Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec BFMTV le 24 février 2023, sur le conflit en Ukraine et l'Assemblée générale des Nations unies.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

 

Q - Catherine Colonna, bonjour, merci d'être avec nous, vous êtes à New York. Vous êtes intervenue, hier, au nom de la France, à l'Assemblée générale des Nations unies. Tout d'abord, votre réaction, forcément, à cette date triste d'anniversaire, cela fait un an que la Russie a lancé son invasion de l'Ukraine.

R - Oui, merci de votre invitation, tout d'abord. En effet, cela fait 365 jours, aujourd'hui, que la Russie a agressé l'Ukraine, sans aucune raison, sans aucune justification, et 365 jours qu'elle y commet des crimes et des atrocités, qui ne respectent en rien le droit de la guerre. La Russie s'en prend aux populations civiles, c'est ignoble, et il faut rappeler que nous devons lutter contre l'impunité et que les responsables de ces crimes seront punis. Alors, un an de guerre, évidemment, c'est beaucoup trop. Chacun aspire à la paix, et je crois qu'il faut que la Russie sache entendre le message clair qui est venu hier de New York : l'Assemblée générale des Nations unies lui a demandé de respecter les principes de la Charte des Nations unies, - la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité -, mais lui a aussi fait une autre demande, qui est de retirer ses troupes immédiatement, sans conditions et complètement. Ce message, il faut l'entendre. 141 pays se sont exprimés en ce sens, et seuls quelques pays se sont trouvés aux côtés de la Russie, très peu nombreux. Je vais vous citer quelques-uns des noms, pour vous montrer que ce n'est pas très glorieux, pour elle, puisque se retrouver avec la Corée du Nord ou la Biélorussie, n'est pas tout à fait le signe que son audience est écoutée dans le monde .

C'est une défaite pour la Russie. Elle est isolée. C'est une défaite politique, diplomatique, mais aussi morale.

Q - Pour contextualiser, pour les personnes qui nous regardent, Madame la Ministre, je rappelle qu'il y a une Assemblée générale de l'ONU qui a eu lieu hier soir, avec ce vote dont vous parlez : large majorité pour le retrait immédiat des troupes russes d'Ukraine,...

R - Très large majorité.

Q - ... très large majorité, mais alors ces textes sont non contraignants, il faut le rappeler aussi. Qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce purement symbolique ou est-ce que ça peut avoir de vraies conséquences ? Ça peut paraître un peu loin, pour les personnes qui nous regardent, souvent.

R - Oui, je comprends tout à fait, mais lorsque vous avez, face à une telle agression, la quasi-totalité de la communauté internationale qui vous demande de cesser, qui condamne l'agression, qui demande à la Russie de mettre un terme à celle-ci, je crois qu'il faudra que la Russie sache écouter. Parallèlement à ces efforts diplomatiques, qui sont indispensables, parce que le plan de paix qui est sur la table, ce n'est ni plus, ni moins le respect de la Charte des Nations unies, parallèlement à cela, nous aidons, les uns, les autres, l'Ukraine à se défendre. La France le fait. Elle le fait résolument, vous avez rappelé il y a quelques instants. Elle a décidé d'augmenter, de renforcer, même d'accélérer son soutien militaire, parce qu'il faut que l'Ukraine soit forte sur le terrain, pour pouvoir amener la Russie à changer d'attitude et envisager une autre phase, une phase qui serait plus diplomatique. Voilà les doubles chemins que nous suivons et il faut que la Russie maintenant sache entendre.

Q - Catherine Colonna, vous dites " la Russie est isolée ". C'est vrai que le vote est majoritaire et soutient cette résolution, mais on s'aperçoit que depuis le début de la guerre, il y a quand même une fracture dans le monde, avec la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, une trentaine de pays africains qui s'abstiennent. Alors, c'est vrai, la Chine n'a pas voté contre, l'Inde non plus ; ils se sont abstenus, ces deux pays. Mais néanmoins, on voit qu'on n'a pas réussi, contrairement à ce que vous dites, à complètement isoler la Russie, et que la guerre continue. Et on dit même que la Chine va livrer des drones, des centaines de drones, c'est une information qui est sortie aujourd'hui, et les Américains s'inquiètent de cette livraison d'armes. Alors, est-ce que, véritablement, on peut isoler la Russie, est-ce que les sanctions peuvent être efficaces ? En réalité, est-ce que tout cela va permettre effectivement de changer la donne, ou est-ce qu'on va rester sur ce statu quo, et on peut dire cette impasse diplomatique ?

R - D'abord, la Russie a été isolée, hier. Pardonnez-moi de revenir sur ce point, mais il ne s'est trouvé que six pays pour être à ses côtés, des pays pas tout à fait recommandables. Nous en avons cité quelques-uns. Pour le reste, je crois qu'il faut faire attention à ne pas se tromper dans l'analyse. Ça n'est pas le Nord contre le Sud, l'Est contre l'Ouest, puisque, hier, 141 pays ont voté clairement pour demander à la Russie de cesser ce qu'elle fait, et de cesser cette guerre. Il se trouve que ce sont des Etats de l'ensemble des continents, et donc il n'y a pas une fausse division qu'il faudrait instaurer. Cela étant dit, nous faisons beaucoup d'efforts et nous devons continuer bien sûr à les faire pour expliquer que ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement la sécurité de l'Ukraine. Bien sûr, cela concerne l'Ukraine et le peuple ukrainien, au premier chef ; ça concerne aussi la sécurité de l'Europe ; mais ça concerne le monde entier. Vous comprenez bien que si chacun peut agresser son voisin en toute impunité, cela sera la fin de la paix et de la stabilité dans le monde, personne ne sera en sécurité. Il est important que l'ensemble des pays soit encore plus nombreux à le comprendre, pour se manifester plus clairement encore contre l'agression russe, contre cette guerre, et demander à la Russie de cesser.

Vous parliez enfin des sanctions...

Q - Et la Chine ?

R - La Chine s'est abstenue, comme à chaque fois. Vous savez, ce qui est remarquable, c'est que, au bout d'un an, nous avons exactement les mêmes majorités pour condamner l'agression russe et pour lui demander de retirer ses troupes. La Chine, traditionnellement, s'est abstenue. Elle s'est abstenue encore hier. Ce matin, elle parle de paix. Et si nous avons des interrogations sur quelques tentations qui pourraient être les siennes de se ranger matériellement aux côtés de la Russie, eh bien, elles ne sont pas avérées. C'est aussi pour cela que nous la mettons en garde, car ce serait un changement de sa part grave, de sa position traditionnelle de respect du droit international et de respect des principes de la Charte des Nations unies, notamment la souveraineté des Etats et le respect de leurs frontières.

Q - Et les sanctions, est-ce qu'elles sont efficaces ? On va avoir une dixième vague de sanctions. On se demande finalement pourquoi il faut de tant de temps et tant de vagues de sanctions pour un résultat qui n'est pas évident.

R - D'une part, elles sont efficaces, puisqu'elles ont largement désorganisé l'appareil de production russe, je parle là des efforts qui pèsent désormais sur son industrie, sur son industrie de guerre en particulier, la fin de l'accès à un certain nombre de technologies de pointe ; et puis, nous l'avons aussi privée des financements qui revenaient des ressources gazières et pétrolières. Au-delà de ça, oui, nous continuons à renforcer des sanctions, parce que nous sanctionnons individuellement un certain nombre de fauteurs de guerre, de responsables de guerre...

Q - Alors, lesquels précisément ? De quoi vous parlez aujourd'hui ?

R - Aujourd'hui,... je termine juste là-dessus,... nous devons adopter au niveau européen ce dixième train de sanctions qui va renforcer le nombre de personnes de Wagner qui sont sous sanctions, qui va également sanctionner la commissaire aux droits de l'homme russe, celle qui est responsable de ces odieux enlèvements d'enfants que la Russie pratique depuis des mois et des mois. Voilà pourquoi nous renforçons la pression, et nous continuerons à le faire, s'il le faut, cela ne doit faire aucun doute.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2023