Déclaration de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, sur les conséquences locales de la loi de programmation militaire, Besançon le 21 avril 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Discours devant le 19ème régiment du Génie

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Monsieur le préfet,
Madame la maire,
Mesdames, Messieurs les élus, régionaux, départementaux et municipaux,
Mon général, monsieur le chef d’état-major de l’armée de Terre,
Officiers généraux, officiers, sous-officiers, sapeurs d’Afrique,


Je suis venu à Besançon aujourd’hui pour saluer la bravoure et honorer la mémoire des sapeurs d’Afrique qui ont combattu au 19ème régiment du Génie et des soldats qui sont morts ou ont été blessés pour nos couleurs de Verdun à la Libération de la France ; puis dans les engagements plus récents de la France en Afrique, au Moyen Orient et actuellement 73 sapeur d’Afrique en Roumanie, en Irak, à Djibouti et au Niger, mais aussi sur le territoire national. Vous êtes restés fidèles à chaque fois à votre devise qui vous exhorte à " Entreprendre et Réussir ".

J’ai à ce titre une pensée ce matin pour vos frère d’armes, l’adjudant Edgar ROELLINGER, le sergent Cédric GUYOT et le sergent Mickaël VANDEVILLE, tous les trois morts pour le service de la Nation dans le cadre de l’opération HARPIE en Guyane, le 17 juillet 2019.

Les médailles que je viens de remettre à vos camarades viennent saluer leur engagement, forgé dans l’héritage de votre glorieux régiment.

Mais si je suis venu dans le Doubs, c’est aussi parce que je voulais vous parler de vous et de l’avenir de ce régiment, dans cette Franche-Comté qui a connu les grandes batailles qui ont scellé le destin de notre nation, des défaites, comme de grandes victoires. Cette région qui a connu enfin tant de restructurations – y compris militaires – qui ont fait mesurer l’attachement d’un territoire à son régiment, lorsque malheureusement il fut parfois fermé.

Depuis 2017, le Président de la République a mis un terme à cette litanie de fermetures qui ont laissé des cicatrices durables dans nos territoires, avec ses friches laissées derrière elles.

Mais redisons-le : nos régiments de l’armée de Terre, tout comme nos bases aériennes et nos bases navales ne sont pas implantés pour aménager le territoire national. Mais bel et bien pour garantir la sécurité commune de la Nation française.

Leur présence répond invariablement à une antienne qui a fondé les choix politiques pour nos armées à travers les époques : " Dis-moi tes dangers, je te dirai ton armée ".

A travers les siècles, notre armée n’a jamais cessé d’évoluer. L’histoire fut parfois cruelle, et trop souvent, les questionnements et les évolutions sont intervenus trop tard : ce fut le cas, par exemple, en 1914, alors que l’ennemi tirant les leçons des conflits précédents, avait aligné son artillerie de longue portée. Parce que nous n’avions pas fait ce travail, et malgré leur bravoure, nos valeureux cavaliers ne pouvaient rien contre l’artillerie lourde ennemie.

Ne laissons pas nos compétiteurs tirer aujourd’hui les enseignements des premiers conflits du début de ce siècle à notre place. En regardant lucidement notre passé, on retient que la seule boussole qui doit dicter nos choix : ce sont les menaces.

C’est là le courage d’un de Gaulle, et de ses soutiens Compagnons de la Libération et Résistants, qui avaient vécu la débâcle de 1940, mais aussi les blessures de Suez, de l’Indochine et de l’Algérie. Une fois au pouvoir, ils ont su regarder les armées telles qu’elles étaient, pour changer le cours des choses et leur donner un nouveau souffle, en les transformant en profondeur.

L’humilité nous commande de dire que nous vivons toujours de l’héritage des décisions qu’ils ont prises pour la Nation, il y a maintenant plus de 60 ans.

Ils ont eu l’ambition de doter notre pays d’une dissuasion nucléaire crédible quand tout autour d’eux s’y opposait ; d’adapter le format de nos armées, et en particulier de notre armée de Terre pour la moderniser et ne pas nier que la technologie change la tactique militaire ; de poursuivre la création d’une industrie de défense souveraine et autonome. Bref, de donner à la France sa place de Nation indépendante aux yeux du monde.

Nous avons ensuite connu les années 1990, qui ont tiré les conséquences de la dissolution du Pacte de Varsovie avec la suspension du service militaire, quand plus rien ne justifiait que nous massions des troupes aux frontières d’un bloc de l’Est qui s’était effondré. C’est à cette époque que s’est opérée la grande bascule vers une armée de métier. Ces années ont aussi été un moment de remise en question pour nos forces après les manquements et les lacunes révélés par la première guerre du Golfe. Cela nous a conduit à la refonte de nos services de renseignement, du commandement de nos opérations et de nos forces spéciales, pour permettre à la France de demeurer indépendante sur ces questions.

Enfin les années 2000, qui ont conduit nos armées à se concentrer sur les nouvelles missions que faisait naître la menace terroriste : pour protéger les Français de ce risque sur notre territoire et à l’extérieur de nos frontières. Il perdure et se renforce même, nous ne devons jamais le perdre de vue.


Officiers, sous-officiers, sapeurs d’Afrique,

Comment ne pas voir que nous sommes aujourd’hui, à nouveau, à la croisée des chemins. Identifier et qualifier ces menaces ou dangers requiert la même lucidité sur nous-mêmes que celles dont ont fait preuve ceux qui nous ont précédés.

Les menaces qu’est venu confirmer le nouveau conflit aux portes de l’Europe sont hybrides : elles mettent simultanément à l’épreuve nos intérêts politiques, sociaux, économiques, technologiques et énergétiques ; tout autant civils que militaires. Elles créent un terrain favorable pour ceux qui tentent de diviser la Nation.

Les transitions qui découleront de ces menaces appellent des lignes d’efforts dans les champs du cyber, du spatial, des fonds marins, du renseignement, des drones, ou de la guerre informationnelle. De la maîtrise de ces domaines dépendent désormais notre souveraineté et notre indépendance.

Nous devons nous montrer à la hauteur de ces défis tout en continuant de faire face à des menaces plus anciennes, comme le terrorisme ou la prolifération, dans des pays comme l’Iran et la Corée du Nord.

Malheureusement, l’ensemble de ces menaces – nouvelles et anciennes – se cumulent aujourd’hui plus qu’elles ne se succèdent.


J’aimerais maintenant vous parler de notre Armée de Terre,

Au-delà de l’adaptation aux menaces, nous devons désormais nous interroger sur le combat terrestre tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il est différent de ce qu’il était il y a vingt ans. Ayons l’humilité de nous questionner collectivement, et chacun personnellement, sur ce qu’il sera demain avec l’irruption du cyber, des drones, de l’intelligence artificielle, du champ de bataille en trois dimensions, de la guerre électronique ou encore de la guerre informationnelle. Ces évolutions modifient profondément les clés de la victoire dans les combats de demain.

Par ailleurs, elles doivent s’articuler autour d’un juste équilibre entre le nombre d’armes et d’équipements indispensables à notre défense ; et la cohérence de notre modèle d’armée où chaque fonction dépend d’une autre. Il ne servirait à rien d’acheter des milliers de canons CAESAR, si nous n’avions pas en face les soutiens indispensables à leur entretien, à leur transport, ou à leur connexion et à leur protection cyber.

Après des années de cendres, il y aurait du cynisme à acheter à nouveau massivement des équipements pour satisfaire quelques commentateurs ou industriels. Alors que, vous le savez, c’est la cohérence qui fait la force de nos armées. Et c’est précisément le manque de cohérence qui en a défait d’autres.

Les défis qui se posent pour notre armée de Terre relèvent donc de trois impératifs :

1. Faire des choix d’équipements qui correspondent aux menaces qui sont devant nous, et non pas derrière nous !
2. Poursuivre la nécessaire adaptations aux sauts technologiques qui irriguent les combats de notre époque pour ceux qui sont connus et rester avertis pour ceux qui sont à venir.
3. Ne jamais perdre de vue l’absolue nécessité, comme le dit votre CEMA, de privilégier toujours la cohérence sur la masse. J’en profite ici pour le remercier pour les réflexions et les travaux engagés ces derniers mois, pour transformer notre armée, conformément aux orientations que prévoit la LPM et que je porte au nom du Gouvernement et du président de la République.

Ces objectifs doivent évidemment toujours se poursuivre dans l’intangible fidélité aux traditions qui font l’âme et la gloire de notre vénérable armée.


Sapeurs d’Afrique,

Vous serez amenés à intervenir partout sur le territoire national – dans l’hexagone comme dans nos outre-mer – ainsi qu’en dehors de nos frontières, pour protéger nos intérêts sécuritaires, stratégiques, et bien sûr nos ressortissants.

Vous aurez à connaître de missions nouvelles dans les crises que font naître les conséquences du réchauffement climatique, et les bouleversements des équilibres géopolitiques à travers le monde.


Cela m’amène à vous parler de l’avenir de votre régiment.

La transformation du 19ème Génie, s’amorcera dans cette LPM avec l’arrivée de la technologie de combat connecté SCORPION, avec la livraison de 15 nouveaux véhicules Griffon Génie dès 2024.

Cette LPM prévoit également de faire monter en puissance les capacités de franchissement de votre régiment avec la livraison du système SYFRALL qui permettra de faire franchir des fleuves à nos chars Leclerc rénovés d’ici 2030.

Elle prévoit également l’arrivée d’engins de génie de combats à la fin de cette loi de programmation militaire qui renforceront le régiment dans ses missions d’appui aux unités de mêlée.

Votre unité rehaussera ses capacités d’obstruction de l’avancée ennemie, et d’aide à l’avancée de nos troupes avec deux sections qui seront créées pour répondre à ces missions, entraînant l’arrivée de 16 sapeurs d’Afrique au sein de vos rangs.

Sur le volet humain, ces évolutions se feront en intégrant pleinement les réservistes aux missions qu’assume le 19ème régiment du Génie. Il compte aujourd’hui deux compagnies accueillant 350 militaires réservistes, dont une spécialisée à la construction de voies ferrées. La seconde sera prochainement formée aux missions de franchissement.

Ces transformations engageront naturellement des investissements en infrastructure la construction d’un gymnase ; et d’un bâtiment d’hébergement pour les militaires du rang dès 2024.

Aussi, je vous annonce un investissement global prévu dans cette LPM soumise au Parlement de 37 millions d’euros pour le 19ème régiment de Génie au cours des sept prochaines années.


Officiers, sous-officiers, sapeurs d’Afrique,

Le temps me manque, mais j’aurais également aimé vous parler des écoles, des formations, du service de santé des armées, de notre industrie de défense et des soutiens qui jouent un rôle déterminant pour le succès de nos armes.


Mais je ne peux pas terminer sans avoir un mot pour vous-mêmes et pour vos familles. Pour vous parler d’abord de l’indispensable réflexion que nous devons mener sur la reconnaissance que la nation vous témoigne à travers vos rémunérations. Nous aurons engagé en 2023, un demi-milliard d’euros avec la nouvelle politique de rémunération des militaires, comprenant la prime du combattant que vous toucherez dès octobre. Nous poursuivrons ces efforts à l’avenir pour offrir des perspectives d’évolution de carrière, liées au mérite, aux militaires du rang et aux sous-officiers. Cette progression républicaine fait la force de nos armées, nous ne devons jamais la perdre de vue.

Nous engageons enfin des efforts avec le Plan Familles 2, dont le budget augmentera d’un tiers par rapport au précédent et qui correspond à un investissement de 9 millions d’euros dans votre département. Il doit permettre de mieux prendre en compte les contraintes de mobilité et de disponibilité qu’entraînent votre condition de militaire.

Pour la première fois, ce Plan Familles 2 a été préparé avec les représentants des collectivités territoriales. Je suis donc venu aujourd’hui proposer aux collectivités du territoire de mieux nous coordonner pour vous accompagner dans ces contraintes, en leur soumettant une lettre d’engagement partenariale que nous signerons dans un instant. Tandis que certains estiment que les 413 milliards d’euros prévus par cette loi de programmation militaire sont excessifs. Les élus qui vous accueillent sur ce territoire connaissent, eux, l’importance des missions qu’assure votre unité pour notre défense nationale. En signant cette lettre d’engagement, ils font un acte patriotique pour notre Nation.

Ce volontarisme de vos élus devra permettre de relever à vos côtés les défis qui font votre quotidien et celui de vos proches : pour trouver un logement ; des solutions de garde et de scolarisation pour vos enfants ; pour accompagner vos conjoints dans leur recherche d’emploi ; pour permettre la reconversion professionnelle des militaires blessés ; et pour cultiver les forces morales de la nation auprès de notre jeunesse et en lien avec nos anciens combattants – que je salue fraternellement –.


Sapeurs d’Afrique du 19ème Régiment du Génie,

En choisissant de donner votre vie pour défendre notre pays, vous assumez un engagement qui emporte la reconnaissance de la Nation. Devant vous ce matin, nous prenons tous, collectivement, la mesure des responsabilités qui nous reviennent individuellement pour vous soutenir.

Sachez que ni vos chefs militaires, ni votre ministre, ne ménageront leurs efforts et leur énergie pour convaincre sans relâche de la nécessité de soutenir l’armée française. Et ainsi permettre que demain encore, le 19ème régiment du Génie continue de remporter de grandes victoires pour le succès des armes de la France.


Vive les sapeurs d’Afrique !
Vive la République !
Et vive la France !


Source https://www.defense.gouv.fr, le 4 mai 2023