Conférence de presse de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'anniversaire du conflit en Ukraine et le soutien de 141 États à la résolution pour une paix juste et durable en Ukraine, à New York le 23 février 2023.

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Circonstance : Assemblée générale des Nations unies session spéciale sur l'Ukraine

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,


Nous venons de vivre une journée importante pour les Nations unies, vous avez vu le résultat du vote à l'Assemblée générale. Je voudrais vous dire quelques mots sur mes deux jours ici à New York, où j'ai tenu à être présente, non pas pour célébrer un anniversaire mais pour marquer une date grave, une date triste.

Cette nuit, cela fera un an que la Russie a déclenché sa guerre d'agression contre l'Ukraine. Un an que le peuple ukrainien subit, depuis cette nuit du 23 au 24 février 2022, des bombardements qui frappent de manière volontaire populations et infrastructures civiles. Un an que les forces russes commettent d'intolérables exactions et des crimes de guerre ; qu'elles violent, qu'elles torturent, qu'elles enlèvent et déportent des enfants. Mais un an aussi que le peuple ukrainien résiste de manière courageuse, et même admirable.

Cette agression brutale, illégale, n'a aucune justification, il faut le répéter. Et quelle que soit la manière dont les choses évolueront, il y a une certitude : la Russie a d'ores et déjà échoué. Elle comptait sur nos divisions, mais nous avons affiché un front uni et résolu dans notre soutien à l'Ukraine et aux principes des Nations unies. Nous continuerons de le faire, aussi longtemps que nécessaire. Le Président de la République, Emmanuel Macron, l'a rappelé : il n'y a pas de place pour la résignation face à l'horreur de cette guerre, et seule la mise en échec de l'agression russe permettra de revenir à une paix juste et durable.

La session spéciale de l'Assemblée générale qui vient de s'achever atteste de la force de la solidarité avec l'Ukraine, et de l'attachement de l'immense majorité d'entre nous aux principes fondamentaux des Nations unies et de la Charte. Il y a quelques minutes en effet 141 Etats ont apporté leur soutien à la résolution pour une paix juste et durable en Ukraine. 141 Etats ont marqué à nouveau leur condamnation la plus ferme de cette agression et appelé la Russie au respect du droit international et au respect de ses propres engagements, ainsi qu'au retrait immédiat, complet et inconditionnel de ses forces militaires - je cite là une partie de la résolution.

Ce soutien d'une immense majorité de pays venant de tous les continents confirme que la Russie est plus que jamais est isolée. Je vous invite à regarder la liste des 6 pays qui la soutiennent. Ce vote adresse à la Russie un signal clair : son agression doit cesser. Et avec elle son cortège de morts, de destructions, d'exactions et ses conséquences négatives partout dans le monde. Car oui, la Russie, par cette guerre, par ses agissements, provoque une hausse insoutenable des prix de l'énergie, et une insécurité alimentaire qui frappe les plus vulnérables, accroit les inégalités, sème le désordre et la stabilité.

Ce matin, j'ai eu l'occasion de rappeler à mon homologue ukrainien, Dmytro Kouleba, le soutien sans faille de la France à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine ; soutien qui se traduit notamment par une aide diplomatique, politique, humanitaire, économique, financière, militaire, judiciaire. Cette aide, nous avons décidé à l'automne dernier, de l'intensifier et de l'accélérer. Au total, ce sont d'ores et déjà plus de deux milliards d'euros d'aide bilatérale qui ont été mobilisés par la France, ce qui en fait l'un des tout premiers soutiens internationaux de l'Ukraine. Au plan militaire, nous avons renforcé aussi notre soutien avec de nouvelles formations et avec également la livraison de chars AMX-10, chars qui sont actuellement en train d'arriver en Ukraine, comme la livraison future de nouveaux canons Caesar, de véhicules blindés et de systèmes antiaériens ou de munitions qui sont indispensables pour que l'Ukraine puisse se défendre contre l'agresseur russe.

Ce soir, nous nous réunirons avec mes homologues européens, mais aussi japonais, britannique, américain, ukrainien - Dmytro Kouleba sera avec nous - pour réaffirmer notre engagement aux côtés de l'Ukraine. Et je me permets un rappel pour ce qui est de l'Union européenne : ce soutien s'est déjà manifesté par une aide dans tous les domaines, Union européenne et Etats membres réunis, dans le cadre d'un effort de plus de 67 milliards d'euros déjà, mais aussi par l'octroi, en juin 2022, du statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne, pour l'Ukraine, qui fait partie de la famille européenne. Nous avons aussi agi résolument et rapidement par l'adoption de sanctions, des sanctions d'une l'ampleur inédite, et ce dès les premiers jours du conflit. Le Conseil européen s'était réuni dès le 24 février et avait décidé du principe de sanctions. Et nous finalisons aujourd'hui, un an plus tard, pour marquer le 24 février, l'adoption d'un dixième paquet de sanctions contre les fauteurs et les profiteurs de guerre, y compris, à nouveau, des membres et des entités affiliés au groupe Wagner. Ces sanctions visent aussi les propagandistes du régime qui inventent une réalité parallèle pour justifier l'invasion russe et les exactions.

Demain, vous le savez, se tiendra, sous présidence de Malte, une réunion ministérielle du Conseil de sécurité, faisant suite à la première réunion ministérielle du Conseil de sécurité sur l'Ukraine, celle du 22 septembre, que j'avais eu l'honneur de présider. J'avais rappelé qu'il ne pouvait y avoir aucune impunité pour les responsables des crimes de guerre. Nous soutenons cette perspective et nous soutenons de façon concrète le travail indispensable des mécanismes d'établissement des faits, que ce soit pour les juridictions ukrainiennes ou pour les juridictions internationales, avec une aide que nous apportons notamment à la Cour pénale internationale. Et puis, vous le savez aussi mais je tiens à le rappeler, nous étudions avec d'autres Etats la possibilité de créer un tribunal hybride, en complément des mécanismes existants. Parce qu'en Ukraine comme ailleurs, il n'y aura pas de paix durable sans justice.

Un dernier mot sur la journée de demain. Je m'entretiendrai avec le Secrétaire général. Les Nations unies ont mobilisé tous leurs instruments pour aider le peuple ukrainien. Le PAM, le HCR, le FNUAP, l'OMS, l'UNICEF - et je voyais sa directrice générale tout à l'heure - et tant d'autres ont, dès le premier jour, mobilisé aide, assistance, prodigué soins, aidé les enfants isolés, les victimes de viol, cette arme terrible qui est devenue une arme de guerre. De son côté, l'AIEA a mobilisé elle-même toute son expertise pour préserver la sûreté et la sécurité des installations civiles nucléaires ukrainiennes, impactées par le conflit. Et je veux saluer à nouveau le remarquable travail fait par son directeur général, Rafael Grossi.

Plus généralement, l'action du Secrétaire général a eu aussi un impact important pour assurer l'acheminement des produits céréaliers ukrainiens, mais aussi des engrais, bien sûr, dont l'ensemble des pays du monde a besoin. L'accord sur l'exportation des céréales par la mer Noire a permis d'importantes livraisons, notamment aux pays en développement, en complément des exportations permises par le continent, dans le cadre des corridors européens de solidarité, qui ont déjà permis l'exportation de plus de 25 millions de tonnes de céréales ukrainiennes et au total de 50 millions de tonnes de marchandise.

Nous allons également aborder avec le Secrétaire général l'avenir du multilatéralisme. C'est l'objet de son programme et du Sommet du Futur en 2024. Parce que nous devons - nous en sommes convaincus - garder une méthode collective pour faire face aux conflits et pour faire face aux défis globaux qui se multiplient. Le Président de la République accueillera fin juin à Paris un sommet pour un nouveau pacte financier mondial afin de retisser le lien entre les nations et retisser en particulier le lien entre les pays du Nord et les pays du Sud. Je transmettrai au Secrétaire général l'invitation que lui fait le Président de la République. Et nous sommes parallèlement engagés avec d'autres en soutien aux efforts du Secrétaire général pour l'atteinte des objectifs du développement durable, mais aussi la protection des océans. Et je voudrais vous rappeler que nous accueillerons à Nice en 2025 la Conférence des Nations unies sur le sujet - Costa Rica 2024 ; France 2025.

Et nous sommes également engagés à ses côtés dans la lutte contre le changement climatique, parce qu'il faut que l'ensemble des Etats du monde rehausse leurs ambitions. C'est plus qu'une priorité commune : c'est une nécessité absolue. Nous avons déjà perdu beaucoup de temps, sans doute trop de temps. Le GIEC nous le rappellera le mois prochain.

Voilà quelques mots de présentation de cette visite. Vous le voyez, la France est pleinement engagée pour la promotion des principes, des valeurs et des actions qui font la raison d'être des Nations unies.

Me voilà à votre disposition pour des questions, si vous en avez.


Q - My question is on Ukraine. Several speakers in the General Assembly asked for negotiations, but there is no signs of negotiation from the parties. What would it take to have both sides engage in serious negotiations, of course besides Russia's withdrawal of troops?

R - Unfortunately, now is the time for war. And I take this opportunity to repeat that the only country who decided to go to war is Russia. We all know that but please, don't forget it. There is an aggressor and an aggressed. They cannot be put on an equal footing. So, unfortunately, the time is the time of war. President Zelensky presented a peace plan, at the G20, in November last year. We all decided to support it. This resolution is, in a good part, a follow-up, it is an offer to dialogue and to find ways to a just and lasting peace. That was endorsed by 141 countries today. So I think we have one party clearly looking for dialogue, as it did always, including in February last year. And unfortunately, on Russia's side, there is absolutely no signal whatsoever so far of a desire to have a genuine and bona fide negotiation. We hope it will change - not for the time being, we don't see anything of that sort.

Q - Some of the speakers during this two-day debate expressed concern about the world heading toward World War III, about China supplying arms to Russia and escalating the crisis. Is France concerned that this conflict could escalate? And what can be done to really try to calm tensions?

R - It is a long and difficult question, I will try to make a short answer. Of course, we are worried by the situation. A situation of war is worrisome. This being said, there is on our side and on the side of Ukraine a very careful balance to be kept - and we do keep it - between helping Ukraine to defend itself - and this is a legitimate right recognized by the UN Charter; Ukraine is attacked, Article 51, and has the right to defend itself, balance between that i.e. helping Ukraine to fight for its sovereignty and helping the United Nations Charter to be respected. And on the other hand, not giving Russia any excuse to go and escalate. In this context, we did not really thought that President Putin's comments this week were helpful. And we do call Russia to exert its responsibility, the one of a nation permanent member of the Security Council and a nation responsible for what's going on.

Q - You just mentioned the importance of recalibrating the relationship between Global North and Global South. And looking at the African vote today, we saw that the majority either abstained or they voted against the resolution. And there is a lot to say about what these countries are feeling towards the West in general since the war in Ukraine started. But specifically when it comes to France, my question is: Do you think, that Russia has supplanted French influence in its former colonies in the Sahel? And will that be President Macron's legacy, that he was the president who lost French influence in Africa? And B, can you understand why there is so much anger against France in these former colonies? Thank you.

R - Lorsque je parlais des liens entre le Nord et le Sud, je parlais du nouveau pacte financier mondial que nous appelons de nos vœux, donc je parlais des financements et en particulier de ceux nécessaires pour que les plus vulnérables puissent faire face à leurs obligations climatiques et d'une façon générale, de façon à permettre aux pays du Sud - mais je crois qu'il y aurait beaucoup à dire sur cette expression, parce que ce sont plusieurs pays, chacun avec leurs caractéristiques et non pas un Sud global auquel nous avons à répondre - leur permettre de trouver les moyens d'un développement et d'un développement harmonieux, et j'ajouterai démocratique. Donc non je ne pense pas que la Russie ait supplantée ni la France ni aucun autre de nos Etats, et ce n'est certainement pas le vote d'aujourd'hui qui l'illustre avec une claire majorité. Encore une fois, je pense que la liste des soutiens de la Russie est assez parlante pour ne pas dire consternante. Ceci dit, j'ai pris soin de rappeler que les difficultés qu'un certain nombre de pays du Sud, mais pas seulement, rencontrent en terme d'augmentation des prix de l'énergie, d'insécurité alimentaire qui a été à la hausse malgré les efforts que nous avons fait, sont tous dus à la guerre faite par la Russie. Restons simple : ce n'est pas de notre côté une action, en quoi que ce soit que celle que nous faisons, qui gênerait les pays du Sud. Nous faisons beaucoup d'efforts pour permettre, je rappelais le nombre de tonnes qui ont été exportées d'Ukraine, aux pays qui en ont besoin d'avoir des céréales, d'avoir des engrais pour ne parler que de cela. En revanche oui, c'est la guerre que fait la Russie, c'est le blocus de la mer Noire que fait la Russie qui a créé des tensions sur les marchés alimentaires et d'une façon générale, c'est la guerre russe qui a créé des tensions sur l'énergie. Donc les responsabilités sont simples, il faut le rappeler, merci de m'avoir donné l'occasion de le faire, ce sont entièrement celles de la Russie.

Q - Est-ce que vous comprenez la colère alors des Africains contre la France ?

R - Je crois qu'il faudrait que je passe, pour votre répondre, par un long développement sur la réalité parallèle, les manipulations de l'information et les manœuvres souterraines de la Russie et de quelques-uns de ces pseudopodes dont certains sont sous sanctions d'ores et déjà.

Q - My question is regarding the G20 and its presidency under India and France is such a vital partner. What is your opinion about the role G20 can play this year and possibly bringing a resolution or some kind of negotiations and settlement to the Ukraine conflict? Thank you.

R - Le G20 a déjà joué un rôle positif dans son édition 2022 puisqu'il a offert au Président ukrainien l'occasion de présenter son plan de paix. Par ailleurs, si vous vous en souvenez, mais vous pouvez vous référez au texte, le communiqué des 20 pays du G20 était parfaitement clair sur l'agression russe en Ukraine. Votre question est plus prospective et parle peut-être davantage du G20 de cette année mais je voulais remettre dans le paysage l'apport positif qu'a eu le G20 de l'an dernier. Nous espérons bien sûr de la part de l'Inde, qui est en présidence du G20 cette année, d'avoir le même rôle permettant d'amener la communauté internationale à regarder ce qui se passe, à trouver les bonnes réponses et toujours en essayant de ramener les uns et les autres au respect des principes du droit international qui seuls fondent la paix et la stabilité dans le monde. L'Inde y est attachée, nous le savons et nous comptons sur elle cette année pour poursuivre le travail qui avait été fait par l'Indonésie l'an dernier.

Q - 141 votes, c'est un chiffre effectivement impressionnant pour montrer le soutien de la communauté internationale à cette résolution et pourtant, quand on a écouté les représentants des pays, même ceux qui ont voté pour, ils regrettent que la résolution n'apporte pas plus de propositions concrètes pour la paix et que les pays qui co-sponsorisent aussi le texte sont ceux qui aident militairement l'Ukraine sur le terrain. Qu'est-ce que vous avez à leur répondre à ça ?

R - Je voudrais que chacun relève que 141 voix pour une résolution concernant l'Ukraine c'est, sauf erreur de ma part, le deuxième meilleur score, le deuxième plus haut nombre de voix réunies en faveur de l'Ukraine et ceci un an après l'agression. Cela montre la solidité et la constance du soutien qui est apporté par la très grande majorité des Etats membres de la communauté internationale.

Ensuite, ne confondez pas les choses, vous relevez que ce sont aussi des Etats qui apportent du soutien militaire à l'Ukraine qui ont co-sponsorisé cette résolution. Pourquoi apportent-ils leur soutien à l'Ukraine : soutien économique et pas seulement militaire, humanitaire et pas seulement militaire, judiciaire et pas seulement militaire ? Parce que les principes fondamentaux du droit international et de la Charte sont violés, et sont violés par un pays, la Russie, et d'une manière, même si hélas il y a trop de guerres dans le monde, peut-être sans précédent depuis l'adoption de notre Charte commune il y a 75 ans : voilà pourquoi.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2023