Texte intégral
Q - Où en est-on quant à la situation soudanaise ?
R - Depuis que l'opération est lancée, quatre avions sont arrivés à Djibouti, partis de l'aéroport au Nord de Khartoum sur lequel on avait pu atterrir samedi. Quatre rotations ont été faites avec 414 personnes dont 170 Français. Et au moment où je vous parle il y a même un cinquième avion français parti du même aéroport et qui est en vol vers Djibouti avec une soixantaine de personnes à bord. Pour nous, ce sera la dernière rotation, étant entendu que nous sommes sur cet aéroport, avec l'accord des autorités locales, depuis samedi soir. Nous allons passer le relai après cette évacuation à ceux qui n'ont pas encore fait de rotations et qui vont faire fonctionner ces évacuations avec les autorités locales comme on l'a fait depuis samedi - et ce sera les Allemands notamment -, sachant que le fait qu'on ait pu travailler dans cet aéroport a permis et permet à d'autres nationalités, à d'autres avions de s'y poser facilement - Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Pays-Bas -, parce qu'on a pu l'ouvrir et le sécuriser samedi dans la nuit.
Puisqu'on est au Luxembourg et dans un format européen, je vais faire un petit retour en arrière : certains pays lorsqu'ils doivent quitter un pays considéré comme trop dangereux pour s'y maintenir, retirent leur personnel diplomatique et uniquement leur personnel diplomatique. La France a une autre tradition. Les Britanniques eux prennent leurs personnels diplomatiques et voilà, les Américains aussi, donc chacun à sa tradition. Nous essayons de faire partir nos ressortissants qui le souhaitent. Il n'y a pas eu seulement des agents de l'ambassade et du consulat qui ont été évacués. Et il n'y a pas eu, non plus, seulement des Français. Une grosse moitié de personnes que l'on a évacuées par les moyens militaires français ne sont pas des nationaux français.
On a répondu à la demande de nombreux partenaires de prendre en compte certains de leurs ressortissants qu'ils ne pouvaient pas évacuer : 12 Etats membres, en plus de la France, plus la délégation de l'Union européenne, certains Etats membres au niveau de leurs ambassadeurs, leurs chefs de poste. Vous en voyez certains, d'ailleurs, qui nous remercient, vous pouvez voir leurs communiqués. Au total, on compte 15 pays européens car s'ajoutent à ces 12 Etats membres de l'Union européenne : la Suisse, la Norvège, et le Royaume-Uni. Ça ne veut pas dire que l'on a évacué tous les Suisses mais qu'on a évacué des Suisses, des Norvégiens et des Britanniques. Je peux vous donner la liste des pays si vous le voulez : Autriche, Danemark, Pays Bas, Finlande, Allemagne, Grèce, l'Italie - par exemple pour l'Allemagne on a sorti l'ambassadeur d'Allemagne et son épouse, l'Italie l'ambassadeur et d'autres -, Espagne, Roumanie, Suède, Irlande, Portugal, Hongrie. Si je ne me trompe pas, on doit en être à 12, plus la délégation de l'UE, plus la France. Et en non européen, il y a une trentaine de nationalités tierces. On a des Américains, quelques Britanniques, des Canadiens, des Japonais.
Q - Dans les pays que vous avez mentionnés, il y en avait 13 et non 12.
R - Autriche, Danemark, Pays-Bas, Finlande, Allemagne, Grèce, Italie, Espagne, Roumanie, Suède, Irlande, Portugal, Hongrie, c'est mieux. Et dans les pays non européens : Etats-Unis, Canada, Japon, Nouvelle-Zélande, Maroc, Niger, Rwanda, Burundi et Ethiopie. Je n'ai pas le décompte exact par nationalité puisque tout ça est fait à l'arrivée à Djibouti par les autorités.
Comment ça se passe ? C'est une opération complexe qui se déroule dans un pays en guerre et où il s'agit d'évacuer nos ressortissants quand on le décide et quand ils le souhaitent, dans les meilleures conditions de sécurité possibles. Mais ce n'est pas une mission qui est menée sans le consentement localement du pays dans lequel on arrive. Donc ça veut dire à la fois, une planification, car avant même qu'il y ait une décision de principe, il faut réfléchir à faire un certain nombre de plans. Une planification qui est aussi bien militaire que diplomatique. Les armées, le chef d'état-major des armées, avec le Président de la République, le Quai d'Orsay et le ministère de l'Intérieur, étudient la situation et regardent quelles sont les possibilités. Il y a différentes hypothèses par définition et ensuite on choisit l'une de ces hypothèses. Parallèlement, on fait le même travail sur le plan diplomatique. D'abord vous l'avez vu, pour convaincre les parties d'accepter une trêve. Et le fait que les combats aient démarré avant les fêtes de l'Aïd, et se poursuivaient juste avant les fêtes de l'Aïd, a été un motif, pour nous, de leur recommander, de leur suggérer, de leur demander de leur dire que ce serait une bonne idée de faire une trêve au moins pour l'Aïd. Un certain nombre d'interactions a eu lieu. J'ai parlé au Secrétaire général des Nations unies, lui-même a évidemment eu beaucoup d'autres contacts. Je crois que le Secrétaire général de l'ONU, la Ligue arabe, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et beaucoup de pays de la région, s'étendant jusqu'au Golfe, ont pris contact. C'est la première étape pour obtenir une sécession des combats, au moins une baisse d'intensité des combats.
Une trêve s'est établie mais n'a jamais été totalement observée, avec cependant une baisse d'intensité ces derniers jours. Nous allons poursuivre évidemment nos efforts diplomatiques, avec les contacts que chacun a pris, y compris la France, mais pas seulement, avec les pays de la région, les pays qui ont une influence sur les parties prenantes. Je me suis notamment entretenue avec les Emirats arabes unis, avec l'Egypte, avec l'Arabie saoudite également et puis avec la plupart des partenaires européens qui souvent nous sollicitent, en anticipant que peut-être la France mettrait des moyens militaires et coordonnés d'évacuation. La trêve étant relative, avec de vraies accalmies, mais sans dialogue politique, et sans perspective certaine qu'elle tienne ou qu'elle dure, la décision d'évacuation a été prise, compte tenu de la situation, par le Président de la République en fin de journée vendredi.
Une fois que la décision d'évacuation a été prise, samedi matin nous avons fait passer les consignes et les messages aux ressortissants français qu'il fallait se regrouper. Trois points avaient été prédéterminés. Les premières rotations ont commencé, après que l'on ait pu atterrir à cet aéroport à une vingtaine de kilomètres au nord de Khartoum en fin de journée samedi. Les convois ont pu emmener des Français et d'autres de Khartoum jusqu'à cet aéroport, puis une première rotation a eu lieu en fin d'après-midi à Djibouti, et d'autres ont suivi. Je n'ai pas dit le plus important, qui est que pour que tout ceci puisse se dérouler, il faut avoir localisé les gens et avoir un contact avec eux. Et donc dans toutes les situations de crise, parallèlement au travail proprement militaire qui est du ressort du ministère des armées, ce que fait le ministère de l'Europe et des affaires étrangères vient de son centre de crise et de soutien, qui est d'activer les plans de contingence que nous avons tout le temps sur tous les pays et quelles que soient les circonstances. Pour les Français qui se sont enregistrés, nous avons leurs coordonnées, nous savons où ils se trouvent et donc on prend contact avec eux par différents moyens : les chefs d'îlot, puisque tout ça est découpé en îlots, téléphone, mail, WhatsApp... de façon à pouvoir les localiser aussi précisément possible et en temps réel, et dont nous savons qu'ils souhaitent partir, et dont il va falloir organiser leur évacuation. C'est un travail qui est long et très court car les communications sont souvent interrompues.
Toute cette préparation prend plusieurs jours. Voilà pourquoi les combats ont démarré le 15 avril et que la décision d'évacuation a été prise le vendredi suivant, une fois toutes ces étapes préalables franchies, vérifiées, une fois les choix d'options faits et une fois l'accord aussi précis que possible des deux parties sur le terrain obtenu, puisque nous avons été en contact évidemment avec, aussi, chacun des deux camps.
Q - Vous y avez été avec des moyens militaires quand même. En Italie ils disent qu'ils ont mis 1200, les italiens disent qu'ils ont mis des troupes donc...
R - On ne donne jamais de détails sur une opération tant qu'elle est en cours. Ce n'est pas cet ordre-là, mais il y a évidemment un certain nombre d'accompagnants dont c'est le métier. Je précise qu'en outre, dans les conditions de sécurité qu'on a pu établir aussi bien que possible dans un pays en guerre - mais on a pris suffisamment de précautions pour s'assurer que les parties au conflit considèrent qu'il est normal, souhaitable, de laisser partir les missions étrangères et les étrangers qui veulent partir, et nous assurer qu'ils ne seraient pas pris à partie.
Q - Et la coopération et coordination avec l'Allemagne, ça s'est déroulé comment ? Parce que l'Allemagne aussi a envoyé des avions, des...
R - Avec pratiquement tous les pays européens, plus quelques autres, on a des coordinations qui sont à la fois bilatérales jusqu'au niveau du ministre. De mon côté, j'ai échangé peut-être dix fois avec Anna Baerbock. Ça passe aussi par les ambassades, la coordination européenne elle se fait également ici, parce qu'il y a eu une réunion du COPS hier, après que Josep Borrell ait eu beaucoup d'entre nous au téléphone en échange ; moi je l'ai eu plusieurs fois hier en direct. Il y a différents niveaux de coordination, et d'ailleurs ça ne peut marcher bien que si parallèlement à la coordination militaire - parce que nos militaires se coordonnent aussi entre alliés, via les chefs d'état-major -, parallèlement à cette coordination militaire, il faut qu'il y ait une coordination politique et diplomatique. Différents niveaux, bilatéral, européen. Et bilatéral, là aussi ça peut être les RP via le COPS hier, et via nos ambassades directement, et via les ministres. On s'est tous écrit, téléphoné, texté, jusque tard dans la nuit hier soir.
Q - Pour les convois à l'aéroport, est-ce que vous aviez des garanties de sécurité locales ?
R - Nous avons pris contact avec les deux parties, avec ceux qui sont présents sur le terrain parce que il faut aussi, au-delà d'un accord politique qui peut être donné par les chefs de ces forces, s'assurer que localement, telle route qui va être contrôlée par une faction ou tel checkpoint où se trouve telle ou telle personne, les consignes sont bien suivies. Le mot garantie, je ne l'utilisai pas tout à l'heure parce qu'on ne peut pas avoir de certitudes ou de garanties, il y a toujours un risque. C'est une opération qui a franchement été excessivement complexe à mener dans un pays où il y a une trêve précaire mais pas d'arrêt des combats, où il y a toujours une part de risque. Et cette part de risque, il nous appartient de la limiter autant que faire se peut par tous ces contacts qu'on prend à différents niveaux, le commandement local, ou d'autres chefs de chaque force, aussi bien FAS que RSF.
Q - Je note que la Russie et Wagner sont également présents dans ce conflit. Je ne sais pas si vous pouvez confirmer ces informations, si c'est quelque chose qu'on peut...
R - Pardon, je ne vous le confirmerai pas. Lisez ce qu'écrivent vos confrères.
Q - Est-ce que vous savez pourquoi l'ambassadeur allemand a été évacué par la France et pas par les Allemands ?
R - Parce qu'on nous l'a demandé. Chaque fois, on ne peut pas évacuer tout le monde d'autant qu'on n'est pas en charge de l'ensemble des communautés étrangères et certains pays ne s'occupent même pas de leur communauté. En revanche, chaque fois que nous avons une demande et qu'il était possible de faire un geste de solidarité, on le fait volontiers. Je ne vous dis pas le nombre de conversations que j'ai échangées avec Madame Baerbock. Même choses avec plein d'autres homologues. Si une demande est faite et qu'on peut dire "on fait le maximum, rendez-vous à telle heure à tel endroit", on prend rendez-vous et on le fait.
Q - Vous avez une trêve de combien de temps ?
R - Elle n'a jamais été, je pense, annoncée dans des formes qui me permettraient de vous répondre. En revanche, on a observé une très nette baisse d'intensité des combats au moment même du début de l'Aïd.
Q - Si j'ai bien compris, vous allez passer le contrôle aux Allemands ?
R - Nous allons le passer en fin de journée. Le cinquième avion a décollé, on a des gens sur place et du matériel et des actions d'accompagnement. Ils vont se passer le contrôle opérationnel et nous, nous repartirons, je pense, en fin de journée ou dans la nuit.
Q - Ça laisse peu de temps aux Allemands pour partir. Ça veut dire qu'il y a beaucoup de gens qui sont arrivés sur cet aéroport ? Il y a une espèce de pont aérien entre Djibouti et là d'où on embarque ?
R - Ils ont peut-être déjà des avions.
Q - Visiblement, les Italiens l'ont déjà utilisé.
R - Il y a deux avions allemands. En règle générale - ce n'est pas mon métier -, dans un pays en guerre, un aéroport qui est détenu par les autorités et leurs forces - donc les FAS - chez elles, nous ne sommes pas chez nous. On coopère, on discute, on peut utiliser l'aéroport, ce qui a été fait, mais on n'y reste pas forcément comme si on était sur le tarmac de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle. Ce sont des créneaux horaires qui sont donnés et qui permettent de se poser, de prendre des Français et étrangers qui étaient arrivés à ce moment-là et de repartir. En temps réel, je ne suis pas capable de vous dire quels sont les avions.
Q - C'était pour ma compréhension. Parce qu'en fait, on est en train d'évacuer de Khartoum tous les ressortissants étrangers, ils partent vers cet aéroport et de cet aéroport, ils vont à Djibouti.
R - Plusieurs avions, autres que les nôtres, sont déjà partis ou d'autres ont utilisé d'autres moyens. Je vous parle, moi, de ce qu'on sait nous pour nous, c'est-à-dire ce qu'on a fait pour nous-mêmes.
Q - Les gens partent en voiture là-bas, ils arrivent là-bas...
R - Les gens n'arrivent pas tout seul. Peut-être qu'ils sont arrivés tous seuls mais je ne le conseille pas, il y a beaucoup de checkpoints et des passages de zones contrôlés par une partie et une autre zone encore contrôlée par une autre partie. Généralement, les pays - en tous cas pour nous -, nous organisons des convois qui sont sécurisés autant que possible avec du personnel militaire, qui contribue à assurer la sécurité du convoi, avec ce qu'ils savent faire mais aussi avec des contacts avec les parties prenantes, y compris le commandement de checkpoints localement, rue par rue s'il le faut.
Q - Il y a d'autres sorties que cet aéroport pour le pays ?
R - Oui, il y a d'autres sorties. L'aéroport du centre-ville est inutilisable vu le nombre d'avions endommagés qui s'y trouvent, et puis c'est en plein milieu de la ville, donc avec des combats et des possibilités de missiles sol-air. En revanche, il y a plusieurs convois qui sont partis par la route. Les Saoudiens sont partis en milieu de semaine par la route. L'ONU a fait partir un grand convoi hier en direction de Port-Soudan, quelques-uns sont partis vers l'Ethiopie.
En gros, les deux grandes voies d'évacuation étaient la voie aérienne avec cet aéroport, depuis qu'on a pu faire que des avions s'y posent dans la nuit de samedi à dimanche ; ou la voie routière par le Soudan.
Q - Se pose toujours le même drame, en effet, on évacue les ressortissants français, mais qu'en est-il des binationaux, les collaborateurs soudanais des missions diplomatiques, et les gens qui ont travaillé pour les Etats membres ?
R - Les binationaux, ce sont des Français pour la République. Donc ils comptent parmi les Français, et il y a d'ailleurs pas mal de binationaux qu'on évacue et leurs ayants droits. Et pour les employés locaux, il y a autant de cas que de situations. Il faut noter que quelques personnes ont pu vouloir rester y compris dans les communautés françaises - en particulier si ce sont des binationaux.
Q - Combien de personnes reste-il à l'ambassade française ?
R - Excellente question qui me permet de vous répondre que l'ambassade est désormais fermée depuis le départ du dernier convoi qui est arrivé à l'aéroport en milieu de journée. Et avec l'avion qui vient de partir, l'ambassade de France est fermée.
Q - L'ambassadeur français a lui aussi quitté le pays ?
R - L'ambassadrice - c'est une ambassadrice - a quitté le pays et est arrivée à Djibouti dans la nuit, après avoir assuré de façon remarquable l'ensemble de ces opérations.
Q - À ma connaissance, le chef de la mission de l'UE serait resté.
R - Il n'est pas resté, je ne crois pas.
Q - Des personnes attachées à Borell m'ont dit qu'il était resté.
R - Je crois que l'ambassadeur de l'Union européenne fait partie des personnes que l'on a évacuées.
Les Français, comme toujours et le plus rapidement possible, après que les procédures soient faites, seront ramenés sur la France par un vol aérien, peut-être demain ou après-demain. Il n'y a pas de décision prise, on s'efforce toujours de le faire rapidement. Une fois qu'ils sont évacués du pays, chacun s'occupe de ces nationaux. Voilà un bon exemple de solidarité.
Q - Mais pas en Européens parce que chacun a fait de son côté...
R - Non. Beaucoup nous ont demandé qu'on s'occupe d'eux mais je suis sûr qu'il y a des Français qui sont partis sur, peut-être, un vol britannique...
Q - La vérité c'est qu'il n'y a pas de capacité européenne pour conduire une telle opération.
R - Il y a eu de la solidarité entre Européens, et ensuite il y a eu des coordinations au niveau UE. J'ai passé de nombreux messages et appels hier à Josep Borrell. On est dans des circonstances ou il faut des moyens militaires, et nos armées ont été à la manœuvre. On fait de la coordination politique, mais le militaire, chacun le fait pour soi ou pour les autres. Et là je voudrais vous faire remarquer qu'on l'a fait pour 25 autres pays. On a un mécanisme européen de sécurité civile.
Q - Normalement on a une force de 5 000 militaires.
R - Cela a fonctionné presque comme une force européenne de sécurité civile avant qu'elle n'existe car chacun a accueilli les demandes de ses partenaires.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 avril 2023