Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la constitution, d'inscrire la société militaire privée Wagner sur la liste des organisations terroristes, à l'Assemblée nationale le 9 mai 2023.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,


Permettez-moi de réserver mes premiers mots pour témoigner de notre émotion commune à l'égard des victimes du groupe Wagner, mais aussi de notre compassion pour tous ceux qui subissent sa présence, et surtout de notre indignation devant les exactions et les crimes qu'il commet chaque jour.

Cette indignation, je la retrouve tout à fait, Monsieur le Député Haddad, à la lecture de votre projet de résolution.

Je l'ai également entendue s'exprimer avec force, Mesdames et Messieurs les députés, dans le cadre de vos interventions, au nom de vos groupes parlementaires.

Cette indignation nous rassemble.

Elle témoigne de notre attachement commun au respect du Droit international et des Droits de l'Homme, qui constituent l'un des fondements de la République française.

Les signataires du projet de résolution, venus de nombreux bancs de cette Assemblée, témoignent de ce profond et sincère attachement aux valeurs que la France entend continuer de défendre partout dans le monde.

S'agissant de Wagner, le constat est implacable. Que ce soit en Ukraine, au Mali, en République centrafricaine, au Mozambique, en Syrie, au Soudan ou encore en Libye, on trouve, dans son sillage, les exactions, les violations des droits de l'Homme et du droit international humanitaire, la prédation et le pillage des ressources : en un mot, toutes les atteintes aux droits des populations et à la souveraineté des Etats, mais aussi toutes les atteintes à la dignité de la personne humaine.

Les cas de l'Ukraine et du Mali sont tout à fait représentatifs.

En Ukraine, Wagner est présent depuis qu'il a participé à l'invasion de la Crimée, en 2014. Son implication au coeur de l'agression russe est tellement centrale que même le Kremlin, qui s'est pendant un temps acharné contre l'évidence à prétendre que ce groupe était une entité privée, s'en remet désormais ouvertement à Evgueni Prigojine pour pallier les lacunes criantes de son armée régulière.

Le groupe Wagner était en première ligne en mars 2022 pendant l'occupation de Boutcha. Il y a tué, torturé, violé. Des dizaines de sépultures d'habitants de la ville que j'ai moi-même eu la douleur de voir lorsque je m'y suis rendue portent sa marque. Et ce qui est vrai pour Boutcha l'est également pour Soledar ou encore aujourd'hui pour Bakhmout.

Les postures publiques de Prigojine oscillent entre celles d'un bandit de grand chemin et d'un pseudo ministre de la défense mais une chose est certaine : le groupe qu'il dirige ne respecte aucune règle, aucune loi, aucun des principes du document de Montreux qui vise à réguler le comportement des sociétés militaires privées et recrute massivement parmi les pires criminels de Russie. L'ordre donné aux mercenaires du groupe, le 23 avril dernier, de ne plus faire de prisonniers à Bakhmout en est un exemple supplémentaire : il s'agit là, tout simplement, de la reconnaissance de crimes de guerre, une reconnaissance froide et assumée par ceux-là mêmes qui les commettent.

Au Mali, nous avons tous en mémoire le massacre de Moura, en mars 2022, où plus de 300 Maliens ont été sommairement exécutés, après avoir été contraints de creuser leurs propres fosses communes, et pour la simple raison qu'ils étaient peuls. L'implication directe du groupe Wagner dans ce crime infâme a été clairement documentée par les Nations unies et le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme.

Au Mali, comme d'ailleurs en République centrafricaine, la nature des exactions du groupe Wagner est aussi diverse qu'effroyable : assassinats, viols, violences sexuelles, arrestations arbitraires, installations de camps de tortures, mutilations.

Cette liste, qui heurte profondément la conscience morale, nous est rapportée par les Nations unies, mais aussi par la presse et des organisations de la société civile. Je veux, devant vous, leur rendre hommage, Mesdames et Messieurs les Députés, pour leur engagement à ce qu'aucun de ces crimes barbares ne demeure dans l'ombre, en dépit de tous les risques qu'ils peuvent encourir.

Les exactions commises par le groupe Wagner ne sont pas des actes isolés ou des accidents de parcours. Ils sont le fruit d'une doctrine qui vise à instaurer un régime de terreur et le bilan quotidien d'un groupe qui, pour servir ses intérêts économiques, isole et déstabilise les pays qui l'accueillent, au prix de leur souveraineté. Jamais Wagner n'est parvenu par ses interventions à rétablir la sécurité ou à endiguer la menace terroriste. Il ne l'a d'ailleurs jamais cherché car il ne sert rien d'autre que ses propres intérêts et ceux de quelques dirigeants désireux de se maintenir à tout prix au pouvoir en hypothéquant l'avenir de leur population. Là où s'implante Wagner, les groupes armés progressent et la démocratie s'étiole. La République centrafricaine ou le Mali en sont des exemples malheureux.

Mais je veux vous dire aussi que, devant ce constat, notre diplomatie est pleinement mobilisée, à travers des actions concrètes et complémentaires.

Premièrement, nous agissons pour entraver préventivement les déploiements du groupe Wagner.

Nous avons pour cela des échanges directs, francs et exigeants avec les pays qui pourraient être tentés d'y avoir recours. Cette action diplomatique, menée en étroite coordination avec nos partenaires internationaux, vise à alerter sur les risques induits, qui sont immenses, comme on l'a vu.

Ainsi, avant même que la junte malienne ne fasse le choix de recourir au groupe Wagner, nous l'avions prévenue qu'un tel déploiement ne pouvait que, d'une part, accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique occidentale, et d'autre part mener à une aggravation de la situation des droits de l'Homme au Mali. C'est tout le sens du communiqué conjoint du 23 décembre 2021 que nous avons co-signé avec 15 de nos partenaires européens et internationaux.

Deuxièmement, et comme cela est à juste titre rappelé dans le projet de résolution, nous nous mobilisons, de manière résolue et déterminée pour, ne jamais laisser de place à l'impunité lorsque des exactions sont commises.

La France soutient ainsi activement le travail essentiel mené par la Cour pénale internationale. En Ukraine, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a ouvert une enquête dès le 2 mars 2022, sur une requête de 41 Etats, parmi lesquels les 27 Etats membres de l'Union européenne - dont, bien sûr, la France.

Notre soutien à la Cour pénale internationale est, du reste, parfaitement concret. Troisième contributeur à son budget, nous avons par ailleurs versé une contribution volontaire au bureau du Procureur en 2022, pour lui permettre de continuer à enquêter sur toutes les situations, malgré l'accroissement de ses activités. La France a également partagé avec la Cour un certain nombre d'informations pour l'aider à documenter les crimes commis par la Russie et ses supplétifs, notamment à Boutcha, et met à sa disposition un magistrat et des enquêteurs.

Nous avons aussi déployé deux missions de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale en Ukraine, notamment à Boutcha et Izioum, et livré deux laboratoires d'analyse mobiles en appui aux investigations ukrainiennes. Le second laboratoire, matériel unique que la France est l'un des seuls pays au monde à posséder, est d'ailleurs remis en ce moment même par notre ambassadeur aux autorités ukrainiennes.

Enfin, sous l'impulsion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le mandat de l'agence Eurojust a été renforcé. Il doit lui permettre de préserver, de stocker et d'analyser des preuves de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de crimes de génocide, en vue de les redistribuer aux enquêtes pénales ouvertes par l'Ukraine, mais aussi par les différentes autorités judiciaires des Etats membres de l'Union européenne, ainsi que par la Cour pénale internationale.

Au Mali, nous appelons de même la MINUSMA à mettre en oeuvre son mandat en matière de droits de l'Homme, pour faire en sorte que les responsables d'exactions, et notamment du massacre de Moura au Mali, soient poursuivis.

Troisièmement, nous mettons en oeuvre des sanctions à l'égard du groupe Wagner, de ses responsables et de ses entités associées.

Parce que la prédation des ressources naturelles est précisément le coeur de ce modèle économique criminel, les sanctions sont au coeur de la proposition de résolution que vous avez présentée.

Dans ce domaine, nous sommes pleinement mobilisés, avec nos partenaires européens. Ainsi, à l'initiative de la France, le groupe Wagner a déjà été ciblé par l'Union européenne, avec dix-neuf individus et douze entités qui lui sont liés, dans le cadre de deux paquets de sanctions, en décembre 2021 et en février 2023.

Ces sanctions ont d'ores et déjà des conséquences concrètes. Elles entraînent le gel de certains avoirs dans l'Union européenne, mais entrainent aussi l'interdiction de mettre des fonds et des ressources économiques à disposition des personnes et des entités sanctionnées. Parmi celles-ci, pour être claire, figurent notamment Evgueni Prigojine, le leader du groupe Wagner, et Dimitry Outkine, son fondateur, mais aussi Ivan Maslov, qui dirige sa branche au Mali et Vitalii Perfiliev, personnage clé de Wagner en République centrafricaine.

Alors si du point de vue strictement juridique, l'inscription du groupe Wagner sur la liste des entités terroristes de l'Union européenne, au titre du régime dit "PC 931", n'aurait pas d'effet supplémentaire direct, nous ne devons pas sous-estimer l'importance symbolique d'une telle désignation, ni le caractère dissuasif qu'elle pourrait avoir vis-à-vis des Etats aujourd'hui tentés par un possible recours à Wagner.

C'est à cette aune que je tiens à saluer la proposition de résolution soumise aujourd'hui à votre examen, dans la lignée des initiatives prises par plusieurs parlements, dont le Parlement européen le 23 novembre 2022.

Ce sujet, si important, si légitime, mérite que nous l'expertisions pleinement, avec nos partenaires européens bien sûr, mais également avec nos principaux partenaires en matière de sanctions : les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Car nous ne serons efficaces que si nous parvenons à afficher un front uni. La désignation du groupe Wagner comme entité terroriste n'est aujourd'hui pas un tabou tant les éléments qui justifient une telle décision sont nombreux. Je veux donc vous assurer ici que votre message a été entendu et que je partage largement votre point de vue. Rien ne sera négligé pour que ce groupe rende des comptes et qu'un terme définitif soit mis à ses exactions.

Parallèlement, et comme y invite la proposition de résolution, nous étudions la possibilité de renforcer encore les sanctions européennes contre Wagner, tout en développant des instruments additionnels permettant de lutter efficacement contre les actions déstabilisatrices de ce groupe. Des discussions s'engageront à Bruxelles à cette fin.


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Vous pouvez compter sur notre détermination sans faille.

Les lignes d'action que j'ai mentionnées, tout comme les réflexions additionnelles que nous menons par ailleurs, tout cela converge vers un seul et même objectif : celui d'entraver, avec détermination, les actions déstabilisatrices du groupe Wagner et de l'empêcher de commettre ces exactions dont les populations civiles sont les premières victimes.

Notre mobilisation, soyez-en assurés, est constante et totale, parce que notre détermination est aussi vive que notre indignation, mais aussi parce que nous sommes farouchement attachés à ce que la règle de droit demeure le fondement de l'ordre international et des relations entre Etats.


Je vous remercie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2023