Texte intégral
Q - Bonjour Catherine Colonna.
R - Bonjour.
Q - Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, merci d'être avec nous ce matin. Dans quelques minutes, les auditeurs et les auditrices de France inter pourront dialoguer avec vous directement, ils nous appellent dès maintenant : 01 45 24 7000. Ils pourront aussi vous interroger via l'application France Inter. Catherine Colonna, beaucoup de sujets à voir avec vous, aujourd'hui, on va commencer, et Pierre Haski en parlait à l'instant, commencer par l'Ukraine : très fortes tensions depuis hier matin, la Russie accuse l'Ukraine d'avoir mené une attaque par drones sur le Kremlin, c'est-à-dire le coeur du pouvoir russe. Est-ce que vous avez des informations sur ce point ? Est-ce que vous en avez parlé avec nos alliés ukrainiens ?
R - Je n'ai pas d'informations privilégiées. Et donc je ne me livrerais pas au petit jeu des hypothèses, mais le fait est qu'il y a plusieurs hypothèses. Pierre Haski en évoquait certaines, et le moins que l'on puisse dire est qu'en effet cet épisode est étrange.
Q - Etrange, ça doit vous interpeller de voir des drones exploser au-dessus du Kremlin ?
R - C'est assez peu compréhensible dans des situations normales. Voilà qui me mène à ne pas aller plus loin que le choix de l'adjectif "étrange", ou peut-être celui de "mystérieux".
Q - Selon ce que vous en savez, est-ce que les Ukrainiens ont les moyens d'aller frapper jusqu'au Kremlin, jusqu'à Moscou ? Ils ont déjà mené des attaques par drones à plusieurs centaines de kilomètres de leur frontière, de là à aller jusqu'à Moscou ?
R - Les Ukrainiens, dès hier, ont officiellement déclaré qu'ils n'étaient pour rien dans cet événement qui reste inexpliqué.
Q - Ce qui n'a pas empêché les Russes de les accuser, de promettre des représailles, l'ex-président russe Dmitri Medvedev a appelé, je le cite, à "l'élimination physique de Zelensky et de sa clique", est-ce que vous redoutez ce scénario ?
R - Je crois surtout qu'une fois de plus, il faut dire que M. Medvedev se distingue par des propos outranciers, par une escalade verbale, qui est regrettable. Une fois de plus, cette escalade vient de la part de la Russie, et une fois de plus il cherche à intimider, sans doute, à faire peur, à trouver des prétextes qui pourraient justifier l'injustifiable.
Q - Volodymyr Zelensky est ciblé, on le sait, par les Russes, depuis le début de la guerre. S'il venait à être tué, quelle serait la réaction, quelle devrait être la réaction de la France ?
R - Je refuse d'entrer dans cette hypothèse. Il est effectivement exposé, depuis le premier jour, il l'a relaté lui-même, et il est protégé, et bien protégé. Croyez-moi, je suis allée, comme d'autres, lui rendre visite, la sécurité est extrêmement professionnelle, très précise et à plusieurs niveaux.
Q - Vous dites ce matin aux Russes : "ne touchez pas à un cheveu de Volodymyr Zelensky"?
R - En effet, c'est un chef d'Etat, élu démocratiquement, et donc il est important de respecter l'intégrité physique, comme les règles de la vie internationale, sinon cela pourrait être un très mauvais exemple qui se répandrait dans des pays voisins ou dans d'autres pays.
Q - Catherine Colonna, l'armée russe a tenté, tout l'hiver, de reprendre la ville de Bakhmout, elle n'y est pas totalement parvenue. L'armée ukrainienne prépare depuis des mois une contre-offensive pour reconquérir des territoires. Est-ce qu'elle en a la capacité ? Et vu du Quai d'Orsay, alors, je ne vais pas vous demander si on est à la veille de cette grande contre-offensive, mais vu du Quai d'Orsay, quels sont les scénarios envisagés, à ce stade, au sujet de cette guerre en Ukraine et de ses suites ?
R - En effet je ne vous donnerai pas la date de la contre-offensive ukrainienne, qui se prépare. Je ne la connais pas et je ne crois pas non plus qu'elle soit fixée. C'est évidemment aux Ukrainiens de décider du moment où cela sera possible et du moment où cela sera efficace. Ce qui est certain, en revanche, c'est que nous devons continuer d'aider l'Ukraine à se défendre, d'une part ; et à mener une contre-offensive de façon à ce qu'elle regagne du terrain, rétablisse un rapport de force plus favorable, et peut-être puisse espérer le retour de la Russie à la table de négociations. Je rappelle tout de même que c'est l'Ukraine qui est agressée par la Russie, que la Russie a fait le choix de l'envahir, qu'elle occupe 20% de son territoire, qu'elle y mène une guerre par des moyens qui violent le droit international humanitaire, des exécutions, des crimes, des viols, des déportations d'enfants, et que ceci doit cesser. Mais c'est aux Ukrainiens d'être maîtres de leur destin, avec notre aide. Et pourquoi nous l'aidons ? Si vous me permettez encore une seconde...
Q - Allez-y.
R - ..c'est parce que bien sûr un pays agressé a le droit de se défendre. La Charte de l'ONU le dit, mais aussi parce que nous devons faire respecter les principes qui permettent de vivre en paix et en stabilité dans la société internationale, qui sont l'indépendance, la non-agression, l'intégrité territoriale, tous ces principes qui sont bafoués par la Russie.
Q - En effet, et au coeur de l'Europe. Pour notre sécurité, égoïstement, est-ce que l'Ukraine doit gagner cette guerre ?
R - L'agression russe doit être défaite. Je viens de vous dire pourquoi : remettre en question ce qui fonde l'ordre international et la vie internationale, ce qui permet de vivre dans une relative stabilité, même si cette stabilité est affectée, aujourd'hui, par trop de désordre, c'est indispensable à tous, car si une agression devait être récompensée, eh bien croyez-moi, ce serait une leçon, cela se produirait ailleurs, et personne ne serait en sécurité.
Q - L'agression russe doit être défaite, est-ce que ça veut dire que, également, au terme de ce conflit, il faudra que la Crimée revienne à l'Ukraine ?
R - Si vous me demandez quel est le territoire internationalement reconnu de l'Ukraine, je vous répondrai, comme tout le monde, que la Crimée en fait partie.
Q - Donc s'il y a des négociations qui s'ouvrent, dans les mois ou les années qui viennent, il faudra qu'elles aboutissent à un retour de la Crimée dans le giron ukrainien ?
R - C'est en tout cas l'objectif, encore faudrait-il que des négociations se déroulent. Et vous savez aujourd'hui que si l'Ukraine a toujours prôné le dialogue, a présenté, encore récemment, un plan de paix, à la fin de l'année dernière, continue à chercher la paix, la Russie de son côté ne donne aucun signe d'une disposition, qui serait la sienne, à mener des négociations de bonne foi.
Q - Des négociations, on peut les mener avec Vladimir Poutine qui a contre lui un mandat d'arrêt lancé par la Cour pénale internationale ?
R - Le mandat d'arrêt lancé par la Cour pénale internationale signifie que la personne incriminée, en l'occurrence lui et une autre personne russe, la commissaire aux droits de l'enfant, bien mal nommée puisqu'elle est responsable du programme d'enlèvements et de déportation d'enfants ukrainiens, seraient arrêtés s'ils venaient à se déplacer sur le territoire d'un Etat partie au Statut de Rome, qui fonde la Cour pénale internationale. Tant qu'il est en Russie, la Russie n'étant pas partie à la Cour, ce cas de figure ne se présente pas. Pour autant...
Q - Donc on peut le mettre à une table des négociations...
R - ... si votre question est plus politique que juridique, et je crois qu'elle l'est...
Q - Elle l'est.
R - Il faut en effet négocier, le moment venu, et si cela est possible - et si cela est possible -, parce que je répète que la Russie ne manifeste aucune disposition à le faire, avec ceux qui sont en place.
Q - Emmanuel Macron peut-il, va-t-il reparler à Vladimir Poutine, si celui-ci il souhaitait par exemple ?
R - C'est tout à fait possible, il faut maintenir des canaux de communication, nous l'avons fait, d'autres le font, le Président de la République et Vladimir Poutine ne se sont pas parlé, je crois depuis cet automne, ils s'étaient parlé à propos du retour de l'Agence internationale de l'énergie dans la centrale de Zaporijjia et dans les autres centrales. Aujourd'hui, l'heure est plutôt à tenter de convaincre qu'il faut faire autrement. Nous avons fait beaucoup d'efforts diplomatiques pour que l'Assemblée générale des Nations unies condamne l'agression russe, cela a été fait, et encore récemment, demande tout simplement le retrait complet, inconditionnel et immédiat, des troupes russes.
Q - Est-ce que cette main tendue, pendant longtemps, pendant des mois, à Vladimir Poutine, c'est aujourd'hui regardé peut-être comme une erreur de stratégie, en tout cas ça a pu être mal compris par certains de nos partenaires européens ?
R - Je ne le crois pas, et en tout cas certainement pas par les premiers intéressés que sont les Ukrainiens, les conseillers du Président Zelensky l'ont dit, je crois, encore il y a quelques jours : il est souhaitable qu'il y ait des canaux de dialogue, cela permet de passer des messages, cela permet peut-être d'appeler à un retour à la réalité, lorsque c'est nécessaire. Dire que l'on est entendu, non, ce serait trop simple, mais nous sommes convaincus que des canaux de communication restent indispensables. L'un des problèmes du pouvoir russe aujourd'hui, c'est son enfermement dans une réalité parallèle, et nous ne devons pas, nous n'avons aucun intérêt, à renforcer cet isolement mental qui a conduit notamment à l'erreur stratégique, qui a été faite par le Président Poutine, de faire le choix d'envahir un voisin qui ne le menaçait en rien. Et c'est ce qui a été fait le 24 février dernier. C'est une erreur. Cette erreur vient d'un manque d'appréciation de la réalité, comme la suite de l'histoire l'a montré.
Q - Isolement qui se renforce, Catherine Colonna, vous diriez, au fur et à mesure des jours et des semaines ?
R - C'est le risque, c'est la raison pour laquelle tout canal de communication avec la Russie... Nous en maintenons, nous avons une ambassade là-bas, nous avons des contacts avec les uns et les autres, mais aussi les contacts que nous encourageons. Par exemple lorsque le Président est allé en Chine, il a longuement parlé au Président Xi Jinping, au Président chinois, de l'intérêt qu'il y aurait pour lui à peser sur le Président russe, pour le faire "revenir à la raison", selon son expression.
Q - Ça n'a pas vraiment marché.
R - Quelques semaines après, à peine, le Président Xi Jinping a appelé le Président Zelensky, ce qu'il n'avait pas fait...
Q - Mais pas Vladimir Poutine pour lui dire de reculer.
R - Il n'en n'avait pas besoin puisqu'il venait de le voir, mais si vous lisez la déclaration sino-russe qui a été négociée par les deux pays concernés, adoptée au moment de la visite du Président Xi Jinping à Moscou, vous verrez que l'amitié n'est pas peut-être ce que certains commentent et que la prise de distance est possible, nous l'encourageons. La Chine répète son attachement aux grands principes du droit international, eh bien, nous l'encourageons à le faire, à le dire, et à le dire directement à Vladimir Poutine.
Q - À part une défaite militaire, qu'est-ce qu'il peut ramener Vladimir Poutine à la réalité, puisque vous dites qu'il est dans une réalité parallèle ?
R - Il faut d'abord, évidemment, et c'est sur quoi nous travaillons, aider l'Ukraine à pouvoir retrouver une meilleure position sur le terrain. La voie des négociations passera sans aucun doute par de meilleurs résultats sur le terrain, c'est la raison pour laquelle nous l'aidons à être capable de mener une contre-offensive, de même que nous l'aidons diplomatiquement, politiquement, sur le plan humanitaire, ou sur le plan économique également.
Q - Pour cette contre-offensive, il faut des armes : est-ce que la France va livrer de nouvelles armes dans les prochaines semaines à l'Ukraine ?
R - D'abord je voudrais rappeler qu'elle a concentré ses efforts sur la livraison de ce qui est utile, c'est-à-dire aujourd'hui essentiellement les Caesar dont les Ukrainiens ont appris à admirer, je crois, l'efficacité...
Q- Ce sont des canons longue portée que produit la France.
R - Ce sont des canons longue portée, particulièrement efficaces et mobiles, mais aussi des dispositifs de défense antiaérienne, des munitions, des véhicules de l'avant blindé, ce qui permet d'avancer en étant protégés...
Q - Et donc des nouvelles armes, des nouvelles livraisons à venir ?
R - Nous nous sommes concentrés sur les besoins ukrainiens, dans un dialogue qui est constant avec l'Ukraine, et les Ukrainiens, je le redis, apprécient ce que nous avons fait. Ils l'apprécient d'autant plus que tout ce que nous avons promis, nous l'avons livré, et nous l'avons livré en temps et en heure. Et oui, en effet, nous travaillons à un nouveau paquet d'aides.
Q - Sur cette question des armes, le commissaire européen Thierry Breton a présenté hier le plan de l'Union pour fournir à Kiev un million de munitions par an. L'Union européenne va débloquer 500 millions d'euros pour aider les industriels européens à monter dans une espèce d'économie de guerre, c'est ce que dit Thierry Breton. Est-ce possible, est-ce que la France soutient ce plan ?
R - Non seulement elle le soutient, mais elle l'a soutenu, à tel point que ce plan est une réalité. Il y a trois volets, dans ce qui a été adopté, il y a un petit peu plus d'un mois. D'abord, aider à la livraison rapide de munitions à l'Ukraine, par un mécanisme qui permet le remboursement par ce que l'on appelle "la Facilité européenne de paix", à hauteur de 2 milliards, dont une tranche dont vous venez de parler. Le deuxième élément, ce sont des mécanismes d'achats en commun, de façon là aussi à faire plus vite, et peut-être à meilleur coût d'ailleurs. Et le troisième élément, celui dont vous parliez, c'est le renforcement des capacités de production de l'industrie européenne, puisque si nous avions d'excellents matériels et une avance technologique dans beaucoup de domaines, en effet, il n'y avait aucune raison d'avoir une production de masse. Or, il est nécessaire aujourd'hui d'augmenter cette production pour aider davantage l'Ukraine et lui livrer les munitions dont elle a besoin pour se défendre et pour mener une contre-offensive.
Q - Catherine Colonna, je vais vous demander un sentiment plus personnel. Vous êtes une diplomate de carrière, c'est une longue carrière déjà...
R - Très longue, je vous remercie d'insister sur mon âge !
Q - Non, je ne dis pas votre âge...
R - Allez-y, allez-y...
Q - Je dis juste que vous avez beaucoup d'expérience, que vous avez vu énormément de choses. Quel est votre sentiment lorsque vous voyez que l'Europe se réarme ?
R - L'Europe défend ses valeurs et sa liberté de choix. C'est important de rappeler, j'ai tenté de le faire tout à l'heure, que ce qui est en jeu dans cette guerre en Ukraine, c'est évidemment le sort de l'Ukraine et des Ukrainiens, mais c'est aussi, vous l'avez dit, la stabilité du continent européen. Mais au-delà, c'est surtout la capacité qui est la nôtre à vivre dans un monde où les règles sont respectées. Donc nous défendons nos valeurs, nous défendons nos intérêts en défendant l'Ukraine. Et pour ça, s'il faut l'aider à se défendre, qui est un droit légitime, nous devons le faire, c'est notre intérêt. Je répète que si une agression est récompensée, d'autres agressions se produiront ailleurs. Nous ne voulons pas le voir en Europe.
Q - Vous parlez de la stabilité du continent : est-ce qu'elle passe par une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ? Les Polonais, les pays baltes y sont favorables ; les Américains et les Allemands, eux, sont très réservés. Quelle est la position de la France ?
R - La politique de l'OTAN depuis 2008, c'est de rappeler un principe de base du droit international, le principe de base de la réalité des Etats, qui est que chacun doit être libre de choisir ses alliances, donc je vous répondrai que cette politique de la porte ouverte demeure et qu'il est bon de la réaffirmer, c'est une possibilité. Maintenant, il me semble que dans les circonstances actuelles, dont nous venons de parler, la priorité pour l'Ukraine est de pouvoir se défendre, recouvrer sa souveraineté...
Q - Donc la priorité, ce n'est pas l'adhésion à l'OTAN ?
R - La priorité est en effet de pouvoir cesser d'être agressée, attaquée, occupée, et chaque jour sous les missiles ou les bombes, comme nous le voyons encore depuis cette nuit.
Q - Le problème c'est l'article 5 du traité qui dit qu'une attaque contre un membre de l'Alliance est considérée comme une attaque contre tous les autres, ça nous obligerait à nous investir encore davantage dans ce conflit, Catherine Colonna ?
R - Nous sommes investis, autant qu'il le faut, avec nos partenaires européens, nos amis et nos alliés, aussi longtemps qu'il le faudra, comme vous le savez, et sur tous les volets d'un soutien qui n'est pas seulement militaire, qui est aussi humanitaire, économique, financier, judiciaire. Vous parliez de la CPI tout à l'heure : nous aidons, les uns et les autres, la CPI à faire son travail, puisque la France a fait partie des pays qui ont saisi la Cour pénale internationale, de même qu'elle aide concrètement la justice ukrainienne. Il ne faut pas réduire le soutien qui est apporté à l'Ukraine au seul volet militaire, même si évidemment il est important parce qu'une guerre s'y déroule.
Q - Catherine Colonna, certains estiment qu'aujourd'hui on assiste aux premiers pas d'une véritable Europe de la défense, une Europe qui veut sa souveraineté pour sa sécurité. Mais quel sens est-ce que cela a ? Et que serait cette Europe de la défense, alors que la première conséquence, c'est que l'OTAN est très loin de la mort cérébrale, l'OTAN sort renforcée de cette crise, et que la plupart des Européens, et surtout à l'Est, considèrent que leur meilleure sécurité, ce n'est peut-être pas à Bruxelles qu'ils la trouveront, mais à Washington ?
R - Si vous faites allusion, et peut-être faites-vous allusion, à des déclarations dans une interview du Président de la République fin 2019, vous...
Q - Lorsque je dis que l'OTAN est en mort cérébrale ?
R - ... vous devrez reconnaître, et le Président a fait un commentaire lucide qui a appelé à un réveil stratégique que nous avons vu se dérouler et que nous voyons toujours se dérouler. Au passage, vous avez vu que la capacité d'attraction de l'OTAN, est telle qu'en effet la Finlande et la Suède souhaitent la rejoindre pour augmenter...
Q - Le réveil, il est la conséquence de la montée de l'invasion de l'Ukraine par la Russie ?
R - Pas seulement, il est parti des choses qui ont été décidées fin 2019 - début décembre si ma mémoire est bonne - lors du sommet de l'OTAN qui se déroulait juste à côté de Londres et auquel participait le Président de la République.
Q - Sans l'invasion, la Finlande aurait quand même souhaité une adhésion à l'OTAN, Catherine Colonna ?
R - Je réponds au deuxième volet de la question, qui était pour moi l'occasion de souligner que la défense européenne est complémentaire de l'Alliance atlantique, et que les deux se renforcent, comme l'Alliance atlantique le dit elle-même et comme nous le prenons. Il est donc important que parallèlement à ce qui est fait par l'Alliance atlantique, avec peut-être plus d'ambition et plus d'agilité que précédemment, l'Europe se construise une souveraineté, qui n'est pas qu'une souveraineté dans le domaine militaire. Il ne faut pas parler que de la défense européenne : il faut parler de notre souveraineté industrielle, économique, d'investissement dans les technologies d'avenir, tout ce qui fera que l'Europe soit libre de ses choix et libre de son destin. Qui voudrait le contraire ?
Q - Des questions des auditeurs, notamment, via l'application France Inter, celle de Céline. Catherine Colonna je vous la soumets : "Y aura-t-il des athlètes russes aux Jeux olympiques de Paris 2024 ?".
R - C'est une décision qui appartient au Comité international olympique, qui est indépendant. Cette décision, puisque les JO de 2024 sont en 2024, n'est pas encore prise. Il faudra regarder quelle est la situation, bien sûr, en amont de ces Jeux olympiques, puisque tout ceci se prépare. Ça n'est pas une décision de la France, en tout état de cause.
Q - Ce n'est pas la France qui décidera ?
R - C'est le Comité international olympique qui prend les décisions d'organisation des Jeux olympiques.
Q - Donc, même si la France ne veut pas d'athlètes russes à Paris...
R - Si vous me demandez mon sentiment d'aujourd'hui, c'est que dans la situation dans laquelle nous sommes...
Q - Si les Jeux avaient lieu demain ?
R - ... il serait difficile de considérer que tout est normal, même si je sais l'attachement des instances olympiques à l'idée de trêve et de neutralité. Et que veut dire la neutralité, lorsqu'un pays mène une guerre, avec des moyens qui ne respectent pas les lois de la guerre, je le redis, et dont une bonne partie des athlètes appartiennent, sont obligés, souvent, d'appartenir aux forces armées ?
Q - Alors, entre la Russie au Nord et la Turquie et l'Iran au Sud, il y a deux pays qui sont en conflit depuis 30 ans, ce sont l'Arménie et l'Azerbaïdjan, l'Azerbaïdjan soutenu par la Turquie, l'Arménie, elle, quasiment lâchée par la Russie. L'Arménie qui est un pays avec des liens très forts avec la France - une forte communauté arménienne vit en France. La semaine dernière, vous vous êtes rendue dans les deux capitales pour parler de la situation dans une région précise, c'est le Haut-Karabakh. Et Jules nous a appelés précisément au standard de France Inter (...) à ce sujet.
Q (Jules, auditeur) - Bonjour, Madame la Ministre.
R - Bonjour
Q (Jules, auditeur) - Comme vous le savez, il y a 120.000 Arméniens qui sont condamnés à une mort certaine, puisqu'il y a en ce moment même un drame humanitaire qui se joue, puisque l'Azerbaïdjan a coupé la seule route qui permet aux Arméniens de vivre, et parallèlement à cela, on constate que l'Union européenne a accru ses achats d'hydrocarbures à l'Azerbaïdjan, dont on sait par ailleurs qu'il s'agit de gaz russe, donc c'est du gaz russe qu'achète l'Union européenne à l'Azerbaïdjan, qui vient financer des armes tournées contre les Arméniens. On a l'impression aujourd'hui que les vies arméniennes valent moins que d'autres vies dans le monde, et il faut toutes les défendre. A quand des sanctions contre l'Azerbaïdjan, à quand la fin du commerce avec l'Azerbaïdjan qui permet de développer d'une certaine manière à l'ombre de tout cela les massacres anti-arméniens ? On attend des positions plus fortes que de vagues condamnations de la part de la France.
Q - Merci à vous, Jules, pour cette question. Catherine Colonna vous répond.
R - Ce n'est pas une présentation exacte ou complète de la réalité. Il faut d'abord distinguer la situation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et la situation du Haut-Karabakh qui est une enclave au sein de l'Azerbaïdjan peuplée d'Arméniens. La France est engagée de longue date pour faire progresser les deux pays vers un accord de paix. Il y a des négociations en cours. Le Président de la République s'était beaucoup investi à l'automne dernier pour permettre au Président de l'Azerbaïdjan et au Premier ministre arménien de se rencontrer, de mener une longue série de conversations, qui a permis aux deux pays de réaffirmer leur attachement au principe de l'intégrité territoriale de chacun, avec des questions qui restent à régler. Il y a en ce moment même des discussions à Washington entre les deux ministres arménien et azerbaïdjanais. Il y aura dans le calendrier, sans doute dans le mois de mai, d'autres discussions au niveau de l'Union européenne, et peut-être, -peut-être-, une rencontre des deux dirigeants, le 1er juin, en marge du deuxième sommet de la Communauté politique européenne. Je reviens à votre question sur le Haut-Karabakh, où il y a un risque humanitaire, il n'y a pas autre chose, et fort heureusement, aujourd'hui qu'un risque humanitaire : la position de la France, la position de l'Union européenne, la position de la Cour internationale de Justice, c'est que le blocage de la route d'accès au Karabakh doit être levé, sans condition, l'accès doit être libre et sans entrave. Je l'ai rappelé au Président Aliev.
Q - Cela n'a pas été suivi d'effet.
R - Cela n'a pas encore été suivi d'effet, mais c'est notamment l'objet des négociations qui se déroulent. Ce que nous faisons, tout ce que la communauté internationale fait, vise à permettre que ce chemin de la paix soit suivi, par les deux pays, et permette de régler et les questions qui les divisent, et ce qu'on appelle les droits et garanties pour les populations du Haut-Karabakh.
Q - Et sur la question de sanctions contre l'Azerbaïdjan, est-ce que vous y êtes favorable ou pas, c'était la question de Jules ?
R - Nous encourageons des efforts de paix. Non seulement nous les encourageons, mais nous y participons. Je rappelais l'action du Président de la République, je dois rappeler aussi qu'à l'initiative de la France -à l'initiative de la France- une mission de l'Union européenne, une mission d'observation, s'est déployée en territoire arménien, à la frontière. Je m'y suis rendue moi-même, vendredi matin. Cela permet d'observer ce qui se passe, de documenter les faits, d'éclairer les décisions des Etats membres de l'Union européenne, et puis tout simplement, et c'est efficace pour cela aussi, d'apaiser les tensions, comme cela a été le cas depuis que cette mission est présente.
Q - On passe à la Turquie : élections présidentielles dans le pays en fin de semaine prochaine. Recep Tayyip Erdogan brigue un troisième mandat, mais sa réélection est loin d'être assurée. Alors, j'ai deux questions, vous avez sans doute vu les unes de nos magazines Le Point, l'Express : "Erdogan, l'autre Poutine", "Erdogan, le risque du chaos". C'est la première question, est-ce que vous êtes d'accord avec ces appréciations-là, qui ne sont pas tellement diplomatiques, mais on va voir ? Et deuxième question, est-ce que, en réalité, l'Europe doit se préparer à un départ d'Erdogan ?
R - Je suis d'accord avec toutes libertés journalistiques, ce qui ne m'oblige pas à reprendre les mêmes expressions.
Q - Je vous remercie.
R - Mais je tiens à le réaffirmer... La Turquie est un partenaire, également au sein de l'Alliance atlantique. Je m'y suis rendue moi-même, quelques semaines après ma prise de fonctions. Nous avons avec elle des relations suffisamment amicales pour pouvoir nous parler franchement. Il y a des points d'accord, et je dois saluer par exemple le rôle que la Turquie a joué et joue pour permettre l'exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire, dans le cadre du mécanisme de l'ONU. Et nous avons des points de vigilance - je m'exprime diplomatiquement - par exemple sur les relations économiques et militaires de la Turquie avec la Russie, en effet, ou sur la question de l'adhésion de la Suède à l'OTAN, où nous attendons toujours, mais nous attendons, le plus vite possible, que la Turquie ratifie l'adhésion.
Q - Mais est-ce qu'on doit se préparer à un départ d'Erdogan ?
Q - C'est ce que dit le député européen Bernard Guetta, que vous connaissez bien.
R - Je le connais depuis quelques années, en effet. La Turquie a le premier tour des élections législatives et présidentielles, dimanche. Il peut y avoir un autre tour. Je commenterais mieux les chances de tel ou tel, après l'élection, plutôt qu'avant, ce n'est pas mon rôle.
Q - Vous reviendrez donc sur France Inter à cette occasion. Merci à vous, Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
R - Merci beaucoup.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 mai 2023