Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations franco-chinoises et les questions internationales, Pékin le 6 avril 2023.

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Circonstance : Visite d'État en Chine du 5 au 8 avril 2023

Texte intégral

Merci beaucoup Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les journalistes,


Président, merci d’abord pour votre accueil, un peu plus de trois années après ma dernière visite autour de laquelle nous étions retrouvés à Shanghai. Trois années durant lesquelles nous avons continué à échanger malgré la pandémie, de manière très régulière, mais enfin, rien ne vaut les contacts humains avec les temps longs qu'on peut passer. Je vous remercie d'ailleurs du temps que vous nous accordez aujourd'hui à Pékin, demain à Canton, pour passer du temps ensemble et de l'importante visite et échange en trilatéral que nous aurons dans un instant avec la Présidente de la Commission européenne VON DER LEYEN, faisant suite d'ailleurs à un format que nous avions inaugurés ensemble lors de votre visite d'Etat en France il y a quelques années, où le Président JUNCKER s'était joint à nous avec à l'époque aussi, la Chancelière MERKEL.

Lors de mon premier déplacement en 2018 à Xi'an, j'étais revenu sur la construction progressive de notre relation en partant de nos imaginaires communs sur les routes de la soie pour tracer littéralement de nouvelles pistes de coopération hors des sentiers battus. Il nous fallait alors travailler à une méthode pour parvenir à de nouveaux équilibres. Je dois dire que les temps que nous venons de vivre ont précipité les choses, mais ils ont plutôt conforté, je crois, les convictions stratégiques qui étaient à la base de ce dont nous avons alors discuté. Et c'est de cela dont nous sommes venus parler d'abord et je commencerai avec ce par quoi vous avez terminé au fond.

Je pense que la Chine et la France, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité, puissances dotées, compte tenu de leur histoire, de leur amour de l'indépendance et de leur attachement profond à celle-ci, ont à œuvrer ensemble pour essayer de bâtir, en tout cas préserver, un ordre international capable de répondre aux défis du temps. Et c'est d'abord essayer de garantir la stabilité et la paix partout où elles sont menacées, mais également d'avoir la juste ambition qui permet d'embrasser les défis contemporains.

Commençons à parler de paix et de stabilité : nous aurons l'occasion de revenir sur beaucoup de sujets dans nos discussions ce soir et demain, sur la situation du Proche et Moyen-Orient où le rapprochement d’ailleurs entre l'Arabie saoudite et l'Iran est à saluer. Je vous félicite pour cette avancée tout à fait importante. Nous-même œuvrons d'ailleurs aux côtés du Liban, si cher à la stabilité et aux avancées dans la région, et nous aurons l'occasion de revenir sur la situation en Corée du Nord ou en Iran.

Mais évidemment, parler de paix, de sécurité et de stabilité aujourd'hui, c'est parler de la guerre lancée par la Russie en Ukraine. Et sur ce sujet, vous venez d'avoir des mots importants et je veux ici, au fond, reprendre le fil de notre échange. En effet, cette guerre, d'abord, met fin à des décennies de paix sur le continent européen, mais c'est notre guerre à tous et vous l'avez très bien rappelé.

D'abord parce qu'un pays membre permanent, lui aussi du Conseil de sécurité, a décidé de violer la Charte. Et nous ne pouvons accepter cette situation et c'est pourquoi notre action diplomatique rappellera à la Russie à ses devoirs. Violer l’intégrité territoriale et la souveraineté d’un pays, ne pas franchir les frontières internationalement reconnues et vouloir faire admettre un état de fait n’est pas conforme au droit international et à la Charte des Nations unies que nous défendons ô combien.

La deuxième chose, vous venez de rappeler avec beaucoup de force : le sérieux, l’esprit de responsabilité qu’imposent des questions nucléaires, et la volonté que la France partage, qu’évidemment le nucléaire soit exclu totalement de ce conflit, qu’il y ait le respect de l’ensemble des traités internationaux en la matière, et qu’en aucun cas, il ne puisse y avoir de déploiement d'armes nucléaires en dehors du territoire des États dotés, en particulier en Europe. Et à cet égard, chacun doit être rappelé à ses devoirs, en particulier la Russie qui a annoncé il y a quelques jours vouloir déployer en Biélorussie de telles armes, ce qui est non conforme aux engagements pris à votre égard, à notre égard et au droit international.

Troisième élément que vous venez de rappeler, sur le plan humanitaire. Nos deux pays sont déterminés à faire respecter le droit international humanitaire, en particulier quand il touche les enfants déplacés aujourd’hui de force et lorsqu'il nous faut lutter ensemble contre l'impunité. On a là les bases, on le voit bien, de ce que nous devons défendre, et de ce qui impose une reprise de discussion au plus vite pour bâtir une paix durable.

D'abord, c'est une paix qui ne peut se faire sans qu'il y ait le respect du peuple ukrainien, qui est le peuple agressé, sans qu'il n'y ait donc un geste fait par la Russie et cette architecture européenne de sécurité que vous appelez de vos vœux. Et je peux me retrouver dans une telle formule parce que je pense que l'Europe a besoin en effet d'une organisation stable de sécurité dans l'avenir. Elle n'est pas possible si des pays en Europe sont occupés. C'est aujourd'hui le cas de l'Ukraine qui, n'étant pas membre de l'Union européenne mais ayant cette perspective, est un pays européen. Et donc, on ne peut pas avoir une Europe qui vit en sécurité, en stabilité tant qu'on aura un pays sur notre continent qui sera occupé par une puissance voisine.

Donc, la conclusion logique, si je puis dire, des différentes pièces que vous avez mises sur la table, des principes, je m'y retrouve. Mais c'est qu'il nous faudra, dans un avenir que j'espère le plus proche possible, réengager une discussion exigeante avec tous et en particulier avec la Russie, pour qu'elle respecte ces principes que vous avez posés et que vous défendez et que défend la France et sa diplomatie. Nous ne voulons en effet pas simplement la fin du conflit, mais le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale ukrainienne, seule condition d'une paix durable et nous voulons à la fois qu'il n'y ait nulle escalade à court terme, mais que nous nous donnions les moyens de cette stabilité dans la durée.

Ensuite, parlant des grands enjeux internationaux, je le disais, nous avons à cœur d'avoir une ambition commune sur beaucoup d'entre eux. Nous serons présents au troisième Forum sur les nouvelles routes de la soie, vous nous ferez l'amitié d'être représenté à haut niveau, non seulement au Sommet que la France coorganisera avec le Costa Rica pour les océans, le Sommet des Nations unies en 2025, mais également, et je vous en remercie, au Sommet de juin sur le nouveau pacte financier mondial.

Nous avons montré d'ailleurs que notre engagement conjoint produisait des effets. En 2019, nous avons signé ensemble des déclarations importantes sur la biodiversité qui ont permis ensuite d'obtenir des résultats à la COP 15 à Montréal, puis sur la mer en mars dernier pour les accords dits BBNJ. Notre volonté, c'est de continuer de nous engager en commun et d'obtenir pour les océans la préservation de la biodiversité, la lutte contre la pollution et contre la pêche illicite et beaucoup d'autres pratiques, des accords en vue de Nice. Et cette feuille de route, si je puis dire, Kunming-Nice, est au cœur de cet axe que nous souhaitons bâtir. Et nous nous coordonnerons étroitement en vue de la COP28 également, prévue aux Emirats arabes unis, qui est ô combien importante.

C’est la même chose que nous voulons pour la sécurité alimentaire, un agenda commun, une ambition commune, et pour ce nouveau pacte financier mondial où je compte beaucoup sur le rôle que la Chine aura à jouer, à la fois vis-à-vis des pays les plus endettés, mais également dans la réforme des institutions financières internationales et pour la construction de nouvelles réponses pour les pays les plus pauvres et les pays en développement. Parce que nous devons les aider à faire face à la fois aux inégalités dont ils sont victimes, mais également aux conséquences du dérèglement climatique qu’ils ont déjà à vivre. Et donc en juin, nous apporterons ensemble, avec plusieurs autres amis, ces réponses, je l’espère, et surtout avec les pays concernés.

Enfin, et au-delà des questions sino-européennes sur lesquelles nous reviendrons avec la Présidente VON DER LEYEN comme je l’évoquais, il y a la feuille de route bilatérale. Vous l’avez évoqué, ce partenariat stratégique que nous voulons, et il est au fond très illustratif, en effet, de cette vision française, et je crois maintenant pouvoir le dire, européenne. Ça fait cinq ans que vous m'entendez défendre la souveraineté européenne, une autonomie stratégique européenne, au service d’ailleurs d'un projet commun, mais aussi parce qu'elle est jumelle de l'indépendance française. Et je crois que nous y sommes et que l'Europe est en train de se doter d'une vraie stratégie en la matière. Je pense que c'est d'ailleurs l'intérêt de nos amis d'œuvrer en ce sens.

Et notre feuille de route bilatérale, je crois, a une totale pertinence à cet égard. Nous avons donc décidé la reprise de nos dialogues de haut niveau qui se réuniront le plus rapidement possible, vous en avez rappelé les trois formats. Mais nous avons aussi signé beaucoup d'accords aujourd'hui, nous l'avons vu, et lancé des travaux, dans le domaine de la transition énergétique en particulier, avec de l'expertise partagée et beaucoup d'innovations ; dans le domaine du nucléaire civil, avec la préparation d'une étude complète sur la contribution de ce secteur à la décarbonation de l'économie ; dans le secteur des transports, avec le travail commun sur les carburants d'aviation durable, la fourniture de méthanol aux porte-conteneurs ; la contribution des entreprises françaises à la construction de métros en Chine ; la construction d'éoliennes offshore. Et je ne serais pas complet sans mentionner aussi l'action de l'Agence française de développement qui se focalise en Chine sur la lutte contre le changement climatique, en s'appuyant sur l'expertise de nos entreprises.

L'ensemble de cette approche repose, avant tout, sur une plus grande réciprocité, en vue de parvenir à un nouvel équilibre, y compris sur le plan commercial. Et nous avons d'ailleurs beaucoup fait ces dernières années en la matière sur le plan agricole et agroalimentaire, et nous allons encore plus loin. Je suis venu avec le ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire, le président du cluster maritime de La Réunion, pour témoigner justement de l'importance de ces secteurs dans notre France, qu'elle soit métropolitaine, comme ultramarine. Et nous avons en effet beaucoup d’avancées sur tous ces sujets, qu'il s'agisse du bœuf, des vins et spiritueux en passant donc par l'aquaculture et plusieurs autres, au-delà de ce que nous avons déjà su faire sur le porc. Je suis aussi ravi d'annoncer que les consommateurs chinois pourront avoir accès aux produits d'une quinzaine de nouvelles entreprises.

Nous allons également lancer de nouveaux chantiers dans la biotech pour continuer d'innover dans le sens d'une agriculture durable, avec toujours la préoccupation de la sécurité alimentaire. Et nous avons progressé dans le sens d'un rééquilibrage de la relation dans les secteurs de l'aéronautique, de la santé, des cosmétiques, de la finance. Nous aurons l'occasion, tout à l'heure, de dire quelques mots devant notre Conseil des entreprises franco-chinoises, lancé en 2018, qui, je crois, est là aussi une avancée importante.

Ce dialogue, vous l'avez rappelé, Président, est permanent, mais nous allons l’intensifier. Il s’intensifie par la reprise de nos échanges, humains et culturels. Sans revenir sur cette relance que j’ai évoquée hier en lançant justement le Festival Croisements, je tiens à souligner la perspective du 60ème anniversaire de nos relations bilatérales, le lancement de l’année franco-chinoise du tourisme culturel l’année prochaine, en 2024, ce qui sera une occasion de valoriser notre patrimoine, nos métiers d'arts et l'ensemble de nos secteurs culturels, et je salue ici la présence de plusieurs représentants de ces institutions culturelles, et de nos cinémas, notre musique, de nos musées, de nos théâtres, de notre littérature à laquelle je sais, vous êtes tellement attachés. Nous échangeons, et nous avons continué pendant la pandémie, des livres, et nous continuerons d'avancer sur cette coopération.

Je me félicite de la réouverture récente, mais donc nous voulons retrouver au moins le niveau d'échanges aériens d'avant la pandémie, faciliter évidemment les transits, les visas, mais développer plus encore ces échanges, cette connaissance réciproque, ces traductions, ces créations communes qui sont si importantes pour nos deux pays.

Évidemment, nous savons la différence de nos modèles et les désaccords qu'on peut avoir. Nous l'avons évoqué, j’y reviendrai. On l’a évoqué à chaque fois, la question de la situation des droits de l'homme demeure un sujet qui est un sujet d'importance pour la France, d'exigence respectueuse. Mais ce n'est pas parce que nous avons des différences qu'on ne peut pas les évoquer d'abord, les partager de manière très franche, mais le faire en étant respectueux, en considérant, pas en quelque sorte, que l'un aurait des leçons à donner à l'autre. Et d'ailleurs, j'ai pu m'apercevoir qu'il en va de la Chine comme de la France, et généralement on arrive à obtenir des résultats, lorsqu'on est respectueux, mieux que quand on donne des leçons. Nous avons sans doute à cet égard le même tempérament et la même conscience profonde. Mais, nous savons nos différences et nous les abordons avec respect, conviction et amitié.

Voilà, je ne serai pas plus long parce que vous avez couvert beaucoup d'autres sujets et je ne veux pas ici prolonger les choses. Mais des grands enjeux internationaux, à la question de la guerre, en passant par l'autonomie stratégique européenne et notre relation bilatérale, vous le voyez, l'agenda de cette visite d'Etat est nourri. Mais c'est surtout la nécessité, en quelque sorte, de continuer à discuter, d'éviter tout escalade dans le monde que nous connaissons et d'être lucides sur le fait que l’intérêt de nos peuples est de bâtir cette paix et cette stabilité respectueuse, mais d'avoir le bon niveau d'ambition pour les défis qui sont les nôtres.

C'est pour cela que je vous remercie à nouveau du temps que vous nous consacrez pour cette visite d'Etat, aujourd'hui et demain. Parce que c'est en levant parfois les petits malentendus qu'on évite les désaccords de demain. Les temps sont inquiétants et le tragique est revenu dans notre histoire. Je pense que notre devoir, c'est de ne céder à aucune facilité, et donc de prendre nos responsabilités face aux grands conflits d'aujourd'hui, et de savoir à chaque fois construire une paix juste et d'éviter toute escalade. Je sais que vous avez la même conviction, c'est en tout cas cette voie que veut porter à la France.


Merci Monsieur le Président.