Texte intégral
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur le localisme au service de la réindustrialisation et de l’environnement.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie
J’aurais aimé commencer cette intervention par une défense de notre bilan en matière de politique industrielle,…
M. Jocelyn Dessigny
Mais vous n’en avez pas !
M. Pierre Meurin
Il n’y a rien à défendre : je comprends votre gêne !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué et à lui seul, chers collègues.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Merci, madame la présidente. Ce bilan, toutefois, vient d’être merveilleusement dressé par Mme Marie Lebec qui, en dépit de quelques interruptions malvenues, a pu égrener les chiffres positifs qui caractérisent depuis maintenant six ans l’industrie française, en faveur de laquelle nous allons continuer d’avancer.
M. Jocelyn Dessigny
C’est bien ce qu’on vous reproche !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je me concentrerai donc sur le débat du jour, à savoir le localisme, présenté par certains comme l’avenir de l’industrie et de l’économie françaises. J’attendais avec impatience des propositions concrètes de la part de M. le député Pfeffer : je ne les ai pas entendues. Je me contenterai donc de quelques conjectures, issues du programme improbable de la finaliste de la dernière élection présidentielle – qui, si je ne m’abuse, ne l’a pas emporté.
M. Pierre Meurin
Ça viendra. On arrive !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous avons un point commun, monsieur le député : moi aussi, j’aime les asperges.
M. Jean-Philippe Tanguy
Attention, c’est un terrain glissant ! (Sourires sur les bancs du groupe RN.)
M. Roland Lescure, ministre délégué
Ça tombe bien : elles sont de saison. Vous préférez les fraises françaises aux fraises espagnoles ou marocaines.
M. Jean-Philippe Tanguy
Oui !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Moi aussi : rien de tel que des Gariguette ou des Mara des bois pour égayer un repas. Le problème, c’est que vous les préférez pour les mêmes raisons que Jean-Marie Le Pen préférait ses amis à ses voisins. (" Oh ! " sur les bancs du groupe RN.)
Un député du groupe RN
Caricature !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Vous le reniez ? Avec vous, ça commence par les fruits de saison et ça finit par les expulsions. (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe RN.)
M. Pierre Meurin
C’est vous qu’on va expulser ! Le plus tôt sera le mieux !
M. Roland Lescure, ministre délégué
M. Charles Fournier l’a bien souligné : vous cherchez une manière de parler d’écologie, parce que voilà cinquante ans que vous n’avez aucune idée sur la question et que vous pensez en avoir trouvé une. Votre démarche est doublement perverse : vous partez d’un constat écologiste en apparence cohérent et vous le travestissez en protectionnisme xénophobe, sans l’avouer. Ce n’est pas moi qui le dis : Hervé Juvin…
M. Jocelyn Dessigny
Qui ça ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
…parlait de préserver la biodiversité humaine – ça ne s’invente pas. Chez vous, le localisme est au protectionnisme ce que l’antisionisme est à l’antisémitisme : un cheval de Troie. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Kévin Pfeffer
Quel naufrage !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Mon intervention sera donc simple et s’articulera autour de deux idées, elles aussi assez simples. D’abord, croire que les émissions de gaz à effet de serre sont locales est aussi pertinent que croire que le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à notre frontière.
M. Jocelyn Dessigny
C’est ce que vos amis ont prétendu, pourtant !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Alors oui, je suis à la fois écolo et libéral. Ensuite, faire croire qu’on peut acheter une télévision 100 % locale est aussi pertinent que prétendre qu’il y a du gaz dans le Calvados. Alors oui, je suis à la fois localiste et européen.
Qu’avons-nous fait depuis 2017 ?
M. Jean-Philippe Tanguy
Rien !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous avons renforcé la proximité et relocalisé les activités productives.
Un député du groupe RN
Personne ne s’en est rendu compte !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous avons donné la priorité aux circuits courts,…
Mme Sophia Chikirou
On l’a constaté avec les masques !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…y compris, comme la députée Violland du groupe Horizons et apparentés l’a très bien souligné, en renforçant la politique d’achats publics. Nous allons continuer en ce sens. Notre localisme consiste certes à promouvoir le local, mais pour en renforcer le rayonnement international, car une porte fermée l’est dans les deux sens. Or nous souhaitons exporter le vin, les voitures, les avions, ou encore les trains que nous produisons en France.
M. Pierre Meurin
Quels trains ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Monsieur le député Pfeffer (" Ce n’est pas lui ! " sur les bancs du groupe RN) , dans votre département de la Moselle, on produit des rails, qui sont fabriqués avec de l’acier vert et qui seront demain, ne vous en déplaise, exportés en Ukraine pour la reconstruire : la France exporte des rails partout en Europe. L’aéronautique, le spatial, la chimie, les cosmétiques, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique : sans exportations, toutes ces industries mourraient. Je souhaite réindustrialiser la France pour qu’elle parte à la conquête du monde, non pour qu’elle se replie sur elle-même. Et je suis convaincu que l’industrie française peut être compétitive, même si une nouvelle baisse des impôts de production sera probablement nécessaire pour que nos entreprises restent attractives.
Mme Sophia Chikirou
Allez expliquer aux salariés de Fleury Michon qu’ils ne sont pas assez productifs !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Au fond, votre localisme est un mélange de fausses bonnes idées – la baisse de la TVA, dont il a été montré qu’elle est à la fois coûteuse et dénuée d’intérêt économique ou social – et de vraies mauvaises idées, comme la fermeture des frontières. Comme toujours, vous prétendez apporter des solutions simples à des problèmes complexes.
M. Jocelyn Dessigny
Que faites-vous pour Buitoni et Tereos ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Madame Chikirou – je vous entends parler fort, sans distinguer vos propos –,…
Mme Sophia Chikirou
Je ne parle pas fort, j’ai la voix qui porte !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…vous avez critiqué la globalisation capitaliste, sauvage et galopante, qui nous a nourris depuis vingt-cinq ans. Halte à la caricature. (Rires sur les bancs du groupe RN.) Évidemment, la globalisation doit être réformée. Nous l’avons fait et nous continuons de le faire, dans un cadre européen. Mais reconnaissez tout de même avec moi que, depuis vingt-cinq ans,…
Mme Sophia Chikirou
Ça va de plus en plus mal !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…1 milliard de personnes dans le monde sont sorties de la pauvreté,…
M. Jocelyn Dessigny
Et combien de Français sont tombés dans la pauvreté à cause de vous ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
…grâce à une politique d’ouverture sur le monde.
Mme Sophia Chikirou
Pas ça ! Ne racontez pas n’importe quoi !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Évidemment la question des inégalités doit être abordée et la pression insupportable que l’humanité exerce sur la planète doit être traitée. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain et n’oublions pas que, dans des pays dont vous vous prétendez proches, 1 milliard de personnes sont sorties de la pauvreté en vingt-cinq ans.
M. Kévin Pfeffer
Commencez par la France !
M. Roland Lescure, ministre délégué
S’agissant du projet de loi relatif à l’industrie verte, La France insoumise fait partie des deux seuls groupes à ne pas avoir répondu à l’invitation du ministre Bruno Le Maire, auquel je me joindrai, à venir discuter des propositions de l’ensemble des groupes composant l’hémicycle.
Mme Sophia Chikirou
Je le vois jeudi pour parler du projet de loi ! Vous dites n’importe quoi !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Si vous avez des propositions à formuler sur ce texte, n’hésitez surtout pas à répondre à l’invitation que nous vous avons transmise.
Monsieur Gérard Leseul, nous sommes – comme vous, je le crois – favorables à un libre et juste échange. Nous nous inscrivons dans une logique européenne : nous devons nous assurer que la souveraineté européenne est une réalité et qu’elle permet aux États membres de conquérir le monde et d’exporter tout en préservant le modèle social et en maintenant un modèle environnemental exemplaire. Nous pouvons nous accorder sur ce point.
Monsieur Wulfranc, contrairement au Premier ministre en place en 2001 – il ne s’agissait pas d’un ministre –, je fais partie de ceux qui considèrent que l’État peut beaucoup. Depuis six ans,…
M. Jocelyn Dessigny
Vous n’avez rien fait !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…nous avons montré qu’il pouvait agir pour réindustrialiser la France. Les casseroles, dont la production est effectivement en hausse – et pas uniquement parce que la demande a légèrement augmenté récemment pour des raisons qui vous sont chères – ne sont pas les seules concernées : la production de jouets, de vélos, de textiles, de tee-shirts et de pulls est en passe d’être relocalisée en France.
M. Jean-Philippe Tanguy
N’importe quoi !
M. Pierre Meurin
Par contre, on ne produit plus de voitures en France !
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’y venais, merci : nous allons également produire de plus en plus de véhicules électriques en France. Savez-vous de quoi nous aurons besoin, pour ce faire ? De matériaux rares qui ne sont pas disponibles dans notre pays et que nous devrons donc aller chercher quelque part. Si les pays concernés ne sont pas autorisés à exporter en France, nous n’en disposerons évidemment pas.
M. Pierre Meurin
Et le cobalt ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Le cobalt est concerné au premier chef.
Pour conclure – car je me garderai bien d’être trop long –, je tiens à souligner que l’ouverture sans naïveté fait partie des qualités que nous souhaitons promouvoir, tout comme la capacité à conquérir et à réinvestir, y compris dans les territoires délaissés, afin que l’industrie française, qui a repris du muscle depuis six ans, continue de se développer. C’est ainsi que nous pourrons, ensemble, conquérir le monde, dans une logique sociale et environnementale. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
M. Jean-Philippe Tanguy
« Conquérir le monde » ? Merci, Cortex !
Mme Sophia Chikirou
Ce n’est pas le but de l’écologie que de conquérir le monde !
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions comme celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Philippe Ballard.
M. Philippe Ballard (RN)
Monsieur le ministre délégué, quand changerez-vous votre logiciel d’analyse économique ? Quand comprendrez-vous que, pour réindustrialiser le pays et se montrer vertueuse sur le plan environnemental, la France doit pratiquer le localisme, c’est-à-dire faire l’inverse de ce que vous prônez depuis des années ? Vous, la droite, le centre et la gauche, avez tous tenu le même discours : vous avez vanté aux Français la fable de la mondialisation heureuse, qui s’est finalement transformée en cauchemar.
M. Thibault Bazin
C’est un peu caricatural.
M. Philippe Ballard
Vous avez mis la France en compétition avec des pays n’obéissant pas aux mêmes règles fiscales, sociales ou environnementales qu’elle. La catastrophe était annoncée. Le pire, c’est que vous persistez dans cette voie.
Pourtant, des solutions existent. Elles réclament simplement du bon sens et de la volonté politique. Quand, par exemple, accorderez-vous la priorité, dans la commande publique, aux entreprises françaises produisant à proximité pour un coût comparable ? Quand comptez-vous réagir afin que la France ne soit plus obligée d’importer à longueur d’année des fruits, des légumes et de la viande blanche ou rouge pour nourrir sa population ? Pourquoi importons-nous de l’autre bout du monde des produits alimentaires que nous ne pourrions pas produire en France, car ils ne sont pas conformes à nos règles d’hygiène, comme le rappelait en septembre 2022 un rapport sénatorial ? Cerise sur le gâteau, ces produits importés traversent les océans sur des supertankers qui polluent autant qu’1 million de voitures en un an. Pourquoi ne pas privilégier le juste échange, plutôt que le libre-échange qui nous ruine ?
M. Julien Dive
Et bientôt le Juste prix ! C’est Philippe Risoli, pas Philippe Ballard… (Sourires sur les bancs du groupe LR.)
M. Philippe Ballard
Emmanuel Macron, Président de la République depuis six ans après avoir été ministre de l’économie et secrétaire général adjoint de l’Élysée – soit dix ans passés au pouvoir –, n’a rien fait pour développer notre industrie manufacturière, qui ne représente plus que 10% du PIB, c’est-à-dire moitié moins qu’en Allemagne. C’est sans doute pour cette raison que, dans son allocution du 12 mars 2020, dans laquelle il annonçait le confinement, il exprimait le souhait que la France retrouve sa souveraineté alimentaire et sanitaire.
Mme la présidente
Merci de conclure, cher collègue.
M. Philippe Ballard
Ma question est très simple : quand mettrez-vous en œuvre une politique réellement efficace, à rebours de celle que vous menez depuis des décennies ? Quand réparerez-vous vos erreurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Depuis six ans, la France est la première destination d’Europe pour les investissements directs étrangers (IDE).
M. Jean-Philippe Tanguy
Ça inclut les rachats et les pillages !
M. Roland Lescure, ministre délégué
C’est le cas pour la troisième année consécutive, monsieur Tanguy. Évidemment, si vous arriviez un jour au pouvoir – les Français nous en préservent –,…
M. Jean-Philippe Tanguy
Il n’y aura plus de pillages !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…il est très probable que les 1 725 acteurs qui ont pris la décision d’investir en France en 2022 parce qu’ils considèrent qu’il y fait bon vivre, produire et exporter, repartiront aussi vite que vous serez arrivés.
Parmi les emplois créés ou maintenus en 2022, 58 810 sont liés à des investissements étrangers en France. Ne vous en déplaise – car je note que, depuis vingt-cinq ans, vous vous nourrissez de la désindustrialisation –, plus de 100 000 emplois industriels ont été créés en France depuis six ans.
M. Philippe Ballard
On en avait tellement supprimé !
M. Roland Lescure, ministre délégué
On dénombre 80 créations nettes d’usines en 2022, après en avoir compté 120 en 2021, alors qu’on n’en n’avait plus créé depuis plusieurs décennies.
Ne vous en déplaise, notre bilan en matière d’industrialisation est bon…
M. Jocelyn Dessigny
Non, il est mauvais !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…et il sera meilleur demain. Nous accélérerons dans cette voie. Nous convaincrons les Français de la qualité de ce bilan, à défaut, bien sûr, de vous en convaincre.
M. Thibault Bazin
La caricature répond à la caricature ! Il n’y a pas de nuance !
Mme la présidente
La parole est à Mme Stéphanie Galzy.
Mme Stéphanie Galzy (RN)
Ne vous en déplaise, la première protection que nous pouvons accorder à notre planète c’est le localisme, la souveraineté alimentaire et la défense de nos agriculteurs.
Alors que les enjeux environnementaux doivent devenir 1’un des fondamentaux des politiques publiques et que l’importance de la souveraineté alimentaire nous est rappelée par la crise du covid-19 et par la guerre en Ukraine, la promotion du localisme représente aujourd’hui une nécessité absolue.
L’écologie et la souveraineté alimentaire sont des enjeux nationaux. C’est pourquoi, au Rassemblement national, nous défendons le développement du localisme, c’est-à-dire à la fois l’engagement envers la réindustrialisation de notre économie, la protection de notre environnement mais aussi la garantie de produits de saison, de qualité et de proximité.
M. Charles Fournier
Non, ce n’est pas ça !
Mme Stéphanie Galzy
Nous devons revenir à nos racines, à nos artisans locaux et à nos industries de base. Le localisme est assurément la voie vers un avenir meilleur, plus fort et plus durable.
Nous avons tous été témoins des défis auxquels nos agriculteurs sont confrontés, notamment la concurrence étrangère et les changements climatiques. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons les soutenir. Il est de notre devoir de promouvoir et d’encourager l’agriculture locale pour garantir une alimentation saine et de qualité et préserver notre patrimoine alimentaire.
Mme Christine Arrighi
Parce que le localisme ne concerne que l’agriculture ?
Mme Stéphanie Galzy
C’est pourquoi, au Rassemblement national, nous proposons notamment d’atteindre 80 % de produits français servis dans les lieux de restauration collective. Les repas, pris dans des établissements liés à l’État ou aux collectivités territoriales, sont financés par les impôts et par les cotisations sociales des Français. Il est donc normal que les produits français y soient mieux représentés. Cette mesure permettrait de dynamiser les filières agricoles nationales et de soutenir nos agriculteurs.
Ma question est simple. Comptez-vous enfin définir une véritable stratégie nationale visant à développer le localisme et à soutenir de manière pérenne nos agriculteurs et nos artisans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je vous remercie de me donner une fois de plus l’occasion de défendre le bilan de ce Gouvernement qui, depuis six ans, a fait beaucoup – et plus que bien d’autres – pour favoriser les circuits courts.
La politique volontariste menée par le Gouvernement pour développer des circuits de proximité repose, d’une part, sur l’information du consommateur, avec le lancement en 2021 de la plateforme Frais et local par le ministère de l’agriculture,…
M. Jocelyn Dessigny
Est-ce qu’il y a aussi un numéro vert ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
…d’autre part sur le soutien à l’émergence de dynamiques territoriales puisque, depuis quatre ans, 330 millions d’aides publiques ont été versés pour structurer les filières en amont et en aval et rapprocher l’offre et la demande, ce qui correspond à 428 projets alimentaires territoriaux. Nous avons ainsi structuré la filière avicole autour du projet oeufs de nos montagnes d’Auvergne-Rhône-Alpes, soutenu par France 2030, et cætera .
Mme Sophia Chikirou
Tout est dans le " et cætera " !
M. Jocelyn Dessigny
Et la betterave ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Pardon, monsieur Dessigny, je ne vous ai pas entendu ?
M. Jocelyn Dessigny
Et la filière betterave, vous en faites quoi ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Vous me poserez la question tout à l’heure si vous le souhaitez.
La France dispose aujourd’hui d’une autonomie alimentaire de 60%, plus forte sur les produits agroalimentaires que sur les produits agricoles – pour ces derniers, elle s’élève à 43%. Elle est inégale selon les denrées. C’est dans les Hauts-de-France, chers à M. Dive, que l’industrie agroalimentaire est la plus variée tandis que l’Auvergne-Rhône-Alpes est la mieux dotée en industries annexes – emballages ou intrants, entre autres –, stratégiques pour l’alimentation.
Vous avez évoqué la question des achats publics. Or, dans le cadre de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim, nous avions voté plusieurs dispositions afin de permettre aux cantines d’acheter des produits locaux, en circuit court.
M. Jocelyn Dessigny
Encore un échec !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Aujourd’hui, grâce à ces mesures, on retrouve dans les cantines plus de 50% de produits français. Les quelques députés issus de votre parti qui étaient sur ces bancs à l’époque – dont Mme Le Pen – ne les avaient pas votées alors qu’ils auraient dû s’empresser de le faire.
Mme Danielle Brulebois
Eh oui ! Nous, nous les avons votées.
M. Thibault Bazin
Ils n’étaient jamais là ! On ne les entendait pas ! Il n’y avait que Mme Ménard qui bossait !
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Carrière.
M. Sylvain Carrière (LFI-NUPES)
Aujourd’hui nous parlons de localisme, c’est-à-dire d’économie de proximité, alors que notre société ultralibéralisée est engagée dans une course effrénée aux profits. Ce modèle a conduit la France à perdre sa souveraineté et son industrie, un secteur marqué par la disparition de 2 millions d’emplois en moins de trente ans.
Car oui, par nature, le capitalisme entraîne des crises. Son appétit vorace est à l’origine du changement climatique, soit la plus grande crise que notre génération devra affronter. M. Macron, en bon commercial, vend la France à des investisseurs privés avec, en guise de cerise sur le gâteau, des cadeaux fiscaux pour ceux qui ne sont pas installés en France.
Dans le monde agricole, les maraîchers et les petits paysans ne s’en sortent plus. Ils voient leurs terres rachetées par de grosses coopératives de l’agro-industrie qui souhaitent y faire pousser une énième ressource à mettre sur le marché boursier.
La France insoumise, depuis de nombreuses années, est favorable à une agriculture vivrière, celle qui fait vivre les populations locales. Car oui, consommer local est nécessaire. C’est ce qui apporte de la vie à un bassin. Les gens ont leur travail, les paysans façonnent la terre et la société vit. C’est ainsi que le monde a fonctionné depuis la sédentarisation.
Or, avec les traités de libre-échange à tout va signés par la Macronie, on se retrouve avec des kiwis de Nouvelle-Zélande, des voitures électriques venues de Chine et, surtout, des zones périphériques de plus en plus dépeuplées et désertées.
Il faut réindustrialiser le pays dans le cadre de la bifurcation écologique et entrer dans l’ère des besoins plutôt que de rester dans celle de l’offre. Quels sont nos besoins ? Des éoliennes, des vélos, des locomotives ? Dans ce cas, produisons-les !
Nombreuses sont les TPE – les très petites entreprises – et PME – les petites et moyennes entreprises – qui ne demandent qu’à se développer en France. C’est le cas de Prism, à Frontignan, dans ma circonscription, qui a relancé une chaîne de production de masques à la suite des pénuries observées pendant la crise du covid-19 et créé quatorze emplois. Combien suivraient cet exemple si nous étions vraiment dans le cadre d’une planification écologique nationale ?
Après six ans à la tête du pays, allez-vous enfin agir ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Cessons de caricaturer le modèle français dont, au fond, nous devrions tous être extrêmement fiers.
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. Roland Lescure, ministre délégué
La France est un des trois pays dans lesquels la part de la dépense publique est la plus élevée au monde. Son modèle n’est pas celui du capitalisme sauvage que vous aimez à présenter. Notre système redistributif est le plus important au monde.
Mme Danielle Brulebois
Le meilleur du monde !
Mme Sophia Chikirou
Pas grâce à vous !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Madame Chikirou, si vous observez les écarts de rémunération entre les plus riches et les plus pauvres avant et après redistribution, vous constaterez que le modèle français est celui qui les réduit le plus.
M. Sylvain Carrière
Pas depuis que vous êtes au pouvoir !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Soyons-en fiers. Assurons-nous de sa pérennité. Pour y parvenir – et je vous rejoins sur ce point –, une des pistes est le développement de l’emploi, notamment industriel. C’est ce que nous faisons. Nous développons des industries, grandes comme petites.
Monsieur le député, vous avez dit qu’il fallait produire des locomotives. Souhaitez-vous que celles que nous produisons – grâce à l’un des trois champions mondiaux dans ce domaine – soient exportées ? Si oui, vous devez accepter que nous importions aussi des produits.
Avec quelques collègues ici présents, j’ai fait partie des rares députés qui avaient voté la ratification du Ceta, l’Accord économique et commercial global,…
M. Julien Dive
Ce n’est pas glorieux !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…ce traité que, sur certains bancs, on qualifiait de diabolique en affirmant qu’il signerait la fin du modèle agroalimentaire français. En réalité, depuis que le Ceta est entré en vigueur, les exportations de fromages français ont doublé tandis que les importations de viande canadienne en France sont toujours égales à zéro.
Ne soyons pas naïfs mais soyons rigoureux et fiers de notre modèle industriel. Assurons-nous qu’il soit possible de produire ici pour exporter ensuite et, s’il vous plaît, ne fermons pas nos frontières.
M. Thibault Bazin
Sur le Ceta, nous n’avons pas été naïfs mais lucides !
Mme la présidente
La parole est à M. Hubert Brigand.
M. Hubert Brigand (LR)
Le localisme est une idée en vogue depuis quelques années. Son principe est séduisant puisqu’il repose sur une économie de proximité et vise à favoriser un système de production local et une répartition plus directe des richesses produites. En Côte-d’Or se développe ainsi la vente directe de produits alimentaires en circuit court.
Le localisme a pour objectif la préservation de notre environnement grâce à la réduction de l’empreinte carbone des échanges de biens. Dans cette optique, il serait très dommageable pour notre pays d’imposer ce modèle en distribuant des aides dont nous avons cruellement besoin pour que nos services publics fonctionnent mieux, surtout en milieu rural. Le " quoi qu’il en coûte " n’a pas sa place dans cette réflexion.
Le localisme peut aussi se conjuguer avec la réindustrialisation. Nos efforts doivent se porter sur le retour dans notre pays de filières qui conçoivent des produits haut de gamme, dans lesquelles la France dispose d’une expertise reconnue ou d’un avantage naturel – par exemple l’automobile ou les composants électroniques.
À présent, monsieur le ministre délégué, je vais un peu refroidir l’atmosphère. Contrairement à ce que Bruno Le Maire et vous-même nous rabâchez depuis plusieurs années, dans nos territoires ruraux, des usines ferment. Il n’y a pas de monsieur muscle. Par conséquent, cette réindustrialisation, de nature à permettre à nos territoires de se relever, ne pourra avoir lieu sans la volonté politique d’aider, entre autres territoires, le monde rural.
Mme Isabelle Périgault
Il a raison !
M. Hubert Brigand
Or vous n’avez pas cette volonté.
Quand relèverez-vous le défi de la restauration de la compétitivité française ? Quand sauverez-vous un monde rural en situation de détresse économique ? C’est un cri d’alerte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme Isabelle Périgault
Il a raison !
M. Thibault Bazin
Très bonne question !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il existe en France une industrie à deux vitesses. Dans certains secteurs, l’industrie va très bien, s’exporte et conquiert le monde. N’en déplaise à certains, il faut continuer à les laisser se développer ainsi. Dans d’autres secteurs, dans des territoires éloignés par exemple, l’industrie souffre. Puisque nous parlions tout à l’heure de Buitoni, je peux citer par exemple l’usine de Caudry, dans laquelle je me suis rendu il y a quelques semaines. À la suite d’un scandale sanitaire qui, nous le savons tous, a constitué une catastrophe dans le département et la région, Nestlé a décidé de mettre fin à son activité.
Nous intervenons en faveur de ces territoires. Je suis par exemple intervenu personnellement auprès de Nestlé pour chercher un repreneur. L’entreprise a accepté de réinvestir dans ce même territoire afin de réindustrialiser une région affectée par deux fermetures – car à celle de l’usine Buitoni s’ajoute celle de la sucrerie de Tereos, située à quelques kilomètres.
Je suis prêt à me rendre en Côte-d’Or si, dans tel ou tel territoire, les industriels ont besoin que nous les accompagnions. Nous le faisons. Si l’on tient le compte des ouvertures et des fermetures d’usines, l’an dernier, la France a enregistré un solde positif de quatre-vingts ouvertures. Il n’empêche que, malheureusement, des usines ferment – et cela ne va pas s’arrêter.
Pour chaque fermeture d’usine, je m’engage à essayer, lorsque c’est possible, de trouver un repreneur et quand, malheureusement, ça ne l’est pas, à m’assurer qu’une solution est prévue pour chaque salarié. Nous le faisons au quotidien – aujourd’hui pour Buitoni à Caudry comme hier pour l’usine Carelide à Tourcoing. Car, vous avez raison, l’industrie qui souffre ne doit pas être oubliée même si, par ailleurs, nous devrions aussi, toutes et tous, célébrer l’industrie qui va bien.
Mme la présidente
Désolé, monsieur Brigand, il n’y a pas de droit de réplique.
La parole est à M. Hubert Ott.
M. Hubert Ott (Dem)
La France est un grand pays de l’histoire du textile, une filière qui a connu une forte expansion au milieu du XIXe siècle avec l’apparition de la haute couture.
Cependant, dans les années 1970, pour bénéficier d’une main-d’œuvre moins chère, notre pays a organisé une délocalisation massive de sa production textile. Ainsi, entre 1996 et 2015, nous avons perdu 51% de notre production textile et 66% des effectifs.
Autrefois capable de s’habiller toute seule, la France importe désormais ses vêtements de Chine, d’Inde ou d’Europe de l’Est. Pourtant nous continuons à produire des matières premières textiles de qualité. La France est ainsi le premier producteur mondial de lin et le premier producteur européen de chanvre. Mais la délocalisation des entreprises de production textile a entraîné la perte des savoir-faire et des machineries. Nous envoyons donc encore aujourd’hui 80% de notre production de lin en Chine et les 20% restants en Europe de l’Est.
Toutefois, depuis plusieurs années, quelques filatures renaissent sur notre territoire et avec elles des savoir-faire artisanaux et agricoles. En 2020, le groupe Velcorex-Emanuel Lang rouvrait ainsi la première filature de lin française dans mon département, le Haut-Rhin, offrant ainsi un nouveau débouché local à notre production.
Le localisme, en rapprochant la production de la consommation, doit devenir un principe d’organisation de notre réindustrialisation et de l’aménagement de nos territoires en transition. Dès lors, quoi de plus symbolique que de se lancer dans la relocalisation de notre production textile ?
Nous savons que l’industrie de la mode rejette plus d’1 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. Si nous voulons réussir nos transitions, il est nécessaire de rapprocher les différentes étapes de production et de faire émerger un secteur textile local français.
Il faut également souligner que le lin comme le chanvre sont des plantes aux nombreuses vertus écologiques qui contribuent à une bonne gestion de l’eau tout en préservant la qualité des sols.
Ma question est donc la suivante : comment encourager la relocalisation de la production textile grâce à la création d’écosystèmes textiles locaux qui intègrent sur un territoire l’ensemble de la chaîne de valeur textile, de la matière première agricole aux savoir-faire artisanaux jusqu’aux acheteurs français ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je vous remercie pour cette question qui me permet de vous expliquer combien le textile est un emblème de la catastrophe industrielle qui nous affecte depuis des décennies mais aussi du volontarisme du Gouvernement qui, depuis quelques années, a pris le taureau par les cornes.
Cette filière a subi de nombreuses délocalisations : aujourd’hui 87% des produits de mode sont importés, ce qui est paradoxal puisque la mode française rayonne dans le monde entier et représente l’un des secteurs, sur son segment haut de gamme, pour lesquels le chiffre des exportations nettes est positif – nous en comptons encore quelques-uns.
Cette filière connaît un renouveau, notamment dans les filières du lin et du chanvre que vous avez mentionnées.
Nous y travaillons à la fois en amont, au niveau industriel, et aussi en aval, au niveau des consommateurs pour leur redonner envie d’acheter français. Je suis sûr que chacun et chacune d’entre vous a déjà fait face à cette question : « Il est sympa ton pull, ou est-ce que tu l’as acheté ? Où a-t-il été fait ? » Quand il y a encore cinq ou dix ans, la question en général était : " Il est sympa ton pull. Combien coûte-t-il ? " Nous sommes en train de changer de culture pour ce qui concerne le " acheter français ". De ce point de vue, même si nous divergeons sur la question des moyens, je pense qu’on peut se retrouver.
Je rappelle que la France comptait, en 1968, 166 filatures de lin. Il n’en restait aucune il y a quelques années mais, vous l’avez dit, certaines sont en train d’ouvrir chez vous, en Alsace, mais aussi à Béthune, dans le Nord, en Normandie et bientôt en Bretagne. Nous sommes en train de relocaliser le tissage du lin en France mais aussi le tricot et la fabrication de textiles. On a aujourd’hui des distributeurs qui sont fiers de vendre du " fabriqué en France ". Profitons-en, continuons à investir. Le Gouvernement y contribue grâce à des aides extrêmement ciblées qui sont disponibles dans le cadre de France 2030 ; n’hésitez pas à nous envoyer des projets, nous les regarderons de près.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Encore lui ! (Sourires.)
M. Gérard Leseul (SOC)
Votre gouvernement, appliquant de manière décalée les thèses néolibérales,…
M. Roland Lescure, ministre délégué
Pas vous !
M. Gérard Leseul
…fait le choix de poursuivre la course effrénée à une prétendue compétitivité en baissant toujours plus le prix du travail, en développant les allégements fiscaux, en rabotant les protections administratives et en fragilisant, chaque jour un peu plus, notre système social : réforme des retraites, réforme de l’assurance chômage, pas de coup de pouce au Smic, primes à la place d’augmentations de salaire, projet de réforme du RSA… Qu’on arrête, s’il vous plaît, cette course mortifère pour nos territoires et pour nos concitoyens.
Au contraire, que le Gouvernement fasse le choix du progrès social, de la promotion de normes sociales et environnementales, qu’elles soient nationales ou européennes, protectrices pour nos territoires et pour nos concitoyens.
Conditionnez les aides des différents plans d’investissement, comme les attributions d’aides publiques et le crédit impôt recherche, à la localisation en France des chaînes de production ou de sous-traitance ; augmentez le contrôle français des investissements étrangers dans nos entreprises ; poussez au renforcement de la recherche et développement privée tout en soutenant celle qui est publique car les efforts stagnent et les montants sont inférieurs à ceux de nos voisins ; développez les filières recyclage, énergies renouvelables et les transports de fret ; rendez l’impôt sur les sociétés progressif comme l’est l’impôt sur le revenu des personnes physiques, sachant que les grandes entreprises payent moins aujourd’hui que les très petites et moyennes entreprises ; augmentez la représentation des TPE-PME dans les différents comités de filière ; enfin, ouvrez les conseils d’administration à la représentation salariée. Voilà ce qu’il faut faire si vous voulez une réconciliation de la France avec son industrie.
Monsieur le ministre délégué, ma question est donc claire : que comptez-vous faire de ces propositions de bon sens ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Pas vous. Qu’un député de la France insoumise nous reproche un modèle néolibéral caricaturé et archi-sauvage, cela fait partie du logiciel, mais pas du vôtre.
M. Gérard Leseul
Je n’ai pas dit " sauvage ".
M. Roland Lescure, ministre délégué
C’est vrai, vous ne l’avez pas dit, vous l’avez juste sous-entendu en nous reprochant de mettre, depuis quelques années, à bas… ou plutôt de mettre dans la casserole, si je puis me permettre, toutes les recettes du néolibéralisme sauvage.
M. Gérard Leseul
C’est la réalité !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je vous rappelle que toutes les aides de France 2030, soit 54 milliards d’euros, sont évidemment conditionnées…
Mme Christine Arrighi
Non !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…à des actions liées à l’innovation ou à la transition écologique.
M. Gérard Leseul
Et les relocalisations ?
M. Roland Lescure, ministre délégué
Le crédit impôt recherche est par nature conditionné à des investissements dans la recherche et dans l’innovation dont la quasi-totalité se font en France et permettent d’installer des ingénieurs et des chercheurs dans notre pays.
Quant aux investissements directs étrangers en France, nous avons élargi la portée du décret dit Montebourg, ce que vous deviez appeler de vos vœux, pour l’étendre à davantage de secteurs, et nous examinons régulièrement de tels projets d’investissement de manière à s’assurer qu’ils ne mettent en aucun cas en cause notre souveraineté. Pour autant, il y a de plus en plus de projets d’investissements directs en France et, s’il vous plaît, félicitons-nous en.
S’agissant de la recherche et développement, qu’elle soit privée et publique, je rappelle que la majorité des députés de votre assemblée ont voté – je ne me souviens pas si votre groupe a fait de même – une loi de programmation de la recherche historique, un texte qu’aucune majorité n’avait voté auparavant et, depuis, nous investissons comme jamais dans la recherche publique.
M. Gérard Leseul
Moins que les Allemands !
M. Roland Lescure, ministre délégué
S’agissant de la loi sur le développement des énergies renouvelables qui va permettre d’accélérer les investissements, je sais que votre groupe l’a votée.
J’en viens à votre proposition d’un impôt sur les sociétés progressif. Nous avons prouvé, de manière peut-être plus flagrante que jamais, que le proverbe bien connu " trop d’impôt tue l’impôt " est sans doute en partie vrai une fois qu’on en est arrivé au niveau d’imposition que connaît la France, puisqu’en baissant l’impôt sur les sociétés, nous avons multiplié les recettes dudit impôt comme jamais auparavant en leur faisant atteindre un niveau historique.
Mme Christine Arrighi
Cette baisse profite surtout aux grandes entreprises ! Si le Gouvernement ne l’avait pas baissé, il y aurait encore plus de recettes !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Mais non ! Plus vous augmentez les impôts, plus les entreprises vont évidemment aller faire leurs bénéfices ailleurs.
Enfin, je sais que vous ne siégez pas lors de la législature précédente, mais vous savez certainement qu’on a doublé la représentation des salariés dans les conseils d’administration – je me souviens que votre collègue Dominique Potier y était très sensible, je ne sais pas s’il est encore dans l’hémicycle – dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, dont j’étais le rapporteur général. Nous pouvons peut-être aller plus loin, mais reconnaissez tout de même qu’on a avancé…
M. Gérard Leseul
Ils sont deux !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Oui, nous sommes passés de un à deux, ce qui est déjà pas mal.
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Cécile Violland.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR)
Réunissant les représentants des cinquante sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre, le Président de la République a fixé, le 8 novembre 2022, un objectif de division par deux des émissions industrielles françaises au cours de la prochaine décennie. Pour y parvenir, des moyens sans précédent, dans le cadre de France 2030, vont être consacrés à la décarbonation de l’industrie. Voilà un exemple concret d’une stratégie ambitieuse visant à garantir la vertu environnementale de notre industrie et sa pérennité.
Une planification écologique a également été mise en place : cet outil de répartition des ressources et d’organisation permet d’assurer la concordance des efforts des industriels et du développement de solutions technologiques pour la transition écologique. Ainsi, monsieur le ministre délégué, le 16 janvier 2023, vous avez annoncé la création de zones industrielles bas carbone, dites Zibac, soutenues financièrement par l’État, pour le déploiement de technologies, d’infrastructures et de réseaux de décarbonation. Ces zones clefs en main seront consacrées à la réindustrialisation verte en permettant aux entreprises d’investir dans la transition écologique. Les zones industrialo-portuaires de Dunkerque et de Fos-sur-Mer sont les premières lauréates de l’appel à projets Zibac dans le cadre de France 2030. (Mme Agnès Carel s’exclame.)
Et peut-être bientôt celle du Havre, crois-je comprendre. (" Ah ! " sur plusieurs bancs du groupe HOR.)
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Ça y est !
Mme Anne-Cécile Violland (HOR)
Je ne sais pas.
M. Roland Lescure, ministre délégué
C’est fait, je vais vous l’annoncer !
Mme Anne-Cécile Violland
Merci !
Monsieur le ministre délégué, quelles sont les perspectives des autres candidats à l’appel à projets et, surtout, quelles attentes pouvons-nous raisonnablement nourrir en termes de réduction des émissions et de maintien, voire de création, d’emplois en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je vous remercie pour votre question qui me permet de préciser que la troisième Zibac a été annoncée vendredi dernier, dans une ville qui, je le pense, vous est chère ainsi qu’à l’ensemble de votre groupe puisque c’était au Havre, en présence notamment de son maire, d’un certain nombre d’élus locaux et de députés notamment communistes – mais aussi d’autres députés présents ce soir – ce qui montre bien que, s’agissant de l’industrie, quand on souhaite en installer, la décarboner et créer de l’emploi, nous sommes tous alignés, prêts à travailler de concert.
Les trois Zibac annoncées à ce jour, Dunkerque, Fos et Le Havre, représentent environ 25 millions d’euros d’investissements publics, complétés par 25 millions d’euros d’investissements privés. Au total, cela permettra de financer des études extrêmement importantes pour décarboner les zones portuaires que vous avez mentionnées. Elles représentent, à elles trois, 40% des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie. Il faut donc multiplier les outils qui vont nous permettre de les décarboner, soit l’hydrogène, l’électricité bas carbone, le changement de recettes des processus industriels, mais aussi la capture de carbone, son transport et son restockage car il est important que le carbone soit renvoyé d’où il vient, c’est-à-dire en grande partie vers la mer du Nord. Voilà tout ce que les projets Zibac vont permettre de faire.
D’autres projets sont aujourd’hui en cours d’examen par l’Ademe – l’Agence de la transition écologique – et par le secrétariat général pour l’investissement, et il y aura donc peut-être d’autres bonnes nouvelles à annoncer. En attendant, on peut se féliciter que ces trois zones, dans lesquelles les industriels, les élus nationaux, régionaux et locaux sont alignés, permettent de prendre la décarbonation à bras-le-corps, à la fois pour des raisons écologiques et économiques mais aussi pour des raisons sociales et politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES)
Cette semaine de contrôle permet au Rassemblement national de porter le thème du localisme à l’ordre du jour… Cela vise à alimenter le mythe de la mue écologique du parti. Mais qui peut y croire sérieusement ?
M. Kévin Pfeffer et Mme Stéphanie Galzy
Les Français !
M. Jean-Claude Raux
L’écologie est clairement incompatible avec le logiciel de l’extrême droite, ils l’ont toujours montré en réalité. Le localisme est un concept dont les définitions varient selon où l’on se situe, de quel côté de l’hémisphère, de quel côté de cet hémicycle, et nous avons bien du mal à croire au manifeste venant de vos rangs – qui se sont d’ailleurs vidés au fur et à mesure d’un débat qui semble peu vous intéresser – car, comme le rappelait mon collègue Charles Fournier, la vision du Rassemblement national en la matière est loin d’être la plus désirable et plus loin encore d’être la plus vertueuse.
Il suffit d’ailleurs de s’attarder quelques instants sur la lecture du programme de Mme Le Pen pour réaliser combien le localisme à la sauce RN peut tout à fait se cuisiner à la sauce identitaire et capitaliste sans pour autant s’attacher aux ingrédients nécessaires à la réindustrialisation et à la préservation de l’environnement ou encore des écosystèmes. Le localisme du RN sur un autre plan, celui de l’énergie, reprend l’expression anglaise not in my backyard , en d’autres termes : " D’accord, mais pas chez nous ". Pourtant toute une filière peut être développée, celle d’une industrie nationale de l’éolien et du photovoltaïque, créatrice d’emplois et d’une expertise à la française, plutôt que d’importer. Il s’agit de constituer une filière à haute valeur ajoutée quand la question de l’indépendance énergétique pèse si lourd sur notre avenir. Mais non, surtout pas chez nous.
M. Kévin Pfeffer
Vous oubliez les centrales nucléaires !
M. Jean-Claude Raux
Mieux vaut ce bon vieux nucléaire, paré de toutes les vertus, le combat anti-éolien alimentant un fonds de commerce électoral peu regardant sur la décarbonation.
Je pourrais continuer en abordant d’autres axes, mais les dix longues minutes qu’a duré la fable qui a fait office de discours liminaire ne méritent pas de s’épuiser à convaincre des climatosceptiques à peine déguisés.
À ce gouvernement qui entretient le mythe du progrès infini, de la consommation et du productivisme, je demande quand et comment il compte agir aux différents niveaux, national et européen, en particulier s’agissant des énergies renouvelables et de la politique agricole – je demande à voir pour l’industrie verte – afin que l’échelon local puisse enfin se développer harmonieusement et solidairement ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’adhère complètement à 90% de vos propos qui constituent le début de votre question ; je ne répondrai donc qu’aux 10% restants.
Notre plan est extrêmement ambitieux. Je suis convaincu qu’on peut à la fois industrialiser et décarboner en développant l’industrie verte, qui elle-même créera à la fois de l’emploi, de la souveraineté et une capacité à exporter des technologies d’avenir dans le monde entier. Il y a presque un an, c’était mon premier déplacement dans votre circonscription pour visiter une usine de l’entreprise Tétra Pak – financée avec des capitaux étrangers, n’en déplaise à certains –, qui crée de l’emploi en France. Cette usine produit des bouchons qui restent attachés aux bouteilles plastiques, et on espère ainsi qu’eux aussi seront un jour totalement recyclés. C’est un exemple, parmi d’autres, qui montrent que l’industrie verte existe aussi en France, qu’elle peut attirer des capitaux étrangers, créer de l’emploi et faire rayonner l’industrie de la décarbonation dans le monde entier.
Je pourrais en citer d’autres, notamment les Zibac, dont on a déjà parlé, qui vont montrer, je l’espère, que la France, dans un cadre européen – parce que tout cela ne peut se faire évidemment sans l’Europe –, peut devenir un des champions mondiaux de la décarbonation, avec en ligne de mire la planète, les hommes et les femmes, de l’emploi et de la prospérité, et, je l’espère aussi, une colère qui disparaîtra et l’espoir qui renaîtra.
Mme Christine Arrighi
Waouh !
Mme la présidente
La parole est à M. Hubert Wulfranc.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Sur la production de casseroles sans doute ? (Sourires.)
M. Hubert Wulfranc (GDR-NUPES)
Pas cette fois ! Produire dans notre pays, c’est bien évidemment pouvoir irriguer nos chaînes de transformation et de distribution, qu’elles soient industrielles ou agricoles, pondéreuses ou céréalières, qu’elles consistent en des produits intermédiaires ou en des produits de consommation finale. Aussi, monsieur le ministre délégué, êtes-vous en urgence interpellé après l’injonction de la Commission européenne relative au soutien financier public accordé à SNCF Fret durant les années écoulées. Ainsi l’Union européenne voudrait-elle faire rendre gorge à l’outil industriel majeur que constitue SNCF Fret.
Je passe évidemment sur le rôle de cet outil durant la période du Covid, rôle que chacun a salué. Il reste que faire planer la menace du remboursement de 5 milliards d’euros par cette entreprise, cela revient à menacer de tuer ce que tout le monde s’accorde à considérer comme le moyen d’une reconquête industrielle territorialisée et aussi bien sûr comme un puissant levier de lutte contre le réchauffement climatique. Ce serait également un terrible plan de liquidation d’emplois directs et indirects.
Dès lors, pouvez-vous vous engager très sérieusement ce soir à contrer, quoi qu’il en coûte, l’initiative de la Commission européenne et à relayer toute action – les députés communistes en proposeront une –, destinées à mettre un coup d’arrêt à cette nouvelle agression contre notre indépendance nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je ne m’attendais pas à cette question dans le cadre d’un débat sur le localisme,…
Mme Christine Arrighi
Les dessertes en font pourtant partie !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…mais toutes les questions sont bonnes à prendre. La réponse risque toutefois d’être un peu incomplète. Évidemment, le Gouvernement prend acte de cette enquête ouverte par la Commission il y a un peu moins d’un an. Nous répondrons à la fois sereinement et avec détermination à toutes les questions qui nous seront posées pour contrer, non pas ce que certains qualifieraient d’attaque honteuse de la commission, mais cette enquête ouverte, de manière à convaincre que ces aides n’étaient pas indues.
Pour le reste, nous regarderons avec attention la proposition que vous envisagez de soumettre avec vos collègues, comme nous le faisons avec toutes les propositions ; nous verrons ensuite si nous pouvons y répondre positivement.
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
Nous connaissons tous ici le rôle d’entraînement que joue l’industrie. Vous le savez, je suis député de la Corse ; je regrette être l’élu d’une île où le secteur secondaire pèse le moins lourd de toutes les régions métropolitaines, avec tous les dégâts que cela suppose en matière sociale et économique. Je veux dire aussi que le statut colonial douanier qui avait été imposé la Corse entre 1818 et 1912 n’y est pas pour rien. Je referme cette parenthèse et j’en viens à ma question, qui sera ponctuelle, car beaucoup de choses ont déjà été dites.
On sait que le déficit commercial de la France impose, en particulier, un effort de réindustrialisation. Le potentiel d’investissements limité nous oblige à privilégier le meilleur effet de levier possible : je suis de ceux qui pensent que la production d’énergie entre dans cette catégorie. Ce choix offre non seulement de forts retours sur investissement, puisque l’énergie constitue d’abord une source majeure d’hémorragie financière qu’il est utile de limiter, mais il offre aussi en amont un fort potentiel de production de matériels, qu’il s’agisse de l’éolien ou du solaire.
Monsieur le ministre délégué, existe-t-il, oui ou non, des incitations particulières à la production domestique de panneaux solaires et plus largement de matériel de production d’énergie renouvelable, dont on sait qu’une part importante est actuellement fabriquée en Asie ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Merci pour votre question qui me permet, comme vous, de rappeler que la production d’énergie n’est pas seulement une fin en soi ou un moyen d’industrialiser les autres secteurs ; c’est un secteur industriel en tant que tel. Avoir une politique énergétique ambitieuse, comme aujourd’hui, est aussi une manière de réindustrialiser la France dans ces secteurs essentiels : c’est le cas en matière nucléaire et nous souhaitons qu’il en soit autant dans les domaines photovoltaïque et éolien. Tel sera notamment l’objet du projet de loi sur l’industrie verte – je pense que Bruno Le Maire l’a évoqué cet après-midi lors des questions au Gouvernement –, qui vise à financer de manière plus efficace, peut-être par des crédits d’impôts, les secteurs responsables de la transition écologique, notamment ceux que vous avez mentionnés, le photovoltaïque et l’éolien.
Comme tous les groupes parlementaires, le vôtre a été invité par Bruno Le Maire. Nous vous recevrons les uns après les autres à Bercy, de manière à écouter vos propositions – n’hésitez pas à nous rejoindre. Il me semble que le président du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) a déjà répondu à notre invitation et qu’il viendra discuter avec nous avec plaisir ; vous serez le bienvenu à ses côtés pour nous présenter vos idées.
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois (RE)
Monsieur le ministre délégué, vous l’avez dit, nous défendons notre industrie, nous la protégeons et nous la renforçons. Les relocalisations se multiplient. En effet, 155 entreprises sont revenues produire en France. C’est le cas de Smoby, qui a ramené sa production de Chine dans le Jura.
Le projet de loi relatif à l’industrie verte, que vous allez présenter, est l’affirmation de notre volonté de commander, de fabriquer et d’acheter en France. La relocalisation industrielle s’inscrit dans la planification écologique durable et dans le développement de l’emploi local. Ce projet de loi a aussi pour ambition de favoriser la commande publique nationale. Les collectivités le savent : acheter local, c’est bon pour la planète, mais aussi pour les entreprises, surtout pour les producteurs de proximité dans nos territoires.
Régulièrement, les élus plaident pour une réforme de la réglementation de la commande publique. C’est pour cela que le Gouvernement met tout en œuvre pour articuler les réponses française et européenne, qui sont deux échelons complémentaires. Rappelons que la loi Egalim a favorisé l’approvisionnement de produits agricoles de proximité. La loi Pacte puis la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite Asap, ont assoupli l’accès aux marchés des petites entreprises locales.
De votre côté, monsieur le ministre délégué, vous avez agi pour simplifier les procédures et accélérer la relance en relevant le seuil des marchés publics à 100 000 euros. Cette mesure a vraiment favorisé l’économie locale et les travaux des artisans locaux pour les marchés à faible montant. Pour faire davantage de l’achat public un levier de souveraineté et de développement et permettre à nos entreprises de trouver des marchés et de créer de l’emploi, je suis sûr que vous saurez trouver encore d’autres stratégies.
Pour développer le made in France en échappant au double écueil des logiques nationalistes uniformatrices, qui ne fonctionnent pas, la fermeture de nos frontières serait une catastrophe, car ce ne sont pas les emplois alternatifs locaux que le Rassemblement national propose de créer qui nourriront la croissance de notre pays.
Mme la présidente
Je vous prie de conclure : posez votre question.
Mme Danielle Brulebois
Vous l’avez rappelé, la France et le sixième exportateur mondial de biens et de services et le premier destinataire des investisseurs en Europe.
M. Hervé de Lépinau et M. Kévin Pfeffer
Ce n’est pas une question !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Madame la députée, merci pour votre question. (" Il n’y a pas eu de question ! " sur plusieurs bancs du groupe RN.) En effet, tant au niveau européen qu’au niveau national, nous avons beaucoup fait pour favoriser les achats locaux dans le cadre de la commande publique. À l’échelon européen, le règlement sur les subventions étrangères peut nous conduire à exclure des marchés publics européens les entreprises qui ne déclareraient pas les subventions reçues dans leur pays d’origine. Il est hors de question que des entreprises exagérément subventionnées ailleurs se retrouvent compétitives sur nos marchés sans que nous ne le sachions. Il existe aussi un instrument relatif aux marchés publics internationaux qui donne aux entreprises européennes un accès équitable aux marchés publics de pays tiers. Comme vous l’avez dit, nous ne souhaitons pas fermer nos frontières, car nous voulons que nos entreprises puissent candidater à des marchés internationaux.
Enfin la directive relative aux marchés publics donne aux entreprises de réseaux – eau, transport, poste, énergie etc. – la possibilité de rejeter une offre étrangère selon plusieurs critères, notamment si le pays originaire de l’offre n’est pas partie à un accord de réciprocité avec l’Union européenne.
En ce qui concerne la France, nous avons adopté – je dis " nous " car, à l’époque, je siégeais sur les bancs de cette assemblée – un certain nombre de dispositions dans le cadre de la loi " climat et résilience ". Désormais, des clauses environnementales doivent être intégrées dans les marchés publics.
Pour répondre à votre question, nous allons accélérer le développement de ces clauses dans le cadre du projet de loi sur l’industrie verte. Aujourd’hui, nous faisons aussi face à un défi culturel extrêmement important. Nous devons sécuriser les acheteurs publics pour qu’eux aussi intègrent dans leur logiciel qu’acheter des produits français, bons pour l’environnement et qui concourent à la souveraineté de l’industrie française fait partie des critères aujourd’hui intégrables de manière directe – car parfois, ils ne se sentent pas suffisamment à l’aise pour le faire.
Le code des marchés publics permet aux acheteurs publics de favoriser le développement des circuits courts de commercialisation dans le domaine des produits agricoles – c’est une mesure que nous avons également votée. Nous disposons d’un arsenal extrêmement complet et nous allons l’appliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Laurence Heydel Grillere.
Mme Laurence Heydel Grillere (RE)
Il y a une quinzaine d’années, je me suis investie au sein d’une association, Goûtez l’Ardèche, une marque collective déposée. Elle regroupe des producteurs, des artisans, des commerçants, des traiteurs et des restaurateurs ardéchois soucieux de mettre en avant leur territoire, leur savoir-faire ainsi que la qualité des produits locaux. Aujourd’hui, Goûtez l’Ardèche, c’est plus de 500 produits locaux proposés par plus de 200 entreprises ardéchoises.
Consommer, valoriser les produits locaux est une évidence, que je défends depuis de nombreuses années. Aussi, je considère que le localisme sous cette forme est une belle idée, qui consiste à privilégier et à valoriser ce qui est local. Mais cela en fait-il une bonne politique économique au service de la réindustrialisation de notre pays et de notre environnement ?
M. Kévin Pfeffer
Oui !
Mme Laurence Heydel Grillere
Si, comme Marine Le Pen le propose, le localisme revient à fermer les frontières pour se replier sur nous-mêmes, c’est vraiment avoir la vue courte ! En effet que deviennent nos plus de 144 000 entreprises qui exportent ? Que deviennent leurs salariés ? Car réduire nos importations, c’est aussi handicaper nos exportations. Nos vignerons le savent bien, les autres pays n’ont pas la naïveté économique du Rassemblement national. Loin de cette idéologie du repli économique et identitaire,…
M. Kévin Pfeffer
Quelle caricature !
Mme Laurence Heydel Grillere
…nous avons fait le choix du travail avec pour objectif la relocalisation et la souveraineté de notre pays. D’ailleurs, la France a recréé des emplois industriels depuis 2017, ce pour la première fois depuis vingt ans. Il y a aujourd’hui deux fois plus d’usines qui ouvrent que d’usines qui ferment. C’est le résultat d’une politique ambitieuse, celle de France Relance, un plan historique de 100 milliards d’euros, dont 30 milliards sont consacrés à l’écologie, pour redresser durablement l’économie française et créer de nouveaux emplois. Depuis, vous l’avez complété avec le plan France 2030.
Monsieur le ministre délégué, pouvez-vous nous rappeler les éléments de bilan de notre politique industrielle sur l’emploi et les usines et dresser les perspectives de nos prochains chantiers pour continuer le redressement de notre appareil industriel ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je vous remercie pour votre question et votre défense extrêmement convaincante de notre bilan – et du vôtre – depuis six ans. En effet, nous avons créé de l’espoir industriel en France là où, depuis vingt-cinq ans, certains se nourrissaient du désespoir et de la désindustrialisation. Nous devons non seulement continuer de le faire, mais nous devons aussi changer de braquet et accélérer. Nous avons créé près de 100 000 emplois industriels ces six dernières années ; nous devrons en créer un million supplémentaire dans les années qui viennent. Nous avons aussi permis la création de dizaines d’usines. Vous l’avez rappelé, nous ouvrons plus d’usines que nous n’en fermons – c’était le cas en 2021 et en 2022. Nous devons accélérer dans cette voie et, visiblement, la tendance reste bonne en 2023. Pour cela, nous devons continuer à rendre la France plus attractive. Elle est aujourd’hui le pays le plus attractif d’Europe : continuons nos efforts !
Les États-Unis ont mis en place un programme…
M. Kévin Pfeffer
De protectionnisme !
M. Roland Lescure, ministre délégué
…dit IRA – loi sur la réduction de l’inflation – extrêmement ambitieux : nous devons y répondre de manière ferme.
C’est d’ailleurs l’objet du projet de loi sur l’industrie verte, sur lequel vous serez amenés à vous prononcer dès cet été, comme cela a été annoncé par la Première ministre la semaine dernière. La réindustrialisation vers le développement d’une industrie de la décarbonation, c’est d’abord une arme anticolère, mais c’est aussi une arme économique et sociale qui permettra à la France de continuer à se développer. Je ne doute pas que vous soutiendrez cette politique, et j’espère que nous saurons convaincre les députés issus d’autres bancs de nous rejoindre ! (Mme Danielle Brulebois applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Véronique Riotton.
Mme Véronique Riotton (RE)
Loin des caricatures et des pétitions de principe, il est important de confronter enfin les idées et de montrer que le Rassemblement national est un parti dangereux pour la France, compte tenu de ce qu’il est et des idées qu’il met en avant.
Le localisme est un bel exemple d’escroquerie intellectuelle, car il est facteur d’inflation,…
M. Kévin Pfeffer
Comme en ce moment ?
Mme Véronique Riotton
…de baisse de croissance et de perte d’innovation. Contre cette idée de localisme, qui prend le problème à l’envers et apporte de mauvaises solutions, je veux mettre en avant notre vision de l’économie circulaire, mise en musique par la feuille de route pour l’économie circulaire, puis par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi Agec, et la loi " climat et résilience ".
Dans notre pays, l’économie circulaire, c’est un processus, un cheminement long pour embarquer les consommateurs et les producteurs vers un changement de modèle, et non une vague invocation stérile – ce que le Rassemblement national fait de mieux.
M. Hervé de Lépinau
Oh là là !
Mme Véronique Riotton
Notre vision de l’économie circulaire est scrutée et prise en exemple dans le monde. C’est un changement de modèle qui doit amener progressivement à réparer, recycler, réutiliser, réemployer avec des acteurs locaux, du moins Français ou européens. Pourquoi ? Parce que la protection de la planète, de nos écosystèmes et de notre climat ne s’arrête pas à nos frontières, parce que c’est une question de compétences et de concurrence. Nous avons un savoir-faire à faire valoir dans le monde entier. Pourquoi le bloquer à nos frontières ? Pourquoi nous couper les jambes et nous priver de nos atouts ? La réponse est peut-être sous notre nez : le Rassemblement national ne fait pas confiance à la compétence française.
M. Hervé de Lépinau
Surtout, il ne fait pas confiance au Gouvernement !
M. Kévin Pfeffer
Votre compétence, elle, a ses limites !
Mme Véronique Riotton
À nous de continuer à avancer en matière d’économie circulaire : nous finançons la modernisation de centres de tri, nous aidons le tissu local de réparateurs avec le bonus réparation, nous créons toute une filière économique non délocalisable liée à l’économie circulaire, pilier essentiel de notre décarbonation et de la protection de la planète.
Monsieur le Premier ministre… pardon. (" Pas encore ! Épargnez-nous cela ! " sur les bancs du groupe RN. – Sourires.) Monsieur le ministre délégué, pouvez-vous nous indiquer les axes principaux de développement de l’économie circulaire pour aider les territoires, tout en protégeant notre planète ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Je suis très heureux d’être ministre délégué chargé de l’industrie et, j’espère, de le rester !
Vous vous êtes personnellement beaucoup impliquée dans ces travaux, madame la députée. Nous avons déjà beaucoup fait lors du mandat précédent pour favoriser le développement de l’économie circulaire. Au fond, les meilleures économies d’énergie concernent l’énergie que l’on ne consomme pas, et les meilleures matières premières sont celles que l’on peut recycler et que nous n’avons pas à extraire là où elles sont. Vous l’avez rappelé, nous avons fait beaucoup en ce qui concerne l’indice de réparabilité et le bonus réparabilité, ainsi que pour l’adoption de diverses mesures au niveau européen dans le cadre du règlement relatif à l’écoconception. Nous avons également œuvré en faveur du réemploi.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous devons continuer à agir à la fois du côté de la production, du côté des usages et du côté des consommateurs. S’agissant de la production, nous le ferons dans le cadre du projet de loi sur l’industrie verte. Nous envisageons d’y introduire une mesure visant à faciliter le réemploi de déchets dans l’industrie verte. Ceux-ci restent encore trop souvent considérés comme des déchets, soumis de ce fait à des contraintes administratives très fortes, alors qu’ils sont en train de devenir des inputs ou des moyens de production. Autrement dit, nous devrons améliorer la sortie du statut de déchets pour les déchets réutilisés.
Mme Danielle Brulebois
Très bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Il y a des projets très ambitieux dans l’industrie du recyclage. L’entreprise américaine Eastman envisage d’investir 1 milliard d’euros pour créer une usine de recyclage chimique du polyéthylène téréphtalate (PET). Le localisme, c’est bien beau, mais si nous fermons nos frontières, de telles entreprises ne s’installeront pas en France – vous l’avez très bien dit, madame Riotton. Citons également le projet de Loop, à Saint-Avold, pour le recyclage chimique des plastiques, et celui de Carbios, à Longlaville, pour le recyclage enzymatique.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous pouvons ainsi montrer non seulement que nous économisons des ressources grâce au recyclage, mais aussi que nous développons des filières industrielles qui créeront de l’emploi et feront rayonner la France partout en Europe. Pour la localisation de son projet européen, Eastman a choisi la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard (NI)
Nous le savons, le développement d’une filière d’hydrogène décarboné est une priorité pour la souveraineté énergétique et industrielle de la France. L’hydrogène décarboné est aussi un vecteur énergétique indispensable à la neutralité climatique, car il permettra de verdir des secteurs entiers de l’économie. À Béziers, l’entreprise Genvia promeut l’industrialisation à grande échelle de l’électrolyse à haute température. Cette technologie innovante, de rupture, permet la production massive d’hydrogène décarboné à des coûts compétitifs, contribuant ainsi aux enjeux de décarbonation et de souveraineté énergétique.
Mme Emmanuelle Ménard
Dans un même temps, toujours sur nos terres, a été lancé le programme Eden – Écosystème durable et énergies naturelles. Il s’agit d’une alliance de tous les acteurs économiques, sociaux et institutionnels du territoire biterrois qui œuvrent au développement de nouvelles filières, en particulier au service de la transition énergétique.
Mme Emmanuelle Ménard
Vous le voyez, monsieur le ministre délégué, nous sommes engagés. Si notre volonté de réindustrialiser notre territoire est sans faille, nous nous heurtons cependant à des difficultés. D’une part, le monde de l’industrie projette une mauvaise image : le milieu est réputé pénible et sale, ce qui est faux, car les technologies sont désormais du plus haut niveau et on utilise des machines numériques et intelligentes. D’autre part, le manque de personnel et de compétences est une dure réalité. Vous le savez, pratiquement tous les métiers sont en flux tendu et ont du mal à recruter. Naturellement, si nous ne pouvons pas recruter de personnel, nous ne pourrons pas mener à bien un tel projet.
Mme Emmanuelle Ménard
La formation de nos jeunes in situ est essentielle. Qu’elle se fasse en alternance ou en apprentissage, nous nous devons de la développer encore. À Béziers, malheureusement, les programmes prévus de développement de l’université ont de nouveau pris du retard, alors que nous avons terriblement besoin, par exemple, d’écoles d’ingénieurs spécialisés. Comment pouvez-vous nous aider en la matière ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Le projet de Genvia est très enthousiasmant. Il permettra lui aussi, je l’espère, de placer la France sur la carte mondiale. Il s’agit une entreprise de qualité, qui a été aidée à hauteur de 200 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030 – je ne vous ai pas entendu le dire, madame Ménard, mais je sais que vous le savez. Elle nourrit une ambition très forte en développant une technologie extrêmement innovante. Nous espérons qu’elle pourra rayonner dans l’Europe entière en exportant des électrolyseurs économes en énergie et compétitifs, qui permettront de décarboner l’industrie française et européenne. Pour cela, il faut bien évidemment que nous gardions nos frontières ouvertes.
M. Roland Lescure, ministre délégué
La question que vous avez posée est essentielle. Notre capacité à former et à attirer les talents dans l’industrie sera l’un des enjeux essentiels des années à venir. Nous avons besoin de recruter des centaines de milliers de personnes dans l’industrie – 100 000, dans les dix ans qui viennent, rien que pour l’industrie nucléaire. Cela vaut pour l’hydrogène, pour les voitures, pour les batteries.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Nous allons devoir aider un certain nombre de personnes qui travaillent dans les industries d’hier et d’aujourd’hui à rejoindre les industries d’aujourd’hui et de demain. Il y a donc un enjeu très important de requalification et de formation des compétences actuelles.
M. Roland Lescure, ministre délégué
Vous l’avez dit, nous devons attirer davantage de jeunes hommes et de jeunes femmes vers l’industrie. Les métiers y restent un peu plus pénibles qu’ailleurs, mais c’est effectivement de moins en moins vrai. Les métiers de l’industrie sont surtout des métiers qui payent très bien et qui nous permettent de décarboner. Si vous souhaitez contribuer à la décarbonation tout en gagnant bien votre vie et en progressant dans la carrière, rejoignez l’industrie !
M. Roland Lescure, ministre délégué
Le projet de loi sur l’industrie verte comportera des dispositions particulières visant notamment à renforcer la présence des jeunes femmes dans les classes préparatoires et dans les écoles d’ingénieurs. Nous souhaitons en outre investir davantage dans l’enseignement supérieur, notamment dans les écoles d’ingénieurs, en augmentant le montant budgétaire dédié, de manière que de plus en plus de jeunes rejoignent ces beaux métiers qui, je le répète, payent bien, offrent une progression et permettent de décarboner. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
M. Hervé de Lépinau
Vous répondez aux questions qui ne sont pas posées, mais vous ne répondez pas à celles qui le sont !
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 4 mai 2023