Déclaration de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les enjeux d'attractivité et de compétitivité de la recherche française, le 3 mai 2023.

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Circonstance : Questions posées au Gouvernement, Assemblée nationale le 3 mai 2023

Texte intégral

Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions sur le thème « Quelle attractivité et quelle compétitivité pour la recherche française ? ». La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.

(…)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
Je vous remercie de cette question fondamentale sur la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, lancée dès 2018, après la publication du rapport de Cédric Villani, sous la forme des plans d’investissements d’avenir. Pour reprendre les exemples que vous avez cités, la start-up Hugging Face s’est appuyée sur ces plans pour développer son modèle Bloom ; on connaît les conséquences et l’importance de ce type d’évolution, en particulier dans le secteur de l’IA.
Nous avons renforcé cette stratégie nationale en 2021 avec un deuxième plan IA, dans le cadre du plan France 2030, doté d’un budget supplémentaire de 1,5 milliard. Alors que l’IA est devenue véritablement omniprésente au niveau international, je rappelle que le Gouvernement s’est mobilisé dès 2018. Les 3IA qui avaient alors été lancés ont été évalués en 2022 par un jury international ; c’est un succès. Je vous annonce donc que nous prolongeons le fonctionnement des 3IA existants, dont celui de Sophia-Antipolis, en élargissant la logique à d’autres pôles d’excellence, afin de former, de diffuser, de développer la recherche et d’attirer les talents dont nous avons besoin.
Outre l’attractivité des 450 postes de doctorants que vous avez cités, le Gouvernement, dans le cadre de la loi de programmation de la recherche (LPR), a investi dans les chaires d’IA et dans des postes supplémentaires – les professeurs juniors titulaires de chaires par exemple. Ces postes peuvent profiter aux technologies de pointe comme l’IA. Nous suivons la compétitivité de ces filières au moyen du plan France 2030 et de la loi de programmation de la recherche. En tout état de cause, les 3IA seront renouvelés.

Mme la présidente
La parole est à M. Raphaël Schellenberger.

M. Raphaël Schellenberger (LR)
La recherche, notamment la recherche fondamentale, est au cœur de notre vision de la société. Nous devons relever de nombreux défis, dont celui de l’énergie. J’ai l’intime conviction que nous pouvons trouver, dans la recherche et le développement de nouvelles solutions, des réponses à ces défis. Plutôt que de faire preuve de déclinisme ou d’imposer une sobriété contrainte, nous devons nous tourner vers l’espérance de solutions nouvelles et vers une société de progrès fondée sur la recherche et les nouvelles découvertes.
En matière énergétique, la France accueille de nombreux outils de recherche internationaux : l’accélérateur de particules de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), dans l’Ain, ou encore l’expérience Iter – réacteur thermonucléaire expérimental international – à Cadarache. La France s’est engagée de longue date dans ces beaux programmes et nous nous en réjouissons. Mais elle dispose aussi, avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), d’un outil particulièrement important dans le développement de nouvelles technologies de production d’énergie, qu’elles soient électriques – on pense évidemment à la grande aventure électronucléaire française – ou alternatives. À cet égard, je pense en particulier au débat européen sur la décarbonation des fiouls et à la production de fiouls neutres en carbone pour accélérer la transition énergétique.
Dans le bouillonnement que connaît le secteur de l’énergie, nous craignons que le CEA soit confronté à des difficultés en matière d’attractivité, notamment pour recruter des nouveaux chercheurs, en raison de sa stratégie salariale. Comment entendez-vous armer cet outil essentiel à notre souveraineté énergétique, afin qu’il puisse se doter des meilleurs cerveaux disponibles dans un secteur de l’énergie où le recrutement se fait de plus en plus concurrentiel ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Avant de revenir sur le CEA, je voudrais rappeler que la loi de programmation de la recherche prévoit un budget de 25 milliards d’ici à 2030, soit 5 milliards de budget supplémentaire – une augmentation de 20 % du budget récurrent du ministère. Une partie du financement de la LPR est affectée aux équipements de recherche ; beaucoup concernent l’énergie et le CEA participe à nombre d’entre eux – l’Iter, le Cern, etc. Une part non négligeable des financements de la LPR permet de financer les équipements de recherche.
L’attractivité de la recherche réside aussi dans son environnement. Tous nos organismes et nos établissements, en particulier le CEA, doivent bénéficier d’un environnement favorable, de soutien et d’équipements. La LPR a vocation à y contribuer, ainsi que le plan France 2030 et tous les plans prioritaires de recherche. Nombre d’entre eux concernent l’énergie ; vous en avez cité quelques-uns, j’ajouterai les stratégies nationales d’accélération concernant l’hydrogène, les batteries et la microélectronique. Le CEA est un acteur majeur de ces plans prioritaires de recherche : il pilote de nombreux programmes, qui mettent chacun en jeu un budget de l’ordre de 50 millions.
Le CEA est un établissement public industriel et commercial (Epic) ; les grilles habituelles de la fonction publique ne s’appliquent pas et il n’a donc pas été concerné par la hausse automatique de 3,5 % du point d’indice. Cet été, un effort a donc été consenti en matière d’attractivité des salaires, pour le CEA en particulier, comme pour l’ensemble des Epic, en intervenant sur la rémunération moyenne des personnels en place (RMPP) – la révision des salaires négociée chaque année. La LPR a permis également de créer des postes supplémentaires au CEA, affectés en particulier au projet de microélectronique basé à Grenoble. Enfin, des discussions sont en cours pour maintenir l’attractivité de ce bel organisme à tous les niveaux de la recherche.

Mme la présidente
La parole est à Mme Josiane Corneloup.

Mme Josiane Corneloup (LR)
Sans recherche et développement (R&D), il n’est point d’innovation possible. La France présente un étrange paradoxe : elle dispose d’organismes publics et privés prestigieux, dont la valeur est mondialement reconnue ; elle emploie plus de 400 000 personnes, aussi bien dans la recherche fondamentale que dans la recherche appliquée à quantité de domaines ; elle compte soixante-cinq lauréats du prix Nobel et plus de trente lauréats de la médaille Fields. Pourtant, ses publications scientifiques la placent désormais au huitième rang mondial, alors qu’elle occupait le cinquième rang il y a seulement une décennie. Ainsi que le suggérait un collectif de scientifiques dans une tribune du Monde il y a quelques mois, il est urgent d’engager un plan d’action ambitieux réorganisant la recherche. Celui-ci passe par un changement de gouvernance et l’intégration plus poussée des territoires dans la conduite d’une politique de recherche et de développement volontariste.
Ainsi, dans mon département de Saône-et-Loire, à dominante agricole mais doté d’une forte composante industrielle avec la présence de FPT – Fiat Powertrain Technologies –, d’Aperam ou de Michelin, la R&D s’impose dans l’agroalimentaire, la gestion de l’eau, le développement des énergies renouvelables, l’efficacité industrielle et la performance environnementale.
Avec une volonté politique affirmée, des choix scientifiques et des enjeux stratégiques clairement définis et assumés, la mise à bas des innombrables procédures administratives qui paralysent le travail des laboratoires, l’indispensable revalorisation des carrières des chercheurs, le développement d’une coopération entre le privé et le public à l’échelle européenne, la France peut redevenir le moteur de l’innovation dans la zone euro. Après la déroute de la réforme du lycée de M. Blanquer, qui a provoqué un effondrement du niveau en mathématiques des jeunes Françaises et Français, n’oublions pas l’urgence d’inculquer en amont une vraie culture scientifique dans les écoles, les collèges et les lycées, au même titre qu’on le fait en histoire ou en littérature.
La réussite de notre politique de conquête spatiale et le succès d’Airbus, désormais leader mondial devant Boeing, prouvent que la France et l’Europe disposent des ressources humaines, des moyens financiers et des savoir-faire permettant d’assurer la croissance, l’emploi, l’indépendance et la sécurité de leurs ressortissants.
À la tête du ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur et en votre qualité d’éminente physicienne spécialiste des composants semi-conducteurs, quelle politique comptez-vous mener pour encourager cette ambition conquérante dont doit faire preuve notre pays en faveur de la recherche et de la science ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

M. Patrick Hetzel
Très bien !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Je vous remercie pour cette question relative à la politique globale de la recherche. Je partage votre souhait d’une ambition conquérante – je reprends vos mots – pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Je ne reviendrai pas sur le constat effectué en 2020, que vous venez de rappeler et qui a abouti à la loi de programmation de la recherche. Vous avez évoqué les évolutions de carrière des personnels : nous allons prochainement faire un bilan du protocole d’accord sur les carrières, dans le cadre du comité de suivi. De plus, je reviendrai vers vous pour établir un bilan de la LPR. De nombreuses mesures permettent de valoriser les carrières : le traitement mensuel brut des doctorants a été revalorisé de 1 700 euros environ à 2 300 euros à terme ; les primes dites socles des chercheurs et des enseignants-chercheurs passeront de 1 200 euros environ à 6 400 euros à terme ; leurs salaires de base seront revalorisés afin de ne pas être inférieurs à deux Smic.
J’ai confié à Philippe Gillet une mission sur l’évolution de l’écosystème de la recherche et de l’innovation, parce que je partage votre constat : il importe de repréciser le rôle des organismes nationaux de recherche en tant que pilotes nationaux, et de leur donner un rôle en tant qu’agences de programme, afin de développer une vision programmatique de la recherche en France – c’est le rôle des agences nationales – mais aussi de renforcer le rôle des universités afin qu’elles pilotent la recherche dans les territoires.
Dans le cadre des plans d’investissements d’avenir et du plan France 2030, nous avons lancé dans ces établissements et dans les universités des projets – certains intitulés « excellence » – permettant des choix stratégiques. Enfin, je viens de lancer des contrats d’objectifs, de moyens et de performance, demandant à ces établissements de définir une signature précise et des choix stratégiques, tout en assurant leur complémentarité.

Mme la présidente
La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur (LR)
Les cancers de la peau font partie des formes les plus fréquentes de cancer. Ils sont en augmentation, à cause du vieillissement de la population et pour bien d’autres raisons. Ils produisent des métastases en nombre, ce qui favorise leur diffusion. Certaines régions sont plus touchées que d’autres ; c’est notamment le cas de la Bretagne.
Le nombre de cancers de la peau augmente de 50 % tous les dix ans en France ; c’est dire l’importance du sujet. Santé publique France (SPF) publie quelques chiffres à ce sujet : en 2018, le nombre estimé des nouveaux cas de mélanome de la peau a été de 7 886 chez les hommes et de 7 627 chez les femmes. Le nombre de décès par mélanome de la peau était estimé à 1 135 chez les hommes et à 840 chez les femmes.
Si la recherche a fait des progrès considérables depuis quinze ans, la lutte contre ce type de cancer est contrainte par le manque de dermatologues, qui va s’aggraver dans les dix ans à venir compte tenu du départ à la retraite de 50 % d’entre eux. La recherche sur les cancers de la peau se situe pour beaucoup aux États-Unis, mais également en France, notamment à Paris, Bordeaux, Nantes, Lyon et Lille. La lutte contre ce type de cancer nécessite un travail en réseau des sites de recherche français, le renouvellement des jeunes chercheurs – essentiel –, et la coopération active avec des laboratoires étrangers.
Comment s’organise le financement public et privé de ces pôles de recherche ? Quel volume financier cela représente-t-il ? Comment sont financés les échanges avec les centres de recherche spécialisés dans cette question, qui sont situés à l’étranger ? Comment attirer les jeunes chercheurs français dans ce champ d’étude ? Comment les résultats de la recherche française sur les cancers de la peau sont-ils diffusés auprès des malades, en France mais aussi, pourquoi pas, à l’étranger ? De nombreux malades, ainsi que leurs familles, attendent ces réponses.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Je vous remercie de m’interroger sur le sujet important des cancers cutanés. Parmi les 380 000 néoplasies diagnostiquées chaque année, 80 000 sont des cancers de la peau, et 15 500 sont des mélanomes malins. Ces derniers représentent le septième cancer le plus fréquent chez l’homme et le quatrième chez la femme. Ils figurent parmi les cancers dont l’augmentation est la plus forte ces dernières années.
Depuis 2005, la recherche sur le cancer est coordonnée par l’Institut national du cancer (Inca). Pour renforcer son combat contre ce problème majeur de santé publique, la France a lancé en 2021 une stratégie décennale de lutte contre les cancers, courant jusqu’en 2030. Elle a pour objectif de réduire de 60 000 le nombre de cancers évitables chaque année à l’horizon de 2040.
Les financements publics afférents sont gérés par l’Inca, par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et par les instituts thématiques multiorganismes (Itmo) cancer. Une enveloppe de 42 millions d’euros a été allouée aux projets qui concernent spécifiquement les mélanomes malins entre 2007 et 2021. Quatre-vingt-huit essais cliniques ont été financés sur cette même période, pour un montant de 34 millions d’euros.
L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) mènent évidemment de la recherche fondamentale dans ce domaine. Des bioclusters verront par ailleurs le jour, expérimentant une nouvelle forme de relation entre le public et le privé. Le premier d’entre eux a été annoncé : il s’agit du Paris Saclay Cancer Cluster, doté d’un financement public de 100 millions d’euros et d’une enveloppe privée d’un montant au moins égal. Il jouira d’une forte attractivité à l’échelle internationale et couvrira l’ensemble de la chaîne, depuis la recherche fondamentale jusqu’à la recherche appliquée et à la production de médicaments. C’est l’une des réponses à votre question.

Mme la présidente
La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel (RE)
France universités vient de publier un rapport présentant la place de la recherche biomédicale française sur la scène internationale. Quatre grands enseignements peuvent en être tirés. Premièrement, l’investissement dans la recherche en biologie-santé par habitant n’est, hélas, pas à la hauteur de celui de pays comparables. Deuxièmement, la recherche biomédicale en France plafonne en dessous de son potentiel, contrairement à ce qui se produit dans les autres pays européens. Troisièmement, plus de 60 % de la recherche produite en France provient des universités et de leurs centres hospitaliers universitaires (CHU). Quatrièmement, l’impact scientifique des publications des CHU est inférieur à celui des universités et de l’Inserm, dont le taux de citation est supérieur.
La politique de recherche soulève trois questions majeures. Comptez-vous vous saisir de la clause de revoyure de la loi de programmation de la recherche, afin de porter le budget de cette dernière à 3 % du PIB dès 2027, et de porter à au moins 30 % la part dédiée à la recherche biomédicale ?
Le rapport de France universités préconise de réunir l’ensemble des financements des programmes nationaux de recherche en santé sous un pilotage unique – question d’une grande acuité –, afin d’élaborer une stratégie commune de recherche en santé. Le pilotage de la programmation nationale de la recherche en santé serait confié à l’Inserm, tandis que le pilotage de la politique scientifique locale serait confié aux universités. Y êtes-vous favorable ? Avez-vous des assurances en la matière de la part de M. le ministre de la santé et de la prévention, sachant qu’une véritable politique publique coordonnée est nécessaire ?
Enfin, France universités « préconise […] de ré-universitariser et de remédicaliser la gouvernance des CHU dans le but de conforter les changements majeurs opérés depuis 2007 pour les universités, et de renforcer le partenariat entre CHU et Université […] ». Comptez-vous aller en ce sens ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Merci pour cette question, à laquelle vous avez vous-même apporté des réponses auxquelles je souscris.
Je compte naturellement m’emparer de la clause de revoyure de la loi de programmation de la recherche, en partant d’un bilan que nous sommes en train d’établir. Sur cette base, nous pourrons envisager une accélération de la LPR afin d’atteindre les objectifs fixés en France et à l’échelle européenne. Je rappelle que l’objectif de consacrer 3 % du PIB à la recherche est arrêté de longue date, et qu’il a été confirmé dans la LPR. Nous étudierons la répartition des enveloppes à cette aune.
Par ailleurs, le plan France 2030 comporte un important volet d’innovation en santé, doté de plus de 1 milliard d’euros ; il recouvre notamment les bioclusters et les nouveaux instituts hospitalo-universitaires (IHU).
Le pilotage constitue un sujet majeur – vous l’avez souligné. La mission Gillet rendra son rapport sur ce sujet fin mai. Il s’agira de confier aux agences – en l’occurrence à l’Inserm, dans le domaine de la santé – le pilotage national des programmes. Pour leur part, les universités seront investies d’un rôle plus soutenu de pilotage de la recherche au niveau territorial, dans la logique de pluridisciplinarité dont nous avons besoin, tout particulièrement en santé.
Quant à la « ré-universitarisation » de la gouvernance des CHU, nous lancerons une mission, avec le ministère de la santé et de la prévention, pour étudier la façon de renforcer les liens entre les universités et les CHU.

Mme la présidente
La parole est à M. Romain Daubié.

M. Romain Daubié (Dem)
La recherche, c’est l’industrie et les emplois locaux de demain. La recherche, c’est également des progrès pour la santé. La recherche, c’est enfin une agriculture plus durable pour assurer notre indépendance alimentaire. En d’autres termes, la recherche est au cœur de notre vie. Aussi est-il légitime de vous interroger, madame la ministre, sur l’attractivité et la compétitivité de la recherche française.
La France possède un potentiel important en matière de recherche ; elle est reconnue pour la qualité de ses institutions scientifiques. Ces dernières années, cependant, la place de la recherche a été remise en question par certains défis auxquels le pays est confronté.
Certes, la France a réussi à attirer de nombreux chercheurs grâce à la qualité de ses institutions scientifiques et de ses programmes de recherche. Elle possède en outre un système de recherche très ouvert. Cependant, la bureaucratie et les lourdeurs administratives peuvent parfois décourager les chercheurs.
S’agissant de la place de notre recherche sur la scène internationale, il y a lieu de s’interroger sur la capacité de la France à maintenir son avantage concurrentiel dans certains domaines clés. Nous sommes en particulier confrontés à une concurrence accrue de la part de pays qui investissent massivement dans ces secteurs, comme la Chine et les États-Unis.
En résumé, la France dispose de nombreux atouts en matière de recherche, mais doit relever des défis de taille pour maintenir sa place dans un contexte international toujours plus concurrentiel.
Le Gouvernement s’engage-t-il à garantir une stabilité législative aux acteurs de la recherche, en s’abstenant notamment de modifier le calcul du crédit d’impôt recherche (CIR) ? Entendez-vous engager une unification de la recherche publique, pour éviter que des équipes ne travaillent sur des sujets proches sans échanger entre elles ? Le modèle français, fondé sur une séparation des grands organismes scientifiques – CNRS, Inra, Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), universités – est-il adapté aux défis qui s’annoncent ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour rapprocher la recherche publique et la recherche privée ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Votre question complète celles qui m’ont été posées précédemment, et me permettra d’approfondir mes réponses – je vous en remercie.
Dans le cadre de la mission Gillet, nous entendons clarifier et préciser la place et le rôle des organismes nationaux de recherche et des universités. Il ne s’agit aucunement de les remettre en cause ni de modifier leur statut, mais d’expliciter leurs missions et d’assurer leur complémentarité, au niveau national pour les organismes et au niveau territorial pour les universités.
Pour soutenir la dynamique de collaboration entre les secteurs public et privé, nous devons éviter d’en modifier trop fréquemment les règles. La stabilité est importante pour se projeter dans le long terme. Nous ne toucherons donc pas au CIR – même s’il pourrait évoluer à la marge –, car ce dispositif a fait ses preuves. Nous devrons veiller à l’ouvrir davantage aux PME, au-delà des grands groupes.
La simplification est un vecteur essentiel pour gagner en compétitivité. Les chercheurs doivent consacrer l’essentiel de leur temps à ce qui constitue le cœur de leur mission, la recherche, plutôt qu’à des tâches administratives. Nous y travaillons. La mission Gillet tracera des pistes concernant la gestion financière des unités mixtes de recherche (UMR), pour simplifier le mode de financement de la recherche. Cette simplification doit intervenir à tous les niveaux, depuis l’État jusqu’aux opérateurs de recherche.

Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Bouloux.

M. Mickaël Bouloux (SOC)
Notre modèle de financement par appels d’offres n’a pas été remis en cause depuis le tournant du crédit d’impôt recherche de 2008, bien que celui-ci ait bouleversé le travail des chercheurs. Pour avoir été rapporteur du budget de la recherche et pour avoir mené de nombreuses auditions, je peux témoigner que de nombreux chercheurs déplorent l’inflation des tâches administratives dans leur quotidien. Ils regrettent également d’être incités à travailler isolément sur des projets spécifiques, plutôt que de collaborer avec d’autres institutions ou d’autres disciplines. Vous avez connu cette situation avant d’accéder à votre fonction actuelle, madame la ministre, et je suis persuadé que vous partagez ce constat.
Cette spécificité française, conforme à la logique de résultat imposée par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), fait vivre la recherche au gré des octrois et des gels de crédits. En ne garantissant pas un financement de base pérenne, elle impose aux équipes de produire des résultats rapidement. Sous le poids des échéances, les chercheurs peuvent être tentés de publier des résultats préliminaires avant d’avoir mené des investigations plus approfondies. Cette tension extrême peut les conduire à des erreurs, à des approximations et à des conclusions précipitées, ce qui a pour effet de réduire la compétitivité de la recherche française.
Un tel modèle de financement nuit à la qualité de notre recherche. Le budget qui lui est alloué correspond à un peu moins de 800 euros par an et par habitant, contre 1 200 euros chez nos voisins allemands et belges. Ce contexte affecte le rayonnement de la recherche française, en particulier dans les domaines interdisciplinaires où la collaboration est essentielle.
Quels moyens humains et financiers comptez-vous déployer pour sortir de cette logique de projet, qui pénalise la recherche de fond et qui pourrait reléguer la France en deuxième division ? (Mme Ségolène Amiot et M. Pierre Dharréville applaudissent.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Comme je l’ai indiqué, nous prévoyons de mener un travail de simplification administrative dans le domaine de la recherche. Il importe, en particulier, de réduire le temps que les chercheurs consacrent aux appels à projets. Plusieurs pistes y répondent. Tout d’abord, les projets qui relèvent de France 2030 ont une durée de huit ans, nettement plus longue que ceux qui relèvent de l’ANR, qui courent sur trois à quatre ans. Cela offre une vision à plus long terme – étant entendu que les financements de ces projets sont plus soutenus.
Ensuite, nous lançons des contrats d’objectifs, de moyens et de performance avec les établissements. Un budget supplémentaire de 100 millions d’euros y est consacré pour la première vague, qui couvre trente-cinq établissements. L’objectif est d’accompagner les projets des établissements en adoptant une vision pluriannuelle, de les financer et de soutenir leur candidature aux appels à manifestation d’intérêt de France 2030 – notamment à celui qui porte sur les compétences et les métiers d’avenir –, afin de réduire leur taux d’échec.
Je tiens à préciser que la LPR a permis de renforcer de 100 millions d’euros les moyens destinés aux laboratoires. En outre, elle a conduit à augmenter d’environ 10 % le taux de succès des appels à projets de l’ANR – Agence nationale de la recherche –, qui, vous l’avez rappelé, finance des projets plus courts. Ce taux, qui était tombé à 15 %, s’élève désormais à 24 % et tend vers l’objectif de 30 % fixé par la loi. Ainsi, l’ANR a accordé 400 millions d’euros supplémentaires en 2023.
Telles sont les mesures d’accompagnement et de simplification par lesquelles nous cherchons à limiter l’importance excessive des appels à projets.

Mme la présidente
La parole est à M. Hervé Saulignac.

M. Hervé Saulignac (SOC)
En 2022, le crédit d’impôt recherche est devenu la première niche fiscale du pays. Son coût s’élève à 7 milliards d’euros, soit 88 % du montant des dépenses fiscales engagées au titre de la mission Recherche et enseignement supérieur . Dans le même temps, l’effort de recherche publique consenti par l’État n’a fait que diminuer, jusqu’à atteindre 0,78 % du PIB en 2023.
La réforme du CIR opérée en 2008 a quadruplé son coût pour l’État. Pourtant, on peut s’interroger sur son efficacité : la France occupe la première place de l’OCDE en matière d’aide fiscale à la R&D – recherche et développement –, mais seulement la dix-septième place lorsqu’il s’agit de la dépense intérieure brute de recherche et développement. Peut-être faut-il en chercher l’explication dans le rapport publié en 2021 par la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi), qui, d’après l’analyse de la direction générale du Trésor, « montre que, si les groupes multinationaux français valorisent le rôle du CIR dans la décision de localisation de l’investissement en R&D, ils valorisent tout autant l’accès au capital humain, le rôle de la propriété intellectuelle, de la recherche publique et du transfert technologique de qualité ». L’investissement en R&D s’appuie donc sur tout un écosystème qui ne saurait se satisfaire de l’abandon de la recherche publique au profit de la recherche privée, que les chercheurs et les universitaires dénoncent d’ailleurs depuis plus de dix ans.
Entendez-vous modifier votre stratégie en matière de financement de la recherche et réformer enfin le CIR, dispositif fiscal coûteux et peu performant, au profit d’un investissement renforcé dans la recherche publique ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES et GDR-NUPES.)

M. Pierre Dharréville
Bonne idée !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Les études commandées au sujet du CIR, dont celle publiée par la Cnepi en 2021, que vous avez mentionnée, mettent en évidence les résultats suivants. Outre les effets que vous citez, la réforme de 2008 a également entraîné des effets positifs sur les activités de R&D, comme en témoignent le chiffre d’affaires et l’investissement des entreprises dans ce domaine ; toutefois, il est vrai que ces résultats ne sont statistiquement significatifs que dans le cas des PME. Le CIR n’a pas suffi à contrecarrer la perte d’attractivité de la France comme site de R&D des entreprises multinationales étrangères. L’implantation d’activités de R&D en France progresse plus faiblement que dans les autres pays.
Ces études présentent néanmoins des limites méthodologiques, telles la difficulté de la constitution d’un contrefactuel ou encore l’ancienneté des données mobilisées lors des estimations, qui invitent à relativiser l’interprétation causale des résultats obtenus, notamment en ce qui concerne les efforts d’attractivité déployés par le Gouvernement dans le cadre du plan France 2030 et de la LPR. Le CIR constitue un outil attractif pour les PME, incite les entreprises à s’installer sur le territoire français, facilite et encourage la recherche publique comme privée. Comme je le soulignais plus tôt, il est nécessaire d’assurer à ce dispositif une certaine stabilité dans le temps avant de chercher à en tirer les conclusions.

Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Bellamy.

Mme Béatrice Bellamy (HOR)
La période sanitaire que nous venons de traverser a démontré que la recherche est une nécessité vitale pour notre société. Madame la ministre, je vous sais pleinement mobilisée pour la défendre.
Alors que des noms résonnent dans nos esprits – hier celui de Marie Curie, récemment celui de Françoise Barré-Sinoussi, aujourd’hui celui de Bérengère Dubrulle –, j’appelle votre attention sur la situation des femmes dans la recherche. Si la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a permis de redynamiser la recherche française, certains défis restent à relever, notamment en matière d’inclusion des chercheuses. Le constat est indéniable et le phénomène ancien : les femmes sont moins représentées que les hommes dans les secteurs scientifiques. À titre d’exemple, les étudiantes ne représentent qu’un tiers des effectifs des classes préparatoires scientifiques. Ces dernières années, le sous-investissement s’est traduit par une perte d’attractivité de ces métiers. En France, seulement 28 % des chercheurs sont des chercheuses. Il est donc impératif de créer de nouvelles vocations et de favoriser la féminisation des professions scientifiques.
Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles mesures sont envisagées pour promouvoir les carrières et les filières scientifiques auprès des jeunes filles ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Merci beaucoup d’avoir évoqué ce sujet – vous savez que j’y suis particulièrement sensible et que j’œuvre en ce sens. Je répondrai séparément aux deux axes de votre question : d’une part la carrière des femmes dans la recherche scientifique, d’autre part l’attractivité des métiers scientifiques pour les jeunes filles.
En ce qui concerne le premier axe, nous observons avec attention les effets de la LPR. Je vais vous présenter quelques premiers bilans positifs, à commencer par celui du repyramidage, c’est-à-dire la promotion interne de maîtres de conférences vers le corps des professeurs des universités, dont je rappelle qu’il ne comporte que 29 % de femmes. En 2021, 41 % des professeurs nouvellement promus étaient des femmes ; en 2023, nous avons atteint 52 %. Le processus de repyramidage, qui exige moins de mobilité géographique de la part des promus et prend en compte leur carrière globale, semble mieux adapté que la promotion habituelle pour reconnaître l’ensemble des tâches effectuées par les enseignants-chercheurs, en particulier par les femmes. On constate également de premiers effets très favorables du repyramidage des corps administratifs et techniques, qui permet, là encore, de valoriser les carrières des femmes.
Par ailleurs, les nouveaux critères d’attribution des primes individuelles instaurés par la LPR aboutissent à leur attribution plus fréquente aux femmes, dont on constate qu’elles en font la demande sans s’autocensurer. Le nombre de candidates et de lauréates a ainsi augmenté ; ces chiffres vous seront transmis lors de la présentation du bilan de la LPR.
Enfin, nous prêtons la plus grande attention à la parité au sein des comités de sélection et à la gestion des carrières.
Quant au second axe de votre question, nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale pour mettre en œuvre de nouvelles mesures visant à renforcer l’attractivité des métiers scientifiques pour les jeunes filles, du primaire à l’université. Elles concernent, entre autres, la formation des professeurs des écoles, ou encore la promotion de modèles de femmes scientifiques – vous en avez cité quelques-unes.

Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Bellamy, pour une seconde question.

Mme Béatrice Bellamy (HOR)
Ma question rejoint celle de M. Le Fur. Chaque année, en France, plus de 350 000 personnes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer. Près de 3,8 millions de Français vivent avec ce diagnostic. Nous dénombrons 150 000 décès par an, autant de douleurs et de familles endeuillées. Oui, chers collègues, le cancer demeure un véritable fléau, qui nécessite une mobilisation nationale et unitaire.
Depuis des décennies, nous – État, chercheurs, associations, collectivités parfois – menons cette lutte, qui a déjà permis de grandes avancées. Ainsi, 9 millions de personnes se font dépister chaque année, et les progrès de la recherche ont conduit à augmenter le taux de guérison grâce à des diagnostics plus précoces et aux progrès thérapeutiques.
En 2021, pour la première fois, une stratégie nationale pour dix ans a été élaborée par l’Institut national du cancer. La recherche est la composante essentielle de cette ambitieuse feuille de route, car c’est elle qui permet de mieux comprendre les mécanismes de la maladie, de la prévenir lorsque cela est possible, de la dépister au plus tôt et de mieux la soigner. La cancérologie est une discipline en progrès constant et rapide, mais nous ne devons pas relâcher nos efforts.
Madame la ministre, pourriez-vous rappeler à la représentation nationale les moyens dédiés à la recherche relative au cancer, ses axes majeurs et les travaux en cours à l’échelle européenne ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Ma réponse complétera celle que j’ai faite à M. Le Fur, puisque votre question concerne le cancer de manière plus générale. Effectivement, l’Inca a tracé sa feuille de route. La LPR accompagne l’augmentation de son budget, qui passera de 62 millions d’euros à 78 millions d’ici à 2025. Cet effort significatif vise à maintenir la France à un niveau d’excellence internationale en matière de recherche sur le cancer. Les dépenses par habitant consacrées aux soins oncologiques représentent environ 12 % du total des dépenses de dédiées à la santé, et nous souhaitons maintenir à cette hauteur cet investissement considérable.
Par ailleurs, la France a lancé en 2021, sur la recommandation de l’Inca, la stratégie décennale de lutte contre les cancers – cela représente, vous l’avez rappelé, un enjeu de santé publique –, avec pour objectif de réduire de 60 000 chaque année le nombre de cas de cancers évitables à l’horizon 2040. Pour mettre en œuvre cette stratégie, elle prévoit une enveloppe de 1,74 milliard d’euros sur cinq ans.
Je tiens enfin à rappeler la création du Paris Saclay Cancer Cluster. Ce biocluster, financé par l’État à hauteur de 100 millions d’euros, auxquels s’ajoute une somme au moins égale provenant d’entreprises privées, conduit une grande variété d’activités allant de la recherche fondamentale à la production de thérapies innovantes et de médicaments, en passant bien sûr par la recherche en milieu hospitalier.

Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen (LIOT)
Ma question concerne le CIR. Ce crédit aux entreprises s’élève à environ 7 milliards d’euros, dont la grande majorité va aux entreprises de plus de 5 000 salariés, qui, pourtant, représentent seulement 1 % des entreprises bénéficiant du dispositif.
Ma question est double. D’une part, comment expliquer qu’il soit si difficile d’obtenir des informations quant au montant du crédit dont bénéficie chaque entreprise ? D’autre part, est-il normal que des grandes entreprises réalisant des milliards d’euros de bénéfices et distribuant des milliards d’euros de dividendes bénéficient du CIR à hauteur de centaines de millions d’euros ? Cela pousse à s’interroger. Il est tout à fait compréhensible que l’État soutienne des PME implantées dans nos territoires, dont le chiffre d’affaires est peu élevé et qui ont réellement besoin d’un crédit d’impôt, mais on peut mettre en doute la pertinence d’accorder de telles sommes à de très grandes entreprises qui, même sans cela, enregistreraient des profits très élevés et distribueraient des milliards d’euros de dividendes.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
J’aborderai deux aspects de la question que vous avez posée. J’examinerai d’abord le réinvestissement des bénéfices dans la R&D, qui est le gage d’une compétitivité future, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les grandes et les petites entreprises. Je me pencherai ensuite sur la place respective des PME et des grandes entreprises en ce qui concerne le CIR.
D’abord, l’effet de levier est important : 6,7 milliards d’euros de CIR contribuent à financer plus de 25 milliards d’euros de R&D déclarés par les entreprises. Le CIR encourage donc les entreprises, qu’elles soient petites ou grandes, à réinvestir dans la R&D.
Ensuite, sur 15 700 entreprises déclarantes, on compte 12 900 PME, 2 200 entreprises de taille intermédiaire (ETI), et 500 grandes entreprises. Ainsi, 83 % des déclarants sont des PME et elles bénéficient de 28 % de la créance. Cela peut sembler faible, mais la proportion de crédit d’impôt recherche que touchent les PME est supérieure à leur poids dans la R&D privée, qui s’élève à 19 %.
Par le mécanisme de plafonnement, du fait du taux réduit à 5 % au-delà de 100 millions d’euros de dépenses déclarées, une grande entreprise qui déclare des dépenses en R&D supérieures à cette somme voit son taux de créance diminuer : ce dernier s’élève en moyenne à 26 % pour les grandes entreprises.
Le CIR est non seulement un outil qui encourage le réinvestissement des bénéfices dans la R&D, mais aussi, contrairement à ce qu’on peut entendre, un dispositif dont les PME se saisissent. On doit les encourager à le faire encore davantage et probablement améliorer leur accompagnement. En effet, seules 7 % des PME sollicitent un crédit d’impôt recherche. Pour accroître cette proportion, nous les accompagnons en améliorant la simplicité, la transparence et la stabilité dans le temps du dispositif.

Mme la présidente
La parole est à M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon (RE)
Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur un sujet de recherche appliquée crucial pour un segment important de notre économie, l’industrie pharmaceutique. Pour mener à bien leurs essais précliniques, les sous-traitants de l’industrie pharmaceutique que sont les sociétés de recherche contractuelles ont recours à des essais sur des espèces animales. Pour certains médicaments innovants, les vaccins à ARN, les thérapies géniques, les anticorps monoclonaux, les grosses molécules qui représentent l’essentiel des essais cliniques actuels nécessitent des tests sur des primates non humains (PNH).
Depuis novembre 2022, la nouvelle réglementation européenne restreint, pour les laboratoires de l’Union européenne, la possibilité de faire des essais précliniques aux seuls PNH de génération F2, c’est-à-dire ceux dont les parents sont nés ou ont été élevés en captivité, alors que les laboratoires américains et asiatiques sont autorisés à utiliser aussi bien des PNH nés et élevés en captivité que des PNH captés dans leur milieu naturel. L’application de la nouvelle réglementation européenne fragilise donc les sociétés de recherche contractuelles européennes, qui ne peuvent s’approvisionner en PNH de génération F2.
En effet, la Chine, qui est le principal exportateur, a interdit l’exportation de PNH depuis 2020, car elle considère cette ressource comme un enjeu de souveraineté nationale pour la recherche comme pour l’industrie pharmaceutique. Dès lors, les entreprises pharmaceutiques se voient contraintes de confier des essais précliniques à des sociétés pour lesquelles les conditions sont plus souples, situées en Amérique ou en Asie. Inévitablement, cela réduit le poids de la France dans la recherche pharmaceutique. Nous devons apporter une solution aux entreprises françaises et aux chercheurs français engagés dans la recherche à des fins pharmaceutiques.
Chaque État membre de l’Union européenne a la possibilité de déroger à l’application de la réglementation de 2022 afin de permettre aux éleveurs de PNH de s’adapter à cette nouvelle réglementation. Le Gouvernement a l’ambition de réindustrialiser notre pays et d’assurer sa souveraineté dans le domaine de la recherche, notamment dans le secteur pharmaceutique. Ma question est simple, madame la ministre : le Gouvernement envisage-t-il de demander une dérogation dans ce domaine ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Nous avons recours aux primates à des fins scientifiques, cependant le nombre de ces animaux est restreint : ils comptent pour 0,2 % du total des animaux utilisés dans ce cadre. Par leur proximité génétique et phylogénétique avec les humains, ces modèles de primates sont nécessaires et primordiaux pour la réalisation de nombreux projets de recherche.
Vous l’avez dit, une directive européenne permet aux États membres de déroger, projet par projet, à la règle, en produisant une justification scientifique. Il est souhaitable de formaliser rapidement ce type de dérogation. Plusieurs actions sont donc envisagées.
Premièrement, nous accompagnons les établissements dans l’évolution de leur approvisionnement. Nous savons que le coût de cet accompagnement augmente du fait de la flambée des prix des primates en général, et en particulier des primates de génération F2 lorsque ceux-ci sont disponibles.
Deuxièmement, il faut évaluer l’opportunité du maintien d’exportations de primates ou de bioproduits issus des primates français. Par exemple, le centre de primatologie de l’université de Strasbourg approvisionne des laboratoires allemands en primates de génération F2 et exporte des produits issus de primates vers l’Europe, la Suisse, les États-Unis.
Troisièmement, nous soutenons, sur le territoire national, les projets d’élevage de primates répondant aux critères européens. Compte tenu de la durée de développement des animaux, un élevage lancé actuellement pourra fournir des animaux pour la recherche vers 2030 environ.
Enfin, nous accompagnons de manière concrète les établissements de recherche pour qu’ils obtiennent les dérogations.

Mme la présidente
La parole est à Mme Charlotte Goetschy-Bolognese.

Mme Charlotte Goetschy-Bolognese (RE)
Ces dernières années, une nouvelle volonté politique et industrielle a émergé autour du potentiel de l’hydrogène dans la décarbonation de notre société. Avec les projets de loi sur les énergies renouvelables et sur le nucléaire, nous avons fait le choix d’un mix énergétique pertinent pour l’avenir de notre pays. Ce mix énergétique est un support décisif pour la production d’un hydrogène vert pouvant servir à notre industrie et, à terme, à des usages quotidiens comme les mobilités. Le Président de la République a affirmé dès 2021 l’ambition de faire de la France un des leaders mondiaux de l’hydrogène en 2030.
Cependant, dans la stratégie européenne de décarbonation, on refuse de considérer comme vert l’hydrogène produit à partir d’électricité nucléaire. Des solutions semblent avoir émergé lors du dernier sommet franco-allemand sur ce sujet. Nos porteurs de projets industriels ont besoin d’un cadre sur mesure pour sécuriser leurs investissements dans cette nouvelle technologie.
De plus, la France disposerait de réserves d’hydrogène naturel, dit hydrogène blanc, ce qui permettrait de disposer d’une ressource naturelle décarbonée.
L’hydrogène est un facteur de souveraineté énergétique. Comme l’a rappelé le Président de la République, notre modèle, notamment grâce à l’énergie nucléaire, peut nous permettre de réaliser une transition importante et un bond technologique.
Madame la ministre, quelle est la feuille de route du Gouvernement pour réaliser nos ambitions en matière d’hydrogène, en particulier pour exploiter les possibilités de l’hydrogène blanc ?

M. Pierre Henriet
Excellent !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Vous l’avez dit, la France a une stratégie pour l’hydrogène ambitieuse, pour laquelle elle mobilise plus de 9 milliards d’euros. Cette stratégie concerne tous les niveaux de maturité des projets, depuis la recherche jusqu’à l’industrialisation et l’utilisation de l’hydrogène. La montée en puissance de nos capacités de recherche et de développement en matière d’hydrogène s’inscrit dans cette stratégie, qui comporte deux axes. Le premier concerne l’émergence d’une filière française de production par électrolyse et ses usages pour la mobilité lourde. Le second est dédié à la recherche afin de développer de nouvelles technologies pour produire de l’hydrogène. Il consiste en un programme prioritaire de recherche de 80 millions d’euros, piloté par le CEA et le CNRS, qui permet de développer des technologies pour produire de l’hydrogène.
Au niveau industriel, le principal secteur consommateur d’hydrogène est actuellement l’industrie, qui dispose de moyens de production bas carbone de l’hydrogène. C’est un des leviers de la décarbonation de notre industrie que la France défendra et utilisera. Grâce à notre mix énergétique très largement décarboné, l’électrolyse s’impose. Les procédés d’électrolyse constituent une priorité pour la recherche. Ils sont adaptés aux énergies renouvelables à rendement optimisé et ne dépendent pas de métaux stratégiques.
Les systèmes de conversion qu’on appelle les piles à combustible constituent une deuxième direction pour la recherche. L’hydrogène est en effet une solution particulièrement adaptée à la mobilité lourde.
Une troisième orientation de la recherche étudie le stockage de l’hydrogène sous toutes ses formes, qu’il soit solide, liquide ou gazeux.
En conclusion, soulignons que l’écosystème de recherche français est fortement structuré : plus de 500 chercheurs travaillent sur ce sujet ; il est bâti sur un soutien public de longue date. C’est un atout certain pour le leadership français et européen, qui utilisera toutes les technologies que la France a à sa disposition.

Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Henriet.

M. Pierre Henriet (RE)
Les étudiants d’aujourd’hui sont les chercheurs de demain. L’équilibre des filières et la répartition des effectifs étudiants par discipline sont donc essentiels. Or, en 2022, la France ne comptait que 2 600 doctorants en mathématiques, contre 32 000 en sciences humaines et sociales. La hausse du nombre de doctorants en mathématiques au cours des deux dernières années n’est pas suffisante si nous souhaitons que la deuxième discipline de spécialisation scientifique reste le fleuron de la recherche française.
En chimie, en sciences de l’information et de la communication, la baisse du nombre de doctorants reste la norme. Personne ne peut se satisfaire de ce déséquilibre criant, qui touche toutes les filières scientifiques dans un monde où la connaissance dans ces domaines est stratégique, notamment pour répondre aux enjeux de souveraineté et aux défis climatiques.
L’inégale répartition disciplinaire des doctorants n’est que le reflet d’un déséquilibre encore plus marqué en licence et en master. Ce n’est qu’au prix d’un réajustement au profit des disciplines scientifiques que nous pourrons garantir la pérennité de l’excellence française en matière de recherche.
Madame la ministre, que comptez-vous entreprendre pour renforcer les effectifs dans les filières scientifiques en tension et rééquilibrer le nombre d’étudiants dans les filières de sciences humaines et sociales, dont les effectifs sont en distorsion avec les besoins réels du monde de la recherche et avec les activités des secteurs économiques ? La sélection doit être plus contraignante si nous voulons assurer notre souveraineté intellectuelle et rester un grand pays qui porte la science en étendard.

M. François Cormier-Bouligeon
Très bien !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Les filières d’avenir comme l’industrie verte, le numérique, le nucléaire, et plus généralement les sciences et les technologies, ont besoin de recruter massivement dès à présent. Ces filières scientifiques ont besoin de techniciens, d’ingénieurs ou de titulaires d’un master, de doctorants.
Les formations scientifiques représentent 25,5 % des formations dans l’enseignement supérieur en 2021. Nous avons besoin en particulier de titulaires de bac + 3. Entre 2011 et 2021, les effectifs ont augmenté de 5,8 % dans les instituts universitaires de technologie (IUT), de 33 % dans les filières universitaires et de 44 % dans les écoles d’ingénieurs, mais cela ne suffit pas. Nous sommes en train de cartographier les besoins pour créer des places dans les filières scientifiques.
Nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale, car il faut attirer, expliquer les métiers, montrer les débouchés. Comme je l’ai dit, il faut améliorer l’attractivité des métiers scientifiques, notamment auprès des jeunes filles.
Le plan France 2030 consacre 2,5 milliards d’euros aux compétences et métiers d’avenir, ce qui permet de financer tous les niveaux de ces filières de sciences et technologies. Précisons que 43 % des étudiants dans les filières scientifiques sont des filles, même si elles sont seulement 29 % dans les écoles d’ingénieurs. Nous savons dans quelle direction avancer. Avec les autres ministères, nous avons créé 10 000 parcours de réussite des jeunes filles vers le numérique. Nous avons donc pris plusieurs mesures pour attirer les jeunes vers les sciences et les financer, en particulier dans le cadre de France 2030.

Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Miller.

Mme Laure Miller (RE)
La France possède une riche expérience dans l’innovation et la recherche et compte parmi les nations les plus engagées et reconnues dans ce domaine. Depuis la création du prix Nobel, elle a obtenu près de quarante prix scientifiques, se situant ainsi dans les cinq premiers mondiaux. Dans l’innovation, la France fait également partie des meilleures nations au monde, avec chaque année plus de 10 000 brevets déposés.
Dans ce cadre, notre université joue un rôle fondamental. Nous percevons la qualité de notre recherche à travers la montée en puissance de la France, depuis dix ans, dans les classements internationaux, notamment dans le classement de Shanghai.
Cette dynamique est soutenue par un concours historique et permanent de l’État, notamment à travers les programmes d’investissements d’avenir (PIA) comme le plan France 2030, qui se distingue des PIA passés par l’intégration d’un volet dédié aux technologies innovantes et l’importance qu’il accorde à la lutte contre le dérèglement climatique.
On peut se féliciter que la mutation écologique de notre société soit au cœur de nos investissements. Et, alors que le poids de l’industrie a diminué d’un tiers dans le PIB français en quarante ans, on peut se féliciter aussi qu’un plan de réindustrialisation verte ait enfin été décidé.
Mais cette réindustrialisation que chacun appelle de ses vœux nécessite des compétences, dont l’acquisition dépend en grande partie des universités, puisque ce sont elles qui forment aux métiers de demain et, à travers les formations qu’elles dispensent, aident les secteurs économiques en tension à couvrir leurs besoins. En effet, nos universités – je pense en particulier à celle de Reims Champagne-Ardenne, dans ma circonscription – ont ceci de particulier qu’elles font le lien entre les collectivités et entreprises du territoire et les organismes de recherche. Il est d’autant plus nécessaire d’accompagner ce rôle fédérateur que le contexte international est très compétitif.
Ma question est donc double. Comment accompagner nos universités pour que l’acquisition de connaissances et compétences en matière de transition écologique soit intégrée dans tous les cursus ? Plus globalement, considérez-vous, madame la ministre, que notre politique rend les universités suffisamment actrices de la stratégie de l’État en matière de transition écologique ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
La transition écologique est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, tout comme à nos jeunes, et en particulier à nos étudiants : autant de raisons de répondre à l’urgence. À cette fin, nous avons d’ores et déjà annoncé plusieurs mesures.
À partir de 2025, tous les étudiants de premier cycle recevront une formation spécifique à la transition écologique – une mesure importante que nous commencerons à déployer dès la rentrée prochaine. Tous les enseignants et enseignants-chercheurs seront formés, de sorte qu’ils puissent inclure naturellement les enjeux de la transition écologique et climatique dans leurs enseignements. Nous avons créé des ateliers pour déployer des plateformes de ressources pédagogiques qui seront accessibles à tous les établissements. Nous discutons actuellement avec les universités pour assurer le financement de cette mesure dans le cadre de leurs contrats d’objectifs, de moyens et de performance, et ainsi leur donner les moyens de former tous leurs enseignants et enseignants-chercheurs intervenant dans le premier cycle, où la formation des étudiants à la transition écologique sera obligatoire.
Le financement de formations plus spécialisées aux métiers d’avenir liés à la transition écologique – les métiers « du vert » – sera assuré par l’appel à manifestations d’intérêt « Compétences et métiers d’avenir » du plan France 2030, doté de 2 milliards d’euros. En outre, toujours dans le cadre du plan France 2030, nous accompagnerons les établissements dans l’ouverture de nouvelles formations à travers les contrats d’objectifs, de moyens et de performance. Afin d’augmenter les formations dans les filières en tension et de créer les formations aux nouveaux métiers liés à l’écologie, nous sommes en train de cartographier les besoins en compétences en lien avec les industries.

Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Travert.

M. Stéphane Travert (RE)
À l’heure où l’agriculture française doit relever de nombreux défis – alimentaires, environnementaux, ou encore en matière de lutte contre le changement climatique et de décarbonation de nos actes de production – tout en préservant nos ressources naturelles, la recherche publique doit être au cœur de nos priorités. Il est en effet indispensable que la recherche, qu’elle soit publique ou conduite en partenariat avec le secteur privé, puisse mener ses travaux dans les meilleures conditions budgétaires et scientifiques possibles. Je sais que la priorité du Gouvernement est de placer la France à la pointe de la recherche scientifique mondiale. Mais, à l’heure où la défiance à l’égard du raisonnement scientifique s’accentue et où le sens de la nuance disparaît progressivement du débat public, force est de constater que seules la recherche et l’innovation peuvent apporter les progrès nécessaires à nos sociétés modernes pour mieux produire, et ainsi mieux s’alimenter et mieux nourrir la planète.
Nos étudiants et nos chercheurs doivent trouver en France les meilleures conditions possibles pour faire progresser leurs travaux et éclairer les choix scientifiques permettant de maintenir la France au premier plan des grandes nations innovantes en matière agricole. C’est également un impératif pour assurer la réindustrialisation de la France que, forts de nos nombreux atouts, nous sommes en train de réussir.
Madame la ministre, comment comptez-vous réaffirmer le rôle primordial de la recherche agronomique, garante des progrès de nos filières agricoles, qui s’inscrivent au cœur de nos ambitions climatiques et des négociations en cours ? Quelle sera la ligne du Gouvernement pour entamer ce nouveau siècle avec toute une communauté formée à la rigueur de la recherche et à l’innovation agronomique pour servir un destin commun à tous les habitants de la planète, la suffisance alimentaire ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Vous avez tout à fait raison, et je souscris pleinement à vos propos : l’agriculture est à la croisée de multiples enjeux, en particulier l’alimentation durable et la souveraineté alimentaire. L’équation est compliquée, les défis à relever sont nombreux : nous y travaillons beaucoup à l’échelle interministérielle, avec le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, et le ministre de la santé, puisque les conséquences sanitaires sont importantes. La recherche en matière alimentaire et agricole est un axe fort de la planification écologique pilotée par la Première ministre.
La recherche agronomique, c’est aujourd’hui en France 1,2 milliard d’euros par an et environ 23 000 personnes. À travers le plan France 2030, plus de 2,7 milliards d’euros seront mobilisés en faveur de la transition agricole et alimentaire. Ce plan sera donc un levier important pour concentrer les efforts afin d’accélérer la transition et de répondre aux enjeux. Parmi les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), je citerai le PEPR sur l’agroécologie et le numérique, les grands défis « biocontrôle et biostimulants » et « robotique agricole », ou encore le PEPR sur la sélection variétale avancée. Cette liste illustre à la fois la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité de la recherche agronomique, et la nécessité de piloter et coordonner l’ensemble des acteurs pour assurer l’efficacité des programmes – rôle qui, en matière d’agriculture et d’alimentation, sera joué par l’Inrae, organisme national de recherche.
La transition agroécologique présente des enjeux majeurs – vous comme moi en avons cité beaucoup d’exemples. Pour y répondre, ce qui ne sera pas chose facile, la recherche doit être systémique. C’est pourquoi nous assurons un pilotage renforcé à l’échelle interministérielle et investissons puissamment à travers le plan France 2030.

Mme la présidente
La parole est à M. Roger Chudeau.

M. Roger Chudeau (RN)
Ma question porte sur notre stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA). Il n’est pas besoin de rappeler trop longuement les enjeux considérables qui s’attachent pour notre pays, pour sa souveraineté, son indépendance et son rayonnement, à la maîtrise des tenants et aboutissants de l’intelligence artificielle. Du reste, il a été l’un des premiers – vous l’avez rappelé, madame la ministre – à se doter d’une véritable stratégie nationale et d’un plan national de recherche pour l’IA.
Toutefois, un rapport de la Cour des comptes consacré à la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle publié tout récemment, en avril, souligne plusieurs de ses faiblesses, sur lesquelles nous souhaiterions des éclaircissements.
Premièrement, il semblerait qu’il existe un goulot d’étranglement dans la formation initiale et continue d’ingénieurs et de chercheurs en IA. Pouvez-vous nous indiquer les mesures prises conjointement par votre ministère et celui de l’éducation nationale pour augmenter sensiblement le nombre de lycéens qui choisissent la spécialité numérique et sciences informatiques, et les actions entreprises pour gommer les biais de genre dans cette spécialité ?
Deuxièmement, en 2020, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche assurait l’intégralité de la formation continue en matière d’IA. En 2022, sa part est descendue à 6 %. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de ce changement et nous préciser quels contrôles l’État a instaurés pour s’assurer de la qualité de la formation continue dispensée par le secteur privé ?
Enfin, en matière de gouvernance, la Cour des comptes affirme qu’« aucune gouvernance spécifique n’a été mise en place pour le volet recherche » – jugement qui paraît relativement abrupt. Elle indique aussi que la République fédérale d’Allemagne a structuré sa recherche en IA selon un modèle plus efficace que le nôtre. Pouvez-vous donc, madame la ministre, nous indiquer les actions entreprises pour doter la recherche en intelligence artificielle d’un pilotage et d’une gouvernance conformes aux enjeux de ce secteur stratégique ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
L’actualité nous le rappelle chaque jour, la recherche en intelligence artificielle est en effet fondamentale.
S’agissant de la formation initiale et continue, nous allons reconduire et élargir les instituts 3IA. À travers l’appel à manifestations d’intérêt « Compétences et métiers d’avenir », pas moins de 500 millions d’euros seront ainsi investis pour renforcer les formations en IA de tous niveaux – techniciens, ingénieurs, doctorants – dispensées par les 3IA élargis, à la fois au titre de la formation initiale et de la formation continue – car dans ce cadre particulier comme dans beaucoup de domaines, la formation tout au long de la vie est en effet fondamentale. Nous y serons donc particulièrement attentifs.
Par ailleurs, nous allons suivre de près les formations dispensées par le secteur privé : un groupe de travail ministériel s’y attelle et devrait rendre ses conclusions avant l’été. Sans aller jusqu’à exercer un contrôle stricto sensu , nous disposerons d’un premier retour des étudiants ayant suivi les formations, que ce soit dans le public ou le privé, et de leurs parents.
Enfin, l’amélioration de la gouvernance est l’un des axes de la SNIA. Comme je l’ai déjà expliqué, les organismes nationaux de recherche sont chargés du pilotage des programmes : en matière de numérique et d’intelligence artificielle, c’est donc l’Inria qui assurera la coordination des acteurs. Nous travaillerons avec lui pour renforcer la gouvernance sur les projets à l’échelle nationale, européenne et internationale.

Mme la présidente
La parole est à Mme Joëlle Mélin.

Mme Joëlle Mélin (RN)
La recherche française, publique comme privée, a toujours rayonné dans le monde. Mais cela est de moins en moins vrai : nous ne sommes plus qu’au dixième rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en termes de publications. Les causes en sont multiples : manque d’ambition et, il faut bien le dire, de moyens de la LPR de 2020 ; stratégie nationale peu cohérente, et ce depuis longtemps ; manque d’équipements, par ailleurs aujourd’hui vieillissants ; salaires de la fonction publique parfois indignes ; fuite des cerveaux et des brevets. Résultat : un manque total d’attractivité et de productivité, objet du débat d’aujourd’hui.
Mais un autre frein, moins visible, est tout aussi dangereux : l’espionnage économique, tant dans le public que dans le privé. Or, en matière de renseignement, mais aussi d’audience et de structuration universitaire, notre pays est très en retard. Tout d’abord, le renseignement humain est toujours nécessaire et efficace dans des domaines ciblés, comme nous avons pu le voir à petite échelle avec les étudiants étrangers, mais aussi, plus largement, dans toutes les opérations d’espionnage et d’intelligence économique. Les pertes occasionnées sont incommensurables. Il conviendrait donc d’installer dans notre pays une culture du risque de l’espionnage, notamment en protégeant et sensibilisant les chercheurs, en protégeant les brevets et en garantissant la souveraineté des données.
La cybercriminalité est quant à elle l’objet de toutes les attentions. Mais hélas, l’Europe, dont l’université Eelisa – European engineering learning innovation and science alliance – présente des faiblesses, a pris du retard, tout comme la France et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi).
Ma question est donc simple : quels moyens comptez-vous donner à l’Anssi pour mener ses actions ? Corollaire : envisagez-vous de prendre enfin réellement en main le problème de l’intelligence économique appliquée à la recherche, éventuellement en le confiant à un secrétariat dédié, seule garantie d’une réussite opérationnelle ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Nous travaillons déjà sur cette question, rendue plus importante encore par le contexte géopolitique actuel. Des procédés existent déjà, comme le dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation (PPST) et les zones à régime restrictif (ZRR) dans les laboratoires, et nous travaillons, notamment avec France Universités, à les renforcer. Des référents dits hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS) sont également présents dans les laboratoires et au ministère. La question que vous soulevez fait donc déjà l’objet d’un suivi, même si nous devons sensibiliser davantage encore la direction des établissements et des laboratoires, et les chercheurs eux-mêmes, à ces enjeux : nous devons donc mener un travail de fond à partir des outils déjà existants, comme le PPST et les ZRR, pour mieux protéger notre savoir.
Cependant, il est important de maintenir une science ouverte, car en recherche, la diffusion de l’information est gage d’excellence. Nous devons donc trouver comment concilier la propriété et la souveraineté de notre recherche et de notre industrie avec ce besoin de publication et de partage de la connaissance au niveau international.
Par ailleurs, je vous rejoins sur la nécessité d’améliorer la cybersécurité. Là encore, nous y travaillons, à travers plusieurs programmes prioritaires pilotés par l’Inria, qui ont pour objectif une progression de la propriété et la nécessaire formation des laboratoires aux enjeux de la cybersécurité.

Mme la présidente
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN)
Depuis 2010, la Chine est le premier producteur de contributions scientifiques en matière d’intelligence artificielle – devant les États-Unis et l’Inde, laquelle a quadruplé sa production, tandis que la France, qui ne cesse de chuter, vient au douzième rang. La LPR prévoit pour 2030 un budget public de la recherche supérieur de 5 milliards à celui de 2020 : compte tenu de l’inflation, cette hausse ne représentera en euros constants que 1 milliard de plus. C’est donc au budget 2020, et non à celui de 2030, qu’il manque 5 milliards !
La faiblesse financière du modèle français tient également à la diminution, depuis une trentaine d’années, des crédits de base au profit des crédits compétitifs, ce qui oblige les laboratoires à multiplier les appels à projets en vue d’assurer leur financement. Ajoutée à celle que nécessite leur fonctionnement, cette charge administrative leur fait perdre un temps de travail précieux : ce n’est ni stratégiquement pertinent, ni économiquement viable. Au contraire, les laboratoires chinois, américains et indiens jouissent du soutien total de leur gouvernement, d’où des financements à la hauteur des enjeux actuels et à venir.
Madame la ministre, il est essentiel que notre recherche ne soit plus perçue comme un coût pour la société, mais comme un investissement primordial pour l’avenir du pays. Étant donné l’impérieuse nécessité de restaurer la souveraineté de la France, quand réarmerez-vous la recherche en l’allégeant des contraintes administratives et en augmentant réellement son budget ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Afin de mieux répondre à votre question, monsieur le député, je commencerai par reprendre ce que j’ai déjà dit. Le premier point que vous abordez est la simplification : nous y travaillons. La mission que j’ai confiée à Philippe Gillet, en particulier, inclut la demande de propositions fortes, concrètes, visant à simplifier la gestion des laboratoires mixtes. Encore une fois, nous sommes en train d’examiner toutes les possibilités de simplifier les tâches administratives, surtout pour les chercheurs ; du reste, si ce problème va croissant, il n’est pas forcément lié aux appels à projets.
S’agissant de ces derniers, les programmes d’investissements d’avenir initiés par le Gouvernement, notamment France 2030, prévoient par l’intermédiaire de l’ANR des projets bien plus longs qu’auparavant – de trois ans, leur durée passe à huit ou dix ans, ce qui accroît la visibilité en matière de financement et permet de n’avoir pas à répondre de façon répétée à des appels à projets. Par ailleurs, nous renforçons l’accompagnement dans le cadre des contrats d’objectifs, de moyens et de performance – 100 millions d’euros supplémentaires au niveau des établissements –, mais aussi l’accompagnement qui permet d’aller chercher des appels à projets et donc d’augmenter le taux de succès de ceux-ci, taux que la LPR prévoit de porter à 30 % – il est déjà passé de 15 % à 24 % – pour les appels à projets gérés par l’ANR.
Toujours grâce à la LPR, 100 millions d’euros ont été octroyés directement aux laboratoires, tandis que le doublement du préciput de l’ANR, qui atteindra 40 % en 2030, devrait assurer aux établissements un financement récurrent, une partie allant aux laboratoires eux-mêmes, l’autre servant à les aider dans leur gestion. Enfin, pour répondre à votre observation concernant l’inflation, nous ne manquerons pas de nous emparer de la clause de revoyure, ce qui nous permettra d’établir un bilan précis – que je vous présenterai – et de tenir compte du phénomène que vous venez de rappeler.

Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon.

M. Frédéric Falcon (RN)
Ainsi qu’il est rappelé dans l’étude d’impact de la LPR, les grands défis de notre société ne pourront trouver de solution pérenne sans un réinvestissement massif dans la connaissance et la science, au service de nos concitoyens. Pourquoi parle-t-on français dans le quartier de Boston où sont regroupées les entreprises de biotechnologie ? Pourquoi Moderna a-t-il délaissé la France pour s’y installer ? Telles sont les questions qui doivent inspirer nos raisonnements et dont les réponses détermineront notre politique.
En France, de réels problèmes structurels persistent. La coopération entre recherches publique et privée est insuffisamment développée : elles suivent des chemins parallèles, voire se font concurrence, alors qu’un partenariat devrait s’imposer, que davantage de passerelles seraient nécessaires. Les pouvoirs publics encouragent la création de start-up, mais rien n’est fait pour les soutenir dans leur croissance, d’où une rupture entre l’élaboration de prototypes et la commercialisation ; ce défaut d’appui constitue un frein majeur à l’innovation. Le CIR, qui pourrait servir de levier à notre développement, ne parvient pas à juguler la perte d’attractivité de la France : compte tenu des contraintes administratives associées à ce dispositif fiscal, peu d’entreprises y recourent. Seule une réindustrialisation permettrait d’enrayer l’expatriation en masse de nos compatriotes diplômés ; or la crise sanitaire que nous venons de traverser a démontré, s’il en était besoin, l’intérêt de conserver notre recherche de pointe et notre indépendance industrielle.
Ma question, madame la ministre, sera donc la suivante : quelles modifications envisagez-vous d’apporter à la LPR afin de lutter efficacement contre cette fuite à l’étranger des entreprises, des entrepreneurs et des salariés les plus susceptibles d’innovation ? Comment comptez-vous leur donner envie de revenir s’implanter en France, historiquement terre de recherche ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Je souscris à vos propos, monsieur le député, concernant la nécessité de toujours mieux faire et l’urgence d’agir face à la concurrence internationale, particulièrement marquée dans le domaine de la recherche. En revanche, il est faux que la situation n’ait pas évolué s’agissant de l’attractivité de la France, désormais manifeste : toutes les entreprises que j’ai rencontrées nous demandent de maintenir le CIR, qu’elles considèrent comme un facteur de stabilité, d’aide à la prévision.
Cela dit, que faire de mieux et que continuer à faire ? Il était tout à l’heure question de comparaisons avec la Chine et les États-Unis ; reste que la France porte haut la liberté académique qu’elle offre aux chercheurs et à laquelle ces derniers accordent une importance considérable. Bien entendu, cela ne suffit pas : cette liberté doit être accompagnée de moyens financiers. La recherche partenariale, que vous avez évoquée, a énormément progressé depuis dix ans : universités, écoles et autres organismes publics travaillent dorénavant avec les entreprises privées. Les clusters, les écosystèmes qui se sont constitués témoignent de l’attractivité de nos établissements à l’échelle internationale : il convient de la soutenir en accroissant les financements.
Vous évoquiez Boston : nous créons des bioclusters, des instituts hospitalo-universitaires (IHU) où les procédures sont simplifiées, l’argent fléché, où les fonds consacrés à la santé et à la recherche dans le cadre de France 2030 servent un partenariat public-privé, la prématuration, la maturation, la création de start-up, l’accompagnement – autant de mots que nous ne prononcions pas il y a dix ans, autant d’actions qui à l’époque, dans les établissements français d’enseignement supérieur et de recherche, n’avaient pas rang de priorité. S’il en va autrement, c’est grâce à la politique que le Gouvernement a menée !

Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.

M. Hendrik Davi (LFI-NUPES)
Les mots ont leur importance : compte tenu des enjeux liés à la recherche, il est difficile d’appliquer à celle-ci les notions d’attractivité et de compétitivité, empruntées au privé. Rappelons que la recherche constitue avant tout un service public ; la production et le partage du savoir scientifique, essentiels à l’émancipation des citoyens, cimentent la démocratie, tandis que les savoirs finalisés sont par exemple indispensables à la nécessaire transition écologique.
Concernant le manque d’attractivité de la recherche française, je souhaiterais avant tout nuancer le constat. Lors des concours, la pression est en réalité très forte : il y avait en 2019 plus de sept candidats par poste de maître de conférences, plus de vingt-deux par poste de chercheur au CNRS. Autre indice, la proportion de chercheurs étrangers est très importante et ne cesse de croître. En 2015, elle atteignait 15,6 % au sein des organismes de recherche, 10,5 % dans les établissements d’enseignement supérieur, contre seulement 5 % dans les entreprises privées ! Pour ces chercheurs, fortement précarisés dans leur pays d’origine, le statut de fonctionnaire demeure très attractif.
Le problème ne réside donc pas tant dans un supposé défaut d’attractivité que dans le manque de postes. Nombre de jeunes chercheurs, pour faire effectivement de la recherche, sont contraints de partir à l’étranger ; davantage encore, lassés par leurs échecs aux concours, abandonnent. Afin de mettre un terme à ce gâchis, il convient tout d’abord de recruter massivement – au moins 30 000 titulaires, d’après les calculs que nous avons faits en vue d’une proposition de loi émanant de la Nupes – et d’en finir avec la précarité, par exemple en titularisant tous les contractuels qui exercent des fonctions pérennes.
Par conséquent, ma question sera simple : très concrètement, que comptez-vous faire pour tous les précaires de la recherche ? En outre, il importe de rémunérer dignement les personnels qui ont vu leur salaire perdre de la valeur en raison du gel du point d’indice des fonctionnaires, ainsi que d’améliorer les conditions de travail, détériorées par l’avènement de la logique managériale. Que ferez-vous afin de redonner aux équipes des crédits récurrents ? Enfin, le manque de compétitivité incombe surtout à la recherche privée. Le CIR est passé de quelques centaines de millions à plus de 7 milliards d’euros, soit 40 % du budget de la recherche, alors que son efficacité reste contestée et que, parmi les bénéficiaires, certains licencient. Comment comptez-vous donc revoir l’aide aux entreprises ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Avant toute chose, je voudrais vous remercier d’avoir rappelé le fort taux de pression aux concours, l’attractivité des postes de chercheur et d’enseignant-chercheur, assurant à nos laboratoires une recherche de qualité, dont nous pouvons être fiers. En ce qui concerne les postes, nous ferons le bilan, au regard de la LPR, de leur évolution, mais également des types existants – je pense aux chaires de professeur junior, dont vous n’avez pas parlé, d’autant que le sujet nous divise, et qui permettent d’ouvrir des postes en quelque sorte parallèles à ceux de maître de conférences ou de chercheur. Il est désormais établi qu’elles attirent des étrangers un peu matures, quoique pas encore professeurs, des chercheurs au profil très pluridisciplinaire, ou qui ne maîtrisaient pas le français et font beaucoup de recherche avant de s’intégrer dans nos établissements. En France, 11 % à 14 % des chercheurs viennent ou reviennent de l’étranger ; à ces postes, il y en a eu plus de 44 % lors des deux premières campagnes. Nous devons donc manifestement jouer sur la pluralité, la diversité des postes afin, je le répète, d’attirer à l’échelle internationale.
En ce qui concerne les « crédits récurrents », j’ignore ce que vous entendez par là. Compte tenu des évolutions économiques et géopolitiques, il faut donner aux chercheurs, aux laboratoires, une vision pluriannuelle de leur financement : c’est ce à quoi nous travaillons avec les contrats d’objectifs, de moyens et de performance, en accompagnant les établissements non vers des appels à projets à court terme, dont le taux d’échec est élevé, mais vers des appels à projets de longue durée, supposant des sommes importantes, dont le taux de réussite sera amélioré. Très concrètement, c’est à cela que nous œuvrons actuellement.

Mme la présidente
La parole est à Mme Ségolène Amiot.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES)
La formulation de la question qui nous occupe nous transporte au sein du conseil d’administration d’un grand groupe pharmaceutique : nous parlons comptabilité, rendement de la recherche, destinée à ce que les entreprises et laboratoires réalisent toujours plus de profits, attirent toujours davantage de capitaux. La rengaine trahit à chaque instant votre logique néolibérale. Posons donc la question autrement : jusqu’où nationaliser la recherche française ? Qui d’autre que l’État est en mesure de la planifier, de la prioriser ? Un an et demi après l’apparition de la covid-19, Sanofi, ayant reçu des centaines de millions d’euros d’aides publiques sans contrepartie, annonçait renoncer à développer son vaccin à ARN messager. Quelques mois plus tôt, l’institut Pasteur, à but non lucratif, avait déjà jeté l’éponge, faute de financement. Le Premier ministre Castex déclarait alors que « c’est l’abaissement des moyens depuis trente ans sur l’innovation dans la recherche en santé qui a abouti à ce qu’on ne fasse pas de vaccin français ».
De nombreuses innovations et de nombreux traitements ont pourtant été découverts et développés par nos établissements publics, après des heures de travail non quantifiables et au terme de longues carrières scientifiques passées à chercher inlassablement. À chercher quoi, à chercher où ? C’est bien le principe : le hasard joue un rôle majeur dans une part significative des grandes découvertes de la recherche. Nous ne sommes maîtres ni du temps nécessaire pour la recherche fondamentale ni, de ce fait, de la profitabilité financière de celle-ci, mais le savoir accumulé servira quoiqu’il arrive. La recherche française a été mise à mal. Lorsqu’une découverte est réalisée grâce à des financements publics, la production, la commercialisation et les profits sont privatisés par la création de start-up et le dépôt de brevets, souvent rachetés en bout de chaîne par des multinationales. Il faut changer le rapport de force en libérant la recherche des contraintes de rentabilité financière. Madame la ministre, comment comptez-vous faire en sorte – au vu notamment des enjeux écologiques majeurs – que la recherche redevienne d’intérêt public et non uniquement une source de profit privé ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Je ne peux partager vos propos, madame la députée. La recherche académique menée aujourd’hui au sein de nos universités et organismes nationaux de recherche est publique. J’ai passé trente-cinq ans dans les services publics de recherche, auxquels nous tenons particulièrement. En effet, la recherche fondamentale publique détermine notre futur à long terme. Elle sera indispensable pour relever les défis écologiques, énergétiques, sanitaires et climatiques que vous avez cités. Néanmoins, les applications qui découlent de la recherche sont également nécessaires. Les chercheurs des établissements publics ont la responsabilité de proposer des solutions pour alimenter nos entreprises. Le monde de la recherche publique n’est pas un monde à part. Relevant du service public, il mène des recherches de long terme qui impliquent toute une chaîne d’acteurs. Mais ce monde académique a aussi la responsabilité de fournir des solutions au monde du privé.
Je ne suis pas d’accord avec vous, madame la députée, pour considérer que le fait de nouer des partenariats avec le privé, d’y insérer nos étudiants, de leur donner un métier et d’apporter des solutions à court terme aux enjeux que nous avons cités tend à une privatisation de la recherche. Je pense qu’un équilibre doit être trouvé et nous devons être vigilants, c’est vrai ; mais je répète qu’aujourd’hui, nous tenons particulièrement à la recherche académique publique pour la liberté qu’elle offre, gage d’une recherche d’excellence sur le long terme. Cela n’est pas contradictoire avec des partenariats privés ; ceux-ci sont au contraire essentiels pour notre jeunesse et pour l’avenir de notre pays – je dirais même pour celui de l’humanité.

Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Maillot.

M. Frédéric Maillot (GDR-NUPES)
Je suis Kevin. Je suis un jeune Réunionnais, né dans une famille modeste des hauteurs de Saint-Paul. J’ai suivi un parcours d’excellence afin de devenir ingénieur en aéronautique sur le territoire métropolitain mais, animé par une volonté de contribuer à l’émancipation des miens, je suis retourné à La Réunion pour devenir maître de conférences. J’aurais pu être un produit exemplaire de la réussite à la française, mais sur la route de l’égalité des chances et de la méritocratie, je me suis heurté au copinage et à la cooptation qui règnent au sein des jurys de sélection des universités. De ce fait, mon espoir de devenir maître de conférences à l’université de La Réunion est avorté.
Je suis Kevin, mais je ne suis pas un cas isolé puisque dans un article du 9 juin 2022, le journal Le Monde mettait déjà en lumière cette pratique de recrutement inacceptable : celle des « postes à moustache ». Derrière cette appellation un brin humoristique se cache une réalité bien moins drôle, celle des fiches de poste taillées sur mesure pour correspondre à des profils choisis d’avance, au détriment de l’égalité des chances. Le tribunal administratif de Lille a déjà annulé en 2020 le recrutement d’un professeur de Sciences Po Lille qui a bénéficié de cette pratique. Dans un territoire comme le mien, à La Réunion, où les laboratoires de recherche sont plus rares, la collusion est plus grande. De fait, nos chercheurs deviennent des chercheurs d’emploi et sont contraints à l’exil.
Madame la ministre, je vous sais attachée au principe d’égalité des chances. Pouvez-vous nous présenter le plan d’action de votre ministère pour que ce genre de situation ne se reproduise plus et pour assurer une équité de traitement entre les candidatures ? Je suis convaincu en effet que l’indépendance et le bon fonctionnement de nos laboratoires de recherche sont une ambition que vous poursuivez.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Je vous remercie pour votre question, monsieur le député. Nous nous attelons à ce sujet depuis vingt ans. Je tiens à dire que des progrès ont été réalisés et que la composition des comités de sélection a grandement évolué. Les établissements sont soumis à de nombreuses règles : depuis 2007, la moitié de leurs membres doivent venir de l’extérieur ; la constitution des comités de sélection relève désormais des conseils académiques. Malheureusement, l’exemple que vous avez cité montre que cela ne suffit pas, même si les chiffres attestent que des progrès ont heureusement été réalisés en ce qui concerne l’endorecrutement. Ce problème se pose moins aujourd’hui, même si je ne vous cache pas qu’il perdure sans doute et qu’il peut prendre des proportions plus importantes dans les établissements de plus petite taille, comme vous l’avez souligné. Nous devons continuer à agir sur ce sujet, en observant les bilans. Je me permets de dresser un parallèle avec le sujet de la parité : il faut demander de vrais bilans aux services des ressources humaines des universités. Dans le cadre du bilan de la LPR, nous analysons aussi l’indicateur d’endorecrutement et l’évolution de la constitution des comités de sélection, afin de combattre ce phénomène. La question que vous m’avez posée aujourd’hui me conduira sans doute à être plus vigilante à l’avenir.

Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Maillot, pour une seconde question.

M. Frédéric Maillot (GDR-NUPES)
Je ne suis plus Kevin, mais je suis toujours un député qui défend son territoire. La recherche doit être liée à son territoire d’implantation et aux réalités locales, pour répondre parfois à des besoins spécifiques. La Réunion possède bien des particularités qui se traduisent dans les politiques de recherche. Le caractère insulaire du territoire peut s’avérer contraignant, notamment en termes d’études et d’emploi. C’est pour cela qu’en matière de mobilité des étudiants et chercheurs, nous devons adopter une approche partenariale au sein du bassin océanique. Le développement d’un enseignement supérieur sur l’île est selon nous incontournable ; il doit permettre aux jeunes d’étudier, d’obtenir un diplôme et de travailler au pays, en levant les freins financiers qu’ils subissent. Rappelons que le taux de boursiers atteint 60 % à la Réunion. Nous devons continuer de développer notre université, nos laboratoires et nos savoirs.
Je veux illustrer l’importance de la prise en compte des spécificités locales dans la recherche concernant certaines maladies. L’île de La Réunion subit une explosion des maladies métaboliques comme le diabète de type 2, pour lequel elle détient un record, et s’avère un lieu d’émergence de maladies infectieuses. On y rencontre également des maladies endémiques, comme la leptospirose humaine. Sur le plan scientifique, les enquêtes de cohortes sont l’outil de référence pour observer l’incidence de phénomènes de santé et étudier leurs déterminants. Le CHU de La Réunion constitue actuellement une cohorte réunionnaise. La mise en place de ce projet ambitieux nécessite un soutien financier, afin que soient pérennisés – mon collègue l’évoquait tout à l’heure – les emplois des personnels de recherche dédiés ayant participé à la phase de recrutement des projets de cohortes existants. Madame la ministre, quel soutien le ministère apportera-t-il à la constitution de cette cohorte réunionnaise, qui répondra aux besoins de notre population ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre
Nous connaissons, monsieur le député, les spécificités des territoires ultramarins, en l’occurrence de La Réunion. Sachez qu’elles sont au cœur de nos préoccupations. Vous avez évoqué les boursiers au début de votre intervention : je serai particulièrement attentive à ces spécificités territoriales s’agissant des étudiants, dans le cadre de la réforme des bourses, mais aussi s’agissant des sujets de recherche. Des études cliniques ad hoc peuvent être réalisées dans les territoires ultramarins sur des problèmes spécifiques qui s’y posent. Le problème des cohortes, c’est qu’elles doivent être suffisamment larges pour être représentatives et servir aux études statistiques. Selon le type de maladie ou de problématique, nous soutiendrons soit des cohortes générales regroupant des habitants de la métropole et un certain nombre d’habitants de La Réunion, par exemple, soit des cohortes spécifiques si la maladie l’est elle-même. Il existe des financements spécifiques pour les cohortes. Cependant, les sous-groupes ultramarins n’ayant pas toujours de représentativité statistique, je ne peux répondre à votre question précise : tout dépendra des maladies et des cas spécifiques qui seront étudiés.
Quoi qu’il en soit, sachez qu’avec l’université de La Réunion et les organismes nationaux de recherche qui y travaillent, le ministère continuera de porter une attention particulière à la spécificité ultramarine et veillera à ce que les cohortes soient cohérentes et significatives par rapport aux études menées. Nous savons gérer le sujet des cohortes et pourrons adapter les financements spécifiques dont elles font l’objet.

Mme la présidente
La séance de questions est terminée. 


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 5 mai 2023