Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations entre la France et l'Azerbaïdjan et le conflit entre ce pays et l'Arménie, à Bakou le 27 avril 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Bakou en Azerbaïdjan

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher collègue, tout d'abord, merci de votre accueil et je veux devant vos journalistes et nos journalistes vous exprimer mes remerciements pour cette visite et pour l'accueil qui m'est réservé à Bakou. C'est, vous le savez, pour moi la première fois que je me rends dans votre pays mais aussi la première fois que je me rends dans la région. Je crois aussi qu'il y a quelques années qu'un ministre des Affaires étrangères français n'était pas venu en Azerbaïdjan. Donc, j'ai souhaité venir pour que nous nous connaissions mieux et pour que nous nous comprenions. J'ai été reçue ce matin par le président Aliyev et nous sortons nous-mêmes d'un entretien qui a été ouvert et constructif comme l'a été celui avec le président.

Vous l'avez rappelé Monsieur le Ministre, la France et l'Azerbaïdjan sont des partenaires historiques et des partenaires qui ont besoin de dialoguer. C'est aussi pour cette raison, je le répète, que je suis là. La France a été l'un des tout premiers pays à reconnaître l'indépendance de l'Azerbaïdjan en 1991. Et le président Macron et le président Aliyev se parlent régulièrement, donc nous devons le faire aussi parce qu'un dialogue étroit et constant est utile. Monsieur le Ministre, je vous l'ai dit tout à l'heure, je serai heureuse de vous recevoir prochainement à Paris pour poursuivre nos échanges.

Ce matin, je suis allée rendre hommage aux Azerbaïdjanais morts pour l'indépendance de leur pays en janvier 1990. Nous savons et nous nous souvenons des événements tragiques que l'Azerbaïdjan a traversés au moment de l'effondrement de l'Union soviétique et aussi dans les années qui ont suivi, qui ont été des années difficiles. Je pense aussi bien sûr aux terribles années de guerre qui vous ont opposé à votre voisin arménien. De part et d'autre, ces guerres ont fait de nombreuses victimes. Je pense aussi à tous les déplacés, les réfugiés, qui ont dû quitter leurs villages de naissance pour vivre ailleurs. Je pense aux victimes des mines. Vous avez parlé des mines, j'en reparlerai dans un instant. Je pense à ceux qui ont perdu la vie aussi dans la guerre de 2020 et ensuite.

Nous ne sommes pas indifférents à ces souffrances. Monsieur le Ministre, nous ne le sommes pas. Ainsi, la France souhaite-t-elle apporter son soutien au déminage, comme elle l'a déjà fait, parce que c'est un immense défi pour votre pays et parce qu'éliminer ce fléau permettra en effet de sauver des vies humaines. Mon ministère reconduira cette année une aide qu'il avait déjà apportée, c'est une aide qui se monte à un demi-million d'euros. Nous renouvellerons cette aide cette année et nous poursuivrons notre coopération avec l'ANAMA.

Nous savons aussi, Monsieur le Ministre, la signification de la question des disparus pour les familles qui supportent ce poids terrible. Et là aussi, je veux vous dire que la France sera aux côtés de l'Azerbaïdjan et continuera d'apporter son appui au CICR, le Comité international de la Croix-Rouge, pour continuer d'agir efficacement comme elle le fait dans ce domaine, mais il y a encore beaucoup à faire.

Je parle du passé mais des affrontements ont eu lieu tout récemment. Ils ont fait de nouvelles victimes, aussi bien azerbaïdjanaises qu'arméniennes. La France présente ses condoléances aux familles des disparus et elle se joint aux nombreux appels à la retenue que la communauté internationale a souhaité émettre depuis que ces affrontements, hélas, ont repris et ont fait des victimes. Nous le pensons, nous le disons depuis toujours, je le redis aujourd'hui : le conflit doit se résoudre par des moyens pacifiques, par la négociation. C'est la seule voie pour une paix juste et durable, celle à laquelle nous aspirons tous. Je le sais, et aussi des pays de la région bien évidemment que j'inclus dans cette aspiration. C'est le souhait bien sûr de toutes les populations. C'est la voie de la raison, c'est celle que nous appelons les deux pays à suivre.

Ce que nous pensons, c'est qu'il y aujourd'hui une chance pour la paix. Il y a une chance de mettre un terme à ce cycle des affrontements entre voisins, de mettre un terme aux horreurs de la guerre. Votre pays a pris l'initiative de conclure un Traité de paix avec l'Arménie, c'est une initiative Monsieur le Ministre que nous avons saluée et que j'ai à nouveau tenu à saluer devant vous tout à l'heure lors de notre entretien bilatéral.

Des négociations sont engagées, elles sont difficiles, nous savons qu'elles sont difficiles car la paix suppose beaucoup d'efforts, beaucoup de conscience, beaucoup de patience, mais avant tout une vision. Cette vision nous voulons la partager avec vous, celle d'une région qui retrouve la paix, la stabilité et qui permet à ses habitants d'avoir de meilleures perspectives de prospérité comme de sécurité.

Alors, je fais référence, Monsieur le Ministre, essentiellement à la rencontre importante qui s'est tenue à Prague le 6 octobre dernier, il y a quelques mois à peine. Il y en avait eu avant et il y en a eu d'autres depuis, mais cette rencontre est importante parce qu'elle a permis qu'Azerbaïdjan et Arménie renouvellent leurs engagements, reconnaissent mutuellement leur intégrité territoriale et leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur souveraineté, avec tout ce que ceci implique. Donc, c'est un acquis Prague, un acquis qu'il faut préserver. Il ne faut pas revenir en arrière, il faut au contraire bâtir et donc cela implique qu'il n'y ait pas quoi que ce soit qui vienne conduire à des remises en cause, à des retours en arrière. Avancer des forces sur le territoire du pays voisin fait partie de ce qui peut compliquer cette marche vers un accord de paix.

Vous le savez avec tous les Etats membres de l'Union européenne, avec les Etats-Unis d'Amérique, avec tant et tant d'autres, la France encourage les efforts de médiation qui sont entrepris et je vous le dis très ouvertement, comme je vous l'ai dit tout à l'heure : nous encourageons ces efforts dans tous les formats possibles, nous accueillons tous les formats. Je pense que c'est ainsi que nous pouvons progresser. Il est possible d'en finir avec ce conflit, il est possible de conclure la paix, je vous l'ai dit et je sais que parfois nous avons sur ce point un point de vue différent cher collègue. Pour avancer sur la voie de la paix, pour progresser, pour atteindre ce qui est votre objectif et l'objectif que nous devons nous donner pour le bien-être des populations que nous servons, progresser vers la paix, cela impose de renoncer à l'usage de la force même à la menace de l'usage de la force. C'est un message qui vaut pour les deux Parties. Je pourrais aussi faire référence à des rhétoriques qui alimentent des comportements de défiance là où il faut parvenir à retrouver le chemin de la confiance. Cela impose aussi de créer des négociations propices aux négociations et à cet égard, vous le savez, nous l'avons dit publiquement déjà à de nombreuses reprises, nous déplorons les mesures unilatérales prises par l'Azerbaïdjan à l'entrée du corridor de Latchine. Je l'ai redit ce matin, c'est une position publique, la liberté de mouvement dans le corridor est essentielle au rétablissement de la confiance. Comme la Cour de justice internationale l'a demandé il y a quelques temps déjà et nous n'ajoutons rien à sa décision, les entraves doivent être levées. La décision de la CIJ a force obligatoire et surtout - j'insiste à nouveau sur ce point - c'est un élément important pour bâtir la confiance. C'est la confiance qui permettra aux uns, aux autres de retrouver le chemin des négociations, de le faire de bonne foi et avec l'objectif d'avancer, c'est une précondition.

J'ai écouté attentivement, Monsieur le Ministre, vos explications, et celles du président Aliyev. C'est important pour nous, c'est important pour moi de les comprendre. Je suis venue à Bakou justement pour échanger avec vous, je n'ignore pas, ni parfois votre frustration, ni vos besoins de transparence, ni vos besoins de sécurité de toutes les populations. Nous considérons que tous ces sujets, ils sont nombreux, se tiennent. Tout est lié, tout peut être traité et tout doit être traité dans les négociations. La confiance amène des solutions, la défiance amène des difficultés. Le langage de vos partenaires européens comme de vos partenaires américains, c'est d'être suffisamment fort et suffisamment sage pour construire patiemment mais résolument ce chemin de confiance. Je passerai, je vous l'ai dit, je le dis là aussi publiquement, les mêmes messages évidemment à mes interlocuteurs en Arménie. Nous continuerons à oeuvrer en faveur du respect du cessez-le-feu, du dialogue, de la poursuite des négociations. Il le faut, c'est possible et notre conviction est qu'il y a un moment où il faut vraiment avancer. La paix est possible Monsieur le Ministre.

Vous avez parlé de nos relations bilatérales, je le ferai très brièvement. Nous avons effectivement une excellente base avec plus de 30 ans de bonnes relations derrière nous dans le domaine culturel, dans le domaine universitaire, dans le domaine des transports, de l'énergie, des nouveaux services urbains, de l'aéronautique, mais nous avons un potentiel à développer, nous l'avons constaté tout à l'heure. Nous allons voir comment faire progresser encore ces relations. Nous en avons parlé, nous continuerons à en parler au déjeuner et puis, je l'espère, via nos deux ambassadrices, Mesdames, vous avez une lourde tâche de faire le suivi maintenant, via nos équipes ! Je serais très heureuse que vous receviez certains de nos diplomates dans les semaines et dans les mois qui viennent. Et puis, je l'espère, Monsieur le Ministre, je le redis, bientôt à Paris. Merci de tout cela.

(...)

Q - La France a oeuvré comme l'une des trois co-présidentes pendant trente ans, mais pendant cette période, la France n'a jamais montré l'occupant. Non, la France est neutre, mais après la guerre, cette neutralité s'est perdue.

R - Merci de votre question Madame, je conteste votre appréciation, vous n'en serez pas surprise, selon laquelle la France ne serait pas neutre. Sa position est absolument inchangée. Je le disais tout à l'heure au Ministre, rappelant le passé et rappelant quelques-unes des conversations du président Aliyev avec le président français Jacques Chirac et du président Aliyev père déjà avec le président français Jacques Chirac, puis avec l'ensemble des présidents qui se sont succédés à la tête de l'Etat en France. Je rappelais que notre position a toujours été d'essayer d'apporter notre contribution, si nous le pouvons, à la paix dans la région, à la paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Alors, ça a pu passer par les forces de cette co-présidence que vous évoquez et qui aujourd'hui n'est plus active pour des raisons indépendantes de notre volonté, mais de même que je le disais à mon cher collègue, il m'a entendu le dire au président Aliyev, la France n'a qu'un objectif. Elle n'a pas d'autre souhait que de contribuer à la paix et d'aider les deux Parties à savoir trouver le chemin de la paix, qui est un chemin, je le dis, long et difficile mais qu'il faut suivre, qu'il est possible de suivre et qu'il est possible de réussir, nous en sommes convaincus. Je vous remercie.

(...)

Q - Le gouvernement azerbaïdjanais a agi en faveur du dialogue avec les Arméniens qui habitent en Azerbaïdjan. Le gouvernement a invité des Arméniens à se rendre à Bakou, cela va assurer la sécurité vis-à-vis du retour de la communauté azerbaïdjanaise du Karabagh. Nous avons aussi lancé un appel à l'Arménie mais ils rejettent ce dialogue. Comment la France peut aider dans ce processus ?

R - Merci Madame, votre question m'offre l'occasion de refaire un point plus général sur notre position. Je l'ai redit dans les entretiens, je l'ai dit ici dans ma déclaration liminaire, nous souhaitons encourager un processus de paix : rien d'autre mais, ça en vaut la peine. Il le faut, cela fait des décennies que cette situation dure et fait souffrir les uns et les autres ; je me suis exprimée aussi sur ce point lors de mes propos introductifs. Je vous le redis un processus de paix suppose une vision, de la constance, du courage, souvent, et beaucoup de détermination. Et c'est dans ce cadre que nous souhaitons agir avec d'autres, et j'ai bien rappelé que nous soutenions les efforts en cours des uns et des autres, avec d'autres et dans cet objectif et donc toutes les questions qui se posent, celles que vous évoquez, celles des disparus, celles des prisonniers, celles de la délimitation, toutes ces questions qui se posent ont vocation à trouver leurs réponses dans un Traité de paix qui permette de les régler. C'est un tout, et je le redis, tout se tient.

Par ailleurs sur le corridor de Latchine, je l'ai dit à Monsieur le Ministre et je l'ai dit avant de m'exprimer, nous avons sur ce point une différence de point de vue. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y a d'une part des aspects juridiques. La Cour internationale de justice a dit le droit et je sais l'attachement de l'Azerbaïdjan comme celui de la France au respect du droit international.

Deuxièmement, et je l'ai dit aussi, c'est une question de confiance. La région a besoin de gestes qui nourrissent la confiance, peut-être même qui la créent en ce moment ou qui la recréent et non pas l'inverse donc si l'on veut nourrir le processus de paix, oui il y a besoin de gestes qui sont de nature à aider à la reconstruction de la confiance. Je le redis, toutes les questions, elles sont nombreuses, ont vocation à être traitées dans le cadre de ce processus et avec un Traité de paix qui permettra d'y répondre, il le faut, c'est possible, c'est notre conviction.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2023