Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à Radio J le 28 avril 2023, sur la politique de l'énergie.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors qu’avez-vous vu à Hinkley Point ? Une centrale nucléaire qui pousse et qui pousse bien ou qui est en retard ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Une centrale nucléaire qui pousse, qui est construite avec l’appui de l’ingénierie française et de toute la supply chain, tout l’ensemble de la sous-traitance et notamment la cuve qui est une pièce unique construite FRAMATOME. C’est le signal que la filière nucléaire n’est pas en train de se relancer, elle est relancée.

CHRISTOPHE BARBIER
Les Britanniques d’ailleurs veulent en construire d’autres déjà.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Deux réacteurs à Hinkley Point plus deux réacteurs à Sizewell, donc c’est quatre réacteurs pour le programme britannique. Ça succède au réacteur qui vient de démarrer à pleine puissance en Finlande, et évidemment, ça fait le lien avec les six réacteurs que le président de la République a annoncés l’année dernière et sur lesquels nous travaillons.

CHRISTOPHE BARBIER
Mais tous ces chantiers avec du retard et des surcoûts. Moi il me reste une trentaine d’années d’espérance de vie si tout va bien. Est-ce que je verrai l’ouverture de Flamanville ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Non seulement vous verrez l’ouverture de Flamanville mais vous verrez l’ouverture de beaucoup d’autres réacteurs. Nous ne sommes pas les seuls en Europe à avoir ces projets. J’ai mis en place une alliance des pays européens qui souhaitent investir dans le nucléaire et aujourd'hui, sept pays européens sont à la manoeuvre pour développer de nouvelles capacités nucléaires. Alors pourquoi ça prend du temps ? Ça prend du temps parce que pendant 20 ans, pendant 30 ans on n'a pas construit de réacteur donc il faut réarmer la machine, réarmer la machine industrielle, réarmer l'ingénierie. Mais on le voit sur Hinkley Point : rien qu'entre le premier et le deuxième réacteur, on gagne 30% de temps et 30% de coûts. C'est l'effet d'industrialisation, de répétition des gestes, de réappropriation de l'excellence industrielle et c'est ça qui va faire la différence et le succès de ces projets.

CHRISTOPHE BARBIER
Pourtant le scepticisme demeure. Le nucléaire français n'a pas brillé pour tenir ses délais et ses coûts, c’est le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie Fatih BIROL qui le disait hier dans Le Parisien. Il est sceptique sur notre capacité à faire tout cela dans les temps impartis.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Fathi BIROL, il ne dit pas exactement ça. Il dit qu'il faut développer beaucoup plus de renouvelables et s'appuyer sur le nucléaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, nos objectifs climatiques. Et sur le nucléaire effectivement, il dit : attention pour l'hiver prochain, il ne faut pas compter sur le fait que tout va se passer comme les hivers… Enfin, il ne faut pas croire qu’on est ressorti des difficultés. Il faut rester vigilant.

CHRISTOPHE BARBIER
On aura un hiver vigilant ou difficile l'année prochaine.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vigilant, moi je dirais vigilant. On a montré l’hiver dernier qu'on était capable de reconnecter l'ensemble de nos réacteurs nucléaires et je veux remercier les salariés d'EDF qui ont fait un travail absolument remarquable parce que nous sommes dans un cycle de maintenance qui était prévisible. Ça fait 40 ans que nos centrales ont été construites, elles rentrent dans ce site où on fait une grande visite, du sol au plafond, des réacteurs nucléaires, et ça prend six mois, neuf mois par réacteur, donc ça il va falloir le passer. Plus nous avons détecté des corrosions sur certaines parties, ça se répare, ce n’est pas insurmontable mais ça prend du temps. C'est ça qui pèse sur notre productible nucléaire. Et de l'autre côté, nous avons mis en place un Plan sobriété qui nous a permis de passer l'hiver dernier, et ce plan sobriété je le réactive pour l'hiver prochain et puis je le réactive de manière plus profonde puisque baisser notre consommation d'énergie, c'est baisser nos émissions de CO2. C'est aussi un des leviers indispensables si on veut atteindre la neutralité climatique, faire en sorte de ne pas gaspiller l’énergie là où on peut.

CHRISTOPHE BARBIER
Ségolène ROYAL vous reproche dans son dernier livre d’avoir fonctionné par la peur, d'avoir dit " il y a des délestages qui vont arriver ", d’avoir même fait des circulaires où il s'agissait de faire peur aux gens pour qu’ils calment leur consommation. C'est vrai ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, moi je préfère écouter les vrais experts. RTE a fait un bilan de la saison d'hiver es dit très précisément : nous avons évité 12 épisodes Ecowatt rouge, c'est-à-dire avec des risques de délestage très élevés, et 8 épisodes Ecowatt orange de tensions fortes sur notre système parce que collectivement, les entreprises, les administrations, les Français ont fait des économies d'énergie. Donc ça a fonctionné et je veux vraiment remercier les Français de ça, et on va refaire ça l'hiver prochain. C'est bon pour leur portefeuille, ça fait moins de consommation. Eteindre un appareil en veille, ça ne coûte rien ; légèrement baisser le chauffage, on dort mieux ; et derrière cela, des économies d'énergie, des économies pour leur portefeuille et c'est mieux pour la planète.

CHRISTOPHE BARBIER
Et cet été, est-ce qu'on pourra faire tourner les climatiseurs à plein ou est-ce qu’il y aura un risque aussi de rupture ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors dans le Plan sobriété, on va aussi questionner le sujet de l'été. En réalité en France, les climatisations elles sont pour les trois quarts dans les espaces de travail, elles sont beaucoup moins chez les gens. Néanmoins la consigne elle est connue, elle est d'ailleurs dans la loi depuis des années, c'est de démarrer sa climatisation à 26 degrés. Pourquoi ? Parce que là aussi, il y a des économies à faire. Des économies d'énergie mais également c'est bon pour le climat. Encore une fois, chaque fois que l'on tire sur notre système énergétique, on émet du carbone dans l'atmosphère et on réchauffe l'atmosphère. Donc ce combat-là il est important et c'est le combat du siècle.

CHRISTOPHE BARBIER
Nous aurons une loi de programmation énergie-climat. Que mettrez-vous dedans comme mix énergétique ? C'est tout nucléaire maintenant ou on va continuer à avancer sur plus urgent ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est, au contraire, on avance sur trios jambes : baisser notre consommation d'énergie, la sobriété énergétique, l'efficacité énergétique, tous les enjeux de la rénovation thermique par exemple qui sont massifs. Deuxième pilier, c'est le développement massif des énergies renouvelables. Je rappelle que j'ai porté et fait voter une loi sur l'accélération des énergies renouvelables et qu'en 2022, on n'a jamais déployé autant d'énergies renouvelables, 5 gigawatts. Et puis troisième pied, la relance du nucléaire. Le nucléaire, ça prend le relais en matière de mix électrique à partir de 2035 donc il faut, entre maintenant et 2035, être capable de développer de nouvelles énergies renouvelables, de nouvelles capacités d'énergies renouvelables, et de faire cet effort de baisse, de maîtrise énergétique.

CHRISTOPHE BARBIER
Quand sera-t-elle votée cette grande loi de programmation, c'est-à-dire à long terme ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
La Première ministre, qui a annoncé sa feuille de route des 100 jours avec des mesures très concrètes, a indiqué que cette loi avait vocation à arriver au cours de l'automne, et donc à partir de là le dialogue avec les assemblées parlementaires se mettra en place.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous demanderez un 49.3 pour faire passer cette loi ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, je le redis, moi j'ai passé trois lois au Parlement, trois lois sans 49.3 parce que nous avons construit une majorité de projets. Une loi sur des mesures d'urgence notamment autour du pouvoir d'achat mais également de l'énergie, une deuxième loi sur les énergies renouvelables, une troisième loi sur le nucléaire. Je crois que ces majorités peuvent être trouvées et je sais qu'avec la Première ministre, nous y arriverons.

CHRISTOPHE BARBIER
Les députés vous ont retiré un de vos projets : la fusion des instances de sûreté nucléaire pour faire simple. Vous renoncez ou vous reviendrez à la charge sur cette fusion ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors bien au contraire, l’OPECST, qui est l'office public qui va examiner les choix scientifiques et techniques de l'Assemblée nationale, vient d'être saisi par le Sénat pour passer en revue les conditions d'une telle réforme, et donc je vais me soumettre au Parlement, au Sénat et à l'Assemblée nationale. Cette autorité est composée de députés et de sénateurs pour répondre à leurs questions et leur permettre de prendre position sur cette réforme.

CHRISTOPHE BARBIER
On vous reproche aussi, on reproche à la France de participer avec les Russes à du développement nucléaire en Hongrie. On continue, on arrête ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors on va le dire très simplement : aujourd'hui en Europe, nous n'avons pas de sanctions sur le gaz et sur le nucléaire. La seule énergie qui fait l'objet de sanctions, c'est le pétrole. Le gaz, c'est 47 milliards d'euros l'année dernière d'exportation en direction de la Russie.

CHRISTOPHE BARBIER
De la Russie vers nous.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pardon, de la Russie vers nous, vous avez tout à fait raison. D'importation. Le nucléaire, c'est un milliard d'euros. Donc tout ce qui n'est pas sous sanction peut continuer à être fait, a minima, sans favoriser les intérêts russes, mais bien au contraire en essayant de développer une indépendance de ces pays de l'Est qui ont construit leur nucléaire au moment où la Russie était encore l'URSS, et aujourd'hui c'est un des objectifs de l'alliance du nucléaire que j'ai mis en place en Europe : c'est d'aider les pays de l'Est à sortir de leur dépendance de la Russie. Mais ça, ça ne va pas se faire en une semaine, ça va se faire en plusieurs années et on va les accompagner en ce sens.

CHRISTOPHE BARBIER
La France a donc relancé son histoire du nucléaire au moment où l'Allemagne arrête définitivement la sienne. Est-ce qu'on va pouvoir garder le couple franco-allemand pendant des décennies avec une telle divergence ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je crois que c'est une divergence qui, en réalité, est plutôt en train d'évoluer. Je le disais à l’instant : 14 pays européens qui investissent dans le nucléaire, ce n'est pas un sujet franco-allemand. C'est au fond, au niveau de l'Europe, plus de la moitié des pays qui comptent sur le nucléaire pour atteindre leur mix décarboné et chaque pays a le choix de son mix énergétique. Je le respecte. Je n'aimerais pas qu'on impose à la France un certain choix énergétique et je trouve légitime que l'Allemagne et son peuple, en démocratie, fasse son choix de mix énergétique.

CHRISTOPHE BARBIER
Quels sont ces ambassadeurs du nucléaire que vous voulez promouvoir dans les semaines ou dans les mois qui viennent ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors nous voulons lancer un grand concours d’attractivité sur les métiers du nucléaire. Ce sont des métiers qui sont souvent assez mal connus. On connaît mal la diversité de ces métiers, on connaît mal à quelle fin ils contribuent, c'est-à-dire la lutte contre le réchauffement climatique. On connaît mal aussi les conditions de travail et les conditions de rémunération - conditions de rémunération qui sont plutôt très favorables par rapport à la moyenne des salaires en France. Et nous allons demander aux entreprises et aux administrations qui le souhaitent d'aller faire des présentations dans les lycées, dans les collèges pour parler de ces métiers et finalement amener la nouvelle génération vers ces métiers, parce que nous allons avoir besoin de recruter 100 000 compétences dans le nucléaire dans les 10 ans qui viennent. C'est absolument énorme, c'est un projet incroyable pour la France très porteur de richesses pour tout le monde d'emplois, et c'est pour ça que nous voulons réactiver cette histoire du nucléaire et faire en sorte que tout le monde la connaisse et soit au courant.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour toute cette ambition nucléaire, où est-ce qu'on va trouver l'argent ? Ça coûte une fortune tout ça.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors là aussi, c'est un investissement. C'est-à-dire que le nucléaire, c'est ce qui va nous permettre de bénéficier d'une électricité compétitive et bas carbone. Donc lorsque vous investissez, vous avez des retombées économiques positives et c'est comme ça qu'on finance le nucléaire. Aujourd'hui, avoir une électricité qui soit inférieure à 100 euros du mégawatt, je peux vous dire que beaucoup d'entreprises signent pour avoir des contrats à ce niveau-là, et le nucléaire va notamment nous le permettre en nous permettant d'avoir une électricité abondante, qui n'émet pas de CO2, et surtout qui est disponible à tout moment et qui est un complément indispensable des énergies renouvelables, qui sont aussi compétitives mais qui ne sont pas toujours disponibles comme on le souhaite. Le solaire, ça ne fonctionne pas la nuit et l'éolien c'est quand il y a du vent.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous n'aviez pas de casseroles hier à Hinkley Point, beaucoup de vos collègues, eux, croisent des casserolades quand ils vont sur le terrain. Est-ce que vous n’avez pas l'impression d'appartenir à un gouvernement qui devra se relancer d'une manière ou d'une autre ou d’un gouvernement qui est plutôt au bout de la route ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je pense surtout faire partie d'un gouvernement qui est en action. Encore une fois, la Première ministre a indiqué sa feuille de route après que le président ait donné son cap. Cette feuille de route, elle est très concrète. Elle répond aux questions que les Français ont sur le terrain. Moi je les vois sur le terrain, y compris je dirais avec ma casquette militante. L'école, les déserts médicaux, ça ce sont des questions auxquelles il faut apporter des réponses rapides et nous allons le faire. On le fait aussi sur la transition écologique, au-delà de la transition énergétique. Christophe BECHU était sur le terrain sur la question de l’eau, de l'accès à l'eau. C'est un sujet qui concerne beaucoup de Français. Donc là encore, nous sommes dans l'action et nous sommes dans la réponse aux Français.

CHRISTOPHE BARBIER
Il n’y a pas beaucoup de ministres qui ont traversé tout le premier quinquennat et commencé le deuxième en gravissant les échelons. Vous en êtes. Agnès PANNIER-RUNACHER à Matignon, c'est quelque chose que vous entendez de temps en temps ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, jamais.

CHRISTOPHE BARBIER
Et vous y pensez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez, moi ce que j'aime dans mon métier, c'est de creuser le sillon que j'ai entamé. Aujourd'hui, nous avons en matière énergétique et industrielle, relancé la machine française. Pour la première fois depuis 6 ans, nous recréons de l'emploi industriel et l'énergie va appuyer ces possibilités dans le nucléaire, dans les énergies renouvelables, et ce combat-là en France et en Europe c'est celui qui me motive.

CHRISTOPHE BARBIER
Agnès PANNIER-RUNACHER, merci. Bonne journée.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci


source : Service d’information du Gouvernement, le 2 mai 2023