Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à France Info le 1er mars 2023, sur l'application chinoise TikTok, l'énergie nucléaire, le prix de l'électricité, EDF, les zones à faibles émissions et la sobriété énergétique.

Prononcé le 1er mars 2023

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Marc FAUVELLE.

MARC FAUVELLE
Après la Commission européenne, le gouvernement américain vient de demander à tous ses fonctionnaires de ne plus utiliser d’ici un mois l’application chinoise TikTok, est-ce que la France pourrait faire la même chose ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, vous savez que la France, sur ce sujet, a saisi la CNIL française, donc c’est l’autorité administrative indépendante qui s’assure de l’utilisation des données, et du fait que ces données soient utilisées conformément aux souhaits de celui qui les a, qui a saisi son homologue irlandais pour s’assurer que les données restaient bien en Europe. Notre premier combat, et c’est un combat pour tous les Français et toutes les Françaises, c’est que les données qui sont postées sur TikTok restent en Europe.

MARC FAUVELLE
Ce qui a priori n’est pas le cas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qui justement, a priori, n’est pas le cas, et c’est pour ça que nous travaillons, enfin, que nous poussons TikTok à bien bloquer les données qui pourraient être envoyées à l’extérieur. Et donc, c’est le premier combat que nous menons aujourd’hui. Ensuite, à titre individuel…

MARC FAUVELLE
C’est ce que j’allais vous demander, vous l’utilisez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je ne l’utilise pas, et je ne l’ai pas…

MARC FAUVELLE
Vous avez demandé à vos équipes de ne pas l’utiliser ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne l’utilise pas, et je ne l’ai pas sur mon téléphone, parce que quand on est une personnalité politique, on le choix effectivement, il faut faire attention sur les réseaux sociaux, et on sait que certaines applications ont ce qu’on appelle des portes arrières, qui peuvent permettre d’accéder aux données téléphoniques, et donc…

MARC FAUVELLE
Et c’est une décision individuelle ou tout le gouvernement s’astreint…

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est une décision individuelle.

MARC FAUVELLE
Et dans vos équipes par exemple, au ministère ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ah, dans mes équipes, il y a très peu de personnes qui sont sur TikTok, je dirais même par contenu du travail, le temps leur manque…

SALHIA BRAKHLIA
Ils n’ont pas le temps…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour faire TikTok.

SALHIA BRAKHLIA
Et par sécurité…

MARC FAUVELLE
Mais en attendant la décision de la CNIL, qui va intervenir dans les semaines qui viennent, qu’est-ce que vous dites aux dix millions de Français, alors, on n’a pas tous des données confidentielles sur nos téléphones portables, mais on peut avoir des documents professionnels, etc.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez, la France…

MARC FAUVELLE
Qu’est-ce que vous leur dites : méfiez-vous ou tout va bien ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je dirais, déjà, plus largement, la France a porté un combat à plusieurs reprises au niveau européen pour que les données que nous mettons sur les réseaux sociaux, et ça vaut pour TikTok et pour tous les réseaux sociaux, ces données-là, elles soient bien la propriété de celui qui les met, et qu’on n’en fasse pas n’importe quoi, que ce soit de la promotion publicitaire ou d’autres choses. Donc ça, c’est un combat sur lequel nous avons obtenu des avancées majeures, notamment sous présidence française de l’Union européenne, l’année dernière, avec des règlements qui encadrent la manière dont les réseaux sociaux utilisent ces données. Mais effectivement, j’appelle chacun à la vigilance, ce que vous postez sur un réseau social, ce n’est pas ce que vous envoyez à votre bande d’amis, des photos, etc., ça peut vous revenir plusieurs années, vous avez évidemment une utilisation publicitaire ou de promotion de ces données, mais il y a d’autres façons d’utiliser ces données, et donc c’est aussi un appel à la sensibilisation, et en particulier, en particulier pour les jeunes, sensibilisation et protection des plus jeunes, Jean-Noël BARROT y travaille, comme vous le savez.

MARC FAUVELLE
Le secrétaire d’Etat au Numérique.

SALHIA BRAKHLIA
Agnès PANNIER-RUNACHER, la loi sur le nucléaire arrive aujourd’hui à l’Assemblée, elle vise à accélérer la construction de nouveaux réacteurs. Est-ce que c’est une loi mea culpa, pour dire : bon, on s’est trompé pendant le premier quinquennat, on va essayer de se rattraper cette fois-ci ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, c’est surtout une loi qui doit nous permettre de construire des réacteurs sans que les procédures administratives qui sont complexes ne retardent le temps du projet industriel. Vous savez que depuis 2018, le président de la République a relancé la filière nucléaire, ça ne date pas de la semaine dernière…

SALHIA BRAKHLIA
Non, ce n’était pas en 2018…

MARC FAUVELLE
2018, il disait : on va en fermer 14, des réacteurs…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça date de 2018… alors, pas tout à fait, puisqu’en 2018, c’est son discours dans lequel il demande à EDF de mettre à l’étude le programme, un nouveau programme de nucléaire, pour permettre de prendre des décisions sur la relance des réacteurs, des nouveaux réacteurs…

SALHIA BRAKHLIA
Dans ce même discours, Agnès PANNIER-RUNACHER, Emmanuel MACRON dit clairement : on va procéder à la fermeture de 14 réacteurs nucléaires, dont les deux premiers de Fessenheim, en 2020, et puis, après, ça va continuer jusqu’en 2035. Là, vous changez carrément de paradigme, vous dites : on va en construire six nouveaux, peut-être plus…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, alors, on ne change pas de paradigme, c'est-à-dire que nos réacteurs existants vont à un moment être fermés, parce que, à un moment, ils arrivent en bout de vie, ça, c'est, je dirais, normal, le vieillissement des installations fait qu'à un moment, nécessairement, ils arriveront en bout de vie. Ce que le président de la République avait annoncé en 2018, c'est qu'il repoussait le calendrier de fermeture des centrales, ce que nous faisons aujourd'hui, et, là, effectivement, c'est un bougé sensible, ce que le président de la République a pris comme décision l'année dernière, c'est de dire : plutôt que de tenir un calendrier qui était conservateur sur la fermeture des centrales, nous allons travailler en recherche et développement et en innovation, pour faire en sorte de peut-être aller encore plus loin, et de maintenir en fonctionnement nos centrales autant que possible, bien sûr, autant que possible, c'est-à-dire sous réserve que la sécurité de ces réacteurs soit…

MARC FAUVELLE
Vous appelez ça un bougé, Agnès PANNIER-RUNACHER, pourquoi vous ne dites pas simplement aux Français : on a changé d’avis, personne n’avait vu venir la guerre en Ukraine, les livraisons de gaz qui s’arrêtent, donc oui, on a changé d’avis sur le nucléaire, comme l’ont fait d’ailleurs plusieurs partis politiques en France depuis la guerre en Ukraine, pourquoi vous ne dites pas : oui, on a changé tout simplement, plutôt que de dire : oui, oui, si, si, si vous lisez bien, en fait, en 2018… ce n’est pas vrai, en 2018, on ne disait pas ça, Emmanuel MACRON ne disait pas ça.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, moi, je suis très à l’aise, parce que j'ai constamment soutenu le nucléaire, vous savez que…

MARC FAUVELLE
Mais pas Emmanuel MACRON…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n’est pas tout à fait vrai, mais, à la limite, peu importe, le sujet aujourd'hui qu'on a, c'est de relancer la production nucléaire, mais comme nous relançons aussi la production sur les énergies renouvelables, c'est-à-dire que l'enjeu que nous avons, et là où vous avez complètement raison, c'est que la situation de production d'électricité en France en 2017 a complètement changé aujourd'hui en 2023, et que l'on voit que l'atteinte de nos objectifs climatiques suppose d'aller beaucoup plus vite sur l'électrification de notre pays, et donc d'avoir des capacités de production électrique beaucoup plus importantes…

MARC FAUVELLE
François HOLLANDE avait promis d'abaisser la part du nucléaire à 50% de notre mix énergétique en 2025, Emmanuel MACRON a repoussé de dix ans cet objectif. Est-ce qu'il existe encore cet objectif, est-ce qu’il va exister, est-ce que vous allez fixer vous aussi un chiffre ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, ce chiffre, il va résulter de notre capacité à produire plus d'électricité, et comme nous allons mettre…

MARC FAUVELLE
C’est-à-dire, d'abord, on va lancer les centrales, et ensuite, on va voir quel est l’objectif ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n’est pas ça que je vous dis, c'est la résultante de notre capacité à produire beaucoup plus d'électricité, beaucoup plus de renouvelables, si vous produisez beaucoup plus de renouvelables dans les 15 ans qui viennent, mécaniquement, alors même qu'on aura plus de nucléaire, la part du nucléaire va baisser dans notre mix électrique, mais ce sera un succès…

MARC FAUVELLE
De combien ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce sera un succès…

MARC FAUVELLE
Et de combien, il n’y a plus d’objectif aujourd’hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non…

SALHIA BRAKHLIA
La logique est inverse…

AGNES PANNIER-RUNACHER
La logique, elle est inversée, la logique, c'est d'avoir plus de nucléaire et plus d'énergies renouvelables, plus de nucléaire, et vous savez qu'il faut 15 ans pour construire un nouveau réacteur, donc d'ici 2035, ce que je sais vous dire, c'est que la capacité de production nucléaire, elle va reposer essentiellement sur la connexion du réacteur de Flamanville et sur le fait qu'on arrive à retrouver un productible, une production nucléaire équivalente à celle qu'on avait par exemple en 2017, c'est-à-dire à peu près 30% de plus qu'aujourd'hui. Donc ça, le nucléaire, on sait à peu près où on va, et sur les énergies renouvelables, ce serait un succès de pouvoir en produire beaucoup plus, c'est un enjeu de compétitivité pour notre pays, vous savez que les énergies renouvelables sont compétitives aujourd'hui, c'est un enjeu aussi d'indépendance énergétique, et donc d'indépendance économique. Et donc la résultante, demain, en 2035, entre nucléaire et renouvelables, c'est surtout beaucoup plus de renouvelables et retrouver notre potentiel de nucléaire, et le 50-50, c’est de l’idéologie…

MARC FAUVELLE
Mais tout ça, un peu au doigt mouillé ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est de l’idéologie, c'est de l'idéologie Marc FAUVELLE, ce qui est sûr, c'est qu’il n’y a pas…

MARC FAUVELLE
C’est Emmanuel MACRON qui avait dit 50% en 2035.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, mais, et c’était une résultante, là aussi, des calculs qu'il avait faits entre plus de production de renouvelables et le fait que nous n'avions pas de réacteurs nucléaires nouveaux sur le réseau…

MARC FAUVELLE
On va en parler de ces bébés Flamanville, ces nouveaux EPR qu'Emmanuel MACRON veut mettre sur les rails dans les mois qui viennent, dans une minute.

SALHIA BRAKHLIA
Toujours avec Agnès PANNIER-RUNACHER, la ministre de la Transition énergétique. On parle de la relance du nucléaire dans le pays. Alors ces nouveaux réacteurs que vous voulez faire construire ils vont entrer justement en construction à partir de quand ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors encore une fois, il faut grosso modo 15 ans pour construire un réacteur. 15 ans c'est beaucoup d’études d’ingénierie, c'est pour ça que ça ne se voit pas aujourd'hui et vous savez donc qu’EDF a démarré les études et doit nous livrer le résultat de leur travail d’ici la fin de l’été, et c’est ensuite beaucoup de procédures de validation en matière de sûreté nucléaire.

SALHIA BRAKHLIA
Mais votre calendrier c'est quoi ? C’est on coule le béton de la première centrale à partir de quand ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors la première coulée de béton dans un calendrier ambitieux, c’est effectivement fin 2027 pour une mise en service espérée entre 2035 et 2037.

MARC FAUVELLE
Fin 2027, après la prochaine élection présidentielle.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

MARC FAUVELLE
Ça veut dire que le choix d’appuyer définitivement sur le bouton sera laissé au prochain président de la République.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, absolument pas parce que pour couler le béton en 2027, il faut avoir en fait…

MARC FAUVELLE
Il faut le préparer en 2026, c’est long le béton.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, c’est 2023 que vous devez déposer le dossier d'autorisation de construction. Donc en fait, ce sont des procédures qui sont très longues, très rigoureuses.

MARC FAUVELLE
Mais ça veut dire que le successeur d’Emmanuel MACRON ne pourra plus faire demi-tour ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense que ce sera difficile parce qu’effectivement toutes les autorisations et la mise en oeuvre du chantier sera d'ores et déjà faite.

MARC FAUVELLE
Quelle que soit la couleur du prochain président de la République ou de la prochaine, oui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Après Marc FAUVELLE, si vous me permettez, à chaque instant un dirigeant politique peut passer une loi pour corriger une autre loi et arrêter un chantier. Ça lui appartiendra. Mais ce que je veux dire, c’est que la décision que nous prenons aujourd'hui - que nous allons prendre d'ailleurs puisque c'est une décision qui suppose d'associer aussi le Parlement - cette décision-là, elle conduit à avoir une première coulée de béton en 2027 et une mise en service du réacteur, des premiers réacteurs nucléaires entre 2035 et 2037. Ça se fera à Penly, c'est en Normandie.

MARC FAUVELLE
Où il y a déjà une centrale, oui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce sont due premiers réacteurs et nous construisons des réacteurs sur des centrales existantes ou en proximité de centrales existantes puisqu’on a les compétences, puisqu'on a l'acceptabilité, les gens sont très en soutien de ces projets, et ça permettra effectivement d'aller plus vite.

SALHIA BRAKHLIA
Ce qui est étrange Madame la ministre, c'est que depuis tout à l'heure on a l'impression que votre projet il est déterminé : il y a un calendrier, tout est projeté, sauf que le texte arrive seulement aujourd'hui au Parlement, à l'Assemblée nationale. Si le Parlement dit non, on arrête tout ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors d'abord le texte que nous présentons aujourd'hui au Parlement, c'est un projet d'accélération des procédures administratives et de sécurisation des décisions de prolongation des centrales.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, mais si sur les nouveaux réacteurs le Parlement dit non, vous faites quoi ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le Parlement aujourd'hui ne portera pas son avis sur les réacteurs futurs. Encore une fois, cela paraît peut-être un peu complexe lorsqu'on écoute, mais la mise en oeuvre d'un projet de réacteur nucléaire c'est un projet très complexe. C'est-à-dire qu'on va arriver devant le Parlement en étant capable de leur dire : voilà la solution technologique que nous avons et ça, ça prend plusieurs années à établir. Voilà les éléments de coûts et de financement que nous avons et cela prend plusieurs mois et établir, et ce sont tous ces éléments que nous sommes en train de rassembler pour prendre cette décision. Donc vous voyez, au contraire, c'est une décision qui est extraordinairement rigoureuse, étayée sur l'ensemble des enjeux. Ça va de la technologie à la sûreté, aux délais de construction et évidemment aux enjeux financiers.

MARC FAUVELLE
Agnès PANNIER-RUNACHER, qui va les payer ? Qui va payer la construction de six réacteurs ? Le nouveau patron d'EDF dit c'est au minimum 50 milliards d'euros.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors c'est collectif, c'est un investissement…

MARC FAUVELLE
Mais lui dit : je n’ai pas les moyens aujourd'hui, j'ai une dette de 60 milliards d'euros, j'ai perdu 18 milliards l'an dernier, je ne peux pas aujourd'hui financer ces réacteurs.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

MARC FAUVELLE
Qui va les payer ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc c’est un investissement et je rappelle que cet investissement, il a vocation à rapporter entre guillemets aux Français, puisque ce que nous sommes en train de construire c'est une capacité de produire de l'électricité à un coût compétitif.

MARC FAUVELLE
Pour qu’il rapporte, il faudra que ces centrales fonctionnent donc vous avez rappelé le calendrier. En attendant pendant tout le chantier, ça coûte de l'argent. Qui va payer pendant les travaux ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et c’est un investissement.

MARC FAUVELLE
C’est l’Etat ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est une avance en quelque sorte, c'est une forme d'avance de trésorerie pour ensuite retrouver sur le chiffre d’affaires.

MARC FAUVELLE
Que fera l'Etat ou que feront les consommateurs et les usagers d'EDF ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et donc c’est le point que je vous indique, c'est-à-dire nous sommes en train de travailler sur le financement de ces centrales nucléaires. Il y a plusieurs options. Une partie peut être financée par l'Etat, vous avez évidemment le financement au travers des tarifs. Lorsque vous payez l'électricité aujourd'hui, vous payez une marge qui permet de rembourser les investissements qui ont été faits.

MARC FAUVELLE
Faits il y a très longtemps, oui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Qui ont été faits il y a très longtemps mais qui néanmoins…

MARC FAUVELLE
Ça veut dire qu’il faut très clairement s’attendre à une hausse des tarifs pour financer les futurs réacteurs ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, pas nécessairement.

MARC FAUVELLE
Une partie en tout cas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Absolument pas. Ça dépend comment on le fait. Si vous voulez, quand vous prenez par exemple une banque qui vous finance et que vous la remboursez, vous la remboursez au moment où vous avez le chiffre d'affaires. Vous pouvez faire un portage financier.

MARC FAUVELLE
Mais vous pensez que les banques vont prêter aujourd'hui à EDF pour construire des EPR dont le seul exemplaire que nous avons en France a dix ans de retard et a coûté 10 milliards de plus que prévu.

SALHIA BRAKHLIA
Flamanville.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui mais je le redis, c'est un projet qui a vocation à rapporter une énergie compétitive pour les Français. Il faut prendre sous cet angle-là. On ne fait pas cet investissement pour dépenser de l'argent, on fait cet investissement pour donner une électricité compétitive que paieront les Français. Le consommateur paiera son électricité, continuera à payer son électricité.

SALHIA BRAKHLIA
Mais concrètement, est-ce qu'il va y avoir un nouvel impôt en fait ? Nouvel impôt pour construire ces centrales ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, on n’a pas besoin d’un nouvel impôt. Là je pense qu’on est dans le fantasme total. On a besoin de financements long terme qui peuvent être soit de la part de l'Etat, et comme c'est un investissement ce n'est pas considéré comme une dépense budgétaire, si par exemple on apporte des capitaux à EDF. On a besoin… Par exemple il a été évoqué à un moment que la Caisse des dépôts puisse accompagner en financement cette construction.

MARC FAUVELLE
Ça c'est une possibilité, oui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne dis pas que c'est la solution que nous retenons mais ça fait partie des sujets qu'il faut que nous regardions. Et ce qui est sûr, c'est que nous calerons les paramètres des financements d'ici la fin de l'année, mais attention ! On investit encore une fois, ce n'est pas une dépense. On investit dans quelque chose qui doit nous rapporter de l'argent. C'est comme quand on dépense de l'argent et qu'on soutient les énergies renouvelables, et qu'aujourd'hui elles nous rapportent plus de 20 milliards d'euros au budget de l'Etat.

MARC FAUVELLE
Agnès PANNIER-RUNACHER, depuis une vingtaine d'années la loi oblige EDF à revendre à ses concurrents une partie de sa production d'électricité. Elle perd chaque année de l'argent en faisant ça. Est-ce que c'est une absurdité ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors pas du tout, parce que c'est ça qui fait que vous et moi et les très petites entreprises ont des tarifs extrêmement compétitifs, donc ce n'est pas une absurdité du point de vue du consommateur. Parce qu'en fait le système, c'est qu'EDF vend son électricité à un prix qui n'est pas celui du marché et qui est beaucoup plus bas, qui correspond…

MARC FAUVELLE
Il perd de l'argent sur chaque mégawattheure vendu à ses concurrents, oui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors on va y revenir. Qui correspond théoriquement, et c'est là où il y a un petit biais, mais qui correspond théoriquement à ses coûts de production…

MARC FAUVELLE
Théoriquement parce que ce n’est plus le cas depuis plusieurs années.

AGNES PANNIER-RUNACHER
De manière à ce que les Français, vous et moi et les très petites entreprises, puissent bénéficier - et y compris d'ailleurs les industriels - puissent bénéficier d'un tarif très compétitif qui n'est pas celui du prix de l'électricité. Ça c'est le système actuel, il a deux biais ce système. Le premier biais, vous le dites, c'est que le tarif qui a été fixé à 42 euros en 2010…

MARC FAUVELLE
42 euros le mégawattheure là où EDF ça lui coûte 50 pour en produire aujourd'hui, et donc il vend à perte.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, qui était le prix en 2010, qui était le prix de production, le coût de revient d'EDF, donc il ne perdait pas de l'argent à l'époque. Aujourd'hui le coût du mégawatheure a augmenté, il a augmenté pour deux raisons. Il y a évidemment de l'inflation, il y a aussi un autre sujet : c'est qu'EDF produit beaucoup moins de nucléaire. Et donc vous savez qu’une centrale nucléaire, ce n'est pas beaucoup de coûts de fonctionnement, beaucoup de coups d'investissement. Et donc par construction, les coûts, moins vous produisez, plus le coût du mégawatheure augmente. Plus EDF remettra ses centrales en fonctionnement, ses réacteurs en fonctionnement, plus il sera compétitif en coût du mégawattheure.

MARC FAUVELLE
Est-ce que ce dispositif va être modifié ? Vous avez sans doute entendu l'ancien patron d'EDF devant l'Assemblée il y a quelques jours.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

MARC FAUVELLE
Il dit : c’est surréaliste de demander à une entreprise de vendre quelque chose qu'elle produit à perte à ses concurrents.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais encore une fois je le redis…

MARC FAUVELLE
Et tout ça en demandant régulièrement à l'Etat d'éponger les pertes de cette même entreprise.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je le redis Marc FAUVELLE, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce système, c'est celui qui permet aujourd'hui aux Français d'avoir le coût de l'électricité le plus bas d'Europe. Ça c'est la première chose. La deuxième chose c'est qu'effectivement, nous devons ajuster le prix pour être en ligne avec la réalité des coûts de production d’EDF.

MARC FAUVELLE
Oui, donc on va relever le tarif ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
La troisième chose, c'est que le mécanisme que vous mentionnez c'est un mécanisme qui s'arrête fin 2025. Et c'est tout l'enjeu des discussions que nous avons au niveau français avec la direction d'EDF et au niveau européen avec la Commission européenne pour trouver un système de régulation qui permette à la fois de conserver cet atout extraordinaire, et je veux insister sur ça parce qu'on dit qu'il vend à ses concurrents comme si les concurrents ne revendaient pas au même coût.

MARC FAUVELLE
Mais ils revendent plus cher. C’est ce qui s’est passé notamment…

SALHIA BRAKHLIA
Avec TotalEnergies.

MARC FAUVELLE
L'an dernier, ça a plombé les comptes d'EDF de 8 milliards. Même le patron de TotalEnergies qui bénéficie de ce système, Patrick POUYANNE, a dit : il y a quelque chose qui n’est pas normal. Même lui, ce n’est pas moi qui le dis.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si vous me laissez aller jusqu'au bout de mon propos, je le redis, la partie qui est vendue sur ces 100 térawattheures, donc à peu près aujourd'hui un tiers de la production d'EDF - avant c'était beaucoup moins, c'est pour ça que ça pèse sur les comptes d'EDF - elle est vendue aux fournisseurs qui eux-mêmes doivent le vendre au même prix du lot, un petit coup de marge commerciale mais qui est ridicule, au même prix, de même que EDF a une marge commerciale. Je vous rassure, ils ne vendent pas à 42 euros à leurs propres clients, aux Français. Et sur le reste bien entendu, c’est vendu là à un prix du marché et c'est ce qui explique qu'on a eu des envolées de prix. Je sais que c'est complexe mais je veux le redire ici : nous avons un enjeu essentiel en tant que gouvernement pour faire en sorte que les Français qui ont toujours bénéficié d'un prix de l'électricité extraordinairement compétitif en Europe, et c'est un enjeu de pouvoir d'achat, puissent continuer à bénéficier de ça. Mais en même temps nous sommes le principal actionnaire, nous sommes un actionnaire quasi unique désormais puisque nous visons à être à 100 % dans le capital d'EDF. Nous serons aux côtés d'EDF et nous ferons en sorte que le modèle soit viable pour EDF.

SALHIA BRAKHLIA
Agnès PANNIER-RUNACHER, plusieurs communautés d'agglomérations ont mis en place dans les grandes villes ce qu'on appelle les ZFE, les zones à faible émission, sauf qu'elles sont de plus en plus nombreuses à reculer, comme à Lyon, qui la repousse de deux ans, car elle refuse de pénaliser les Français qui, concrètement, n’ont pas la bonne voiture pour circuler. A ce sujet, écoutez Fabien ROUSSEL, le patron des communistes, il était à votre place en début de semaine.

FABIEN ROUSSEL, GROUPE COMMUNISTE
C’est une véritable bombe sociale, oui, la ZFE pénalise les plus pauvres, parce qu'il y a aujourd'hui dix millions d'automobilistes qui ont des véhicules de Crit’Air 3, 4, 5, qui vont être interdits de se déplacer tout simplement quand ils habitent une petite commune. Il faut un moratoire, il faut déplacer ces ZFE, et il faut les décaler dans le temps, il faut surtout permettre aux Français de pouvoir acheter des véhicules électriques pas chers.

SALHIA BRAKHLIA
Il a raison Fabien ROUSSEL, en fait, il faut décaler le calendrier, il faut tout remettre à plat ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je rappelle que sur les ZFE, comme vous dites, ce sont les collectivités locales qui décident des dates, nous, ce que nous avons fait, c'est posé le cadre qui permet d'avoir des zones de faible émission, ce sont les collectivités locales qui décident de la localisation des ZFE, est-ce que c'est le centre-ville ou est-ce que c'est beaucoup plus large, par exemple, vous savez qu'à Paris, grosso modo, ça va jusqu'à l'A86, donc c'est une zone très, très large, et qui concerne beaucoup les banlieues. Quels sont, deuxièmement, les véhicules qui sont concernés, à quel rythme, Crit’Air 3, Crit’Air 4, Crit’Air 5, on rentre dans la zone à faible émission, et comment on organise des dérogations, ça, c'est le travail des collectivités locales, on ne peut pas à la fois…

SALHIA BRAKHLIA
Ces collectivités, elles disent, c’est de votre faute, parce qu'en fait, vous leur avez fixé un cadre, ok, mais en fait, elles ne peuvent même pas mettre en place ces interdictions, puisque les Français ne peuvent même pas se permettre d'acheter de nouveaux véhicules, la prime à la conversion, elle n’est pas suffisante.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais, moi, j'entends ce que disent les collectivités locales, j'observe qu'elles se sont beaucoup précipitées au moment des municipales en portant en bandoulière l'écologie sans absolument regarder le cadre de mise en oeuvre pour faire laver plus blanc que blanc, la réalité, c'est qu'elles n'avaient pas du tout travaillé sur le sujet, que vous pouvez tout à fait mettre en place des dérogations, qu'elles n'ont pas du tout travaillé sur le sujet, et que s'agissant des véhicules, et moi, je partage effectivement la préoccupation légitime des Français de pouvoir changer de véhicule pour des véhicules qui soit moins émetteurs de CO2, et je rappelle que ce gouvernement a permis à plus d'un million de Français, plus d'un million de Français, de changer de véhicule, et que nous continuons à soutenir l'accès au véhicule électrique, le changement de véhicule pour des Crit’Air 1, et ça, massivement, et je rappelle…

SALHIA BRAKHLIA
Et ce qu’on voit aussi, c’est que quand la prime augmente, les constructeurs automobiles augmentent aussi le prix de vente des voitures.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense qu’il y a un petit peu d'inflation en réalité, et que ce n'est pas lié à la prime, c'est surtout lié à la réalité des coûts de production…

MARC FAUVELLE
Mais est-ce qu’il ne faudrait pas, Agnès PANNIER-RUNACHER…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc ne tombons pas là-dedans. Mais pour revenir à ça, le gouvernement…

MARC FAUVELLE
Moduler, pardon, est-ce qu’il faudrait faire moduler le montant des aides pour en faire profiter davantage ceux qui habitent loin des centres-villes, c'est-à-dire ceux qui ont moins de transports en commun, et ceux qui ont sans doute plus besoin de la voiture que les autres ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est encore une fois…

MARC FAUVELLE
Ça n’existe pas aujourd’hui, aujourd'hui, les plafonds sont uniquement en fonction des revenus…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, il y a des aides qui ont été favorisées justement pour la partie des personnes qui sont concernées par les ZFE, déjà, premier point, et puis, deuxième point, je veux rappeler que les collectivités locales ont également, et d'ailleurs certaines le font, l'opportunité de compléter ces aides, enfin, quand vous êtes une collectivité locale, vous ne pouvez pas à la fois demander à être maître du jeu sur le fonctionnement de votre agglomération, prendre des règles qui imposent aux Français, à telle date, de ne plus pouvoir circuler avec une voiture Crit’Air 3, et ensuite, vous roulez par terre en disant que c'est la faute du gouvernement, ce n'est pas sérieux, ça fait quatre ans…

MARC FAUVELLE
En tout cas, le gouvernement ne s'opposera pas au fait de repousser le calendrier pour certaines métropoles…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça fait quatre ans que le sujet a été voté, et d'ailleurs, y compris largement par la gauche, donc j'entends Fabien ROUSSEL avec intérêt, mais, je veux dire, il fait partie d'un groupe qui s'appelle la Nupes, qui a en partie soutenu cette évolution. Ça fait quatre ans que ça n'a pas été travaillé, et tout le monde se réveille en disant : ouh, là, là, c'est compliqué ! Eh bien, que les collectivités locales travaillent avec le gouvernement pour trouver les meilleures solutions, nous, nous mettons en place un leasing à 100 euros par mois…

MARC FAUVELLE
La voiture à 100 euros, elle est pour quand ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Elle est pour… donc la mise en place, c’est pour l'automne prochain, pour faire les pré-réservations de ces voitures, avec une mise en oeuvre…

MARC FAUVELLE
Avec une voiture qui sera française ou pas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est la volonté du gouvernement…

MARC FAUVELLE
Ça, on ne sait toujours pas…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais, effectivement, il faut qu'on ait les productions qui correspondent à cela.

MARC FAUVELLE
On est très en retard, mais je vous pose quand même la question sur ce qui a été le feuilleton pendant des semaines et des semaines, est-ce que – la fin de l'hiver approche – l'hypothèse de délestage électrique est désormais entièrement derrière nous ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui…

MARC FAUVELLE
Oui, bon…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si on continue à faire…

MARC FAUVELLE
Ah, il y a un " oui, si "…

AGNES PANNIER-RUNACHER
A faire un effort, mais bien sûr, si on continue à faire un effort de sobriété, je rappelle que la sobriété, ça nous a permis de passer notamment le point qui a été le plus froid dans l'hiver, qui était le 12 décembre dernier, l'économie de 7 gigawattheures, c'est l'équivalent de 7 réacteurs, on parlait de la construction de six réacteurs, lorsque avec des petits gestes collectifs des grandes administrations, des grandes entreprises, et aussi de tous les Français, on arrive à économiser l'équivalent de 7 réacteurs, eh bien, on fait une vraie avancée, et pour le climat et pour notre portefeuille.

MARC FAUVELLE
Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition énergétique, invitée ce matin de France Info. Merci.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci beaucoup.

MARC FAUVELLE
Et bonne journée à vous.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 2 mars 2023