Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, Erevan le 28 avril 2023.

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Circonstance : Déplacement à Erevan en Arménie

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames les ambassadrices,
Madame la Présidente,
Chers collègues,


Je suis heureuse d'être chez vous en Arménie, un pays qui est cher au coeur de tous les Français. Vous m'aviez rendu visite à Paris et il était bien naturel que je vienne vous voir chez vous. Je viens à Erevan dans l'objectif de réaffirmer le soutien de la France dans un contexte que je sais difficile, que vous avez décrit vous-même comme difficile, et tout particulièrement si l'on pense à tous les défis que votre pays a à relever.

Bien sûr, l'enjeu central dont vous avez parlé, dont nous avons parlé ensemble, qui est celui des négociations avec l'Azerbaïdjan mais aussi la poursuite des réformes, de l'agenda de modernisation voulu par votre Premier ministre et je pourrais évoquer aussi l'impact déstabilisateur de la guerre d'agression engagée par la Russie en Ukraine. Le contexte est donc difficile et vous avez nombre de défis à relever. La France s'honore de faire partie des pays qui sont à vos côtés pour vous accompagner et vous aider à les relever. Nous avons longuement parlé de la situation régionale et je veux vous redire et dire publiquement que la France apporte un plein soutien aux négociations qui sont engagées entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Elle ne le fait pas seule. Elle le fait aux côtés de l'Union européenne, aux côtés des Etats-Unis, aux côtés de ses partenaires et alliés et en liaison bien sûr avec l'OSCE et avec les Nations unies qui peuvent jouer un rôle utile pour accompagner également ce processus.

Chacun le sait, le chemin de la paix peut parfois être difficile à trouver et il est souvent long. Mais je le dis à Erevan, comme je l'ai dit à Bakou : c'est la seule voie qui permettra une paix juste et durable. La seule voie qui permettra d'ouvrir des perspectives nouvelles et bénéfiques pour l'avenir des deux pays, pour l'avenir de la population et donc nous encourageons à emprunter résolument ce chemin avec l'aide et l'accompagnement de vos amis, Monsieur le Ministre.

Une paix juste et durable, qu'est-ce que c'est ?

C'est une paix d'abord fondée sur le respect du droit international. À Prague, vous l'aviez évoqué, Monsieur le Ministre, au mois d'octobre dernier, le Président de la République, le président du Conseil européen également, ont oeuvré à ce que l'Arménie et l'Azerbaïdjan franchissent un pas important en confirmant leur attachement à la déclaration d'Alma-Ata de 1991, déclaration par laquelle ils reconnaissent mutuellement leur intégrité territoriale et leur souveraineté. Et ils l'ont fait.

Il importe de consolider cet acquis, de poursuivre ce travail à travers peut-être la délimitation de la frontière, nous en parlions tout à l'heure ; ce peut être ce point qui viendra en priorité ou d'autres mais il faudra poursuivre et transformer de façon concrète l'accord que vous avez répété par la voie de votre Premier ministre et celle du Président Aliyev à Prague.

Mais le respect de l'intégrité territoriale est un principe commun à tous les Etats auxquels les deux Etats concernés souscrivent, cela veut dire aussi le refus de toute action de force. Et je l'ai dit à Bakou, je le redis ici, face à des avancées de forces azerbaidjanaises, nous ne pouvons voir remise en cause l'intégrité territoriale d'un pays et nous dirions la même chose s'il en avait à l'inverse dans une situation comparable où vous avanceriez de l'autre côté. Le droit international doit être respecté, c'est la seule voie pour les uns et pour les autres pour progresser. Et donc nous ne saurions approuver les mesures unilatérales qui sont prises par l'Azerbaïdjan. Je l'ai dit hier. Ils m'ont reçue jusqu'au plus haut niveau et publiquement.

À cet égard, je voudrais saluer le rôle de la mission d'observation de l'UE car ils contribuent à faire baisser les tensions entre les deux pays. C'est une mission d'observation, c'est une mission non armée, mais qui joue un rôle efficace, je crois, pour permettre aux Etats membres de l'Union européenne de baser leur décisions avec un regard objectif sur les événements.

Et puis au-delà de ça, je suis convaincue que cette mission contribue à instaurer un meilleur climat de confiance. Je suis allée ce matin sur place saluer le travail que fait la mission, lui rendre hommage, faire un geste politique de soutien visible. Elle a un rôle utile. Donc, j'ai eu beaucoup de plaisir à m'y rendre, avec intérêt. D'ailleurs, je crois que cela apporte toujours quelque chose de voir sur le terrain l'action d'une telle mission.

Je parlais d'une paix juste et durable avec le respect du droit international et je veux ajouter que c'est aussi une paix fondée sur le respect des engagements pris et sur le règlement pacifique des différends. Vous avez sans doute, Monsieur le Ministre, noté qu'à Bakou, comme la France l'a fait publiquement précédemment, nous avons souligné que le fait d'installer un point de contrôle tout récemment à l'entrée du corridor de Latchine était contraire aux engagements pris dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu entre les deux pays. Et que si l'Azerbaïdjan a des interrogations ou des demandes concernant la transparence des flux à la frontière, il y a bien d'autres moyens de traiter ces besoins que par des mesures unilatérales.

Une paix juste et durable c'est également une paix respectueuse et protectrice des droits humains. Nous agissons tous pour nos populations, pour nos peuples. Et nous souhaitons donc que des gestes humanitaires de bonne volonté puissent encourager, contribuer à instaurer un meilleur climat pour les négociations. Je l'ai dit hier, vous en avez parlé tout à l'heure Monsieur le Ministre qu'il s'agisse de la question des prisonniers, des personnes disparues ou tant d'autres sujets difficiles.

Et nous avons appelé et continuons d'appeler au rétablissement de la libre circulation, donc sans entrave le long du corridor de Latchine conformément aux engagements qui avaient été pris entre vous mais conformément aussi à l'ordonnance de la Cour Internationale de Justice qui a dit le droit. Et ce blocage qui dure maintenant depuis plusieurs mois n'est pas acceptable, n'est pas conforme aux engagements du droit international et fait de plus peser un risque de crise humanitaire sur les populations du Haut-Karabagh. Autant de raisons de demander le rétablissement immédiat de la liberté de circulation.

Je l'ai redis aussi hier parce que ce n'est pas une position nouvelle de la part de la France. Nous nous sommes exprimés publiquement par le passé, mais je tenais à le redire sur place. Nous souhaitons que des négociations s'engagent sur les droits et garanties des populations du Haut-Karabagh, comme votre Premier Ministre l'a souhaité pour traiter les difficiles problèmes humains qui se posent dans cette partie du territoire.

La population du Haut-Karabagh doit pouvoir continuer de vivre en paix, en sécurité dans le respect de sa culture et de ses traditions. Il m'arrive de le dire au Parlement, vous le savez, Madame la Présidente, soyez assuré Monsieur le Ministre que nous vous le disons mais que nous le disons aussi à d'autres que vous et notamment à la partie azerbaidjanaise.

Et puis le ministre l'a dit, nous avons également parlé de nos relations bilatérales. Je crois que la coopération politique est d'excellent niveau. Nous pouvons bien sûr toujours la développer davantage et je suis venue répondre à l'invitation du ministre pour l'illustrer. Nos pays sont liés par une amitié exceptionnelle, on le sait, nous devons l'entretenir. Je suis attachée à le faire. Mais nous sommes convenus que nos deux ministères devraient renforcer encore davantage leurs consultations avec si vous le voulez bien, des déplacements plus fréquents, avec une coopération qui s'est intensifiée dans le domaine de la sécurité. Nous ouvrons une mission de défense au sein de l'ambassade de France en Arménie et je m'en réjouis.

Mais sur le plan économique, là aussi vous l'avez évoqué Monsieur le Ministre, donc je vais très vite. Je souhaite que l'on accélère la mise en oeuvre de la feuille de route qui a été signée il y a maintenant deux ans, en 2021, afin d'encourager les investissements français en Arménie. Nos entreprises qui sont présentes ici se portent bien et elles sont heureuses de se trouver en Arménie. Je crois que nous pouvons les encourager à faire davantage encore.

La France est présente sur le plan culturel et éducatif. Nous avons récemment créé un Institut français. L'Université française est un succès. Je vois le nombre d'étudiants grandir et je m'en réjouis. Au passage, je ne vous cache pas Monsieur le Ministre que la mise en place d'un programme ambitieux pour renforcer l'enseignement du français en Arménie aura tout notre soutien.

Et puis vous l'avez dit, mais je ne veux pas, en présence de la présidente Anne-Laurence Petel oublier de le dire moi-même : nos relations, les relations entre nos deux pays, ce sont des contacts humains entre nos peuples, ce sont nos excellentes relations, mais c'est aussi celle que nos parlementaires nous permettent d'avoir. Je remercie Madame la Présidente d'être présente ici, d'avoir accompagné ma visite. Vous avez un rôle important à jouer au sein du Parlement français, nos deux Chambres y sont attachées.

Et permettez-moi de remercier, puisque j'en suis aux remerciements des personnes ici présentes, nos deux ambassadrices, d'abord mon ambassadrice et puis votre ambassadrice Monsieur le Ministre. Nous avons deux femmes de qualité, je tiens à le dire et deux ambassadrices qui jouent pleinement leur rôle. Merci Madame l'Ambassadrice, je ne parle que pour mon pays de l'engagement remarquable et de tout le travail que vous faites qui contribue je crois à faire que nous nous entendons bien, nous essayons de nous appuyer, nous essayons encore de progresser.

Je terminerai ce propos introductif par quelques paroles de gravité. Dans chaque étape de mon déplacement, j'ai tenu à rendre hommage aux victimes des affrontements, des conflits, des guerres, aux victimes de la répression. Il y a autant de cas de figures que de victimes. Et nous devons respect à chacune de ces victimes quelle que soit leur nationalité, quelles que soient les circonstances de leur mort. Et donc ici en particulier dans ce mois d'avril qui a vu la commémoration du début du génocide arménien de 1915. Un génocide que mon pays reconnaît, un génocide que mon pays a été l'un des premiers à reconnaître et même à inscrire dans le calendrier de ses fêtes nationales. Comme je venais ici quelques jours après, j'ai tenu à commémorer cet anniversaire bien sûr avec la cérémonie officielle que nous avons eue hier ; prenant aussi un plaisir à arroser ces arbres de vie qui ont été plantés par deux présidents de la République française, le président Jacques Chirac et puis le président Emmanuel Macron. Avec un arbre qui va pousser, qui doit pousser.

Et j'ajoute que ce matin au hasard de la route qui venait dans le sens retour de Djermouk vers l'héliport j'ai vu une Eglise arménienne. Je me suis arrêtée avec la complicité de votre ministre et je pu renouveler ce geste puisqu'il y avait là aussi comme dans tant d'endroits en Arménie un mémorial à la mémoire de ces victimes que je salue. Merci beaucoup.

(...)

Q - J'adresse ma question à la ministre des affaires étrangères, Madame Colonna. Le 23 avril, comme nous l'avons vu, l'Azerbaïdjan a bloqué officiellement le corridor de Lachine en installant un point de contrôle illégal. Les appels de la communauté internationale encore avant décembre 2022 n'avaient aucune incidence sur le comportement de l'Azerbaïdjan et avec de faux narratifs, l'Azerbaïdjan n'ouvrait pas la circulation. À cette époque comme maintenant, à Bakou et à Erevan aussi, la France en est au courant, et on a vu des positions et des réactions très concrètes, et des appels de la France. Mais Madame la Ministre, il s'avère que les appels de la communauté internationale n'ont aucune incidence sur le comportement de l'Azerbaïdjan. Donc, dans ce contexte, la France comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies : quelles actions concrètes peut-elle prendre pour que l'Azerbaïdjan applique ses obligations et que le Haut-Karabagh ne soit pas ethniquement purifié ?

R - Merci Madame. Sur cette question spécifique, vous m'avez entendue et vous connaissez la position de la France, elle a été exprimée à de nombreuses reprises tout à fait officiellement et je l'ai répété à l'instant même et également à l'étape précédente de ma visite, y compris publiquement en conférence de presse. Ces gestes unilatéraux ne sont pas de mises, ils ne sont pas de nature à ramener la confiance qu'il faut ramener, qui seule, permettra au processus de paix de se dérouler de façon fructueuse. Mais votre question m'offre l'occasion d'aller peut être un peu plus loin que les propos introductifs que j'ai tenus. Parce que s'il y a cette position de principe et elle est partagée par la communauté internationale et elle est aussi ce que la Cour internationale de Justice dit.

Au-delà de cela, il y a j'en reviens à notre point de départ un processus de négociation dans lequel courageusement l'Arménie s'est engagée qui a pour cela un partenaire et qu'il va falloir faire grandir, nourrir et donc nous n'avons pas parlé encore devant vous des différentes échéances de rencontres bilatérales, trilatérales voir même plus qui s'ouvrent. Mais il est important, je le redis, de bâtir sur les avancées qui avaient été obtenues à Prague et d'essayer maintenant de décliner ça en un certain nombre de points d'accord, peut-être de points concrets avec les réunions qui vont se tenir bientôt.

Je laisserai le ministre en parler puisqu'il part je crois aujourd'hui pour une autre destination et puis avec ce qui peut être un point de rendez-vous au moment de la deuxième réunion au Sommet de la Communauté politique européenne à Chisinau où nous pouvons espérer avoir l'occasion de recréer un moment de dialogue au plus haut niveau. Le 1er juin à Chisinau comme cela avait été fait le 6 octobre à Prague donc.

Voilà donc un accompagnement et un processus qui est en route. Alors votre question portait au-delà sur ce que peut faire la communauté internationale et c'est ma réponse : en ce moment la communauté internationale veut dire le droit et les principes mais aussi agir et accompagner. Le processus le plus mature, celui qui est devant nous et qui existe est celui que je vous décris avec des rencontres entre les deux parties au niveau ministériel puis peut être au Sommet. Nous y travaillons et c'est ce processus en ce moment qui requiert tous nos efforts.

Nous en avons longuement parlé avec le ministre. J'en ai également parlé, inutile de vous le dire, à l'étape précédente et je crois qu'il est sans doute de nature à produire de bons résultats. En tout cas l'objectif que nous nous donnons à court et moyen terme c'est celui-ci.

(...)

Q - J'ai deux questions aux deux ministres. Madame la Ministre, le gouvernement arménien parle de son attachement à l'agenda de paix, vous y accordez une grande importance mais d'autre part, l'Azerbaïdjan continue à occuper des territoires, une partie des territoires souverains, ne libère pas les prisonniers de guerre. À votre avis, dans ce climat, est-ce qu'il est vraiment possible d'avoir un vrai processus de paix et non pas une imitation d'un processus ?

R - Ce processus existe, il est nécessaire. Il est indispensable. Je le dis c'est la seule voie qui permettra de ramener la paix. Je crois que c'est la conviction également du Ministre. Alors, voilà la raison pour laquelle nous encourageons les parties à le suivre, à faire des pas, à récréer progressivement cette confiance qui manque et qui permettra que les négociations se déroulent de bonne foi et avec la volonté d'arriver. Nous sommes pour ça disposés, présents, ici, ailleurs, pour accompagner le processus. C'est l'objet, je le redis, vraiment de tous nos efforts mais ce chemin, je l'ai dit hier à Bakou, ce chemin de paix il est possible. Il suppose de la détermination. Il suppose du courage. Il suppose surtout une vision. Et je souhaiterais que cette vision soit une vision partagée par les deux pays. En tout cas soyez assurés que c'est bien ce à quoi la France, ses partenaires européens, ses partenaires nord-américains, ses amis, ses alliés encouragent les deux parties. Et avec notre aide collective pas seulement celle de mon pays. Je suis persuadée que des progrès sont possibles. Il faut faire ces pas, nous sommes disposés à aider et nous sommes là.

(...)

Q - J'adresse ma question à la Ministre, Madame Colonna. Madame la Ministre, l'Union européenne et les pays de l'Union européenne signent deux nouveaux accords énergétiques avec le gouvernement autoritaire d'Aliyev. Est-ce que c'est un accord avec les principes et les valeurs de l'Europe et est-ce que ce n'est pas conçu par l'Azerbaïdjan comme une carte blanche pour son comportement agressif ?

R - Si c'était le cas, Monsieur, ce serait une erreur d'analyse de la part de l'Azerbaïdjan. Il faut distinguer les deux sujets : la question énergétique dont vous parlez de la question politique, de souveraineté, d'intégrité territoriale, d'indépendance dont nous avons parlé longuement pendant cette conférence de presse.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2023