Interview de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans le journal italien "Corriere della Sera" le 26 mai 2023, sur les relations franco-italiennes, la question migratoire, le conflit en Ukraine et Taïwan.

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Média : Corriere della sera

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Q - Madame la ministre Colonna, vous deviez rencontrer le ministre Tajani à Paris le 4 mai, mais la visite a été annulée après que votre collègue Gérald Darmanin a critiqué Giorgia Meloni et le gouvernement italien. Aujourd'hui, vous venez à Rome pour rencontrer enfin M. Tajani. Que vous êtes-vous dit au sujet des relations bilatérales ?

"La relation avec le ministre Tajani est solide : nous travaillons bien ensemble", déclare Catherine Colonna, ministre française des affaires étrangères, qui ajoute : "Nous avons tous deux pensé, puisqu'il a eu la gentillesse de m'inviter, qu'il serait bon de nous rencontrer à nouveau en personne pour parler de nombreux sujets. Je suis venue à Rome dans l'esprit du traité du Quirinal, que nous devons faire vivre, avec le même engagement et le même esprit positif de part et d'autre."

Q - Mais ces dernières semaines, d'autres voix au sein du gouvernement français ont réitéré leurs critiques. Vous, en revanche, n'avez jamais attaqué l'Italie, et le président Macron s'est entretenu de façon apaisante avec la Première ministre Meloni à Hiroshima. Y a-t-il deux lignes à Paris ? L'une plus politique et l'autre plus institutionnelle ?

R - Ma visite ici n'est pas seulement une visite "institutionnelle", il s'agit plutôt de poursuivre notre travail commun. Et sur tous les sujets, nous avons essayé de progresser. La France n'a qu'une seule ligne : l'Italie est un pays ami, auquel beaucoup de choses nous lient, y compris une affection réciproque. Et quand il y a des sujets sensibles, il faut en parler ouvertement et amicalement. Les deux choses vont de pair et tous les membres du gouvernement français, chacun avec ses mots, savent que nous ferons mieux face à toutes les difficultés avec une plus grande coopération franco-italienne, à commencer par la question migratoire.

Q - Comment l'Italie et la France vont-elles concrètement travailler ensemble pour surmonter les difficultés liées aux migrations ?

R - Aujourd'hui, l'essentiel de la pression migratoire provient de Tunisie plutôt que de Libye. Nous devons renforcer notre coopération avec la Tunisie au niveau européen, bien sûr, mais aussi par le biais de nos relations bilatérales respectives avec la Tunisie, que nous avons intérêt à bien coordonner.

Q - Une fois les migrants arrivés en Europe, comment la coopération franco-italienne peut-elle s'améliorer ?

R - Nous devons renforcer la lutte contre le trafic irrégulier d'êtres humains aux frontières entre la France et l'Italie et réformer le système de Dublin, tout en améliorant la base de données d'empreintes digitales Eurodac et les procédures de demande d'asile dans les pays de première entrée. C'est une question de longue date, mais je veux être positive parce que nous avons fait des progrès. Nous avons un Conseil européen en juin et notre ambition commune est de l'aborder en progressant dans le rapprochement des positions. Nous devons garder ce calendrier à l'esprit et l'utiliser pour progresser. Il n'y a pas de solutions nationales. La solution est dans la coopération entre nous.

Q - La France va-t-elle livrer des avions à l'Ukraine et aider à la formation des pilotes ukrainiens ?

R - Comme l'a dit le président Macron, il n'y a pas de tabou à ce sujet. Mais nous savons que ce que l'Ukraine recherche, ce sont des avions F-16, que la France ne possède pas. Mais il faut aussi des pilotes, et il faut distinguer la formation de base et la formation spécifique aux F-16. Il peut y avoir l'hypothèse que l'on puisse contribuer à la formation de base.

Q - À propos de la Chine et de Taïwan, le président Macron a demandé aux alliés européens de ne pas "suivre" les Etats-Unis. Rome est traditionnellement très proche de Washington et la Première ministre Meloni confirme ce choix atlantiste. Y a-t-il une différence de sensibilité à l'égard de la Chine ?

R - Nous essayons de préserver la capacité de dialogue avec la Chine, par exemple sur le climat, la biodiversité ou l'intelligence artificielle. En même temps, nous avons des divergences avec la Chine sur les valeurs, et aussi sur la région indopacifique. Le président Macron a rencontré la Première ministre Meloni à Reykjavik et à Hiroshima, et ils sont convenus de trouver un équilibre. Ensuite, sur la route de la soie, c'est une décision qui relève du gouvernement italien.

Q - Avez-vous parlé de la visite du président Mattarella à Paris le 7 juin pour l'exposition "Naples à Paris" ?

R - Oui, le ministre de la culture, Gennaro Sangiuliano, sera également présent. Nous attendons aussi la Première ministre Meloni, qui a exprimé le souhait de venir avant l'été, bien qu'une date n'ait pas encore été fixée. Nous avons parlé de l'Emilie-Romagne, en réitérant nos condoléances ; une équipe française est sur place pour participer aux secours. Nous faisons tout notre possible pour rechercher des convergences entre la France et l'Italie, même sur les sujets les plus délicats. Par exemple, nous sommes heureux d'être parvenus à un accord global avec l'Italie et l'Allemagne, qui ouvre la voie à la création d'une section du Tribunal unifié des brevets à Milan.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mai 2023