Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à France Culture le 25 avril 2023, sur le réchauffement climatique, la décarbonation et les écologistes.

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Média : France Culture

Texte intégral

QUENTIN LAFAY
Bonjour Christophe BECHU.

CHRISTOPHE BECHU
Bonjour Quentin LAFAY.

QUENTIN LAFAY
Vous êtes ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, vous êtes également le ministre qui avez annoncé il y a quelques semaines, à l’antenne de France Info, que nous vivrions bientôt dans un monde à +4 degrés, +4 degrés de réchauffement climatique, qu’est-ce que cela implique d’un point de vue très concret ?

CHRISTOPHE BECHU
D’abord je pense que c’est une excellente manière de prendre conscience de ce qui nous arrive. Parfois se dire qu’on va connaître 1 ou 2 degrés de plus, il y a précisément des matins où on se dit qu’1 ou 2 degrés de plus ça pourrait être agréable, mais ce n’est pas ça le réchauffement climatique, c’est un dérèglement, et plus on s’écarte de la température qu’on connaissait dans l’aire préindustrielle, plus ces dérèglements augmentent. A 4 degrés ce n’est pas 10% de neige en moins l’hiver, c’est 25% de neige en moins, c’est les deux tiers des stations de ski sur lesquelles on ne peut plus pratiquer ce type d’activité, c’est un risque de sécheresse qui est multiplié par cinq, c’est des températures caniculaires qui atteignent les 50 degrés avec des vagues de chaleur qui sont susceptibles de durer, c’est 25, 30, 40% d’eau en moins en fonction des secteurs qu’on est capable d’utiliser pour des activités humaines, et je peux multiplier les exemples de ce type. Chaque degré compte, chaque degré qui nous écarte de ce 1,5 qu’on a souhaité au moment de l’Accord de Paris il nous entraîne vers des territoires qui menacent les écosystèmes, la biodiversité et la façon aujourd’hui dont on vit sur cette planète. Ça fait plusieurs générations maintenant que la façon dont on vit excède ce que la planète est capable de nous fournir, avec bien sûr ce réchauffement climatique qui entraîne cette augmentation, mais avec aussi, en parallèle, 75% de pollution à l’échelle des terres sur lesquelles nous vivons, des milieux qu’on a saccagés, et donc une nécessité d’aller bouleverser, d’aller inverser l’ensemble de ces tendances, et en prenant conscience de ce vers quoi nous allons, j’espère, à la fois qu’on accélérera la prise de conscience de tout le monde et qu’on s’écartera de ce scénario, qui n’est pas le scénario du pire, qui est le scénario, à la minute où nous nous parlons, du probable.

QUENTIN LAFAY
Le diagnostic que vous établissez, Christophe BECHU, est implacable, il est même effrayant, est-ce qu’il correspond à l’engagement du gouvernement sur ces questions ? on pourrait multiplier les contre-exemples, les décisions non écologiques, je vais en prendre trois. La première, en 2021, la condamnation de l’Etat français pour non-respect de ses engagements climatiques, une deuxième, le gouvernement a fait voter en juillet 2022, à l’Assemblée, l’installation d’un terminal méthanier au large du Havre, une troisième, le gouvernement a acté le redémarrage pour l’hiver 2022-2023 de la centrale à charbon de Saint-Avold, est-ce qu’au fond le diagnostic correspond aux actes du gouvernement depuis maintenant – allez, vous y êtes depuis un an et demi – mais même depuis 2017 ?

CHRISTOPHE BECHU
D’abord je vous remercie de me prêter à 18 mois d'ancienneté, je suis arrivé en juillet, mais peut-être que les jours n'ont pas la même valeur selon l’endroit où on les regarde.

QUENTIN LAFAY
A l’écologie.

CHRISTOPHE BECHU
A l’écologie. Deux mots. D’abord, dans les décisions que vous citez, il y a un contexte, il y a un cap, ce cap il est clair, c'est celui de la planification, c'est celui de décarbonation, on va y revenir, mais sur ce cap, si vous suivez cette ligne, il y a des récifs, ces récifs ils peuvent être sociaux, ils peuvent être géopolitiques, dans les décisions que vous évoquez il y a la guerre en Ukraine qui fait qu'à un moment, en particulier pour ce terminal méthanier ou pour cette réouverture de centrale à charbon, c'est lié à un conflit avec la Russie qui fait que notre pays a décidé d'aligner ses valeurs, son discours, avec ses pratiques, et de se priver d'hydrocarbures venant de Russie qui nous permettaient d’en avoir pour moins cher et qui nous évitaient, en termes de mix-énergétique, d'être effectivement obligés de se tourner, ou vers un méthanier flottant, ou vers une réouverture de centrale à charbon. Ce serait faire le même procès aux écologistes allemands quand on leur dit " mais enfin, quand même, vous nous expliquez que vous ne voulez que de l'énergie renouvelable, et pourtant vous avez aujourd'hui du charbon dans votre mix-énergétique. " Tout le monde est en chemin et en transition, l'Europe bien plus que les autres continents, on a à la fois ici des débats et des activistes qui sont plus engagés, ou plus violents, et on a pourtant le continent qui a le plus engagé sa décarbonation. Mais qu’on s’entende bien, dans notre pays aujourd'hui on est un peu au-delà de 25% de baisse d'émissions par rapport à 1990, c’est à la fois beaucoup, parce que ce rythme il a doublé au cours de ces dernières années, et ce n’est pas assez parce qu’il faut qu'on double à nouveau le rythme pour tenir l'échéance de 2030 qui est la prochaine sur laquelle on s'est engagé, mais rien de tout ça ne se fait avec un coup de baguette magique et des appels à la radicalité ou à la pureté dans les décisions, elles oublient qu'on a des hommes et des femmes entre les deux, des hommes et des femmes qui, compte tenu de la flambée des prix, de l'essence, du fioul, ont eu, de la part du Parlement, l'été dernier, des mesures de ristourne, dont certaines ont même été votées, contre l'avis du gouvernement, par toutes les oppositions unanimes.

QUENTIN LAFAY
Ce n’est pas forcément un appel à la radicalité, Christophe BECHU, c'est peut-être simplement un appel à la cohérence entre le diagnostic juste, profond, que vous établissez, et les mesures afférentes.

CHRISTOPHE BECHU
Je maintiens qu’il y a une totale cohérence entre les deux. Les critiques elles visent le rythme de ces évolutions et elles visent quelques mesures, mais si vous dézoomez, que vous prenez le tableau dans son entier, vous avez cité la décision de justice qui a condamné la France pour inaction climatique, c'est intéressant, la France elle a été condamnée pour ne pas avoir respecté ses émissions de carbone sur les années 2015, 2016, 2017 et 2018, nous avons tenu nos objectifs 2019, 2020, 2021, et les premières tendances nous laissent penser que nous allons tenir nos objectifs de 2022, l'essentiel de la condamnation elle porte donc sur la fin du quinquennat précédent avec, depuis ce moment, une accélération, et dans le cadre de cette accélération les choses elles ne se sont pas faites à partir de rien, même si le dispositif est améliorable, MaPrimeRénov’ c'est plus d'un million et demi de logements qui ont été rénovés, on est désormais sur un rythme où c’est environ 200.000 chaudières fioul de moins par an, là aussi un doublement quand on compare à la situation d'il y a 5 ans, des mesures récentes qui produisent des effets. Mars, un de millions de trajets de covoiturage quotidien, ce chiffre il était de 300.000 en décembre dernier, un plan vélo, aujourd'hui c'est presque devenu une évidence, mais le premier plan vélo de ce pays dans lequel l'Etat a mis de l'argent pour aller soutenir le développement des… cyclables, ça s'est passé au début du dernier quinquennat, et aujourd'hui, quand on voit l'explosion de la pratique et la manière dont l'ensemble des élus se saisissent de ce sujet, on pourrait presque croire que ça a commencé il y a 30 ans. On est, sur ces sujets, dans des alignements complets, alors peut-être qu'on ne le vend pas bien, peut-être que dans la façon dont on communique, et je prends toute la part de critiques, bien entendu, parce que quand on est responsable ministériel c'est évidemment d'abord un job dans lequel il faut être capable d'assumer, mais je peux vous assurer que cette cohérence elle s'applique tous les jours dans des décisions qu’on prend.

QUENTIN LAFAY
La question que vous soulevez, en tout cas que votre réponse soulève en creux, Christophe BECHU, c'est celle, au fond, des ambitions contradictoires au sein d'un même gouvernement. Robert POUJADE, le premier occupant du poste de ministre de la Protection de la nature et de l'Environnement en 1971 avait qualifié ce ministère de " ministère de l'impossible ", et il décriait déjà le poids des lobbies, les frictions avec Bercy ou le ministère de l'Agriculture, est-ce que ce n’est pas cela, au fond, ce à quoi vous êtes confronté aujourd'hui, Christophe BECHU, la difficulté à imposer une vue écologiste au sein du gouvernement ?

CHRISTOPHE BECHU
Merci pour cette citation parce que d'abord elle remet les choses dans leur contexte, et je ne suis pas loin de penser que beaucoup de mes prédécesseurs se sont, à un moment ou à un autre, dit ça, parce que vous êtes dans des injonctions contradictoires.

QUENTIN LAFAY
D’autres ont fait le même constat.

CHRISTOPHE BECHU
D’autres ont fait le même constat, d’autres sont parfois parti en claquant la porte…

QUENTIN LAFAY
On pense à Nicolas HULOT.

CHRISTOPHE BECHU
D’une manière visible - et je pense à Nicolas HULOT - ou d'autres ont exprimé une part de frustration. Mon tempérament il n’est pas de me plaindre ou de me lamenter sur les arbitrages que je ne gagne pas, il est de continuer à faire en sorte de les remporter, mais, pour deux raisons. D’abord parce que, oui, pour une part c'est le ministère de l'impossible, vous êtes à la fois avec une injonction à prendre des décisions dans le court terme et en même temps la plupart de ces décisions elles s'inscrivent dans un temps long, celui de la sortie des énergies fossiles, qui à l'échelle de notre planète, de notre histoire, est un vrai changement, est un vrai changement de cap parce qu’il y a une addiction de nos sociétés à ces énergies et à tout ce qu'elles permettent, et dans le même temps ce ministère c'est aussi celui de tous les possibles. L’impossible c’est de continuer à vivre comme nous vivons, c'est de continuer de penser qu'on peut se permettre de ne pas faire attention à notre consommation, de continuer à menacer un million d'espèces sur les huit qui existent sur la planète, de continuer à consommer, chacun d'entre nous, 150 litres d'eau potable, par jour et par personne, en ne faisant pas attention à cette ressource, on ne changeant pas la manière dont on prend soin de nos forêts, au moment où on se rend compte qu'avec le réchauffement climatique le risque incendies augmente, et leur fragilité s'accroît également, donc c'est à la fois le ministère de l'impossible, mais c'est en même temps celui de tous les possibles, et le mot transition il résume les choses. Pourquoi les choses sont complexes ? parce que dans tous les ministères vous avez des activités humaines, vous avez des activités économiques, sociales, et que passer de la situation dans laquelle nous étions hier à la situation dans laquelle on doit se trouver demain, ça ne se fait pas, ni sans heurts, ni sans ruptures, ni sans changements de pratiques, et ça, chacun de ces changements de pratiques il se traduit par des résistances, certaines légitimes, parce qu'il s'agit d'aller préserver la solidarité, si vous faites une transition qui n’est pas solidaire et que vous prenez des décision qui sont rapides, mais que vous les faites supporter par des gens qui ont déjà des problèmes de fins de mois et auxquels vous ajoutez des problèmes de fin du monde, vous réglez, ni le problème de l'écologie, ni celui de la solidarité, et ça doit également se faire en embarquant les activités humaines, parce que si vous prenez des décisions qui ont comme conséquence d'arrêter la moitié de nos activités agricoles pour augmenter nos importations, on ne rend pas non plus service à la planète en se retrouvant avec plus d'importations et moins de productions locales.

QUENTIN LAFAY
Mentionner cette formule du ministère de l'impossible, c'est aussi se demander si le ministère de l'Ecologie, dans un travail interministériel, à pouvoir justement pour faire appliquer certains de ses choix, pour faire respecter certains de ses choix, et notamment en termes de politique publique, est-ce que vous avez par exemple la main sur certains segments de politique publique comme le nucléaire ?

CHRISTOPHE BECHU
Alors, vous prenez volontairement un exemple qui relève du ministère de la Transition énergétique, pas celui de la Transition écologique, et c'est une question qui m'a été plusieurs fois posée, sur le fait de se dire comment est-ce qu'on peut conduire une transition à partir du moment où l'énergie, qui est au coeur de ce défi de la décarbonation, ne s’y situe pas.

QUENTIN LAFAY
Et qui par ailleurs est, je me permets de vous couper, largement organisé par Bercy aussi.

CHRISTOPHE BECHU
Et qui relève, vous avez raison de le dire, compte tenu de la particularité de la filière nucléaire, de son lien avec notre souveraineté, de son intensité capitalistique, est effectivement très liée au ministère de l'Economie. D’abord, la tâche est tellement vaste, qu'on n'est pas de trop pour être capable de s'en occuper, et ce n’est pas tout à fait un hasard si le choix fait par le président de la République c'est de dire « la planification ça relève de Matignon et de la Première ministre », parce que ça ne peut pas être un combat entre ministères, il faut qu'il y ait l'arbitrage naturel de la cheffe du gouvernement pour être capable, à la fin, d'expliquer le chemin que prend la transition et d'assumer des arbitrages entre des attentes qui par définition ne sont pas les mêmes. Cette séparation entre l'énergie, et d'environnement, elle s'est généralisée, depuis un an, en particulier en Europe, c'est aussi une des conséquences du conflit en Ukraine, c'est le cas en Allemagne où vous avez un ministre qui suit les questions de climat et d'énergie et une autre qui suit les questions d'environnement, et c'est le cas dans de plus en plus de pays, parce qu'on voit bien qu’il y a tellement de sujets qui relèvent de cette transition écologique, y compris des sujets autour du bien-être animal, autour de la préservation de la biodiversité, autour de l'adaptation au changement climatique, qui sont globalement des sujets dont on parlait nettement moins il y a quelques années, qui étaient moins souvent invités dans le débat public, et donc je ne pense pas que ce soit un frein, je pense vraiment que c'est ce qui rend possible le fait d'avoir une polyphonie gouvernementale sur des sujets de ce type et, au contraire, d'être plusieurs à conduire une transition, des transitions qui sont nécessaires.

QUENTIN LAFAY
La puissance publique, Christophe BECHU, fait face aujourd'hui à une vague de contestation, notamment une vague de contestation sur le plan local, liée à des projets jugés non-écologistes par les militants, le dernier en date l’A69 qui doit relier Toulouse et Castres, comment vous souhaitez, vous, vous organiser sur ce type de projet, est-ce qu’au fond il faut tout réévaluer ou contester l'idée même de contestation ?

CHRISTOPHE BECHU
On ne peut pas contester l'idée de la contestation, d'abord parce que je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui contestent, quels que soient les dossiers dont on parle, mais dans la sphère publique il faut une instance d'arbitrage, et cette instance d'arbitrage, à la fin c'est le juge. Il peut y avoir une volonté politique, locale ou nationale, il peut y avoir des contestations, locales ou nationales, on a à la fois des procédures, de validation d'utilité publique, la possibilité d'aller contester cette utilité publique, et moi je ne sais pas, dans une démocratie, inventer une règle en fonction du nombre de ceux qui protestent contre un projet, quand ceux qui le soutiennent sont silencieux. Dans le même temps, ce que vous pointez en creux, c'est le fait qu’on a souvent des procédures longues qui fait qu'entre le moment où vous constatez une utilité publique, et le moment où le projet commence à entrer en réalisation, il peut y avoir une évolution de la société ou de ceux qui le soutiennent, mais je commence par bien dire que, on ne peut pas par principe, ni contester la contestation, ni ne pas s’abriter derrière les mécanismes d'arbitrage classique qui sont ceux de la justice, donc ensuite l’approche elle se fait en fonction des projets, en fonction de la nature de ces projets, en fonction de leur stade d'avancement. Je ne suis pas un spécialiste de ce tronçon d'autoroute entre Toulouse et Castres, ce que je sais c'est que l'utilité publique elle a été déclarée parce qu'il s'agit du seul territoire de plus de 100.000 habitants qui n'est pas relié par une deux fois deux voies à Toulouse, qu'il est massivement soutenu par une population qui considère que cette absence d'infrastructure elle s'est traduite par une perte d'attractivité, à la fois d'un point de vue économique, et d'un point de vue social, ce que je sais aussi c'est que l'avenir il n’est pas d'aller construire des autoroutes et des routes. La situation dans laquelle le gouvernement est en train de se mettre, c'est celui d'intensifier ses investissements dans le ferroviaire, et dans les transports décarbonés au sens large, et de diminuer son soutien à des projets routiers, c'est à la fois le sens de ce qu’Elisabeth BORNE a annoncé dans la foulée du comité d'orientation des infrastructures et des fameux 100 milliards d'euros que nous allons consacrer au réseau ferroviaire dans son entier, depuis la régénération, les petites lignes, en passant par les services express métropolitain.

QUENTIN LAFAY
L’idée n'est pas de contester la contestation, Christophe BECHU vous l'avez dit, et Noël MAMERE, ex-député Europe Ecologie-Les Verts, a signé une tribune hier dans le journal " Le Monde " et explique que ce gouvernement a une volonté politique de criminaliser des milliers d'écologistes. Une réaction face à cette affirmation ?

CHRISTOPHE BECHU
Elle est outrancière. Noël MAMERE est coutumier du fait, il a à la fois le choc de la formule, mais…

QUENTIN LAFAY
On a bien entendu parler d'écoterrorisme parfois dans la bouche de Gérald DARMANIN qui a aussi le choc de la formule parfois.

CHRISTOPHE BECHU
Moi je suis heureux d'être votre invité, parce que y compris dans la manière dont on discute, le sujet ce n’est pas d'aller trouver une punchline ou une phrase de trois mots qui va clore le débat, et il faut parfois avoir le courage de la nuance, et ce n’est pas le plus simple, dans la vie politique de manière générale, et à l'écologie en particulier. Cette phrase elle a été prononcée par le ministre de l'Intérieur après une manifestation dans laquelle il y a eu près de 70 gendarmes qui ont été blessés, et ce n’était pas ce qu'on a vécu il y a quelques semaines, c'était au mois d'octobre, avec moins de raisons de penser qu'on irait vers un tel degré de violence, et autant je ne suis pas pour qu'on criminalise, loin s'en faut, ni la contestation, ni l'action écologique, autant on ne peut pas avoir la moindre complaisance avec la violence et faire en sorte de l’excusez du bout des lèvres ou de lui trouver une justification, ce n’est pas compatible avec un engagement républicain ou démocratique.

QUENTIN LAFAY
Suite de notre conversation avec le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe BECHU, il est rejoint dans cette deuxième partie des " Matins " par Claire LEJEUNE, bonjour.

CLAIRE LEJEUNE
Bonjour

QUENTIN LAFAY
Merci à vous d'être ici, vous êtes militante écologiste, chercheuse en théorie politique, coresponsable du département planification écologique de l'Institut de La Boétie, et pour faire face à l'urgence écologique, Christophe BECHU, la France s'est fixée des objectifs environnementaux ambitieux, notamment celui de baisser de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, et pour y parvenir, pour arriver à ce bout, en tout cas une étape importante du chemin, le président de la République a employé un mot pendant la campagne de 2022, celui de " planification ", un terme qu'on entend un peu moins ces derniers mois, et pourtant votre ministère y travaille, quelle est votre vision, votre conception, de la planification ?

CHRISTOPHE BECHU
La planification ça dit bien ce que ça veut dire, établir un plan qui permette d'assurer la transition et d'expliquer comment, dans chaque secteur d'activité, émetteur de gaz à effet de serre, on organise cette baisse, pas d'ailleurs seulement la baisse des émissions, mais aussi l'augmentation du stockage du carbone, je pense en particulier à ce qui se joue autour des forêts, autour des prairies, qui est aussi un des axes de ces -55%, qui sont à la fois un engagement français, dans un cadre, qui est le " Fit for 55 " européen, qui donne lieu, en ce moment même, au sein du Parlement, à un certain nombre de votes très symboliques qui s'inscrivent dans cette planification européenne. Donc, très concrètement, comment est-ce qu'on fait en France ? depuis des mois, avec un temps qui, pour l'essentiel est un temps masqué, mais on approche de l'été, c'est-à-dire du moment où on va présenter cette planification, on prend chaque secteur, les transports c'est 30% des émissions, le bâtiment c'est un peu moins de 20, l'agriculture c'est aux alentours de 20, l'énergie c'est aux alentours de 10, l’industrie c'est aux alentours de 20, et dans chacun de ces secteurs on regarde comment on est capable de diminuer les tonnes de CO2 qui sont émises. On sait que le chemin à parcourir il est de passer des 410, 408 auxquels on est sans doute au 1er janvier de cette année quand les chiffres du CITEPA seront définitifs, à 270 millions de tonnes, qui est la traduction du -55 %, à l'horizon 2030, et on document en face de ces 140 millions de tonnes qu'il faut qu'on aille chercher, la manière de l'atteindre. Quelle diminution du fuel pour être capable de faire une partie du chemin, quelle réalité de la baisse des émissions carbonées au niveau des transports, avec, du coup, pas seulement une sorte de prophétie ou de calcul, mais la manière de l'atteindre, quel est le niveau d'aides, par exemple, sur les primes à la conversion, le nombre de bornes de recharge électrique qu'il faut qu'on soit capable de mettre en place pour augmenter la part d'immatriculation des véhicules électriques et en même temps quel chemin pour ne pas perdre en route les ouvriers et faire en sorte que ce soit des voitures fabriquées en Europe, et pas dans des usines alimentées au charbon, qui permettent d'assurer ce mix, c'est le sens de la planification. Alors, ça peut sembler un peu technique de le dire comme ça, mais c’est derrière à la fois, énormément de travail de modélisation, et puis beaucoup de discussions ou de concertations avec les parties prenantes, parce que dans chaque décision que vous prenez il y a des changements, économiques, comportementaux, fiscaux qui vont devoir être corrélés à ces évolutions. Avec des chantiers visibles, celui en particulier de la forêt, qui est une des premières briques de cette planification écologique et qui a déjà été présenté, on a un dérèglement qui fragilise notre forêt, à la fois parce que les températures aujourd'hui elles conduisent à un dépérissement accéléré d'une partie des essences, il y a donc un travail, qu'on vient de lancer, de plusieurs dizaines de millions d'euros, de travaux de recherche, de grainothèque, pour être capable de savoir comment demain, par rapport à des températures méditerranéennes sur une partie nord du pays il faut aussi qu'on fasse évoluer les essences, et puis des réflexions et des travaux sur les sols, et une accentuation de la politique de replantation, parce qu'on a une forêt qui souffre tellement qu’elle ne remplit pas totalement son rôle de piégeage du carbone, c'est un exemple, il peut y en avoir d'autres, mais puisque c'est une discussion je ne souhaite pas monopoliser la parole ce que je peux dire sur le grand dessein c’est ça, mais je suis évidemment à votre disposition pour préciser tout ça.

(…) Entretien avec Claire LEJEUNE.

QUENTIN LAFAY
Christophe BECHU, une réaction sur la première partie de la réponse de Claire LEJEUNE, est-ce qu'au fond l'Etat a effectivement les moyens, les moyens financiers, opérationnels, les moyens dans son rapport aux autres parts de la société, pour organiser effectivement cette planification ?

CHRISTOPHE BECHU
D’abord comparer la situation d'aujourd'hui à l’après-guerre, il y a la fois des choses sur lesquelles on peut se rejoindre, sur l'ampleur du changement, sur l'ampleur de l'évolution des transitions, parce que ça n'interroge nos comportements, nos façons de produire, nos façons de cultiver, bref presque tous les pans de notre vie, et avec effectivement une intensité de ces changements qui est comparable à cette période. Mais, il s’est passé un truc aussi, entre les deux. A la fin de la Seconde Guerre mondiale le club des pays développés, il vivait dans une espèce d’îlot, très loin d’un monde dans lequel il y avait encore des colonies, et une situation qui était radicalement différente, dans laquelle on ne peut pas juste se contenter d'expliquer qu'il y avait une emprise de l'Etat sur une partie de l'économie, en faisant abstraction du fait que la mondialisation est passée par là, avec ce qu'elle a de positif, en ayant permis à un certain nombre de pays de sortir de la pauvreté, et avec ce qu'elle a de vertigineux, avec parfois des logiques qui sont purement économiques et dont on a vu une partie des limites, au moment en particulier de la pandémie, mais pas seulement. Et donc, le sujet ce n’est pas de se tourner vers ce qui aurait été, à une époque, un âge d'or, c'est de regarder ce que sont les leviers qui sont à notre disposition, et dans ces leviers il est évident que la dimension européenne elle est cruciale, elle est cruciale parce que c'est à la fois notre espace de vie, l'espace dans lequel nous produisons, et celui dans lequel, dans une époque mondialisée, on est capable de parler d'une voix qui peut porter par rapport à des pays continents qui comptent un milliard d'habitants et qui pèsent de plus en plus, et sur la scène économique, et sur la scène écologique. Je veux préciser une chose. Quand je parle d'une trajectoire à 4 degrés je ne la désire pas, je me contente de dire à haute voix, pour sortir du déni, ce qu'est la réalité de la trajectoire mondiale sur laquelle nous sommes. Ce que disent les experts du GIEC c'est que, à la minute où nous parlons, compte tenu du rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale, on va vers une augmentation des températures qui s'éloigne de l'Accord de Paris et qui nous place entre 2,8 et 3,2, et à plus 2,8 ou 3,2 à l'échelle du monde ça veut dire +4 pour la France. Dire ça ce n’est pas souhaiter qu'on arrive à ça, c'est exactement le contraire, c'est à la fois qu'on fasse en sorte de regarder en face cette réalité, si on n’accélère pas notre rythme de décarbonation, et c'est en même temps avoir l'humilité de se placer dans un contexte où depuis 20 ans les émissions de l'Europe ont baissé de 30% et celles du reste du monde ont augmenté de 50 %, et il faut aussi dire la vérité aux gens. Il est exclu d'attendre les autres pour faire des efforts, l'argument qui consisterait à dire, comme j'ai longtemps parfois, en particulier de la part de l'extrême droite, « la France c'est que le 0,8 % des émissions de gaz à effet de serre, donc peu importe ce que nous faisons », c'est totalement faux. Dans la conception qu'on a de la responsabilité, dans une vision démocratique, républicaine, humaniste, chacun doit évidemment faire sa part d'effort, et plus on est riche, plus on a de responsabilités, plus cet effort doit être important, ça vaut pour les Etats, ça vaut pour les individus, mais dans le même temps il faut avoir conscience de la complexité du monde dans lequel nous vivons et du fait qu'on a un certain nombre de pays qui ne sont pas dans le rythme, que même nous, alors qu'on a entamé cette baisse, il faut qu'on l’accentue, et la planification c’est aligner le point qu'on doit atteindre avec là où nous en sommes, et c'est complexe, parce que vous avez utilisé le mot démocratique. Une transition, ou une planification, qui serait décidée par une dictature ça peut être relativement simple, quand vous êtes en démocratie on voit ce qui se passe quand les décisions que vous prenez elles impactent les gens, ça a été les Gilets jaunes, sur la trajectoire carbone, c'est aujourd'hui des gens qui protestent contre la mise en place de zones à faible émissions alors qu'il y en a près de 300 en Europe, dans 14 pays, et que tout le monde sait que c'est bon pour la santé et que ça permet de lutter contre la pollution atmosphérique, c'est la révolte d'une partie de maires, parfois ruraux, contre le zéro artificialisation nette alors qu'on sait que lutter contre l'étalement urbain c'est une nécessité absolue dans le cadre de cette transition écologique, et je pourrais donner d'autres exemples évidemment.

(…) Entretien avec Claire LEJEUNE.

QUENTIN LAFAY
Beaucoup d'éléments évoqués par Claire LEJEUNE, je voudrais peut-être vous entendre sur l'un de ces points Christophe BECHU, celui du contexte social, est-ce que le contexte social aujourd'hui permet l'organisation démocratique, partagée, de cette planification ?

CHRISTOPHE BECHU
La vérité c'est qu'on n'a pas le choix parce que l'urgence climatique elle n’attend pas et quel que soit le contexte dans lequel nous sommes, il faut qu'on continue à avancer sur le sujet, la question c'est encore une fois quelle planète, quelle France, quelle Europe en tout cas, au moins, on laisse aux générations qui arrivent après nous.

QUENTIN LAFAY
Mais comment concrètement on associe militants, ONG, associations ?

CHRISTOPHE BECHU
J’y arrive, si vous voulez bien. Résumer aux profits mondiaux d'une entreprise le fait qu'il y aurait, ou pas, une volonté politique, ça relève d'une forme de rhétorique qui n’est pas à la hauteur de l'enjeu, le sujet qu'on a, et de ce point de vue je partage ce que vient de dire Claire LEJEUNE, c’est comment on construit un consensus, et on a un problème, c'est que pour une partie de la classe politique la lutte des classes elle se confond avec la transition écologique, et de ce point de vue, si on veut construire un récit, prétexter, ou préempter, le sujet de l'écologie en expliquant que si on n'est pas radicalement de gauche ou de gauche radicale on ne peut pas être sincèrement écologiste, ça ferme la porte à la capacité à construire ce consensus. Moi ce qui me frappe c'est de voir comment en Allemagne, en Autriche, les écologistes sont capables de travailler, avec la droite ou le centre, de porter des discours dans lesquels on essaye d'embarquer toute la population dans cette transition, dans une tradition qui peut être que solidaire, parce que vous avez raison, ce ne serait pas juste de demander à des gens des efforts alors même qu'ils ne sont pas parmi les plus émetteurs, et ça vaut là aussi à l'échelle mondiale, comme à l'échelle d'un pays, mais construire ces consensus ça veut dire ne pas se réfugier, ou dans des anathèmes, ou dans des débats, qui encore une fois ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. On prétend qu'il y aurait des espèces de solutions miracles, les jets privés qui pèsent 0,1% des émissions. Qu’il y ait un besoin de justice, personne ne conteste, c'est d'ailleurs le gouvernement auquel j'appartiens qui a mis fin au décalage entre la taxation du kérosène et de l'essence des voitures, il y a eu des écologistes au pouvoir pendant 5 ans, il y a eu des gens qui se disaient de gauche, ou de gauche radicale, au pouvoir pendant 5 ans, qui n'ont pas fait cette jonction. Donc, le sujet ce n’est pas seulement comment on regarde dans le rétroviseur, c'est collectivement comment nous construisons les conditions d'une transition qui, pour être globale, devra effectivement embarquer tout le monde, parce qu'on ne fera pas la transition, ni contre les Français, ni sans eux, et de ce point de vue qu’on soit capable de construire du consensus, comme ça existe dans d'autres pays européens, en sortant de nos logiques de conflictualité majoritaire, c'est un préalable.

QUENTIN LAFAY
Une question vous est soumise par Jean LEYMARIE.

JEAN LEYMARIE
Je vais être très terre-à-terre, on va reparler brièvement de la convention citoyenne pour le climat et de ses résultats, toute une série de propositions, un vrai travail pour le coup, démocratique, citoyen, avec des experts à l'appui, et puis seulement une partie des propositions reprises, et même seulement une partie des propositions examinées, et une certaine déception, une déception démocratique pour reprendre le mot que vous employez tous les deux ? Est-ce que ça, ça doit être, dans une version complète, réussie ou complétée, le modèle pour lier les deux, démocratie et écologie ?

(…) Entretien avec Claire LEJEUNE.

QUENTIN LAFAY
Christophe BECHU, est-ce qu’il n’y avait pas effectivement, dans cette convention citoyenne pour le climat, un embryon de tentative politique et sociale pour construire un consensus autour de ces questions que vous évoquez ?

CHRISTOPHE BECHU
Bien sûr que si, et là aussi le procès qu’on fait il est à la fois très injuste et très caricatural. Sur les mesures de cette convention citoyenne il y a une loi, qui a été la loi climat et résilience, qui a été votée, avec plus de 300 articles, et ce sont d'ores et déjà 60% des mesures de cette convention qui sont entrées en vigueur, y compris l'interdiction des vols quand il existe une alternative en train de moins de 2 heures 30. Sur une partie de ces sujets la représentation nationale…

QUENTIN LAFAY
Ce n’est pas ce qu’avait proposé la convention citoyenne.

CHRISTOPHE BECHU
C’est justement volontairement pour ça que je prends cet exemple ? sur une partie de ce sujet la représentation nationale elle a fait son travail, quels que soient les modes de consultation directe, quand vous confiez une responsabilité, à 184 citoyens sur la fin de vie, ou à 150 sur une convention climat, après il faut que le peuple, au travers de ses représentants qui ont été élus de manière démocratique, vienne valider, amender, corriger, rendre possible tel ou tel aspect, et de ce point de vue, y compris des forces qui pourtant avaient réclamé ces convention citoyennes ou qui considéraient qu'il fallait les reprendre dans leur pureté ou dans leur intégrité, elles ont participé à écrire les modalités. Je vous donne cet exemple parce qu’il y a eu un consensus entre députés et sénateurs pour considérer que la durée de 2 heures 30 était la bonne, mais il y en a un autre, sur le zéro artificialisation nette et sur le fait d'aller limiter l'étalement urbain, là où la convention citoyenne disait il faut diviser par deux le rythme, les parlementaires ont voté ça comme trajectoire, mais en suggérant qu'il puisse y avoir des différences en fonction des endroits, parce que dans certains endroits faire deux fois moins d'artificialisation quand on perd des habitants, c’est peut-être encore trop, et dans d'autres faire en sorte de faire deux fois moins, alors qu’on est dans des zones tendues où il y a potentiellement des besoins, c'est peut-être pas assez, donc que la représentation parlementaire sur ces sujets elle fasse en sorte de nuancer ou de rendre effectif le propos, c'est son travail. Cette convention elle a été voulue par le président de la République, ça a été une innovation au sens démocratique et participatif du terme, mais on ne peut pas lui demander d'écrire la loi comme le Conseil d'Etat, d'arriver à un consensus politique, comme doit l'être le Parlement, et de faire en sorte qu'il y ait les budgets en face qui aillent bien. Il y a un processus, les choses sont, encore une fois, moins simples, et, je le redis, il faut parfois le courage de la nuance dans un certain nombre de sujets parce que c'est aussi à ce prix qu'on arrivera à une transition qui puisse être partagée, en n’en faisant pas un espèce de de monopole électoral parce que je pense que c'est desservir la cause.

QUENTIN LAFAY
Merci beaucoup à tous les deux pour cette discussion faite de désaccords, mais une discussion constructive, Christophe BECHU vous êtes ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Claire LEJEUNE vous êtes militante écologiste, chercheuse en théorie politique, coresponsable du département planification écologique de l'Institut de La Boétie, merci encore à tous les deux.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 26 avril 2023