Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à France 2 le 12 mai 2023, sur la réindustrialisation, l'industrie verte, la baisse des émissions de gaz à effet de serre, le nucléaire et le prix des carburants.

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Texte intégral

JEFF WITTENBERG
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Jeff WITTENBERG.

JEFF WITTENBERG
Merci d’être avec nous ce matin. Vous serez tout à l'heure à Dunkerque avec Emmanuel MACRON pour le lancement d’une nouvelle usine de batteries pour voitures électriques construites par le Taïwanais ProLogium qui a choisi ce site. Je crois qu’il ouvrira en 2026, 3 000 emplois à la clé. C’est une traduction concrète du plan de réindustrialisation qu’a annoncé hier Emmanuel MACRON. Ça veut dire que l’industrie verte, c'est ce qui va en quelque sorte redynamiser, qui va donner du carburant à l’industrie française et à l’économie française en général ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Vous savez, c'est un exemple très intéressant Dunkerque. On a détruit ces dernières années, je dirais entre le début des années 80 et 2015, près de 16 000 emplois industriels à Dunkerque. C'est absolument gigantesque. Et là, grâce aux différents projets que nous sommes en train de sortir de terre, on a une usine de batteries qui va arriver, Verkor, on travaille sur ArcelorMittal, on travaille sur différents projets d’attractivité et donc celui que vous venez d’évoquer, ProLogium, c'est 6 000 emplois industriels… 16 000 emplois industriels, pardon, donc 6 000 détruits, 16 000 que nous allons créer à Dunkerque. C’est des perspectives pour les jeunes de ce territoire, c’est des emplois qui rémunèrent 20% de plus que la moyenne. À un moment où on a un problème de pouvoir d’achat, c'est évidemment très important et c’est des emplois qui créent de l’emploi par ailleurs.

JEFF WITTENBERG
Pour que ces entreprises créent de l’emploi et s’installent, l’Etat verse des crédits, des crédits que certains dénoncent. Alors par exemple, vous avez le président du MEDEF, Geoffroy ROUX de BEZIEUX, qui applaudit cette politique pro-business qu’Emmanuel MACRON fait depuis 2017. En revanche, vous avez des hommes politiques, des syndicats, j’entendais Fabien ROUSSEL hier dire qu’on aide des entreprises mais quand elles partent, on ne leur demande pas de rembourser les aides qu’elles ont perçues. Est-ce que c’est normal ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors 1, ce n’est pas exact. Je vous donne un exemple, Bridgestone : quand ils sont partis du territoire français, ils ont dû rembourser les aides dont ils avaient bénéficié.

JEFF WITTENBERG
Pas l’intégralité.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n’est pas exact non plus. 2, éco-conditionnalité : ça c'est important, c'est-à-dire que lorsqu'une entreprise est aidée, elle n’est pas aidée avec de l'argent qui arrive de nulle part. Elle est aidée pour financer des équipements, des investissements qui sont faits sur le territoire français. Ce que nous finançons, c'est des investissements, des équipements sur le territoire français. Et 3, je dirais, c'est une politique pour l'emploi. C'est une politique qui a permis de baisser le taux de chômage français, là où nous étions dans un chômage de masse en 2016. Je le rappelle, on était proche d'un taux de chômage à deux chiffres. Nous sommes aujourd'hui à proximité de 7%. Il y a 6 ans, tout le monde nous riait au nez en disant : vous n'y arriverez pas En réalité nous sommes en train d'y arriver, le taux de chômage des jeunes diminue, le taux de chômage des seniors diminue et nous continuons.

JEFF WITTENBERG
Vous y voyez un succès de votre politique, vous pensez aussi qu'aujourd'hui l’industrie verte, cette façon de relancer une autre industrie en France, il faut la favoriser par un système par exemple de bonus à l’achat de voitures qui n'auront pas de grosse empreinte carbone, en gros qui ne seront pas fabriquées dans des pays comme la Chine et qui utiliseront du carbone pour venir en France. Est-ce que vous assumez une politique de protectionnisme comme le font par exemple les Américains, comme le disent les Américains, sans complexes ? Est-ce qu'aujourd'hui la France est devenue protectionniste ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je crois que ce que la France veut faire et l'Europe avec, c'est une politique qui soit en faveur de l'emploi européen et en faveur de la compétitivité européenne et française. Effectivement, nos compatriotes ne comprendraient pas que quand on utilise de l'argent public, on finance des emplois qui sont à l'autre bout du monde, dans un contexte où en plus les productions à l'autre bout du monde sont faites dans des conditions sociales et dans des conditions environnementales qui sont bien moins exigeantes qu'en France.

JEFF WITTENBERG
Donc il faut moins taxer les voitures qui seront fabriquées en France qu'en Europe, c'est une politique que vous assumez.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Accompagner les consommateurs et leur permettre d’avoir accès à un véhicule électrique, on leur donne cet avantage-là si la voiture est fabriquée en Europe et en France.

JEFF WITTENBERG
Donc un système de bonus qui va changer. Cette politique-là vous l’affichez, et en même temps il y avait un organisme, une institution même d'Etat qui vous reproche de ne pas en faire assez. C'est le Conseil d'Etat qui a dit il y a 48 heures que les objectifs de la France ne seraient pas atteints, qui vous demande d'en faire davantage. Est-ce que ça veut dire qu'il vous met en demeure même d'en faire davantage, que vous n'en faites pas assez comme le Conseil d’Etat le dit ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n’est pas exactement ce que dit le Conseil d'Etat.

JEFF WITTENBERG
Il salue les efforts mais il dit qu’il faut en faire plus.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà. Le Conseil d'Etat relève que nous avons baissé nos émissions de gaz à effet de serre de 2,5% ce qui était notre objectif. Nous avons tenu notre objectif en 2022. Mais le Conseil d'Etat signale que, d'ailleurs sous l'impulsion de la France à nouveau, nous avons rehaussé nos objectifs climatiques et donc il attend un plan de la part de la France pour dire comment on va plus fort en augmentant nos objectifs de baisse de gaz à effet de serre. Evidemment nous y travaillons, c'est tout l'enjeu de la planification écologique et énergétique que nous menons sous l'égide de la Première ministre et qui est attendue, comme vous le savez, pour fin juin.

JEFF WITTENBERG
Pour faire baisser les gaz à effet de serre, vous range, vous, dans ces moyens d'y parvenir la filière nucléaire. Vous souhaitez la relancer, on le sait. Plusieurs pays sont d'accord avec cette stratégie, vous allez je crois les réunir la semaine prochaine. En revanche notre principal partenaire, l'Allemagne, tourne le dos toujours à une stratégie nucléaire. Comment on fait pour coordonner nos efforts quand l'Allemagne a une politique opposée ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez, l'alliance du nucléaire que j'ai lancée en Europe, c'est 14 pays qui sont prêts à réinvestir dans le nucléaire. Et l'objectif, c'est que nous travaillions ensemble pour faire du nucléaire un des éléments de notre politique énergétique pour atteindre nos objectifs climatiques. Donc chaque pays est libre de son mix énergétique, l'Allemagne peut choisir de ne pas utiliser le nucléaire. Moi ce que je retiens…

JEFF WITTENBERG
Ça ne pose pas un problème, madame PANNIER-RUNACHER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça ne pose pas de problème parce que nous sommes aujourd'hui majoritaires en Europe et j'ai souhaité effectivement réunir ces pays, et nous serons plusieurs ministres la semaine prochaine à avoir un séminaire autour du nucléaire pour savoir comment ensemble on va travailler sur de nouveaux réacteurs, sur la sûreté nucléaire, sur la façon au fond de décarboner notre économie. Et cela va évidemment en parallèle du développement des énergies renouvelables : nous ne nous privons d'aucun outil sur la décarbonation.

JEFF WITTENBERG
En attendant l'énergie décarbonée, il y a une énergie que les Français, beaucoup de Français utilisent quotidiennement, ce sont les carburants, les hydrocarbures. Il y a eu un début de polémique cette semaine parce que vous avez demandé aux distributeurs, les grandes surfaces notamment, de faire un effort sur leurs marges parce qu'aujourd'hui le carburant en France est plus cher que dans de nombreux pays européens. Vous n'avez pas été tout à fait entendue. Michel-Edouard LECLERC a dit que le gouvernement était, je cite, gonflé de demander cela aux distributeurs et pas aux pétroliers notamment à Total. Qu'est-ce que vous répondez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors j'observe d'abord que les prix du carburant ont baissé de 4 centimes depuis le moment où effectivement j'ai pris cette position, et cette position elle est clairement adressée à tous les acteurs de la filière, qu'il s'agisse de la grande distribution ou de TOTAL et d'ESSO. J’ai personnellement écrit à Michel-Edouard LECLERC, à Patrick POUYANNE le patron de TOTAL, et nous avons personnellement appelé ESSO. Donc tout le monde est au rendez-vous devant les Français, soit effectivement il y a, et je peux le comprendre, des éléments de coûts qui sont liés à l’impact des blocages de ces dernières semaines et qui expliquent qu’il y a une différence de prix entre la France et d'autres pays européens. Mais dans ce cas-là, on fait la transparence et en tout état de cause, l'objectif c'est quand les prix baissent du pétrole, on doit le voir à la pompe et c'est ce que je continue de demander aux acteurs de la profession.

JEFF WITTENBERG
Mais si les carburants restent aussi hauts qu'ils le sont aujourd'hui, même s'ils baissent de 4 centimes avez-vous dit, est-ce que le gouvernement, les pouvoirs publics seraient prêts à un nouveau geste, à une nouvelle ristourne comme on en avait vu à la fin de l'année 2022 ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le geste que nous avons fait, il est très concret : c'est celui de l'indemnité carburant que nous avons mis en place…

JEFF WITTENBERG
Mais une ristourne, je parle d’une ristourne comme vous l’aviez fait.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je vous parle d'une indemnité carburant parce que ce que nous souhaitons, c'est effectivement cibler nos aides, en particulier ceux qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler.

JEFF WITTENBERG
Mais il n’y aura pas de nouvelle ristourne, madame. PANNIER-RUNACHER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas l'objectif et vous savez que l'objectif aujourd'hui, c'est tout simplement de retrouver un niveau normal du prix du carburant. Nous sommes en train d'y arriver. Nous revenons à un prix qui est celui qui correspond à avant la crise en Ukraine et je le redis : j'attends des industriels et des professionnels de baisser leurs prix.

JEFF WITTENBERG
Ça ne se voit pas encore à la pompe. Ça ne se voit pas du tout à la pompe pour les Français.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ce qui est en train d'advenir. Les industriels nous ont d'ailleurs indiqué, les distributeurs, que ces prix allaient continuer à baisser dans les prochains jours. J'en accepte l’augure.

JEFF WITTENBERG
Madame la Ministre, une dernière question. Vous allez vous rendre donc aujourd'hui à Dunkerque avec le président et avec d'autres ministres. Vous le savez, un comité d'accueil pas forcément enthousiaste va vous attendre puisque c'est le cas à chaque fois qu'un ministre et a fortiori le président se déplacent. Vous y êtes habituée en quelque sorte à ces casserolades ? Les casseroles tintent, le gouvernement passe en quelque sorte ? Comment vous vivez cela ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez, il y a les agitateurs professionnels d'un côté et puis il y a les habitants qui attendent des décisions de créations d'emplois, et je pense que ces décisions elles sont très importantes pour le territoire de Dunkerque.

JEFF WITTENBERG
Mais il y a une colère qui est toujours là, vous la ressentez, vous l'entendez et vous la voyez après la réforme des retraites.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y a une colère qui est là mais elle est quand même portée par un nombre, je dirais, de personnes. Les casserolades, ce sont plutôt un nombre restreint de personnes sur chaque déplacement, et nous ce que nous voulons c'est répondre à l'ensemble des Français. J'étais hier en déplacement et je suis allée au-devant de ces personnes qui manifestaient, une quinzaine de personnes. On a échangé et ils ont pu me parler de pénibilité, ils ont pu me parler d'augmentations de salaires. On a assez peu parlé de retraite et, je le redis…

JEFF WITTENBERG
Vous pensez donc que la page est en train de se tourner.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense surtout qu'on doit travailler au service des Français, qu'il y a des enjeux de pouvoir d'achat, qu’il y a des enjeux de créations d'emplois et c'est sur quoi nous sommes mobilisés avec le président de la République, et c'est tout l'enjeu de ce plan de réindustrialisation.

JEFF WITTENBERG
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, Ministre donc de la Transition énergétique.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 17 mai 2023