Interview de M. Roland Lescure, ministre chargé de l'industrie, à France Inter le 3 mars 2023, sur le plan de soutien aux industries agroalimentaires.

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Média : France Inter

Texte intégral

LAETITIA GAYET
Bonjour Roland LESCURE.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

LAETITIA GAYET
Roland LESCURE, ministre délégué chargé de l’Industrie. Ce matin, vous allez vous rendre sur le Salon de l'agriculture à Paris, et vous allez annoncer un plan de soutien aux industries agroalimentaires, 500 millions d'euros. Alors, ce plan arrive 24 heures après des négociations commerciales houleuses entre la grande distribution et l'industrie agroalimentaire, négociations particulièrement difficiles, tous les contrats n'ont pas été signés, où l'on sait déjà qu'en bout de chaîne pour le consommateur il y aura des hausses de prix de l'ordre de 10 %. L'industrie agroalimentaire en France, pour rappel, c'est 16 400 entreprises, 437 000 emplois, premier secteur industriel en termes d'emplois, 198 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Alors, 500 millions d'euros, Roland LESCURE, pour qui ? Les géants comme DANONE ou les petits et pourquoi ?

ROLAND LESCURE
Non, plutôt pour les petits. On a aujourd'hui un secteur qui était un champion français, on était les deuxièmes exportateurs mondiaux de produits agroalimentaires il y a quelques années, on est aujourd'hui numéro 6, et si vous retirez les vins et spiritueux qui vont bien, qui s'exportent dans le monde entier, on est même déficitaire. Donc on a un secteur qui fait face à un défi structurel. Vous rajoutez là-dessus une crise conjoncturelle, évidemment liée à la guerre en Ukraine, une très forte hausse de l'énergie, des matières premières. Heureusement, et grâce à la majorité précédente, on a voté des lois qui préservent le revenu des agriculteurs. Donc, dans le cadre des négociations qu'on vient de vivre, les agriculteurs ont plutôt été bien préservés. Les distributeurs ont mis beaucoup de pression pour limiter l'inflation, et entre les deux, il y a l'industrie agroalimentaire qui a dû rogner ses marges, à peu près 16% l'année dernière. Donc on a des négociations commerciales toujours difficiles, la crise en Ukraine, et un déclin structurel qui est lié à un manque d'investissements. Donc c'est pour ça qu'aujourd'hui effectivement, avec Marc FESNEAU, mon collègue de l'Agriculture, on réunit les industriels, on va les aider à investir, il va falloir que, eux, s'y mettent aussi.

LAETITIA GAYET
Mais ça a été un secteur qui a été très aidé, France relance, France 2030, il y a eu plusieurs plans qui ont été annoncés, avec un secteur qui a été aidé, là on se dit, 500 millions d'euros, comment, sous quelle forme ?

ROLAND LESCURE
Voilà. Alors, c'est vrai que France relance, on a aidé l'industrie agroalimentaire, comme toutes les autres industries, à se relancer, comme son nom l’indique, au sortir de la crise. Là on souhaite investir à plus long terme. Un, investir, investir, investir. Donc on va les aider à se robotiser. Aujourd'hui, on a l'industrie agroalimentaire la moins robotisée d'Europe. Il y a en moyenne 60 robots pour 10 000 salariés dans l'industrie agroalimentaire, c'est 25% de plus partout en Europe. Deux, on va les aider à se décarboner. L'industrie agroalimentaire aujourd'hui, elle consomme 25% du gaz de l'industrie française, alors qu'elle ne représente que 15%. Donc elle consomme plus d'énergie que les autres. Il faut qu'ils se décarbonent. Et troisième point très important, à quoi vont servir ces 500 millions ? A nous aider à consolider la filière. Aujourd'hui, 98 % des entreprises de l'agroalimentaire sont des TPE et des très petites PME.

LAETITIA GAYET
Mais, 500 millions, on ne va pas le donner comme ça, ce n’est pas gratuit j’imagine.

ROLAND LESCURE
Non, exactement. Donc d'abord, ça ne sera pas que de l'argent public. Nous, on souhaite faire un partenariat, un deal, avec des grands investisseurs privés, des grandes entreprises de l'agroalimentaire, pour aider à consolider la filière. Donc nous, on donnera une partie, on donnera, on investira une partie de ces 500 millions, l'Etat le fera…

LAETITIA GAYET
Combien ? Le pourcentage.

ROLAND LESCURE
On en fera une part significative, on va négocier tout ça avec nos co-investisseurs. On ne fera pas plus de la moitié. C’est-à-dire qu'on veut vraiment du donnant-donnant. On veut trouver des partenaires, qui vont nous aider, un, à faire croître ces PME, de manière notamment à ce qu'elles puissent s'exporter, retrouver la place qu'on avait auparavant, qu'on a perdue, je le disais tout à l'heure, et de consolider la filière. On a de trop petites entreprises, il faut qu'elles se rapprochent pour qu'elles soient plus fortes aujourd’hui. On parlait des négociations commerciales, une petite entreprise qui fait de la confiture artisanale, face à un CARREFOUR, LECLERC ou LIDL, c'est le Petit Poucet dans les négociations commerciales. Il faut qu'elle soit plus forte, donc il faut qu'elle se rapproche.

LAETITIA GAYET
Oui mais sous quelle forme ces 500 millions d’euros ?

ROLAND LESCURE
Ça sera un plan d’investissements, donc ce sera un fonds d'investissements, qui fera au total 500 millions. Nous on en prendra notre part, on cherchera des partenaires, je le répète, industriels et financiers, de manière à investir en fonds propres, donc au capital de cette entreprise, pour les faire grandir. On a vraiment besoin de les accompagner, pour les aider à investir, je le répète, robotisation, décarbonation, mais pour les aider à grandir également.

LAETITIA GAYET
Mais qui on choisit alors ?

ROLAND LESCURE
Alors, ce sera un processus évidemment d'investissements extrêmement rigoureux. Moi, je ne souhaite pas que l'argent public soit évidemment dépensé de manière inconséquente, et donc il faut qu'on ait des plans d'affaires, il faut qu'on ait des plans de croissance, il faut qu'on soit convaincu qu'on est face à des entreprises qui souhaitent, je dirais relever le collier, relever la tête. Ça fait maintenant une dizaine d'années que l'industrie est en déclin, j'ai besoin que les industriels s'investissent pour repartir en mode conquête, et notamment à l'international. Vous savez que le marché français, il a plutôt tendance à se réduire. On a aujourd'hui 7 milliards d'individus, qui mangent de plus en plus, de meilleur en meilleur, il faut que l'industrie française se projette à l'international.

LAETITIA GAYET
Oui, mais quand je dis, qui choisit à qui on donne en fait ?

ROLAND LESCURE
Alors, en fait on l’a déjà fait…

LAETITIA GAYET
De manière pratique.

ROLAND LESCURE
Oui, non mais de manière pratique, on l'a déjà fait dans l'aéronautique. Au sortir de la crise, on a lancé un fonds pour appuyer la filière, là aussi pour l'aider à se consolider, à rebondir après la crise, c'est un fonds qui s'appelle ACE, où des industriels, des investisseurs et l'État, qui était représenté par la Banque publique d'investissement, se sont rassemblés pour investir dans des entreprises, de manière à ce qu'elles se développent. Donc on aura un mécanisme similaire, avec un fonds d'investissement, dans lequel l’État sera présent, de manière à pouvoir s'assurer que l'argent public est dépensé à de bonnes directions, et notamment évidemment la consolidation et la croissance de ce secteur.

LAETITIA GAYET
Alors, si je me faisais l'avocat du diable, est-ce que le but de ces aides, ce n’est pas aussi quelque part d'atténuer les hausses de prix qui ont été négociées dans les négociations commerciales avec la grande distribution ?

ROLAND LESCURE
Non, je pense qu’aujourd'hui, malheureusement, ces négociations commerciales, trop souvent, elles conduisent à partager la misère. On fait face à une crise internationale, qui fait que les prix de l'énergie ont monté, et la question c'est : comment on partage malheureusement cette douleur, entre les consommateurs, on souhaite que l'inflation soit la plus faible possible, les agriculteurs, dont on souhaite qu'ils continuent à pouvoir faire leur travail, et ceux qui sont au milieu, des industriels, les distributeurs. Je pense qu'il faut qu'on arrive à se projeter, au-delà de ça. Ce plan, il vise au contraire à investir, de manière à je le répète, qu'on puisse aussi sortir du marché français, sur lequel on a évidemment des difficultés. Parce que le gâteau, il ne grandit pas en France, donc on se partage un gâteau…

LAETITIA GAYET
Oui, mais en même temps, on n'a pas une souveraineté alimentaire non plus.

ROLAND LESCURE
Exactement. Donc il faut qu'on soit plus compétitifs, de manière à ce qu'on produise davantage en France, qu’on importe moins. Mais la souveraineté, ça se conquiert, ce n’est pas en fermant les frontières qu'on va y arriver, parce qu'aujourd'hui évidemment si vous fermez les frontières françaises, nos vins, nos spiritueux qu'on exporte partout dans le monde, on va leur faire la porte. Il faut qu'on soit plus compétitif, il faut qu'on soit, je le répète plus robotisé, plus décarboné. Je pense que les ménages aujourd'hui… Nos concitoyens, les Françaises et les Français, ils sont prêts à payer pour une alimentation de qualité, à condition qu'on leur prouve qu'elle est effectivement verte, respectueuse de l'environnement, et de plus en plus qu'elle est française. Ils sont prêts à payer pour ça.

LAETITIA GAYET
Mais par exemple, vous parlez d'un secteur de l'agroalimentaire fragile, tout n'est pas fragile dans ce secteur-là, qui est le plus fragile ?

ROLAND LESCURE
Les petites et moyennes entreprises, qui ont insuffisamment investi. Je vous donnais un exemple…

LAETITIA GAYET
Dans le laitier, dans le….

ROLAND LESCURE
Alors, par exemple, la confiture aujourd'hui. Pour faire de la confiture, il faut du sucre, le prix du sucre a augmenté, il faut des fruits, les fruits ont augmenté, il faut des bocaux, le prix du verre a beaucoup augmenté. Donc on a des secteurs, notamment dans la confiture artisanale, qui sont aujourd'hui extrêmement fragilisés. Il faut qu'on les aide à améliorer leur compétitivité, à devenir sans doute plutôt des champions mondiaux de la confiture que les champions locaux…

LAETITIA GAYET
Il y a du boulot, quoi.

ROLAND LESCURE
Il y a du boulot, il y a beaucoup de boulot. Mais je pense que les industriels, aujourd'hui ils sont prêts, ils savent qu'ils sont à un tournant historique pour lequel il faut qu'ils arrivent à se projeter vers l'avant, en tout cas c'est ce qu'on leur dira avec Marc FESNEAU tout à l’heure, et je suis sûr qu'ils sont prêts à l'entendre.

LAETITIA GAYET
Oui, en fait il y a un gros discours volontaire, et vous avez vraiment très envie qu'ils l’entendent, là, on a bien compris.

ROLAND LESCURE
On a besoin de volontarisme. Moi je suis, allez, je vais le dire comme ça, un peu choqué par le misérabilisme ambiant, qui a tendance à tous un peu nous occuper ces temps-ci, sur tous les sujets dont on parle. Moi je considère que face à des chocs, c'est en se, d’abord, resserrant les coudes, en se retroussant les manches et en faisant preuve de volontarisme, qu'on va arriver à s'en sortir. L’État est prêt à faire sa part du travail, les industriels doivent en faire autant. Les agriculteurs l’ont fait pendant la crise, je pense que les distributeurs, le président de la République l'a dit, il a raison, doivent aussi faire leur part du travail, et ensemble on va s'en sortir.

LAETITIA GAYET
Merci Roland LESCURE.

ROLAND LESCURE
Merci à vous.


Source : service d’information du Gouvernement, le 7 mars 2023