez aujourd'hui, qu'est-ce que vous proposez aux enseignants pour atteindre des niveaux de rémunération satisfaisants ?

PAP NDIAYE
Il est vrai que la rémunération des enseignants a glissé, relativement parlant, depuis plusieurs décennies. On est aujourd'hui en entrée dans le métier à 1,4 ou 1,5 smic, quand on était à plus de 2 smic il y a une trentaine d'années.

QUENTIN LAFAY
2,3 smic dans les années 80, et 1,2 aujourd'hui.

PAP NDIAYE
C'est incontestable. Donc il y a un mouvement, cela ne pourra pas d'ailleurs se rattraper en une seule fois, à partir du mois de septembre, mais nous engageons une revalorisation tout fait significative, qui est appuyée par une hausse du budget du ministère de l'Education nationale, + 6,5 %, c’est + 3,7 milliards, qui est consacré à cela, en réalité, puisque le budget de l'Education nationale c'est de la masse salariale. Et donc quand le budget augmente, ça signifie que l'on peut mieux rémunérer les enseignants de l'Education nationale ; Donc cette rémunération, cette hausse de rémunération socle, elle va en effet concerner tous les personnels, d'ailleurs y compris les personnels administratifs, de Direction, de Santé, et singulièrement les enseignants d'un bout à l'autre de la carrière. On se centrait jusqu'à présent sur les premières moitiés de carrières, mais on envisage d'aller jusqu'au bout de la carrière, pour que tous les enseignants voient une amélioration significative de leurs revenus à partir de la rentrée.

QUENTIN LAFAY
Soyons précis, Pap NDIAYE, quand vous parlez de hausse des rémunérations, c'est une hausse du salaire ou c'est une hausse des primes et des indemnités ?

PAP NDIAYE
Les deux, puisqu’il y aura à la fois une hausse par les primes, et aussi une hausse par l'indice, donc une hausse par la grille salariale, en particulier pour les enseignants en fin de carrière, l'entrée dans la hors classe qui compte d'ailleurs compris pour les pensions de retraite, eh bien elle se fera de manière indiciaire.

QUENTIN LAFAY
L'autre partie, l'autre segment de cette hausse des rémunérations vous l'avez intitulée pacte, pacte entre la communauté enseignante et le ministère, j'imagine. Vous proposez aux enseignants d'être mieux payés en travaillant plus. Quelles tâches devront-ils effectuer justement pour être mieux rémunérés ?

PAP NDIAYE
Alors, il y a des tâches qui sont des tâches de base, si je puis dire, qui seront absolument centrales dans le primaire et dans le secondaire. Dans le secondaire il s'agira essentiellement de remplacements de courte durée. Vous savez qu’aujourd'hui on perd jusqu'à est 15 millions d'heures annuelles, en remplacements de courte durée qui ne sont pas effectués, et donc les enseignants qui s'engageront dans cette démarche, eh bien effectueront des remplacements de courte durée, dans leur discipline bien entendu, il ne s'agit pas de pratiquer une discipline qui ne soit pas la sienne. Ça c'est du côté du secondaire. Du côté du primaire, eh bien les enseignants qui signeront le pacte, assureront 7 heures de consolidation ou de soutien en français et mathématiques, en collèges. Vous savez que cela se fait déjà ici et là, par exemple dans l'académie d’Amiens, des professeurs des écoles viennent au collège pour enseigner auprès des jeunes de 6e, parfois les élèves qu'ils ou qu'elles ont eu l'année précédente, et c'est une forme d’agrafage entre le primaire et le secondaire, qui donne de bons résultats, en particulier pour les élèves qui ont des fragilités, l'entrée dans la 6e est souvent une entrée difficile, c'est une classe charnière qui n'est pas facile à négocier. Donc ça c'est une tâche qui sera proposée aux enseignants du primaire. Et puis s'ajouteront à cela, selon les caractéristiques de l'établissement, selon aussi le projet pédagogique, par exemple celui qui aura été initié dans le cadre d'un CNR Education, un ensemble…

QUENTIN LAFAY
Conseil National de la Refondation.

PAP NDIAYE
Tout à fait, un ensemble de taches spécifiques qui viendront compléter le pacte, de manière à s'adapter souplement aux exigences locales, aux réalités locales.

QUENTIN LAFAY
Est-ce qu'on peut demander, Pap NDIAYE, à des personnels, à des ont des enseignants qui travaillent déjà beaucoup, ce sont les études même du ministère de l'Education nationale qui le montrent, qui le démontrent, de travailler plus quand ils travaillent déjà 40 heures, 50 heures par semaine ces enseignants ?

PAP NDIAYE
Alors, en partie, pour partie, les tâches que nous nous demandons, et y compris à l'échelle locale, en s'adaptant souplement, sont des tâches que les enseignants peuvent déjà réaliser. Et puis en effet, il y aura des tâches nouvelles, comme la question des remplacements de courte durée, tout cela sera proposé de manière facultative aux enseignants, il y aura la possibilité aussi pour les enseignants de prendre un demi-pacte pour celles et ceux qui ne veulent pas s'engager complètement, voire un peu plus qu'un pacte le cas échéant, avec de toute façon un objectif tout à fait central, c'est améliorer le service public d'éducation. Les familles verront, lorsqu'il n'y aura plus de trous dans les emplois du temps, eh bien elles verront la différence. A partir de la rentrée, un certain nombre de choses s'amélioreront, parce que nous souhaitons effectivement que des difficultés bien identifiées de l’Education nationale, puissent être en partie résolues, grâce à l'adoption de ce pacte.

QUENTIN LAFAY
Est-ce que c'est compliqué, est-ce que c'est difficile Pap NDIAYE d'augmenter la rémunération des enseignants aujourd'hui, simplement parce que l'opinion publique, qui est parfois réticente, parce que le professeur bashing est fort dans ce pays, au-delà même des milieux conservateurs, et parce que sans doute quelques clichés perdurent à propos de de la réalité, du quotidien du travail, et des conditions de travail des enseignants ?

PAP NDIAYE
Vous savez, je crois que la crise sanitaire a montré que s'occuper d'enfants, y compris de ses propres enfants, quand ils sont confinés…

QUENTIN LAFAY
C'était compliqué.

PAP NDIAYE
… c'est un travail compliqué, donc les gens ont pu parfois réviser leurs points de vue quant à la difficulté de la tâche du métier d'enseignant. Lorsqu'on les interroge dans les sondages, les parents d'élèves en particulier, répondent qu'ils sont très attachés à leur enseignant, qu'ils ont de l'estime pour le travail qui est réalisé. Donc je ne parlerai pas de professeur bashing à l'échelle du pays. Ce dont nous avons besoin en revanche, me semble-t-il, c'est de retrouver une forme de centralité, de la place du professeur dans la société française. Les professeurs n'ont jamais été extraordinairement bien payés, il faut le reconnaître, en particulier les instituteurs, il y a un siècle, qui étaient très mal payés, mais ils avaient une centralité sociale, une forme de, une importance symbolique dans la société qui s'est un peu effritée aujourd'hui, on le voit par de multiples témoignages de professeurs qui peuvent dire à quel point ils ne sont pas toujours bien considérés, lors de telle ou telle interaction par exemple, y compris avec les familles à tel ou tel moment. Donc nous avons besoin aussi je pense, et je suis très attaché à cela, de restaurer en quelque sorte, en tout cas de faire du professeur une figure, une référence centrale dans la société, lorsque l'on parle de revaloriser la fonction, le métier de professeur, il y a bien sûr une revalorisation financière et elle sera assurée à partir de la rentrée, mais nous avons aussi besoin d'une revalorisation symbolique. Et puis nous avons aussi besoin bien sûr de travailler sur d'autres choses, sur les carrières, sur les mutations, pour rendre à nouveau ce métier attirant, parce que nous avons besoin dans les années à venir de recruter des dizaines de milliers de professeurs.

QUENTIN LAFAY
Merci beaucoup Pap NDIAYE, je rappelle que vous êtes ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse. On va poursuivre cette discussion à 08h20, et on évoquera de nombreux sujets parmi lesquels le remplacement des enseignants, la mixité sociale.

QUENTIN LAFAY
Suite de notre discussion avec le ministre de l'Education et de la Jeunesse Pap NDIAYE. On a évoqué Monsieur le Ministre, durant le journal de 08h00, les classes qui fermaient du fait du manque d'enseignants, est-ce qu'aujourd'hui la baisse de la démographie ne serait pas l'occasion au contraire de permettre à ces classes d'être mieux dotées en professeurs, comparé au nombre d'élèves ?

PAP NDIAYE
Non, il y a deux choses, d'une part effectivement la baisse des effectifs scolaires, c'est ce qui justifie la fermeture de classes. Par ailleurs nous en ouvrons là où c'est nécessaire, parallèlement. Et deuxièmement, le fait qu’en effet nous avons du mal à recruter des professeurs, j'en ai parlé, c'est pour cela que nous engageons un plan pour mieux les revaloriser à partir de la rentrée. Donc la situation actuelle, c'est celle, c'est la suivante, c'est une baisse du nombre d'élèves par classe, ça va se prolonger l'année prochaine, dans des proportions qui sont des proportions variables selon les territoires. Mais j'insiste sur le fait que le nombre d'élèves par classe va baisser.

QUENTIN LAFAY
Oui, mais quand on regarde cependant les comparaisons internationales, la taille moyenne des classes françaises est plus élevée, 22,1 élève par classe en primaire du supérieur, lorsque que la moyenne de l'Union européenne c'est 19,3. Pourquoi est-ce qu'on ne profite pas justement de cette baisse démographique que vous évoquez, pour combler ces manques ?

PAP NDIAYE
Alors, on est à 21,7, et ça va baisser un peu l'année prochaine dans le primaire. Le choix que nous faisons, c'est d'abord de mettre l'accent sur la revalorisation des professeurs, parce que dans un certain nombre de disciplines du secondaire, et puis dans un certain nombre de régions académiques, pour le primaire, les postes que nous créons ne sont pas tous pourvus, et donc je pourrais…

QUENTIN LAFAY
Et donc, c'est une alternative – pardonnez-moi je vous coupe – c'est toujours une alternative, choisir entre revalorisation des enseignants d'un côté ou nombre de postes de l'autre ?

PAP NDIAYE
Non, ce n'est pas une alternative, puisque le budget de l'Education nationale augmente, et donc ça ne se joue pas à budget constant. Mais je vous fais remarquer que dans l'Académie de Créteil par exemple, plusieurs centaines de postes de professeurs des écoles n'étaient pas pourvus l'année dernière, et donc nous pourrions augmenter le nombre de postes dans l'Académie de Créteil, que cela n'augmenterait pas mécaniquement le nombre de professeurs des écoles. Et donc la priorité dans l'immédiat, c'est bien de faire que des postes, tous les postes soient pourvus, tous les postes mis aux concours, que ce soit pas les professeurs des écoles dans l'Académie de Créteil par exemple ou que ce soit les professeurs d'allemand, les professeurs de lettres ou les professeurs de mathématiques, dans le secondaire. Mais je le répète, la moyenne des effectifs par classe va baisser légèrement l'année prochaine, en dépit de la restriction et les retouches que nous faisons sur la carte scolaire. Si nous devions, d'un point de vue arithmétique, adapter les effectifs d'enseignants aux effectifs scolaires, eh bien la baisse des effectifs d'enseignants serait 4 fois supérieure.

QUENTIN LAFAY
Alors, on va parler de mixité sociale maintenant, qui est l'une, selon vous, de vos marques de fabrique. J'annoncerai dans quelques semaines un éventail d'actions visant à favoriser la mixité ». Sans faire ce matin les annonces à France Culture, sauf si vous le souhaitez bien évidemment, sur quoi est-ce que vous travaillez ?

PAP NDIAYE
Alors, la première chose à considérer, c'est que la France est le pays, un des pays de l'OCDE où la ségrégation scolaire est la plus forte, c'est-à-dire que les enfants défavorisés sont concentrés dans des établissements bien spécifiques. Or on sait, toutes les études convergent de ce point de vue-là, que favoriser la mixité, lutter contre la ségrégation, s'est améliorer les résultats du système dans son ensemble, et en particulier les résultats scolaires des enfants les plus défavorisés. Ça c'est vraiment prouvé à l'échelle internationale. Donc on a intérêt à favoriser la mixité, et beaucoup d'initiatives ont été prises ces dernières années, c'est le cas à Paris par exemple pour les lycées, c'est le cas à Toulouse pour les collèges, dans d'autres endroits ailleurs, qui ont donné de bons résultats. Donc ce que nous allons proposer dans quelques semaines, c'est un éventail de cartes, c'est un certain nombre de leviers sur lesquels, en partenariat avec les collectivités qui jouent un rôle essentiel en la matière, les rectorats pourront agir pour favoriser la mixité scolaire. Il y a plusieurs manières d'agir, on n’agit pas en Seine-Saint-Denis, de la même manière que dans le centre de telle ou telle ville du Nord de la France.

QUENTIN LAFAY
Donc, concrètement, comment est-ce qu'on peut agir ?

PAP NDIAYE
Alors, on peut agir par exemple par la sectorisation, bien sûr, ça, se fait et ça s'est fait notamment à Paris pour les lycées. On peut agir en créant des sections d'excellence dans les territoires, je dirais homogènes, par le bas, qui permettent de conserver une population scolaire qui sinon s'en irait, par exemple des sections internationales. J'ai décidé de ce point de vue que toutes les sections internationales seraient créées dans des collèges et des lycées défavorisés. On peut agir également en procédant à des binômes de collèges, des collèges qui sont à la fois proches géographiquement, mais qui sont très contrastés socialement, c'est le cas par exemple à Paris. Eh bien on opère en rapprochant les populations scolaires des deux établissements concernés. On a pu identifier environ 200 binômes en France, qui pourraient faire l'objet d'un tel rapprochement. Ça a été fait dans le 18e arrondissement, avec de très bons résultats. On peut également opérer en incluant l'enseignement privé sous contrat, de manière à ce que cet enseignement lui aussi participe de cet effort de mixité sociale et scolaire.

QUENTIN LAFAY
C'est ce que vous avez dit dans cette tribune qui a paru dans le Monde : « L'enseignement privé sous contrat devra apporter sa contribution à cet effort ». Alors concrètement, comment est-ce que vous voulez les inclure dans cette ambition de mixité sociale ?

PAP NDIAYE
Alors, nous sommes en échange avec l'enseignement privé sous contrat, pour parvenir je l'espère à un protocole d'accord, par lequel eh bien les établissements privés sous contrat, que l'Etat finance à 75 %, eh bien s'engagera dans une démarche qui augmentera la proportion de boursiers dans les établissements concernés. Cette proportion est inférieure actuellement à 10 %, elle est trop faible au regard bien sûr de la composition sociale de nos effectifs scolaires. Et donc ce enseignement sous contrat aura lui aussi à participer à cet effort, et nous le faisons aussi en concertation avec les collectivités.

QUENTIN LAFAY
Lorsque l'Etat finance à 75 % ces établissements, cela reste compliqué, difficile de les embarquer dans cet objectif ?

PAP NDIAYE
Je pense qu'il y a deux écueils à éviter : ne rien demandé et laisser faire, c'est un peu la situation actuelle, l'autre écueil ce serait que cet enseignement passe sous les fourches caudines du public, ce n'est pas du tout mon intention, je n'ai pas du tout l'intention de réveiller la guerre scolaire. Ce qu'il faut, c'est trouver un accord et j'observe que la publication des IPS, vous savez, les Indices de Positionnement Sociaux, qui donnent une idée du positionnement socio-économique des établissements, a été un révélateur, et a montré que la situation actuelle ce n'est pas convenable, à la fois à l'intérieur du public parce qu'on a des écarts très très importants, mais aussi entre des établissements privés sous contrat et puis le public.

QUENTIN LAFAY
« Nous allons réviser la carte de l'Enseignement prioritaire en 2023 », ce sont vos mots Pap NDIAYE. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Est-ce que cela veut dire aussi que certains établissements aujourd'hui, intégrés dans des Réseaux d'éducation prioritaire, vont devoir en sortir ?

PAP NDIAYE
Alors, nous le faisons avec le ministère de la Ville et du Logement, en concertation avec les quartiers prioritaires de la Ville, et c'est un travail très très long qui n'aboutira pas avant 2024. Mais en effet, les dernières modifications de la carte de l'éducation prioritaire, remontent à 2015, et elles étaient elles-mêmes fondées sur des statistiques de 2011, or la société a beaucoup bougé depuis 10 ans, en particulier dans les grands centres urbains, et donc il y a à la fois des établissements qui devront ou qui pourront entrer dans l'éducation prioritaire, et puis d'autres qui pourront en sortir. Alors, on compte environ 1 000 établissements d'éducation prioritaire, dont une partie, c'est le REP+, ce sont les établissements les plus défavorisés. Ces établissements ils ne bougent pas vraiment en réalité, d'une année sur l'autre on a des phénomènes relativement enkystés, d’un point de vue social…

QUENTIN LAFAY
REP, je le redis, c'est le Réseau d'Education Prioritaire, dans lesquels sont intégrés des collèges et l'ensemble des écoles primaires auxquelles ces collèges sont liés.

PAP NDIAYE
Exactement. Donc on a du REP et du REP+. Du côté du REP, qui est un peu plus favorisé que le REP+, c'est là qu'on a les mouvements, avec des mouvements de gentrification par exemple, dans des quartiers où l'inclusion en REP est moins légitime qu'il y a quelques années. Donc il va falloir retoucher tout cela, on va prendre notre temps bien entendu, et puis c'est aussi l'occasion de réviser un certain nombre de critères sur lesquels l'Education Prioritaire se fonde. C'est un travail qui est un travail de longue haleine, c'est un travail de dentelle, également, qui doit aussi se mener en partenariat avec les collectivités, et auquel nous nous attelons, mais nous ne prévoyons pas d'atterrir si je puis dire avant la rentrée 2024.

QUENTIN LAFAY
Je souhaite aussi évoquer avec vous ce matin Pap NDIAYE la réforme du lycée professionnel qu'on oublie trop souvent, alors qu'elle concerne des centaines de milliers d'élèves. Quelles sont vos ambitions en matière de de réforme de ce lycée professionnel aujourd'hui ?

PAP NDIAYE
Alors effectivement, les lycées professionnels concernent un tiers des lycéens, environ 600 000 lycéens, qui ont d'ailleurs des caractéristiques socio-économiques bien spécifiques, qui les distinguent des lycéens des sections générales et technologiques. Nous devons nous assurer que d'une part ces lycéens aient des perspectives professionnelles qui soient valorisantes et bien claires. Or, dans la carte des formations des lycées professionnels, il y a des filières qui mènent à l'emploi et qui sont d'ailleurs extrêmement demandées, y compris par les employeurs, et des filières qui ne correspondent plus aux besoins de l'économie pour des raisons diverses et variées. Et donc il faut pouvoir réviser cette carte des formations, pour assurer des formations qui soient des formations qui mènent à l'emploi. Aujourd'hui, le taux de chômage qui est important chez les bacheliers professionnels, après l'obtention du baccalauréat, cela n'est pas une situation acceptable. Et puis nous devons aussi travailler de manière, à la fois à assurer les savoirs fondamentaux, il est absolument essentiel que les savoirs fondamentaux dans les lycées professionnels soient bien assurés, et j'insiste beaucoup sur ce point, on a besoin de jeunes gens qui maîtrisent, qui aient une culture en histoire, qui maîtrisent le français et les mathématiques, qui maîtrisent aussi des langues étrangères, et puis aussi sans doute travailler sur une liaison plus efficace entre les lycées et puis les entreprises où les lycéens font leur stage. Donc tout cela fait l'objet d'un travail, qui est en cours actuellement, sous l'égide de la ministre de l'Enseignement professionnel et des lycées professionnels, Carole GRANDJEAN, de manière à pouvoir aboutir au cours de l'année 2023 et en 2024.

QUENTIN LAFAY
Autre sujet au coeur de notre école cependant, la question du harcèlement scolaire. Le 7 janvier dernier, Lucas 13 ans, élève de 4e au collège Louis Armand de Golbey, a mis fin à ses jours en raison de harcèlement scolaire homophobe, c'est un sujet qui vous a ému, et je voudrais vous faire entendre un son que vous connaissez.

MELANIE VOGEL, SENATRICE ECOLOGISTE
Il avait seulement 13 ans et toute une vie devant lui. Pourtant le 7 janvier dernier, Lucas s’est donné la mort. Pourquoi en 2023 en France, un gamin homosexuel en arrive-t-il à se suicider ? Parce que, croyez-moi je sais trop bien de quoi je parle, il arrive qu'à n’envisager qu'une vie de moqueries, de rejet, d'exclusion et de haine, on n’arrive plus à envisager de vie du tout. C'est donc avec beaucoup d'émotion et aussi avec beaucoup de gravité, que je voudrais m'adresser aujourd'hui à toutes celles et ceux, y compris au gouvernement, dont les propos ont nourri et nourrissent ces violences. A toutes celles et ceux qui ont marché avec la Manif pour tous, qui ont raconté que nos familles étaient contre-nature, que nos droits étaient d'égoïstes caprices, que respecter les mineurs trans c'était de l'idéologie, qu'apprendre aux élèves le respect de la diversité c'était de la propagande, que moi j'étais un problème quand je publie des photos avec ma compagne, précisément pour donner à voir à des adolescents comme Lucas, un avenir où ils peuvent avoir une place et pourquoi pas un jour être élu de la République.

QUENTIN LAFAY
La sénatrice écologiste Mélanie VOGEL lors des questions d'actualité au Sénat le 7 janvier dernier. On se souvient aussi de votre réaction à cette question Pap NDIAYE, qui vous avez beaucoup ému, une nouvelle réaction ce matin justement sur la question du harcèlement à l'école.

PAP NDIAYE
Si ce n'est une réaction à la fois, effectivement mon émotion était grande, comment ne pas être ému lorsqu’un enfant se donne la mort. Mais c'est aussi une résolution et un engagement, faire de telle sorte que toutes les formes de harcèlement reculent dans notre pays, on a systématisé un dispositif avec des élèves ambassadeur, avec des adultes référents à partir de la rentrée, il faut accélérer là-dessus et s'assurer que ça fonctionne bien sûr.

QUENTIN LAFAY
C'est quoi pardonnez-moi des élèves ambassadeurs ?

PAP NDIAYE
Alors ce sont des élèves qui sont chargés de repérer celles et ceux parmi leurs camarades qui sont victimes de harcèlement, qui s'isolent, dont le comportement change, le comportement alimentaire. Et ce sont souvent les élèves qui sont les mieux à même de comprendre ces situations de harcèlement, vers qui on peut se tourner pour se confier. Il faut donc rompre cette première phase qui est la phase de l'isolement des élèves victimes de harcèlement. Et puis ensuite il y a des adultes référents qui peuvent s'emparer en quelque sorte de la situation et puis avancer là-dessus. Donc on a systématisé cela dans les écoles et dans les collèges, il va falloir avancer et accélérer bien entendu là-dessus, ça il n’y a aucun doute et puis on met particulièrement l'accent sur les formes de harcèlement dont les élèves LGBT sont victimes, c'était le cas en l'occurrence du jeune Lucas. Et donc j'ai créé des observatoires dans chaque académie, des observatoires des formes de harcèlement et de violence dont les élèves LGBT peuvent être victimes, on prépare activement la journée du 17 mai, vous savez c'est la journée internationale de lutte contre l'homophobie et les LGBT phobie. On a toute une campagne de communication pour faire reculer ces formes de violence qui sont absolument inacceptables. Vous savez que le taux de suicide par exemple chez les élèves LGBT est de 4 à 11 fois supérieur à ce qu'il est dans le reste de la population scolaire.

QUENTIN LAFAY
Il y a 9 mois Monsieur le Ministre lors de votre nomination au gouvernement d'Elisabeth BORNE, on vous a beaucoup opposé à votre prédécesseur notamment sur certaines questions et je pense à la laïcité, alors ce dans ce domaine la laïcité, quelle vision vous défendez aujourd'hui ?

PAP NDIAYE
C'est la loi, la loi de 2004 en particulier qui proscrit le port de vêtements ou de signes religieux ostentatoires et cette loi est une loi positive pour l'école et elle doit être appliquée. Et donc nous appliquons la loi pour ce qui concerne bien entendu cet aspect-là de la laïcité à l'école, il y a d'autres questions qui sont en jeu auxquelles nous sommes très attentifs, par exemple les contestations pédagogiques, les refus de participer à certains cours, je rappelle ce point-là. Donc nous avons les équipes valeurs de la République, c'est quand même 600 personnes à l'échelle du pays qui sont mobilisées pour aider les enseignants, pour aider les équipes de direction. Ma philosophie c'est l'application de la loi strictement, la loi de 2004 et le principe de la neutralité religieuse, politique, philosophique d'ailleurs pour que l'enseignement puisse se dérouler au mieux.

QUENTIN LAFAY
La laïcité cependant c'est un peu plus qu'une loi, c'est aussi vous le disiez une philosophie, une vision de la société, une vision des rapports entre l'Etat et les administrés, est-ce que vous vous contentez entre guillemets d'appliquer la loi et en même temps vous produisez aussi des directives, est-ce qu'on peut vraiment se circonscrire à ça en tant que ministre de l'Education nationale ?

PAP NDIAYE
Alors pour ce qui concerne l'éducation, donc pour ce qui concerne l'école et les établissements scolaires, c'est d'abord un regard juridique qui compte, c'est tout à fait essentiel. La laïcité c'est d'abord un ensemble de dispositions juridiques, bien sûr que ces questions se posent en dehors de l'école selon des modalités différentes, mais pour ce qui concerne l'école, il importe et qui a un statut un peu dérogatoires par rapport au reste de la société puisque dans la rue on peut porter un signe à connotation religieuse, ça n'est pas un problème, mais pour ce qui concerne l'école de la République le législateur a estimé de façon très, très sage il y a bientôt une vingtaine d'années que ces signes et vêtements religieux n'avaient pas lieu d'être et donc moi je m'en tiens à une lecture qui est une lecture juridique avec bien entendu des considérations qui sont des considérations philosophiques sur ce que c'est l'acte d'enseigner bien sûr dans les écoles et dans les établissements scolaires.

QUENTIN LAFAY
Une question de Stéphane ROBERT.

STEPHANE ROBERT
Il y a un petit débat qui s'est fait jour au sein même de votre majorité, c'est concernant l'uniforme à l'école qui permettrait justement vis-à-vis des tenues religieuses de lutter contre ça et puis par ailleurs de lutter contre les inégalités qu'on peut voir chez les élèves, mais je crois que vous n’êtes pas vraiment favorable à cette question-là.

PAP NDIAYE
Alors oui je pense…

QUENTIN LAFAY
Pap NDIAYE ?

PAP NDIAYE
Alors effectivement je pense que l'uniforme ne permet pas de lutter contre le port d'insignes à caractère religieux qui peuvent se superposer au port de l'uniforme et puis il y a toutes sortes de moyens aussi de montrer les écarts sociaux, les chaussures, les écouteurs que l'on a dans les oreilles. Bref les élèves se distinguent entre eux et pas simplement par le port strict de vêtements. Mais indépendamment de cela, je suis défavorable en effet à une loi sur les uniformes, mais libre aux établissements scolaires par le biais de leur règlement intérieur d'imposer s'ils le souhaitent le port d'une tenue scolaire, c'est tout à fait possible pour les écoles et pour les établissements scolaires, libre à eux de le faire mais je ne suis pas favorable à une loi qui viendrait imposer cela à l'ensemble de nos 60 000 écoles et établissements.

QUENTIN LAFAY
Je voudrais vous faire réagir Pap NDIAYE à une citation qui me tient particulièrement à coeur, elle est issue d'un livre intitulé « Les yeux ouverts » c'est signé Marguerite YOURCENAR et Marguerite YOURCENAR explique, j'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base très simples où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, on essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses. On lui apprendre à aimer le travail quand le travail est utile. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants des choses véritablement importantes plutôt qu'on ne le fait. Alors on pourrait commenter chaque morceau de cette citation, mais une question plus large, Pap NDIAYE, est-ce que l'utopie a encore sa place, une place, dans nos établissements scolaires, est-ce que c'est éducation humaine comme dit YOURCENAR est possible sans une confiance solide tissée avec les enseignants, sans cette liberté conférée et sans moyens nécessaires, sans tout ce qui peut permettre l'engagement plein et entier de celles et ceux qui font l'école de la République ?

PAP NDIAYE
Je le crois oui d'abord par l'engagement des enseignants, il faut dire d'une part que les enseignants sont particulièrement engagés, particulièrement dévoués, qu'ils travaillent énormément, on l’a dit et je veux saluer leur travail. Cet acte extraordinaire qui existe depuis l'Antiquité qui consiste à transmettre par la parole, parce qu’enseigner c'est d'abord parler à des jeunes, parler à des élèves et c'est un travail qui consiste par la connaissance à émanciper et à fabriquer en quelque sorte les futurs citoyens de la République, ça c'est quelque chose de tout à fait essentiel. Ce que j'entends aussi dans la très belle citation que vous venez de lire, c'est un beau plaidoyer en faveur de l'éducation au développement durable, par exemple de ces liens qui nous relient entre humains et non-humains comme aurait dit Bruno LATOUR à l'échelle de la planète qui est en danger comme on le sait. C’est un beau plaidoyer ou aussi pour la discipline qui est la mienne, l'histoire, comment relie-t-on le présent au passé ? Comment s'inscrit-on dans une chaîne qui est une chaîne à la fois familiale mais aussi celle du pays et celle de la communauté des hommes et des femmes en règle générale ? Il y a là, je trouve un ensemble de questions qui dans… s’inscrivent très bien dans l'histoire de l'école républicaine au moins depuis la fin du 10 9e siècle, mais qui a besoin d'être renouvelé parce que comme nous l'avons dit, comme nous l'avons vu, nous avons des difficultés à la fois pour promouvoir l'égalité des chances et puis aussi pour maintenir le niveau scolaire. Pour que les enfants lisent Marguerite YOURCENAR et j'en suis moi-même un grand lecteur, encore faut-il que les pratiques de lecture s'intensifient et nous avons aujourd'hui des difficultés parce que la concurrence des écrans par exemple est là, le temps de lecture est moindre, donc nous devons aussi batailler en quelque sorte pour que la lecture et que l'écriture retrouvent leur place ou en tout cas tiennent leur place dans l'école de la République.

QUENTIN LAFAY
Merci beaucoup Monsieur le Ministre, merci beaucoup Pap NDIAYE, vous êtes ministre de l’Education et de la Jeunesse, merci d'être venu nous exposer, déplier votre pensée et votre vision pour l'Education nationale ce matin dans Les Matins de France Culture.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 23 février 2023