Texte intégral
LAURE CLOSIER
Et ce mercredi soir, les cinquante sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre auront rendez-vous avec le ministre de l’Industrie. Et le ministre de l’Industrie, à 7h45, a d’abord rendez-vous avec nous. Bonjour Roland LESCURE.
ROLAND LESCURE
Bonjour.
LAURE CLOSIER
Merci d’être avec nous.
ROLAND LESCURE
Merci à vous.
LAURE CLOSIER
Il y a six mois, Emmanuel MACRON avait fait un petit rendez-vous avec ces cinquante industriels les plus polluants. Il leur avait dit " je vous donne six mois pour me faire un peu votre feuille de route sur la décarbonation. " Aujourd’hui, vous allez relever les copies.
ROLAND LESCURE
Exactement. Et les copies sont plutôt bonnes. En fait, c’est un point d’étape parce qu’on s’est engagé auprès de Président de la République à lui revenir avec des plans détaillés avant l’été. Donc, ce sera sans doute fin mai – début juin. Et là, je fais un plan d’étape avec eux à la fois pour s’assurer que les feuilles de routes sont bien en train d’être finalisées. Et c’est le cas. Il y a cinquante sites émetteurs. Et juste pour vous donner des exemples concrets, les sites qu’est-ce que c’est ? C’est une aciérie à Dunkerque, c’est une usine qui fait de la chaux dans le Pas-de-Calais, c’est une raffinerie dans les Bouches-du-Rhône. Donc, c'est des usines qui sont un peu partout sur le territoire.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et qui représentent 50%…
ROLAND LESCURE
60.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
60% des émissions de l'industrie.
ROLAND LESCURE
60% des émissions de l'industrie. Ça veut dire que vous avez cinquante sites qui émettent 40 mégatonnes de CO2 par an. L'ensemble des logements français – 37 millions de logements - c'est 80 mégatonnes. Donc si vous décarbonez ces cinquante sites, c'est comme décarboner la moitié des logements français. Donc, c'est à la fois très ambitieux, assez efficace en fait, parce que vous devez négocier cinquante plans de décarbonation. Et si vous réussissez, c'est fait. C'est, au fond, assez peu coûteux. Ça coûte moins cher de décarboner y compris l'argent public. Ces sites que les millions de logements … Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire les logements, il faut le faire aussi. Et en plus, ce qui est superbe, c'est que ça crée de l'emploi. C'est-à-dire que ça crée une révolution industrielle parce que pour décarboner, il faut inventer l'industrie de la décarbonation. Ça, c'est l'hydrogène, c'est les batteries, c'est la capture de carbone. Donc, on est vraiment dans du gagnant-gagnant où on décarbone l'industrie traditionnelle et on développe l'industrie de la décarbonation.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on a la liste des cinquante sites polluants. Alors, il est marqué " non diffusable ". Ce n’est pas du name and shame parce qu'en fait…
LAURE CLOSIER
C’est facile à savoir.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On les connaît.
ROLAND LESCURE
Bien sûr.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et c'est vrai que vous dites qu’ils ont déjà fait des efforts, ils ont déjà investi 5 milliards d'euros pour se décarboner, donc il faudrait le double. Et l’Etat y a quand même largement contribué. Ils le font parce qu’ils sont aussi aidés et accompagnés quand même.
ROLAND LESCURE
Bien sûr. Aujourd'hui, si vous voulez décarboner l'industrie, ce n'est pas aujourd'hui rentable. Donc, c’est exactement ça le rôle de l'Etat ; c'est d'aider des industries d'aujourd'hui à se projeter vers demain en les subventionnant. On n'est pas les seuls à le faire ; les Allemands le font, les Italiens, les Américains le font, les Chinois le font, pour les aider à rendre une activité décarbonée rentable. Mais pour être très concret, si on veut des voitures électriques qui circulent partout en France, à horizon 2035, on s’est engagé ; il y a deux solutions : soit on les importe, soit on les fabrique en France. Mais si vous voulez fabriquer des véhicules électriques décarbonés, il faut que l'acier qui va rentrer dedans, il soit, lui aussi, décarboné. Et donc, on est en train de décarboner des aciéries. Ça fait 150 ans qu'on fabrique de l'acier à partir de charbon. Et là, grâce à l'hydrogène, on peut changer de technologie, changer de recettes et se dire " on va créer de l'acier à partir d'hydrogène ". Pour ça, il faut produire de l'hydrogène ; donc c'est un des gros défis industriels des années qui viennent.
LAURE CLOSIER
Mais concrètement, vous allez recevoir les cinquante feuilles de route, vous allez les regarder dans le détail et juger de la qualité des efforts qui vont être fournis. C’est-à-dire quoi ? Il y a des objectifs concrets ? Vous dites " c'est possible, ce n'est pas possible " ?
ROLAND LESCURE
Exactement, on est sur des objectifs très concrets de dire " d'ici 2030, est-ce que vous êtes capables de diviser par deux vos émissions ? Puis d'ici 2050, est-ce que vous êtes capables de les supprimer complètement ? " Et c'est vraiment du donnant-donnant. Vous disiez 5 plus 5 milliards, en fait, ce qu'on a dit c’est qu’il y a déjà 5 milliards de prévus d'argent public. Ça va coûter plus cher que ça, en fait parce que, eux vont aussi payer une partie pour les aider à décarboner. S'ils sont prêts à doubler les efforts, c'est le deal que leur a passé entre les mains le Président de la République ; nous, on est prêts aussi à doubler nos efforts. Donc, l'objectif du travail qu'on fait aujourd'hui, au-delà du fait qu'on souhaite partager ça et le grand public. On fait un événement à Bercy, il y aura des journalistes, il y aura des étudiants, il y aura des industriels, il y aura des ONG ; moi, je souhaite vraiment qu'on se saisisse de cette cause comme une grande cause nationale. Quoi qu'on se dise, cette révolution est à faire.
LAURE CLOSIER
Mais vous allez renvoyer des feuilles de route quand elles ne sont pas à la hauteur ?
ROLAND LESCURE
Non, parce qu’on a quand même un peu travaillé en amont. Donc, comme vous le disiez tout à l'heure, on relève les copies mais il y a déjà eu des échanges. Mais, je pense qu'il y a certains à qui on va dire " peut mieux faire " et d'autres à qui on va dire " bravo ".
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que c'est votre rôle ? Est-ce que vous n’avez pas l'impression que finalement, même sans vous, ce serait réalisé ? On les reçoit tous les jours. On voit bien à quel point, vis-à-vis de leurs clients, vis-à-vis de leurs salariés, ils doivent être décarbonés. Et puis, en plus, il y a tellement de rupture technologique, vous l'avez dit : l'hydrogène, la géothermie ; on était avec une start-up tout à l'heure. Tout ça fait qu'au fond, ils sont en train de devenir presque autonomes en termes d'énergie grâce aux renouvelables.
ROLAND LESCURE
Ce qui est vrai, c'est que sans eux, ça ne se ferait pas. Moi, je ne ferais pas tout, tout seul. Moi, je prends mon rôle un peu comme une espèce de capitaine de l'équipe de France, même peut-être un coach d'ailleurs, qui essaie de faire jouer ensemble tous ces acteurs. C’est-à-dire qu'aujourd'hui par exemple, on rassemble à Bercy des émetteurs ; ceux qui fournissent des solutions : les gens qui vont produire de l'hydrogène y compris des start-ups, des gens qui vont capter du carbone. Donc mon rôle, c'est plutôt d'organiser tout ça, de faire en sorte que… Vous avez raison, les entreprises qui, aujourd'hui, pour recruter, pour vendre, pour convaincre leurs actionnaires d'investir chez eux, ont besoin de décarboner. Donc au fond…
LAURE CLOSIER
Ça a besoin des 5 milliards ?
ROLAND LESCURE
Moi, je pense …
LAURE CLOSIER
C'est ça la question. Finalement s’ils le font tout seul.
ROLAND LESCURE
Je vais vous donner un exemple très concret. Moi, j'ai discuté avec mon homologue allemand. THYSSENKRUPP a décarboné son aciérie. Le Gouvernement allemand envisage de l'aider à hauteur de centaines et de centaines de millions. On n'est à plus d'un milliard. Si à ARCELOR, moi, je dis " vous vous débrouillez tout seul ", l'acier d'ARCELOR, il sera fait en Allemagne. Non, il faut reconnaître que les entreprises doivent faire des efforts, c'est du donnant-donnant ; mais que l'Etat a intérêt à les aider. Parce qu'en plus derrière, c'est quoi ? C'est de la prospérité, c'est de l'emploi dans les territoires. Ces usines, aujourd'hui, ce sont des cathédrales territoriales. Tout le monde à Dunkerque connaît l’aciérie d'ARCELOR. Tout le monde à l’ouest dans le Pas-de-Calais connaît l'usine de chaux. Donc, ce sont des usines auxquelles les Françaises et les Français sont attachés ; dans lesquelles leurs parents ou leurs grands-parents ont travaillé, et qui sont assez fiers en fait d'accompagner sur cette voie de la modernité.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Voilà. Roland LESCURE, ministre de l'Industrie. C'est du donnant-donnant. On espère que ce sera du gagnant-gagnant. Ça aurait pu être une chronique de Bertille BAYART, mais on va parler des banques aujourd'hui.
LAURE CLOSIER
Pour la semaine prochaine. Merci beaucoup Roland LESCURE.
ROLAND LESCURE
Merci à vous.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 12 avril 2023