Interview de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à RMC le 16 mai 2023, sur les pesticides et les conséquences des aléas climatiques sur la production agricole.

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Média : RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Marc FESNEAU.

MARC FESNEAU
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre de l’Agriculture. On va parler sécheresse, on va parler de trop-plein aussi dans le Nord, on va parler prime. Et je voudrais qu’on commence par cette proposition de loi discutée aujourd’hui au Sénat pour rendre, je cite, l’agriculture française plus compétitive. Mais à quel prix ? Les drones pour répandre notamment les engrais, est-ce ça vous paraît nécessaire ? Est-ce que c’est une bonne nouvelle pour l’agriculture française ?

MARC FESNEAU
Alors c’est un texte qui est issu d’un rapport sénatorial transpartisan d’ailleurs (LR, PS, Centristes) qui pose un certain nombre de questions sur la décompétitivité de la ferme de France. Alors, il y a un certain nombre de réponses qui peuvent être intéressantes : faire un diagnostic sur les questions climatiques pour voir comment on fait en sorte de mieux faire face (on parlera après) aux dérèglements climatiques et à ses conséquences, sur la question de l’épargne et du partage des capitaux pour les agriculteurs. Et puis i y a un certain nombre de sujets qui sont mis sur la table, par exemple sur les sujets de l’utilisation des drones ou globalement, le rapport aux produits phytosanitaires. Je ne cherche pas à défendre particulièrement les drones ; on peut avoir dans certains cas un intérêt à avoir des drones.

APOLLINE DE MALHERBE
Des drones pour épandre les pesticides.

MARC FESNEAU
Oui, pour épandre certains produits. Ça pourrait être d'ailleurs valable en agriculture biologique. Pourquoi ? Parce que ça permet de localiser et d'éviter qu'on en mette partout et donc ça permet souvent de réduire la quantité. Alors, il y a une part de symbolique parce que ça vole et qu'on se dit " ça ressemble à ce qui se faisait auparavant marginalement en France autour des hélicoptères, mais je ne suis pas sûr que les drones soient le sujet principal. En revanche, il y a un désaccord avec le Gouvernement sur ce texte par rapport à la proposition sénatoriale qui serait d'en rabattre sur la question de la réduction des produits phytosanitaires. On a besoin à la fois…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire ? Expliquez-nous. Le Sénat, dans sa manière de l’examiner aujourd'hui, ouvre la porte à une augmentation de l'usage des pesticides ?

MARC FESNEAU
Non, ce n’est pas ce qu'il dit. Mais en gros, il n'ouvre pas la porte à ce qui est notre volonté, c'est la réduction de l'usage des produits phytosanitaires.

APOLLINE DE MALHERBE
En tout cas, vous, vous voulez réduire ces usages ?

MARC FESNEAU
L'objectif... Ce n'est pas facile de le faire. On a besoin de réduire les usages et de dire " c'est ça la trajectoire ". On a besoin de le faire en disant aussi quelles sont les alternatives qu'on trouve. Parce que dire "on réduit" sans dire les alternatives, c'est parler dans le vide.

APOLLINE DE MALHERBE
Je voudrais comprendre. En fait, aujourd'hui, Marc FESNEAU, si on comprend bien, depuis 2014, c'est l'Agence française de sécurité sanitaire qui a le dernier mot.

MARC FESNEAU
Oui, ça c’est un élément.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire que c'est elle qui décide avec cette loi si elle est adoptée par le Sénat, si ensuite elle aboutit, l'Anses - donc cette agence qui vote d'abord les questions sanitaires - n'aurait pas le dernier mot, pourrait être contournée ?

MARC FESNEAU
Oui, c’est ce en quoi nous sommes en désaccord avec le Sénat.

APOLLINE DE MALHERBE
Et ça, vous dites non ?

MARC FESNEAU
Non, parce qu'il nous semble que nous ayons un organisme indépendant, une agence ; alors, elle n’est pas indépendante d'ailleurs, elle est sous tutelle. Mais une agence qui donne un avis et qui produit ce qu'on appelle les autorisations mises sur le marché d'un certain nombre de molécules, ça nous paraît faire d'abord confiance à la science pour prendre des décisions qui aura la vie y compris du registre agricole. En revanche, qu'on puisse se poser la question mais ce n'est pas la même chose de dire comment on met une trajectoire avec l'Anses. C'est-à-dire on sait que telle molécule peut être appelée à sortir ; on se dit il y a trois ou cinq ans…

APOLLINE DE MALHERBE
En fait, l'Anses vous dit "cette molécule, il en faut plus".

MARC FESNEAU
Il en faut plus ou il en faut moins, ou on peut l’utiliser sous quelles conditions d’ailleurs.

APOLLINE DE MALHERBE
Voilà, vous ensuite, vous décidez à quelle échelle de temps ; si c’est tout de suite qu’on dit non ou si on se donne un …

MARC FESNEAU
Non, non, c’est l’Anses dit aussi la temporalité. Mais je pense que sur ces produits, nous sommes dans un espace commun qui est l'espace européen. Il y a un certain nombre de cas où il y a des décisions qui relèvent du niveau européen. Sur ces produits-là, l'idée c'est qu'on a une synchronisation européenne. Est-ce qu’il y aurait quelque chose d'assez original, si je peux dire, à ce que nous ayons des interdictions trois ans avant des interdictions européennes ? Donc c'est plutôt là-dessus qu'il peut y avoir le débat, mais je pense qu'il ne faut pas remettre en cause l'Anses dans le fondement de sa constitution qui est de donner un avis et de donner des autorisations sur les molécules.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, Marc FESNEAU, sur cet aspect-là, vous ne soutiendrez pas cette proposition de loi ?

MARC FESNEAU
Il y a un désaccord avec le Sénat mais on assume.

APOLLINE DE MALHERBE
Plus globalement, est-ce qu'il y a des choses donc pour vous le véhicule c'est-à-dire dispersé. Ensuite ? la question c'est qu'est-ce qu'on met dedans ? Mais l'usage des drones, pas de problème ?

MARC FESNEAU
D’abord, je rappelle qu'il y a une expérimentation qui est en cours sur les drones. Pourquoi ? Parce que ça permet, vous avez un GPS sur le drone, il vous dit " là, il y a une mauvaise herbe. J'ai besoin de traiter celle-là... "

APOLLINE DE MALHERBE
Ce n’est pas un peu utopique ça ? C'est vraiment dans le cas ?

MARC FESNEAU
Non, non, non, il faut regarder comment ça se passe. Ça n'est pas du tout utopique.

APOLLINE DE MALHERBE
Et ça marche comme ça ?

MARC FESNEAU
Alors, il y a besoin encore de qualifier les choses et d'avoir un peu plus encore de robotique et de numérique mais ce n'est pas du tout utopique. Et il est avéré sur ce type de choses ont réduit l'utilisation des produits phytosanitaires. C'est valable aussi sur la robotique terrestre, si je puis dire, et pas aérienne. Après, est-ce que ça va se développer partout ? Non. Mais quand vous êtes sur des sols en pente, quand vous êtes (on va en parler tout à l'heure) sur des endroits où il y a trop d'humidité où vous ne pouvez pas passer avec un tracteur, le drone n'est pas forcément écarté. Et honnêtement, ce n'est pas un sujet central, c'est un sujet plutôt qui relève du symbole. J'essaie parfois d'éviter le…

APOLLINE DE MALHERBE
En tout cas, vous ne permettrez pas que l'Anses soit contournée de quel point…

MARC FESNEAU
Non, il a pu arriver. Vous savez que j'ai des débats avec l’Anses mais remettre en cause dans ses fondements ce que sont les qualités de l’Anses en ce qu’elle produit de la science. Elle documente ses décisions par la science. Je pense que ce serait une erreur ... Je ne pense pas que la question de la compétitivité française soit principalement ou uniquement liée à cela.

APOLLINE DE MALHERBE
Marc FESNEAU, alerte sécheresse dans le Sud et trop-plein dans le Nord. On se retrouve à avoir notamment des agriculteurs qui sont des producteurs de pommes de terre, qui ne peuvent pas planter parce que les sols sont trop gorgés d'eau, à avoir des vignes dans l'ouest qui se retrouvent tellement humides qu'ils ont peur que la fleur ne pourrisse, qu'il n'y ait pas de fruits. Qu'est-ce que c'est que ce... enfin comment on fait pour... Est-ce qu'on a trop alerté sur la sécheresse d'un côté ? Est-ce qu'on prend aussi en compte le trop-plein d'eau dans le Nord ?

MARC FESNEAU
Vous et moi ne découvrons pas que la météo est instable et qu'on ne maîtrise pas la météo et les agriculteurs particulièrement pas. Il n’y a jamais une météo parfaite. Qu'est-ce que c'est une mauvaise météo ? C'est une météo qui dure trop longtemps : c'est trop de sécheresse trop longtemps, trop de pluie trop longtemps, trop de choses trop longtemps. Et donc on est face à cette situation-là. Moi j'ai toujours été à dire « attention, on est sur des phénomènes, qu’on prend en février quand on avait très peu d'eau, ça peut se rattraper. » Résultat des courses, c'est ce qui se passe dans le Nord. On a besoin, en revanche, que la météo soit arythmique, ce n'est pas une nouveauté. La difficulté c'est qu'on va avoir de plus en plus de phénomènes excessifs, c'est-à-dire beaucoup trop d'eau et beaucoup trop de sécheresse.

APOLLINE DE MALHERBE
Comment est-ce que vous, ministre, vous pouvez essayer d'accompagner au mieux d’accompagner au mieux ces agriculteurs ?

MARC FESNEAU
On a besoin, ça a été voulu par le Président de la République : un, d'assurer le minimum c'est-à-dire ce qu'on a mis au travers d'un dispositif d'assurance contre les risques climatiques. On a renforcé les moyens : 680 millions d'euros qui sont développés fonds européen, les cotisations des agriculteurs et les fonds nationaux pour faire en sorte que quand il y a un à-coup qui est trop violent, on puisse prendre en charge par les assurances et par la solidarité nationale la difficulté climatique. Deuxième élément, c'est qu'on ait des systèmes qui soient plus résilients, c'est-à-dire qu'on ait des systèmes qui soient plus résistants à des chocs climatiques. C'est-à-dire plus résistant à trop de sécheresse, plus résistant parfois à la grêle parce qu'il y a des systèmes de protection. Donc on a besoin, territoire par territoire, de penser notre système agricole avec des dérèglements climatiques. Ça c'est vrai. Que le climat varie, ce n'est pas nouveau, mais que le climat soit excessif dans notre territoire, c’est nouveau.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que la réponse par plus d'engrais, parfois même plus de pesticides, ça fait partie aussi des…

MARC FESNEAU
Non, non, non, ce n'est pas le sujet du tout.

APOLLINE DE MALHERBE
Parce qu'on a quand même l'impression, je vais même vous poser franchement que les lobbies dans cette histoire de rendre la ferme France plus compétitive ont quand même un peu pris le pouvoir. Il y en a certains qui ont été dénoncés par un comité déontologique, qui sont assurés d'avoir assuré un chantage à l'emploi imaginaire pour faire passer leur loi. Qu'est-ce que vous dites de ça ?

MARC FESNEAU
Pardon, ne généralisons pas un texte. C'est une proposition de loi sénatoriale. Le Sénat a le droit d'avoir des propositions de loi. Le Gouvernement a même le droit de ne pas être d'accord avec un certain nombre d'éléments de cette proposition-là. Ne généralisons pas. Je peux être en désaccord avec le Sénat, je l'assume tranquillement, pacifiquement, c'est le débat démocratique normal. Donc on n'est pas d'accord avec eux, ils ont une vision qui n'est pas la nôtre sur un certain nombre de sujets en particulier sur cette question des produits phytosanitaires.

APOLLINE DE MALHERBE
De l’Anses, on a bien compris. Mais est-ce que vous y voyez quand même la main des lobbies ? Est-ce qu’à un moment…

MARC FESNEAU
Pardon de dire ça comme ça "tout est lobby". Chacun défend une cause. Le fait de défendre une cause, c'est du lobbying. Alors après, on est d'accord ou pas avec la cause qui est défendue ; mais arrêtons de faire comme si nous vivions dans un monde de naïfs. En revanche, nous, on a une trajectoire, au Gouvernement, était voulue par le Président de la République, c'est dans l'agriculture plus résiliente. Et si on la rend plus résiliente, on a besoin qu'elle soit moins dépendante d'un certain nombre de produits y compris les produits phytosanitaires. Quand vous êtes dépendants des engrais minéraux, vous êtes dépendants d'engrais qui sont faits à l'extérieur de nos frontières et qui sont dépendants de quoi ? Du cours du pétrole. Et donc vous mettez la situation à l'agriculture en situation de dépendance pour sa production qui est très grave. Donc on n'a aucun intérêt, au-delà de l'intérêt écologique, à mettre l'agriculture française en situation de dépendance. On a intérêt à la mettre dans une trajectoire. Mais après il faut le faire avec lucidité parce qu’il ne suffit pas de dire yakafokon pour que ça soit facile. L'agriculture a besoin de fertilisants, ça ne date pas d'il y a cinquante ans, de toute éternité, on avait besoin de fertilisants. Donc, on a besoin de trouver des solutions techniques. Elle a besoin aussi de lutter contre les maladies. Donc qu'est-ce qu'on a comme produits de biocontrôle ou des produits chimiques moins néfastes qu'on puisse mettre sur les plans.

APOLLINE DE MALHERBE
J'ai bien compris donc, Marc FESNEAU, que les drones, pourquoi pas, ça c'est au fond pas la question. Pour vous, la vraie question c'est qu’aucun produit ne doit contourner l’avis de l'agence de sécurité sanitaire. Et vous continuez à soutenir l'idée que cette agence doit être écoutée. Et dans ce point-là, vous ne suivrez pas donc le Sénat. Marc FESNEAU, merci d'être venu dans ce studio.

MARC FESNEAU
Merci à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre de l'Agriculture.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 24 mai 2023