Déclaration de M. Roland Lescure, ministre chargé de l’industrie, sur l’hydrogène au sein du mix énergétique, au Sénat le 2 mai 2023.

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Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : " Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? "

(...)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains et M. le sénateur Daniel Gremillet d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la reprise de vos travaux.

L’hydrogène n’est pas la pierre philosophale de la décarbonation ; il ne remplacera pas l’ensemble des énergies fossiles. Pour autant, il est un vecteur énergétique essentiel. Il est notamment l’unique moyen de décarboner certaines industries comme la production d’acier, dépendante depuis 150 à 200 ans du charbon.

De même – j’étais au Havre vendredi dernier –, inventer et mettre en place des procédés décarbonés de production d’engrais et renforcer ainsi la souveraineté industrielle de notre beau pays et de notre continent nécessitera de l’hydrogène, tout comme pour produire du méthanol et de l’ammoniac.

L’hydrogène est également essentiel à la mobilité lourde : il apportera aux poids lourds, autobus ou autres véhicules une autonomie aujourd’hui hors de portée des batteries traditionnelles.

Pour autant, l’hydrogène ne remplacera pas le gaz naturel dans tous ses usages. Il s’agit d’un vecteur énergétique à même de transformer, de transporter de l’énergie, mais il n’est pas une source d’énergie.

L’hydrogène est essentiellement créé à partir d’électricité. Les gisements sont sans doute insuffisants pour assurer notre souveraineté, même s’il est possible, nous y reviendrons peut-être dans le débat, d’en trouver ici ou là.

L’hydrogène est coûteux à produire et difficile à transporter. Il n’y en aura pas sur l’ensemble du territoire et il ne sera pas disponible pour l’ensemble des usages actuels du gaz naturel. Ainsi, nous n’utiliserons pas nos casseroles – bien aimées ces temps-ci (Sourires.) – sur des cuisinières à hydrogène !

Pour autant, le mix énergétique de demain sera plus diversifié que celui d’aujourd’hui.

L’électricité, nous le souhaitons, deviendra majoritaire juste devant la biomasse, laquelle servira pour la chaleur haute température, les carburants et la chimie. L’hydrogène sera utilisé pour les usages à haute valeur ajoutée, auxquels il est indispensable.

Ces usages sont stratégiques, car ils concernent les industries de base. Garantir l’accès à de l’hydrogène bas-carbone – ce dernier terme est important – est un choix de souveraineté industrielle qui permettra de maintenir sur notre territoire des industries lourdes, qui ne peuvent se décarboner sans hydrogène.

Le Président de la République m’a chargé d’élaborer une feuille de route pour les cinquante sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France, qui représentent à eux seuls plus de 60% des émissions de l’industrie française. Dix-huit d’entre eux sont des actifs stratégiques, qui auront besoin d’hydrogène pour être décarbonés. C’est notamment le cas des aciéries et des usines d’engrais.

Par conséquent, nous devrons répondre dans les prochaines années à des besoins croissants en hydrogène, qui vous seront présentés dans le cadre du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat. Monsieur le sénateur Gremillet, nous aurons bien une loi : j’étais le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi Énergie-climat et nous avions demandé une loi.

Nous sommes en pleine phase de programmation de la transition écologique. Le Conseil de planification écologique doit se réunir dans les prochaines semaines afin de passer en revue l’ensemble des plans de décarbonation des différents secteurs, dont le secteur industriel.

La loi sera disponible à l’automne, comme la Première ministre s’y est engagée, selon un calendrier un peu décalé par rapport à celui qui avait été retenu dans la loi Énergie-climat.

Pour ma part, je préfère une bonne loi, complète, adoptée selon un calendrier décalé, plutôt qu’une loi qui risquerait d’être incomplète.

La production d’hydrogène devra augmenter de plus de 50% d’ici à 2030 : un tiers pour remplacer des usages fossiles et deux tiers pour de nouveaux usages. Enfin, la production d’hydrogène bas-carbone doublera d’ici à 2035.

Ce choix est impératif pour la réindustrialisation et la décarbonation. Nous devons désormais accélérer tout en répondant à deux questions essentielles : quel sera notre modèle de production ? Comment réussirons-nous ce défi ?

Il est nécessaire de produire en France pour être souverain sur cette technologie et pour accélérer la décarbonation.

Comme vous l’avez souligné, nous avons un débat de fond avec un certain nombre de nos voisins, notamment allemands, qui privilégient des importations massives d’hydrogène vert ou renouvelable à la production d’un hydrogène bas-carbone sur leur territoire essentiellement via des centrales nucléaires.

Pour répondre à votre question, nous ne sommes pas encore tout à fait parvenus à un compromis sur la directive relative aux énergies renouvelables qui nous permettrait d’avancer, mais nous sommes sur la bonne voie.

Un certain nombre de discussions sont assez avancées, notamment sur le pourcentage d’hydrogène vert nécessaire afin de valider les modèles de production. J’ai toute confiance en ma collègue Agnès Pannier-Runacher, actuellement en déplacement à l’étranger, pour obtenir un compromis.

Notre vision de la stratégie allemande d’importation est que les conditions de transport de l’hydrogène ne sont pas garanties : infrastructures insuffisantes, prix de transport incertain, risques géopolitiques… Tout cela fait peser des risques sur l’accélération de la décarbonation.

Ainsi, remplacer une dépendance au gaz fourni par la Russie par d’autres dépendances pourrait entraîner un risque géopolitique à l’horizon des vingt, trente ou quarante prochaines années, soit précisément celui sur lequel nous travaillons.

Produire de l’hydrogène sur le territoire est certes un défi, mais cela présente des avantages importants : devenir souverain en maîtrisant cette technologie et en faire un véritable facteur d’attractivité pour les investisseurs internationaux.

La maîtrise des coûts est un élément essentiel de cette stratégie. Nous devons être compétitifs à la fois face à l’hydrogène existant, à savoir l’hydrogène fossile, qui coûte aujourd’hui 2 euros le kilogramme, et face aux États-Unis, dont l’Inflation Reduction Act fixe actuellement le prix de l’hydrogène à 0,8 euro le kilogramme avant transport – transport inclus, l’hydrogène made in America nous coûterait sans doute 2,5 euros le kilogramme –, alors que le prix de l’hydrogène made in France, sans subventions, serait compris entre 3 et 4 euros le kilogramme.

Nous devons donc aider cette filière et nous allons continuer de le faire en lui offrant une électricité à un prix compétitif, ce qui est essentiel, et en améliorant l’efficacité de la production, notamment en développant des hubs, des noyaux de production d’hydrogène, non loin des centrales nucléaires. Cela nous permettra à la fois de mettre en commun les facilités, y compris avec des industries extrêmement gourmandes en hydrogène, et de profiter des synergies avec la production d’électricité.

Je ne doute pas que nous aurons l’occasion, au cours du débat, de revenir sur tous ces sujets. Encore une fois, je vous remercie d’avoir mis sur la table cette question essentielle.


- Débat interactif -

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, à l’heure des défis climatiques et de la nécessaire décarbonation, la technologie de l’hydrogène vert a connu ces dernières années un développement fulgurant. Nous pouvons nous réjouir qu’une stratégie française de l’hydrogène vert se dessine enfin, stimulée notamment par le paquet européen Ajustement à l’objectif 55.

Les objectifs fixés sont clairs et ambitieux : remplacer progressivement l’hydrogène gris, qui représente actuellement plus de 90 % de la production, et parvenir à l’installation de 6,5 gigawatts d’électrolyse en 2030, soit la production de 600 kilotonnes par an d’hydrogène décarboné.

Plusieurs sites de production commencent à se déployer sur le territoire. À cet effet, de nombreuses aides sont mises en place : soutien des investissements déterminants pour la construction d’une véritable filière d’hydrogène vert à hauteur de 7 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, aides du fonds européen de développement régional, dispositifs de soutien aux démonstrateurs ainsi qu’aux écosystèmes territoriaux via l’Ademe et les programmes d’investissements d’avenir, mécanismes de soutien réservés aux grands projets d’intérêt européen commun…

Tout cela nourrit une dynamique plutôt enthousiasmante pour la transition énergétique de notre économie et de nos territoires, comme je le constate dans ma région.

Néanmoins, un défi majeur demeure : celui du développement des usages, que ce soit dans l’industrie ou dans la mobilité.

En effet, l’acquisition d’un bus ou d’un camion à hydrogène reste extrêmement coûteuse pour les entreprises et les collectivités locales. Le plan rétrofit et le plan de soutien à la décarbonation des cinquante sites les plus polluants ne contiennent que quelques mesures timides en matière d’usage d’hydrogène vert. Il faut donc proposer de véritables incitations, notamment financières, comme nous l’avons fait pour l’électricité ou les biocarburants. Seule une augmentation de la demande permettra de faire baisser le prix de production.

Monsieur le ministre, quelle politique d’incitation le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour le développement de la production d’hydrogène vert, qui s’accompagne d’une massification de son usage dans tous les secteurs de l’économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question extrêmement pertinente, même si l’essentiel est de disposer d’hydrogène français décarboné à un coût compétitif afin d’en développer les usages. Il s’agit d’un enjeu majeur.

Pour autant, vous avez raison, nous devons soutenir le développement des usages de l’hydrogène, notamment en matière de mobilité lourde – autobus, les poids lourds, les bennes à ordures… C’est notre conviction à notre stade.

À cet égard, je peux d’ores et déjà annoncer une bonne nouvelle : voilà quelques semaines a été publié en ligne, dans le cadre de France 2030, un appel à projets, qui est toujours ouvert, doté de 125 millions d’euros et intitulé Écosystèmes territoriaux hydrogène, qui vise à aider à l’acquisition de poids lourds, d’autocars ou de véhicules d’un poids important qui fonctionneront à l’hydrogène.

Nous n’aurions pas d’intérêt à subventionner le développement des usages en favorisant les importations en provenance du bout du monde. Il se trouve que nous disposons de fabricants français capables de produire ces véhicules. Il est donc possible de " fermer le cercle " et de répondre à des usages en utilisant de l’hydrogène français produit grâce à des fabricants français.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (M. Alain Marc applaudit.)

M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique, c’est allier la transition énergétique avec une politique industrielle efficace et ambitieuse.

Alors que la France a fait le choix de la relance de sa filière électronucléaire, elle ambitionne également de développer une filière hydrogène décarbonée s’appuyant tant sur le développement des énergies renouvelables que sur notre filière nucléaire.

C’est la garantie de notre souveraineté et de notre indépendance énergétiques, alors même que d’autres pays européens s’orientent plutôt vers de l’hydrogène issu d’énergies exclusivement renouvelables et vers des importations.

La situation géopolitique actuelle nous appelle à plus d’autonomie aux niveaux français et européen. Développer l’hydrogène, c’est faire en sorte qu’il soit encouragé, voire promu, à l’échelle européenne.

Actuellement, l’hydrogène est majoritairement produit à partir d’énergies fossiles. La dernière synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est claire : nous devons utiliser les énergies bas-carbone pour réduire nos émissions.

En France, notre mix énergétique est principalement fondé sur le nucléaire, énergie décarbonée. Nous faisons donc preuve de cohérence en nous battant pour que l’hydrogène qui en est issu soit intégré aux outils de transition et aux objectifs verts de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, je vous sais très engagé, notamment sur la taxonomie, sur la révision de la directive relative aux énergies renouvelables (Renewable Energy Directive, dite RED III) et sur l’enjeu de la neutralité technologique. Cela sera-t-il suffisant pour faciliter la production d’hydrogène bas-carbone ?

À quelques semaines de l’examen du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat, pouvez-vous nous préciser quelle place y tiendra l’hydrogène ? Quelle articulation comptez-vous bâtir entre les énergies renouvelables, la filière électronucléaire et l’hydrogène ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, nous sommes en pleines négociations, je ne peux donc préjuger leur point d’atterrissage.

Pour autant, sachez que la proposition de la Commission européenne va dans le bon sens, avec un abaissement de la cible de 20% pour les pays qui auront été capables de réduire la part de l’hydrogène fossile dans le mix total à moins de 23% d’ici à 2030.

La France est sans doute capable d’atteindre cet objectif grâce à des investissements ambitieux. Si tel est le cas, nos cibles seront réduites dans le cadre de la directive RED III.

Selon les chiffres actuels, qui sont loin d’être définitifs puisque nous ambitionnons de renégocier encore ce compromis, l’actuelle cible de 42% d’hydrogène vert d’ici à 2030 serait abaissée à 33 % grâce à ce compromis.

Comme vous l’avez souligné, nous sommes extrêmement actifs pour faire en sorte que les objectifs de la directive sur les énergies renouvelables soient cohérents avec le développement des énergies renouvelables, tel que nous le souhaitons tous et tel que vous l’avez d’ailleurs voté ici même lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, tout en préservant la part importante de l’hydrogène décarboné produit par nos centrales nucléaires passées, présentes et à venir.

Ce mix énergétique reposant à la fois sur du renouvelable et du nucléaire nous permettra de développer l’hydrogène non seulement en France, mais sans doute aussi en Europe. Si nous abordons tous la stratégie hydrogène comme le font nos voisins d’outre-Rhin, nous manquerons d’hydrogène dans le monde.

Nous avons sans doute besoin d’importer de l’hydrogène – les Allemands le feront –, mais aussi et surtout d’en produire chez nous, ce que nous envisageons de faire avec ambition.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, à la différence de l’électricité, l’hydrogène est une énergie de stock et non une énergie de flux. C’est là tout son intérêt : il peut être associé à des énergies intermittentes ou variables, comme le solaire et l’éolien. Il a donc toute sa place dans notre mix énergétique.

S’il nous semble intéressant de développer cette production, il convient en parallèle de s’assurer qu’elle se fera à partir d’énergies renouvelables. Aujourd’hui, plus de 95% de l’hydrogène produit est gris, c’est-à-dire provenant d’énergies fossiles.

Alors que le projet de pipeline H2Med entre la péninsule ibérique et la France a été lancé, la politique française s’appuiera-t-elle majoritairement sur ces importations ? Envisagez-vous le développement de l’hydrogène via une production locale avec des énergies renouvelables ?

Vous avez donné quelques éléments de réponse, j’attends des développements complémentaires.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, votre question est essentielle : si nous voulons décarboner l’industrie traditionnelle en développant l’industrie de la décarbonation dans nos territoires, en créant de l’emploi et de la prospérité, en réconciliant économie et écologie, il faut produire l’hydrogène chez nous.

Nous pourrions nous appuyer sur les importations, comme souhaitent le faire un certain nombre de nos voisins. Pour notre part, nous sommes convaincus que nous devons développer l’hydrogène chez nous.

Celui-ci sera issu à la fois d’énergies renouvelables et d’énergies décarbonées. On peut et l’on doit faire l’un et l’autre.

Vous avez examiné deux projets de loi : l’un, relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, l’autre, visant à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires. Comme M. le sénateur Gremillet l’a souligné dans son intervention, vous attendez et vous aurez une loi de programmation pluriannuelle qui permettra de mettre tout cela en perspective. Nous croyons en l’un et en l’autre, nous aurons l’un et l’autre et vous aurez l’occasion d’en discuter très bientôt.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, votre mix énergétique s’appuie essentiellement sur le nucléaire et le renouvelable. Pour ma part, vous le savez, je ne suis pas favorable au nucléaire.

Il faut regarder les choses en face : pour une énergie primaire issue d’une centrale thermique, qu’elle soit fossile ou nucléaire, le rendement de la production électrique est de 35%. Ensuite, à partir de cette électricité, le rendement de la production d’hydrogène est de 30%. Résultat des courses : 90% de l’énergie primaire est partie dans la nature. C’est un immense gâchis ! Surtout à partir de centrales thermiques.

Il en va tout autrement quand on emploie une électricité issue du renouvelable, car l’on ne subit pas, d’emblée, 35 % de pertes.

Il me semble donc indispensable de développer la production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables : ces dernières offrent un rendement nettement supérieur et l’on sait qu’à l’avenir elles seront bien plus compétitives que l’énergie nucléaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Monsieur le sénateur, les chiffres de rendements que vous mentionnez ne tiennent pas compte de l’intermittence, facteur clé de l’énergie renouvelable.

J’ai rappelé les prix auxquels l’hydrogène était compétitif. Aujourd’hui, les industriels indiquent avoir besoin d’un hydrogène entre 2 et 2,5 euros le kilogramme. Or, à ce stade du développement des énergies renouvelables, le prix de l’électricité que fourniraient les projets d’électrolyse est quasiment du double, entre 4 et 6 euros le kilogramme. (M. Daniel Salmon acquiesce.)

À ce jour, les énergies renouvelables ne permettent donc pas de produire de l’hydrogène compétitif. Nous y arriverons sans doute à mesure de l’augmentation des volumes. D’ici là – peut-être serons-nous d’accord pour reconnaître ce désaccord entre nous –, le nucléaire est un élément essentiel du développement de l’hydrogène.

M. Julien Bargeton. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, j’entends bien votre réponse, mais vous ne m’avez pas franchement convaincu.

Certes, le nucléaire n’est pas une énergie intermittente ; mais si l’on tient compte de tous ses coûts induits, il affiche un rendement assez détestable. Dans les années à venir, le mégawattheure produit par le nouveau nucléaire atteindra 100 à 120 euros. Bien entendu, vous misez sur une baisse de ces coûts, mais ce n’est guère ce qui se passe à Flamanville. On observe même plutôt le mouvement inverse, l’électricité produite devenant de plus en plus chère.

On assiste aujourd’hui au développement massif de l’éolien offshore, surtout par les pays nordiques ; dans son ensemble, le renouvelable présente de très grandes potentialités.

Nous sommes effectivement face à un certain nombre de défis technologiques. Peut-être pourrez-vous nous apporter quelques réponses au sujet des électrolyseurs, dont le rendement serait meilleur. Où en est la recherche actuellement ?

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. S’appuyer sur nos laboratoires de recherche et sur nos industriels à la pointe de l’innovation, créer une filière compétitive d’hydrogène renouvelable et bas-carbone et devenir l’un des leaders mondiaux de l’hydrogène décarboné par électrolyse : telle est la feuille de route de notre pays en la matière.

Néanmoins, pour offrir à l’hydrogène un futur prometteur dans notre mix énergétique, il est indispensable de lever certains freins, en améliorant le rendement des procédés de production, en optimisant le stockage à haute pression ou encore en favorisant les investissements, ce qui suppose de réduire autant que possible le risque industriel.

Il semble donc incontournable de mettre en place des politiques publiques visant à encourager le déploiement et la baisse de coûts de certaines technologies.

L’Union européenne et ses États membres ont récemment réaffirmé leur intention de mettre en œuvre des contrats pour la différence, plus connus sous le sigle anglais de CFD, visant à soutenir la production d’hydrogène. Or une note récente de l’Institut pour le développement durable et les relations internationales (Iddri) met en exergue quelques antagonismes dans le système retenu.

Jusqu’à présent, l’attribution des contrats repose souvent sur un système d’enchères, remportées par les projets les moins coûteux par volume d’hydrogène produit ou par tonne de CO2 évitée. L’objectif est d’encourager la concurrence entre acteurs industriels et de réduire au maximum le coût pour la puissance publique ; mais les enchères défavorisent les technologies plus chères et plus innovantes ainsi que les nouveaux entrants, alors que ces acteurs peuvent jouer un rôle important dans la décarbonation.

On pourrait envisager d’octroyer les CFD par paniers de technologies, en isolant les technologies de production que l’on estime incontournables tout en conservant une forme de concurrence.

Chaque panier pourrait disposer d’une enveloppe budgétaire garantie. Ce faisant, la concurrence entre paniers serait contenue dans des limites précises – c’est le cas dans le nouveau système mis en place aux Pays-Bas et en Angleterre pour l’électricité renouvelable.

En outre, les contrats pourraient faire l’objet d’un guichet ouvert au lieu d’être mis aux enchères. Dès lors, tous les projets éligibles pourraient recevoir une aide.

Monsieur le ministre, à l’instar de ce qui a été réalisé pour les énergies renouvelables, envisage-t-on de conclure des CFD entre la puissance publique et des acteurs privés afin d’accélérer la production d’hydrogène ? Je pense notamment à l’électrolyse : ces contrats permettraient de soutenir de premiers projets de nature commerciale grâce à la garantie de revenus aux producteurs et, ainsi, d’inciter les développeurs à la commercialisation directe.

M. Julien Bargeton. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, votre question est pertinente : comme vous le soulignez, les contrats pour la différence peuvent avoir quelques effets pervers. Parfois, seuls les producteurs les plus compétitifs y ont accès et profitent, ainsi, de l’écart avec le prix du marché.

Néanmoins, tel n’est pas le cas pour l’hydrogène : les projets les plus innovants sont même souvent ceux qui présentent les rendements les plus élevés. En finançant les Capex (Capital Expenditures), comme nous nous y engageons dans le cadre des Piiec, on peut obtenir des Opex (Operating Expenses) plus faibles pour les projets les plus innovants. Les CFD deviennent ainsi un mécanisme vertueux : in fine, ils bénéficient aux acteurs les plus innovants, lesquels proposent aussi le meilleur rendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Un débat relatif à l’hydrogène a tout son intérêt pour le législateur, car il le conduit à poser deux questions essentielles : cette énergie est-elle réellement utile et positive pour notre transition énergétique ? Si oui, comment pouvons-nous assurer sa démocratisation au-delà des aspects uniquement économiques ?

Monsieur le ministre, au sujet de la première interrogation, il me semble nécessaire de formuler ce rappel à la suite de notre collègue Daniel Salmon : la majeure partie de l’hydrogène est aujourd’hui produite à partir de combustibles fossiles – elle est dérivée du méthane pour les trois quarts, et du charbon pour le dernier quart. En parallèle, l’hydrogène vert ne représente que 1% de la production mondiale totale, notamment en raison de son coût.

Comment la France, qui entend devenir, pour citer le Président de la République, le " leader de l’hydrogène vert en 2030 ", compte-t-elle réussir cette transition vers un hydrogène vert ? Malgré les millions d’euros investis par l’Union européenne, l’on peut nourrir quelques doutes quant à la crédibilité des annonces présidentielles, voire des craintes pour la réussite de la transition de notre mix énergétique.

J’en viens à la démocratisation de cette énergie. En 2020, lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président-directeur général (PDG) d’Air Liquide reconnaissait que le développement de l’hydrogène se concentrait essentiellement sur l’industrie et les transports lourds. Il admettait surtout que la voiture individuelle à l’hydrogène restait un mythe, faute d’attrait économique.

Après avoir tranché les questions de production, comment le Gouvernement prévoit-il d’accompagner la démocratisation de l’hydrogène, non seulement auprès des particuliers, mais aussi auprès des collectivités territoriales ? Certaines d’entre elles perçoivent l’intérêt économique et énergétique d’un développement local de l’hydrogène – il en est de même pour la méthanisation –, mais manquent souvent d’information quant à ces projets industriels d’ampleur.

Au sein de votre ministère, mène-t-on une réflexion pour bâtir une communication dédiée aux collectivités territoriales, en traitant à la fois des aspects positifs et négatifs de telles solutions ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, l’hydrogène fait bel et bien partie des piliers énergétiques du futur. Il relève essentiellement des relations de commerce à commerce, ou B to B, plutôt que de commerce à consommateur, ou B to C.

La démocratisation de l’hydrogène, que vous appelez de vos vœux, n’est sans doute pas pour demain : elle supposerait de déployer partout en France des réseaux très coûteux pour que les véhicules individuels puissent " faire le plein ", si je puis m’exprimer ainsi. De plus, pour les petits véhicules, le rendement de l’hydrogène est insuffisant pour concurrencer les batteries.

J’y insiste : la meilleure manière de démocratiser l’hydrogène, c’est de cibler les transports en commun. Les trains et les bus à hydrogène existent déjà et ils seront rentables – je pense aussi aux poids lourds. Pour les autres moyens de transport, nous privilégions le développement de l’industrie bas-carbone de demain.

C’est, j’en suis convaincu, une belle histoire que nous avons à écrire. Nous sommes en train d’assister à une nouvelle révolution industrielle. Des territoires depuis trop longtemps déclassés, à la suite de la désindustrialisation, reprennent espoir grâce à l’industrie de la décarbonation : on va produire de l’acier à partir d’hydrogène ; on va capturer du carbone dans des cimenteries ; on va fabriquer des engrais à partir d’hydrogène.

Si l’hydrogène restera bien cantonné aux usages professionnels, nous aurons ensemble l’occasion d’écrire cette belle histoire pour les Françaises et les Français en créant de l’emploi partout, y compris dans des territoires qui en ont bien besoin.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. L’hydrogène est une énergie d’avenir, porteuse de nombreux espoirs en vue de la décarbonation de notre industrie.

Aujourd’hui, la stratégie nationale hydrogène se décline en trois objectifs issus du plan d’investissement France 2030 : installer suffisamment d’électrolyseurs pour décarboner l’économie, développer les mobilités propres et construire une filière industrielle en créant 50 000 à 150 000 emplois.

Monsieur le ministre, se tourner vers le futur ne doit pas empêcher d’apprendre des erreurs du passé, en particulier lorsque l’ambition est de garantir à la France une souveraineté et une maîtrise technologiques.

Au total, 7 milliards d’euros sont mis sur la table : très bien. En finançant des entreprises, notamment des start-up, ces crédits sont censés développer la filière française de l’hydrogène. Le modèle choisi, c’est donc une nouvelle fois celui de la subvention publique, essentiellement réservée au secteur privé.

J’aimerais comprendre ce qui permettra concrètement de maîtriser l’emploi, les savoir-faire et les moyens de production – je pense en particulier aux électrolyseurs – si, demain, les investisseurs trouvent que l’herbe est plus verte ailleurs.

En l’état, l’Europe essaie tant bien que mal d’apporter une réponse à l’Inflation Reduction Act américain, mais il ne faut pas se voiler la face : les États-Unis, qui subventionnent massivement l’hydrogène décarboné, sont pour l’instant bien plus attractifs que nous.

Si, demain, tel ou tel industriel privé décide de fermer des sites français au motif qu’il serait plus rentable de s’installer outre-Atlantique, de quelle maîtrise la France disposera-t-elle ? Concrètement, nous devrons réinvestir des milliards et des milliards d’euros sous peine de voir s’effondrer la filière et prendre une nouvelle fois du retard.

Ma question est simple. En misant sur le secteur privé pour développer une énergie d’avenir, comment comptez-vous garantir à la France la maîtrise de sa filière hydrogène à long terme ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, nous sommes convaincus que l’Europe possède des atouts face aux États-Unis, n’en déplaise à votre américanophilie apparente… (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)

M. Fabien Gay. Ce n’est pas sérieux !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Je plaisante, évidemment !

M. Fabien Gay. Allez !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Vous mentionnez l’Inflation Reduction Act. Mais, comme vous le savez, l’Europe bénéficie d’un énorme avantage compétitif : ses brevets, sa technologie, sa recherche et son développement.

Nous avons en Europe plus de brevets dédiés à l’hydrogène qu’il n’en existe partout ailleurs dans le monde. La France est particulièrement forte de sa capacité à innover : en la matière, elle est au deuxième rang mondial et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dispose du plus gros portefeuille de brevets au monde. Profitons-en en tirant parti de cet avantage technologique, que nous ne possédons pas dans d’autres industries traditionnelles, pour investir.

Investir signifie effectivement aujourd’hui subventionner. Vous l’avez rappelé : les États-Unis, chantres du libéralisme, sont eux aussi entrés dans la course aux subventions. Leur stratégie est extrêmement ambitieuse, au risque, d’ailleurs, d’avoir des effets délétères.

Oui, nous allons continuer de subventionner cette technologie. Oui, nous allons continuer de subventionner les investissements pour que la France et l’Europe développent une industrie souveraine, à même de s’inscrire dans la durée.

Devrions-nous agir dans un cadre public ? J’en doute. Nous le faisons dans un certain nombre de domaines. Vous le savez : l’entreprise Électricité de France, qui va construire l’essentiel des futurs réacteurs nucléaires, est sur le point d’être nationalisée à 100%. Si je ne m’abuse, cette mesure prend effet aujourd’hui même, la justice ayant donné son blanc-seing au Gouvernement. C’est tout au plus une question de jours.

Pour ce qui concerne l’électricité d’origine nucléaire, nous croyons à la souveraineté publique. Mais les enjeux auxquels nous sommes confrontés au sujet de l’hydrogène, tant en matière d’innovation que de financement, sont bien trop grands et les solutions bien trop diverses pour que l’État puisse, à la place d’autres, choisir ce qui est bon.

Nous croyons à l’innovation. Nous croyons à l’entrepreneuriat. Évidemment, les subventions seront extrêmement encadrées, notamment par les règles européennes. Toutefois, selon nous, ce modèle est le meilleur, car il est le mieux à même de nous fournir de l’hydrogène…

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Roland Lescure, ministre délégué. … innovant et compétitif.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.

M. Patrick Chauvet. L’Union européenne s’est récemment fixé pour objectif, à l’horizon 2030, d’atteindre un niveau de production de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert.

Ambitieux pour certains, utopique pour d’autres, cet objectif passera nécessairement par la multiplication de nos capacités d’importation d’énergie d’origine renouvelable.

Dans cette perspective, l’Union européenne a d’ores et déjà signé des protocoles d’accord avec nombre de pays, notamment africains, afin de bénéficier de leurs capacités de production d’énergies renouvelables.

Toutefois, un certain nombre d’observateurs alertent dès à présent quant aux limites d’un fort recours à l’importation. En effet, les pays exportateurs d’énergies renouvelables devront puiser dans leurs réseaux nationaux pour fournir l’énergie nécessaire à l’Union européenne, au détriment des populations locales.

L’exemple de la Namibie est particulièrement éloquent. En 2022, seuls 56% des Namibiens avaient accès à l’électricité. Pourtant, leur pays se dit prêt à exporter en masse sa production d’énergies renouvelables vers les États européens. L’accord trouvé avec l’Union européenne est symbolique de cette dynamique dramatique.

Afin de développer l’hydrogène vert, nous cannibaliserons les ressources en énergies renouvelables de ces pays. Nous renforcerons, en conséquence, leur dépendance aux énergies fossiles. Or la lutte contre le changement climatique ne saurait être menée en vase clos. Notre transition énergétique sera mondiale ou ne sera pas. Il est de notre responsabilité de la concevoir à l’échelle mondiale.

Monsieur le ministre, ferons-nous le pari de l’hydrogène vert s’il implique une dépendance toujours plus grande d’autres pays aux énergies fossiles ?

De plus, l’immense majorité de l’hydrogène produit est aujourd’hui de l’hydrogène bleu. Le vert ringardisera-t-il le bleu en dépit des qualités manifestes de ce dernier et de sa plus forte disponibilité immédiate ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler : pour la France comme pour l’Europe, produire son hydrogène décarboné ou renouvelable est une bonne manière d’assurer sa souveraineté et de créer de l’emploi. À l’inverse, importer cette énergie, c’est remplacer notre dépendance aux hydrocarbures venus du Moyen-Orient ou de Russie par une autre, à l’égard de pays producteurs d’énergies renouvelables.

Notre liste d’arguments est déjà longue et vous l’étoffez encore : en important l’hydrogène, l’on risquerait de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les pays exportateurs n’en produisant pas suffisamment pour couvrir leurs propres besoins, ils seraient conduits à accroître leur consommation d’énergies carbonées et leur exposition à ces dernières.

Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver un exemple de ce type. Actuellement, l’Allemagne connaît à la fois une forte augmentation de la part de ses énergies renouvelables et, du fait de la fermeture de ses centrales nucléaires, une forte hausse de sa consommation d’énergie carbonée.

Ce risque-là existe : raison de plus pour assurer la souveraineté française et européenne dans ce cadre. Nous continuons de penser que nous sommes capables, via les centrales nucléaires et les énergies renouvelables, de produire l’hydrogène dont nous avons besoin en assurant notre souveraineté. (M. Daniel Salmon manifeste son désaccord.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour la réplique.

M. Patrick Chauvet. Monsieur le ministre, vous insistez sur la nécessité de produire nous-mêmes l’hydrogène vert en France. C’est effectivement une bonne stratégie, mais serons-nous compétitifs face à ces pays ?

M. Roland Lescure, ministre délégué. C’est un défi !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Poursuivant ses efforts de neutralité climatique, notre pays a l’ambition de faire décoller la filière hydrogène bas-carbone. Il prévoit ainsi le déploiement de 6,5 gigawatts d’électrolyseurs installés à l’horizon 2030, permettant d’éviter l’émission de 6 millions de tonnes de CO2 par an. On ne peut qu’approuver un tel objectif.

L’hydrogène dit vert ou décarboné obtenu par électrolyse est non seulement une manne pour le développement des énergies renouvelables, mais aussi un vecteur incontournable pour la décarbonation de secteurs comme l’industrie lourde, les mobilités routières intensives ou les transports maritimes et aériens. Toutefois, je tiens à soulever quelques questions concernant l’amont de sa production.

L’hydrogène par électrolyse mobilise la ressource en eau. Ainsi, la production d’un million de tonnes d’hydrogène renouvelable et bas-carbone nécessiterait entre 10 millions et 20 millions de mètres cubes d’eau.

Certes, ce volume représenterait à peine 0,2% de la consommation d’eau annuelle de notre pays : c’est bien peu comparé aux besoins du secteur de l’énergie dans son ensemble, lequel représente à lui seul le tiers de la consommation nationale. Cependant, dans le contexte actuel, marqué par les sécheresses à répétition, quelle stratégie adopter pour une meilleure utilisation de la ressource ?

Ne faudrait-il pas créer de nouvelles synergies pour la réutilisation des eaux usées industrielles, le développement des technologies de désalinisation partielle ou encore l’utilisation d’eau marine dans l’industrie ? Je souhaiterais connaître votre avis sur ces différentes pistes.

L’autonomie minière est également un enjeu majeur. En effet, la filière hydrogène n’échappe pas aux besoins en métaux critiques, tels que l’iridium et le platine. Alors que la production de platinoïdes est concentrée dans quelques pays, dont certains sont fragiles sur le plan géopolitique, et que la dynamique autour de l’hydrogène est très importante, en Europe comme dans d’autres régions du monde, comment sécuriser l’approvisionnement de la filière hydrogène pour les prochaines décennies ?

Enfin, sur les 10 milliards d’euros dédiés à l’hydrogène, qu’en est-il des 4,2 milliards d’euros réservés au mécanisme de soutien à la production ? Il semble que ces crédits peinent à être déployés. Si vous ne me donnez pas la réponse aujourd’hui, vous me l’apporterez sans doute demain, puisque nous avons rendez-vous pour traiter de l’industrie verte.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, vous posez là trois questions en une.

Tout d’abord, vous m’interrogez au sujet de la consommation d’eau. La production d’hydrogène, comme toutes les industries, n’échappe évidemment pas aux enjeux de sobriété : sa consommation doit devenir encore plus raisonnable.

Néanmoins, en la matière comme dans de nombreux autres domaines, l’industrie a été plutôt en avance. Depuis déjà une dizaine d’années, elle réduit ses besoins en eau.

Nous avons eu l’occasion de l’indiquer au Sénat lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement : nous travaillons à un plan de sobriété, annoncé par le Président de la République, dans le cadre duquel l’industrie joue elle aussi son rôle.

L’hydrogène, comme les autres industries, est capable de réutiliser son eau. Le décret relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées, dit décret Reut, va permettre aux industriels de réutiliser leurs eaux usées dans leur processus de production, ce qui est aujourd’hui largement interdit. Il permettra, ce faisant, de limiter fortement la consommation d’eau, y compris pour produire l’hydrogène.

Ensuite, vous évoquez la dépendance aux métaux critiques. Vous avez raison : notre logique stratégique nous commande de réduire notre dépendance à cet égard. C’est précisément pourquoi nous créons un fonds d’investissement destiné à sécuriser nos approvisionnements, dans le monde comme en France. Sachez tout de même que les nouvelles technologies d’hydrogène, notamment les technologies dites solides, ne font plus appel aux métaux rares que vous mentionnez : leur intérêt n’en est que plus grand.

Enfin, l’enveloppe de 4,2 milliards d’euros que vous citez est encore en négociation, au titre des aides d’État, avec la Commission européenne. Nous avons bon espoir de converger très vite.

Je vous dis donc à demain pour notre réunion relative à l’industrie verte ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Cyril Pellevat. Assurément, l’hydrogène occupera une place de choix dans l’avenir énergétique de notre pays ; notre débat d’aujourd’hui le confirme une fois de plus.

Offrant des capacités de stockage de l’électricité inenvisageables par le passé, l’hydrogène vert ouvre également la voie à la décarbonation de certaines industries qui n’avaient, jusqu’à présent, aucune solution pour faire baisser leurs émissions de gaz à effet de serre. En outre, il ouvre de nouvelles perspectives pour la mobilité, notamment lourde, en complément des batteries.

Monsieur le ministre, l’industrie du décolletage, très présente dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, que vous connaissez, est menacée par la fin des moteurs thermiques d’ici à 2035 : elle voit dans ces nouvelles technologies une importante piste de développement.

Toutefois, vous l’avez rappelé vous-même : considérer l’hydrogène comme une solution miracle appelée à remplacer les autres formes d’énergie reviendrait à se méprendre.

Son usage ne peut s’inscrire qu’en complémentarité avec les énergies renouvelables telles que le photovoltaïque, l’hydroélectricité et l’éolien, lesquelles devront nécessairement monter en puissance pour que la France puisse produire suffisamment d’hydrogène. Toutefois, même en accélérant notre production d’énergie renouvelable, la France et plus largement l’Union européenne ont nettement moins de potentiel de production renouvelable que des pays situés sur d’autres continents.

Il est donc essentiel que l’hydrogène produit grâce à l’énergie nucléaire, également appelé hydrogène rose, puisse être considéré comme renouvelable. Autrement, il serait illusoire de penser répondre à notre demande intérieure et a fortiori exporter.

Bruxelles a ouvert une porte en février dernier, par le biais d’un acte délégué, mais sept États membres, dont l’Allemagne et l’Espagne, s’y opposent et les négociations sont loin d’être terminées : à ce stade, la révision de la directive RED III, que vous avez mentionnée, n’inclut toujours pas l’hydrogène bas-carbone dans les objectifs d’énergies renouvelables.

Monsieur le ministre, où en sont les négociations européennes relatives à l’inclusion de l’hydrogène rose ? Quels moyens la France compte-t-elle mettre en œuvre pour infléchir la position des sept États qui s’y opposent ? (Mme Martine Berthet et M. Stéphane Piednoir applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, comme vous le savez sans doute, des projets de moteur thermique à hydrogène sont également à l’étude : eux aussi rendent espoir aux industries de la vallée de l’Arve, aujourd’hui focalisées sur les moteurs thermiques. Nous subventionnons les acteurs concernés au titre de nos différentes stratégies : je pense notamment à Symbio et à Feve. C’est important pour les industries de votre département de Haute-Savoie.

L’hydrogène rose est, en quelque sorte, un tabou de part et d’autre du Rhin : nous n’en parlons pas explicitement lors de nos discussions, qui concernent aujourd’hui essentiellement la part d’hydrogène vert qui sera présente dans le mix énergétique, mais la question est implicite…

Revoir à la baisse les objectifs d’hydrogène vert pour les États qui, en la matière, dépasseront 23 % dès 2030, revient de fait à donner un avantage à ceux qui, comme nous, souhaitent développer l’hydrogène dit rose, ou hydrogène à bas-carbone. Néanmoins, je le répète, la question est un peu taboue…

Nous n’avons pas encore atteint un compromis qui nous satisfasse. De plus, au sein du Gouvernement, les discussions ne sont pas encore tout à fait terminées pour fixer notre position finale sur le compromis de la Commission.

Ce que je peux vous dire, c’est que cette avancée, bien qu’indéniable, ne nous satisfait pas entièrement. Cela étant, nous allons dans le bon sens. Nous aurons à la fois du vert et du rose, mais nous n’avons pas encore complètement convergé : nous allons continuer d’y travailler.

M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, nous dressons un même constat quant à l’utilité de l’hydrogène pour accélérer la transition énergétique.

L’hydrogène peut effectivement contribuer au basculement progressif vers les énergies renouvelables, mais encore faut-il s’entendre sur son mode de production. Aujourd’hui – les précédents orateurs l’ont rappelé –, force est de constater que l’Europe utilise majoritairement un hydrogène gris, obtenu grâce aux énergies fossiles.

Pour rappel, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’hydrogène produit actuellement à l’échelle mondiale provient à 69% du gaz naturel et à 27% du charbon, le reste étant fourni par l’électrolyse de l’eau et d’autres solutions plus vertueuses. Sa production n’a donc entraîné aucune décarbonation des économies.

L’hydrogène doit évoluer vers un mode de production décarboné, idéalement en passant par une source d’électricité renouvelable.

La voie offerte par l’électrolyse est intéressante à plusieurs égards. Elle utilise l’énergie électrique pour récupérer l’hydrogène présent dans l’eau. De plus, en couplant un électrolyseur à une source décarbonée d’électricité, l’on obtient de l’hydrogène vert, qui n’émet pas de CO2.

Si l’on choisit l’éolien ou le photovoltaïque comme source d’électricité, l’électrolyse permet de répondre aux difficultés posées par la variabilité : on stocke les excédents d’électricité en les transformant en hydrogène. Néanmoins, leur déploiement à grande échelle posera d’autres problèmes, dont l’artificialisation des sols.

Par ailleurs, l’hydrogène électrolytique suppose des infrastructures complexes, non seulement de production, mais aussi de transport et de distribution, et des capacités de stockage. On estime que le déploiement de telles infrastructures ne pourrait se faire avant le milieu de la décennie. Dans l’attente, on persistera à produire de l’hydrogène carboné, à moins que l’État n’engage une stratégie clairement définie en la matière.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler le calendrier que l’État entend suivre pour développer une filière de production d’hydrogène vert ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vais vous répondre de manière très concrète.

Nos objectifs sont les suivants : accroître de 50% notre production d’hydrogène, vert ou décarboné, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables ou d’énergie nucléaire, et assurer son doublement d’ici à 2035.

Nous nous donnons les moyens d’atteindre ces objectifs ambitieux en mettant sur la table des subventions dignes de ce nom et en assurant, dès maintenant, un accompagnement des porteurs de projet.

Il s’agit de répondre aux objectifs européens vers lesquels nous souhaitons converger, en vertu du compromis que nous sommes en train de négocier à Bruxelles. Il s’agit de surcroît de couvrir nos besoins. L’essentiel, c’est que les aciéries ou encore les fabriques d’engrais puissent utiliser de l’hydrogène décarboné. Dès lors, la production française d’acier et d’engrais sera elle-même décarbonée.

J’espère avoir répondu à votre question. Si tel n’est pas le cas, n’hésitez pas à nous solliciter par écrit : nous vous apporterons des informations plus précises.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly.

M. Stéphane Demilly. Ma collègue Denise Saint-Pé, que j’associe à ma question, et moi-même sommes persuadés que l’hydrogène est appelé à prendre une importance capitale dans la transition énergétique.

Monsieur le ministre, la France dispose d’atouts technologiques et d’une politique offensive d’accompagnement financier des projets, au travers du plan hydrogène 2030, et c’est réellement une très bonne chose.

Pour peu qu’il soit vert, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables, l’hydrogène peut décarboner trois grands secteurs d’activité : les mobilités, l’industrie et le chauffage des bâtiments.

Les transports, lourds et en commun, bénéficieront de cette technologie à moyen terme, tout comme l’industrie de fabrication d’acier et de ciment, actuellement très polluante. Quant aux bâtiments, ils pourraient profiter de la mise sur le marché des premières chaudières faisant appel à la technologie de la condensation de gaz.

Toutefois, la fabrication de l’hydrogène vert reste à ce jour excessivement onéreuse – vous l’avez dit vous-même –, au point que, malgré les financements publics, la possibilité de produire une molécule de ce type à moins de 10 euros le kilogramme n’est pas encore envisageable d’un point de vue économique.

Dans un tel contexte, le Gouvernement entend-il recourir à l’extraction de l’hydrogène présent dans le sous-sol, dit hydrogène natif ou hydrogène blanc ?

Ce concept est très récent, car l’hydrogène a longtemps été considéré comme un gaz n’existant pas naturellement sous sa forme moléculaire dans le sous-sol. Or ce postulat vient d’être contredit par de récentes expérimentations menées au Mali, aux États-Unis, en Australie ainsi qu’en Chine.

Les réserves mondiales étant considérables et le prix d’extraction très inférieur à celui de la fabrication, des demandes d’autorisation de recherche provenant de sociétés françaises ont été formulées. L’État français envisage-t-il d’y répondre favorablement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, notre palette s’enrichit encore ! (Sourires.) Après l’hydrogène bleu, l’hydrogène gris, l’hydrogène vert et l’hydrogène rose, vous m’interrogez au sujet de l’hydrogène dit blanc, qui existerait à l’état natif.

La mise à jour de notre ambitieuse stratégie hydrogène nous conduit à étudier toutes les méthodes existantes : il convient bel et bien d’accroître nos capacités de production.

Au-delà de l’électrolyse, à laquelle j’ai fait référence, nous envisageons la production par voie de biomasse. L’enjeu d’usage dont il s’agit est absolument considérable : nous aurons largement besoin de la biomasse, notamment pour voler propre demain.

De même, nous étudions la possibilité d’employer l’hydrogène natif, issu de l’extraction minière. L’hydrogène a d’ailleurs été inclus dans le code minier dès 2021 et nous avons identifié quelques projets. On ne saurait évidemment préjuger de leur instruction : l’État doit déterminer, selon le code minier, l’ampleur du potentiel de gisement, les fondamentaux économiques et les bénéfices environnementaux réels. Nous nous attacherons bien sûr à remplir ces trois conditions.

(…)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, la révision de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, annoncée en février dernier, devrait être présentée d’ici à l’été prochain.

Que pouvez-vous nous en dire ? Je pense tout particulièrement à la construction de gigafactories et à la fabrication d’équipements clés pour la production et les usages de l’hydrogène que sont les électrolyseurs, les piles à combustible et les réservoirs, accompagnées financièrement par l’État, qui devraient entraîner le développement de tout un tissu manufacturier de PME-PMI dans les territoires, de savoir-faire et la création de nombreux emplois.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire concrètement comment le Gouvernement va s’assurer que ces entreprises, issues de la filière française de l’électrolyse pour l’hydrogène renouvelable et bas-carbone, trouveront des débouchés suffisants d’ici à 2030 qui leur permettront de se consolider, de devenir des fleurons industriels durables pour notre pays et ainsi de bénéficier sur le long terme de notre position de nation pionnière dans ce domaine ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet de mettre en avant trois projets de gigafactories déjà en cours de construction.

Elogen, start-up située aux Ulis, envisage de construire sa gigafactory à Vendôme d’ici quelques mois, pour une ouverture prévue dans deux ans.

Genvia, autre entreprise française de qualité, qui met au point une technologie importante, construit sa gigafactory à Béziers. Elle a beaucoup d’avenir.

Enfin, John Cockerill, entreprise franco-belge, envisage de construire sa gigafactory en Alsace.

Il existe donc trois projets, qui devraient produire, en régime permanent, environ 2 gigawattheures, alors que les besoins sont estimés aux alentours de 6 gigawattheures. Aussi, nous aurons largement les moyens de répondre à la production de ces trois gigafactories.

Il reste, bien évidemment, à les construire – nous aidons les entreprises en ce sens – et à produire de l’hydrogène à un coût compétitif. Se pose alors la question essentielle de l’électricité décarbonée, sur laquelle nous devons travailler ensemble.

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, il y a le sujet des gigafactories et celui de la décarbonation des sites identifiés comme gros émetteurs de gaz à effet de serre – ils sont importants –, mais également celui du soutien au développement de la mobilité professionnelle – des véhicules utilitaires légers aux camions, des bennes à ordures aux autobus – et de la mise en place d’infrastructures de recharge hydrogène maillant l’ensemble du territoire national.

Ces points ne doivent être ni retardés ni négligés dans la révision de la stratégie nationale. Alors que la France a la chance de compter deux constructeurs automobiles ayant mis au point des véhicules utilitaires légers à hydrogène, il serait véritablement regrettable de ne pas potentialiser cette avance technologique au moment où les zones à faibles émissions (ZFE) vont être mises en œuvre.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Dans la politique énergétique nationale, l’hydrogène est avant tout considéré comme un moyen de décarbonation de l’énergie de filières industrielles particulières, que vous avez d’ailleurs évoquées, monsieur le ministre.

Pour autant, on parle peu des solutions que l’hydrogène devra apporter pour permettre le bon fonctionnement de l’ensemble du parc national de production d’électricité.

Plus précisément, dans la perspective de scenarii à forte proportion d’énergies renouvelables (EnR) intermittentes, la production et le stockage d’hydrogène contribueront à la flexibilité du réseau et à l’équilibre entre production et demande du système électrique.

Dit autrement, plus la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique sera importante, plus nous aurons besoin de faire appel à la fonction particulière de stockage de l’hydrogène.

La compétitivité des énergies renouvelables sera aussi fonction de la contribution de l’hydrogène à la flexibilité et à l’équilibre du réseau en situation de moindre disponibilité des énergies renouvelables. Toutefois, cette contribution à la flexibilité du réseau nécessite des infrastructures de stockage et de transport d’hydrogène importantes.

Pour y parvenir, il est indispensable d’intégrer au mix énergétique et au réseau d’énergie électrique national un système hydrogène composé d’électrolyseurs, de stockages d’hydrogène, de points d’avitaillement, de centrales thermiques à hydrogène, de réseaux de transport, voire d’interconnexions avec les pays limitrophes.

En définitive, la nature et l’ampleur du système hydrogène qui serait intégré à la régulation du réseau électrique national conduiraient à plus ou moins de flexibilité. Un tel choix politique – c’en est un ! – aura des conséquences sur les niveaux d’énergies renouvelables dans le mix et donc sur la PPE.

Monsieur le ministre, quelle est la doctrine du Gouvernement en matière de gestion de la flexibilité du futur réseau électrique national ? Quel type de système hydrogène entendez-vous développer en matière de flexibilité ? Où en êtes-vous de la planification des investissements nécessaires ? Comment et sur quels acteurs les coûts de ces investissements seront-ils répercutés ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, c’est une bonne question, car l’hydrogène, vous l’avez dit, peut être stocké en grande quantité dans des cavités salines.

C’est un avantage énorme, que n’ont pas les énergies renouvelables, et qui a été démontré par la réutilisation d’anciennes cavités stockant du gaz naturel aux États-Unis et en Angleterre. Or de telles cavités existent en France, notamment autour de Manosque ; la possibilité d’en construire de nouvelles, dans plusieurs géologies favorables, est également à l’étude. Les installations de Manosque pourraient stocker jusqu’à 30 kilotonnes d’hydrogène à court terme, c’est-à-dire des quantités importantes.

Le stockage de l’hydrogène permet d’en abaisser le coût, d’arbitrer sur le choix des horaires de production de l’hydrogène électrolytique et d’optimiser le prix de l’électricité, qui représente 70 % du coût de l’hydrogène.

Cela pourrait aussi aider, à plus long terme, c’est-à-dire à l’horizon 2040, voire au-delà, à équilibrer le système électrique en produisant de l’électricité au moyen d’une pile à combustible à partir de l’hydrogène stocké. Concrètement, cela revient à stocker l’hydrogène qui est fabriqué à partir d’énergies renouvelables, puis à le transformer en électricité. La start-up française Hydrogène de France (HDF Energy) mène un projet en ce sens ; une expérimentation est même prévue en Guyane dans les mois qui viennent.

Il serait également possible de réutiliser les centrales à gaz naturel à cycle combiné. Pour ce faire, il faudrait plutôt regarder la stratégie allemande de réemploi des centrales à gaz. Mais, comme vous le savez, notre système dépend moins du gaz que celui de nos voisins…

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Mes chers collègues, à condition qu’il soit produit par des moyens ne conduisant pas à des émissions significatives de carbone, l’hydrogène présente l’intérêt d’être, d’une part, un vecteur énergétique de choix pour certaines industries ou pour la mobilité lourde et, d’autre part, un outil de flexibilité du mix électrique qui aide à décarboner des secteurs difficiles à électrifier.

Comme énergie, l’hydrogène bas-carbone est applicable au secteur de la mobilité – transport collectif de personnes et transport de marchandises –, là où les solutions à base de batterie sont plus difficiles à mettre en œuvre ou soulèvent des enjeux majeurs.

Utilisé dans une pile à combustible, il présente l’avantage de ne rejeter que de l’eau, ce qui permet d’éliminer les émissions de particules, de soufre, d’oxyde d’azote et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air.

En période de surproduction électrique, l’électricité peut être stockée, mais aussi utilisée pour produire de l’hydrogène facilement stockable.

L’hydrogène renouvelable, produit par l’électrolyse de l’eau, certes n’est pas polluant, mais coûte beaucoup plus cher à produire. Son déploiement passera par la baisse du coût de production de l’électricité renouvelable – solaire et éolien –, et par celle du coût des électrolyseurs ou des piles à combustible.

Pour autant, c’est bien l’électrolyse de l’eau qui représente l’avenir du développement de la filière hydrogène. Le projet Sealhyfe en Vendée, plateforme en mer raccordée à une éolienne flottante, s’avère être une perspective intéressante pour la production d’hydrogène renouvelable. En effet, après désalinisation de l’eau de mer, l’hydrogène sera produit par électrolyse et acheminé sur terre via un réseau de pipelines.

Mais le défi immédiat, pour accompagner la production par électrolyse d’hydrogène propre, consiste à assurer un approvisionnement suffisant en électricité décarbonée.

Aussi, monsieur le ministre, pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés par la Commission européenne en 2030, l’hydrogène bas-carbone produit à partir d’électricité nucléaire sera-t-il reconnu comme indispensable, à l’instar de l’hydrogène renouvelable ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, l’hydrogène a des avantages indéniables.

Je voudrais comparer quelques chiffres pour illustrer votre propos relatif à l’autonomie des véhicules. Par exemple, avec 5 kilogrammes d’hydrogène, stockés dans un réservoir de 125 litres, qui pèse environ 130 kilogrammes, auxquels il faut ajouter les quelque 100 kilogrammes de la pile à combustible, soit environ 235 kilogrammes de matériel embarqué, l’autonomie du véhicule à hydrogène est équivalente à celle d’une batterie de 500 kilogrammes. Ainsi, pour les gros véhicules, pour les trains et pour les véhicules de transport collectif, il est clair que l’hydrogène présente un avantage comparatif indéniable.

Madame la sénatrice, vous avez également rappelé quels sont ses petits défauts : le coût élevé des composants liés à la production de l’hydrogène et le rendement total de la chaîne hydrogène, qui s’élève à environ un tiers de celui de la batterie. Ainsi, pour les véhicules individuels, le compte n’y est pas !

Pour les véhicules utilitaires légers – je réponds ainsi à la question qui m’a été posée précédemment –, oui, cela existe ; il y a des projets très avancés en matière de logistique urbaine, développés notamment par Stellantis.

Par ailleurs, la production d’hydrogène offshore est au stade de la recherche et développement, que nous finançons, afin de profiter, si c’est possible, d’hydrogène moins cher à l’avenir. Nous n’y sommes pas encore, mais nous investissons dans ce sens.

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, dans le Haut-Rhin, le complexe chimique Alsachimie regroupe trois entreprises sur une plateforme fabriquant entre autres du nylon, de l’ammoniac et des engrais. Ce complexe utilise près de 75 000 tonnes d’hydrogène par an produit, pour l’instant, à partir de gaz, ce qui est très émetteur de CO2.

Pour passer à l’hydrogène vert, il faudrait un électrolyseur d’une capacité de 500 mégawatts, sachant que la plateforme chimique pourrait utiliser la chaleur fatale de ce dernier.

Cet avantage en matière d’optimisation énergétique pourrait conduire à une augmentation de 100 mégawatts de capacité pour fournir de l’hydrogène décarboné pour le transport, par exemple. Mais avec la forte variation du coût du gaz en Europe, nettement plus cher que le gaz américain ou russe, ces entreprises ont dû réduire leur production, faute de pouvoir exporter.

Butachimie, par exemple, ne tourne plus qu’à 30% de sa capacité. Dans ce modèle économique intégré, si l’une de ces entreprises venait à cesser son activité, cela entraînerait de sérieuses difficultés pour les deux autres.

Le Gouvernement veut passer à l’hydrogène vert, produit par électrolyse. Toutefois, avec l’explosion des prix de l’énergie, cela semble très mal engagé. Les aides plafonnées à 4 millions d’euros ne sont pas suffisantes pour des entreprises de cette taille, car une différence de 1 euro sur le prix du kilogramme d’hydrogène représente in fine une perte de 75 millions d’euros.

Il faut absolument revoir notre modèle de soutien à cette industrie, afin de pérenniser les installations actuelles et leur donner de la visibilité. À défaut, sur ce seul site, plus de 2 000 emplois directs et autant d’emplois indirects risqueraient de disparaître, qui s’ajouteraient ainsi aux 2 000 emplois récemment perdus à la suite de la fermeture de la centrale de Fessenheim.

Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour soutenir cette industrie et les investissements qu’elle va devoir engager pour passer à l’hydrogène vert ? Quelles actions vont être mises en œuvre pour soutenir ce complexe chimique, afin d’empêcher un nouveau désastre économique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les dirigeants de ces deux sociétés sœurs, si je puis dire, en ce qu’elles sont toutes deux membres d’un grand groupe allemand.

Voilà quelques mois, les prix de l’énergie étaient bien plus élevés qu’ils ne le sont actuellement, ce qui a conduit ces entreprises à réduire leur production de façon marginale, mais non négligeable, et à modifier légèrement leurs sources d’approvisionnement.

Aujourd’hui, ces entreprises vont mieux, en tout cas moins mal, et la baisse des prix de l’énergie n’y est pas pour rien.

La façon dont les prix de l’intrant et de l’extrant sont fixés rend difficile l’accès de ces entreprises aux aides européennes, car elles vendent essentiellement leurs produits à leur maison mère. Malheureusement, les règles européennes sont telles que nous ne sommes pas en mesure de verser davantage que les 4 millions d’euros que vous avez mentionnés.

Pour autant, je pense que ces entreprises vont mieux – j’espère qu’elles vous le confirmeront, madame la sénatrice –, du fait de la baisse des prix de l’énergie.

Faut-il pour autant les abandonner ? Non, au contraire ! Elles ont évidemment des projets extrêmement ambitieux, vous l’avez rappelé, pour passer à l’hydrogène. L’entreprise de Borealis mène à Ottmarsheim – ce n’est pas loin de chez vous, me semble-t-il, madame la sénatrice – un projet similaire, qui prévoit la création de quelque 200 emplois, et pour lequel nous sommes à la manœuvre.

Nous avons déjà notifié à la Commission européenne une aide de 100 millions d’euros, qui permettrait d’installer un électrolyseur de 50 mégawatts pour décarboner le site chimique avec un procédé d’ammoniac.

Le projet auquel vous faites référence est d’une plus grande ampleur. Il aura, vous l’avez dit également, un impact économique et social plus important pour la région. Nous sommes prêts à l’aider, de la même manière que nous aidons celui de son voisin.

Nous travaillons avec les entreprises en question pour nous assurer qu’elles seront bien accompagnées dans leurs efforts de décarbonation. (Mme Sabine Drexler marque son approbation.)

M. le président. La parole est à M. François Calvet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Calvet. Monsieur le ministre, dans le cadre du plan d’investissement France 2030, le Gouvernement a annoncé une accélération de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, lancée en 2020.

Je m’étonne qu’il n’y soit question que de l’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau et que l’on ne trouve rien sur l’hydrogène naturel. On sait pourtant, depuis la découverte fortuite, voilà presque dix ans, d’un puits d’hydrogène presque pur au Mali, qu’il existe de nombreuses sources d’hydrogène naturel un peu partout dans le monde.

Aussi, l’hydrogène constitue une source d’énergie primaire à extraire du sous-sol. Le mouvement est maintenant lancé : en Australie du Sud, quelque trente-cinq permis d’exploration ont été déposés.

La France possède sur son territoire, notamment dans les Pyrénées, des poches d’hydrogène qui intéressent beaucoup les sociétés de prospection. L’une d’entre elles a déposé une demande de prospection exclusive sur un périmètre de 226 kilomètres carrés dans les Pyrénées-Atlantiques. Si le projet aboutit, un chantier de production d’hydrogène comme source d’énergie primaire décarbonée et disponible en permanence sera lancé avec un coût de production de moins de 1 euro le kilogramme. La France ne peut ignorer cet énorme potentiel !

Je souhaite donc savoir si le Gouvernement compte accompagner le mouvement en encourageant et en encadrant les opérations de prospection et d’exploitation, qui vont se multiplier, notamment dans les Pyrénées-Orientales, puisque la présence d’hydrogène et de failles en profondeur a été confirmée dans l’ensemble du massif pyrénéen.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de compléter ma réponse à la précédente. Celle-ci portait sur notre capacité collective à chercher l’hydrogène là où il pourrait se trouver, plutôt que de le produire, ce qui soulève les enjeux du coût des technologies et de la rentabilité, qui ont déjà été évoqués.

Je pense que vous faites référence au projet dit Sauve Terre H2, situé dans les Pyrénées-Atlantiques, c’est-à-dire de l’autre côté des Pyrénées-Orientales. Le dossier est en cours d’instruction par les services miniers.

Il s’agit d’une surface – importante – de 226 kilomètres carrés. Il serait nécessaire de creuser profondément, jusqu’à 6 000 mètres, pour extraire l’hydrogène, mais pour un coût, selon les premières estimations, de 1 euro le kilogramme, ce qui serait extrêmement compétitif par rapport aux autres sources d’hydrogène que nous avons évoquées aujourd’hui.

L’État doit déterminer, selon le code minier, à l’occasion de cette instruction, l’ampleur potentielle du gisement, les fondamentaux économiques, notamment la solidité financière du porteur de projet, les bénéfices énergétiques réels et les éventuels impacts environnementaux de cette extraction.

De telles perspectives nous intéressent fortement, car elles nous permettraient de disposer d’hydrogène peu cher et clairement souverain. Quelques obstacles doivent encore être levés dans le cadre de l’instruction du dossier, monsieur le sénateur, ce que vous comprendrez aisément.


Source https://www.senat.fr, le 16 mai 2023