Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à France Info le 26 mai 2023, sur la politique climatique de Total et la transition énergétique.

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Média : France Info

Texte intégral

LORRAIN SENECHAL
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Lorrain SENECHAL.

LORRAIN SENECHAL
Cette assemblée générale ne doit pas avoir lieu, c’est le mot d’ordre des activistes qui sont en train d’essayer de bloquer l’AG en l’occurrence des actionnaires de TotalEnergies, avec déjà des perturbations au petit matin, des échauffourées avec les forces de l’ordre. Ces ONG, elles appellent à bloquer, empêcher la tenue de l’AG comme elles l’ont fait d’ailleurs plus tôt dans la semaine pour l’énergéticien SHELL. Il faut s’attendre maintenant à voir ce type d’événement, d’action, d’images se multiplier à chaque assemblée générale d’énergéticien ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors je crois qu’il faut distinguer la forme et le fond. La forme, c'est des actions qui ne sont pas anticipées, qui ne sont pas annoncées et qui créent du désordre à l’ordre public. Puis le fond, c’est la question que pose ces actions et qui est une très bonne question. Moi je le dis très clairement : des entreprises qui sont aujourd'hui positionnées sur le secteur du pétrole ou sur le secteur du gaz doivent se réinventer. Elles doivent sortir des énergies fossiles. C’est ce que nous dit le GIEC, c’est ce que nous dit toute la politique que nous menons pour lutter contre le dérèglement climatique et elles n’auront aucun avenir, aucun avenir, et je l’ai dit à Patrick POUYANNE pour TOTAL, si elles ne sont pas capables de tracer ces trajectoires de sortie des énergies fossiles et décarbonation.

NEILA LATROUS
On va y arriver sur la trajectoire précisément de TotalEnergies mais sur les actions coup de poing, sur la forme. Pour vous, c'est légitime comme moyen d'expression ? C’est l'expression légitime d'une exaspération ou c’est de la violence ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
À partir du moment où la manifestation n'est pas annoncée, on est dans une expression désorganisée, alors même que des activistes ont posé le débat au sein de l'assemblée générale et ce débat il est intéressant. C'est-à-dire que vous avez une résolution qui a été déposée par des activistes, vous allez avoir un vote sur…

LORRAIN SENECHAL
Des activistes actionnaires de TOTAL, je le précise.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Il suffit d’une action. Vous avez un vote qui va avoir lieu sur la politique climatique de TOTAL et c'est dans ce cadre-là que le débat peut avoir lieu et qu'effectivement, on peut mettre la pression sur TOTAL. Je ne suis pas sûre que le débat dans la rue finalement apporte grand-chose, là où effectivement nous devons avancer et nous devons amener les entreprises du gaz et du pétrole à nous dire comment ils vont contribuer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Et je veux le dire ici, avec le président de la République nous travaillons en vue de la COP 28 et du sommet de Paris justement à obtenir des engagements des entreprises de ces secteurs-là parce qu’à un moment, il va falloir embarquer toutes les entreprises et tous les pays qui émettent des gaz à effet de serre.

NEILA LATROUS
Et en ce qui concerne TotalEnergies, Patrick POUYANNE vous répond par anticipation en quelque sorte chez nos confrères de La Croix hier en disant qu'il y a une stratégie de 100 gigawatts de renouvelables produits par la compagnie d'ici 2030. C'est une fois et demie la puissance du parc nucléaire français et c'est plus qu'EDF et ENGIE dit Patrick POUYANNE. C'est un acteur de la transition énergétique déjà ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors TOTAL investit dans les énergies renouvelables mais l'enjeu c'est d’aller plus vite, plus fort et surtout plus rapidement.

NEILA LATROUS
Ce n’est pas suffisant pour l’instant ?

LORRAIN SENECHAL
Vous n’êtes pas convaincue par la trajectoire de TOTAL ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense qu'ils peuvent aller plus vite, plus fort, plus rapidement. Je pense qu'ils doivent mettre le paquet sur les énergies renouvelables, c'est une question absolument essentielle pour la planète mais c'est aussi une question de survie de l'entreprise

NEILA LATROUS
Et arrêter d'investir dans le pétrole en attendant ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Là encore, ce sont des trajectoires qui se construisent dans le temps. Nous, nous avons pris notre responsabilité en tant que pays, c'est-à-dire qu'aujourd'hui la France a arrêté l'exploitation des hydrocarbures en France, a interdit l'exploitation des hydrocarbures, et elle a interdit les subventions aux projets fossiles.

LORRAIN SENECHAL
TOTAL doit renoncer par exemple à son projet controversé dans le sud de l'Afrique ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors sur ces sujets-là, je crois qu'il faut éviter d'être donneur de leçons. Je le dis par rapport à l'Ouganda plus que par rapport au projet de de TOTAL ou qui pourrait être porté par un autre pétrolier. Moi je le vois bien quand je suis à la COP 27, quand j'étais à la COP 27 : les pays africains ils nous disent « on a besoin de moyens de développement et arrêtez de nous donner des leçons, vous Européens, alors qu’au fond aujourd'hui, votre bilan en termes d'émissions est moins bon que le nôtre ». Et notre responsabilité en tant que pays européen, et c'est ce que nous faisons aussi avec l'Allemagne, avec le Royaume-Uni avec même les Etats-Unis, c'est d'investir dans des pays qui aujourd'hui pourraient développer des énergies fossiles pour les amener plutôt à sauter cette phase de développement et aller directement sur les énergies renouvelables, ou alors pour les accompagner et les sortir des énergies fossiles. Je donne un exemple, l'Afrique du Sud c’est 6 milliards d'euros qui sont investis pour sortir l'Afrique du Sud du charbon, dont une partie qui est financée par la France. Ça c'est très concret et c’est très efficace et c'est comme ça qu'on pourra effectivement sortir et créer des chemins de développement pour des pays qui aujourd'hui font partie des plus pauvres au monde.

LORRAIN SENECHAL
Alors pour financer la transition écologique, il y a une idée qui a émergé dans le débat et qui est issue d'ailleurs d'un proche d'Emmanuel MACRON, l'un de ceux qui a écrit son programme économique en 2017, l'économiste Jean PISANI-FERRY, il plaide pour taxer les plus hauts revenus parce que ce sont aussi les plus pollueurs, la création d'une sorte d'ISF écologique. Est-ce que c'est une idée qui pourrait faire son chemin au sein de la majorité ? On a déjà entendu certains députés de l'aile gauche être favorables à cette idée.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors moi, je voudrais d'abord dire ce que dit le rapport Pisani-Ferry, parce que tout le monde se focalise sur cet élément-là. C’est un rapport de plus d'une centaine de pages qui est particulièrement intéressant et qui nous dit plusieurs choses. La première chose, c'est la marche à franchir est immense dans les dix années qui viennent, et elle va supposer énormément d'investissements.

LORRAIN SENECHAL
66 milliards d'euros supplémentaires par an, c'est le coût estimé par l'économiste, de la transition énergétique.

AGNES PANNIER-RUNACHER
La deuxième chose et qui me paraît très importante, c'est que derrière cette transition énergétique il y a aussi des opportunités économiques, et moi je le vois au quotidien dans mon métier. La relance du nucléaire par exemple, c'est 100 000 recrutements que nous allons réaliser dans les dix années qui viennent, donc il faut bien mettre en regard ces deux choses. Il y a à la fois des efforts que nous allons devoir faire et ces efforts, ils sont dans le court terme. Mais il y a également toutes les opportunités de créations d'emplois, de réindustrialisation de notre pays que nous devons mettre en regard, et c'est aussi ça qu'il faut mettre en perspective. Ensuite sur le financement il dit trois choses. Il dit : aujourd'hui investir, c'est en fait créer de la richesse demain, et peut-être que cette dette particulière qui est créée au regard de l'investissement dans les énergies vertes entre autres et dans la décarbonation, ça doit être regardé d'une manière différente que de la dépense budgétaire classique. Je pense que c'est une idée intéressante, c'est d'ailleurs une idée qu’avait portée le président de la République au niveau de l'Union européenne. Il dit une deuxième chose, c'est qu'il faut revoir toutes les niches fiscales qui sont en faveur des énergies fossiles. C’est un exercice qu’on va encore faire en 2024 comme on l'a fait en 2023. On rebalaye toutes ces niches fiscales.

LORRAIN SENECHAL
10 milliards d'euros, il en manque encore 56 par an.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et c'est beaucoup. Les 56 milliards d'euros, ce n’est pas forcément de l'argent public. Ça peut être de l'argent public et de l'argent privé.

LORRAIN SENECHAL
Et est-ce que ça peut être un ISF ? C’est le mot, l’expression qui a été… Un ISF vert.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça, c’est le troisième point. Moi je le redis, nous sommes le pays qui taxons le plus fort quasiment au monde les hauts revenus. Et donc avant de se précipiter, parce que c'est un peu l'effet facile y’a qu’à, faut qu’on, il suffit d'augmenter les taxes, je préfère que la France effectivement réoriente massivement ces niches, enfin ces soutiens fiscaux vers la décarbonation et les réduit au niveau…

LORRAIN SENECHAL
Et encore une fois, ça ne suffit pas.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Encore une fois, vous avez un effet d'entraînement sur le secteur privé. Vous savez qu'en règle générale dans une politique publique, on dit on met un euro, ça peut faire fois 3, fois 4 au niveau du privé, donc ça peut être assez massif quand même.

LORRAIN SENECHAL
Mais vous n’êtes pas favorable, à vous entendre, à un nouvel impôt.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je préfère une France qui soit championne des emplois, ce qui est le cas aujourd'hui et ce qui est aussi le résultat d'une politique de baisse des impôts, en particulier sur les entreprises, qu'une France qui soit la championne des impôts.

NEÏLA LATROUS
Toujours avec Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition énergétique. On continue à évoquer ce rapport rendu par l'économiste, Jean PISANI-FERRY, la transition dit-il, c’est 85% de financement et 15% de sobriété sur ce levier de la sobriété. Qu'est-ce qu'il va falloir faire moins mieux ou différemment pour optimiser à plein les effets de la sobriété ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors peut-être rappeler ce qu’est la sobriété. La sobriété, c'est au fond un changement de comportement non sans utiliser des technologies comme le cas de l'efficacité et qui nous permet d'économiser de l’énergie

LORRAIN SENECHAL
L’Etat, les entreprises, tout un chacun qui…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et avec le plan sobriété que nous avons lancé avec la Première ministre l'année dernière, on a économisé au cours de l'hiver, 12% de gaz et d'électricité au cours de cet hiver. On a fait au fond…

LORRAIN SENECHAL
A température égales, c'est-à-dire, ce n'est pas parce qu'il a fait plus de…

AGNES PANNIER-RUNACHER
En corrigeant évidemment les effets climatiques parce que ce serait trop facile, l’hiver ayant été assez doux. Donc, on a fait en trois mois, ce qu'on n'avait pas fait en trente ans mais on a commencé par ce qui était le plus immédiat. Le plus immédiat, c'est baisser la température à 19 degrés, c'est fermer les éclairages des grands bâtiments la nuit, ce sont des choses assez…

LORRAIN SENECHAL
Mais ce n’est pas le ralentissement de l’économie aussi qui à quand même contribuer à cette sobriété ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, ce n‘est pas ce qu'on voit parce que ce qui est très intéressant, c'est que cette baisse de la consommation, elle a été particulièrement marquée dans le secteur tertiaire et dans les résidentiels, c'est-à-dire dans des endroits dans des bâtiments où en réalité, il n’y avait pas un lien direct avec l'activité économique. Et d'ailleurs, vous avez pu le constater, au moment où nous baissions notre consommation d'énergie, drastiquement, la croissance était toujours présente dans notre pays et deuxième chose intéressante, ça continue, c'est-à-dire qu'on voit que depuis le début de l'année, nous continuons à baisser par rapport à ce que nous consommions ces cinq dernières années notre consommation d'électricité et notre…

LORRAIN SENECHAL
Dans les mêmes proportions ? C’est toujours 12 % pour le gaz ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non. Ce n'est pas dans les mêmes proportions, parce qu'en fait, là où on avait le plus économisé, c'est sur le chauffage et comme on a arrêté de chauffer depuis quelques semaines effectivement, on voit bien la différence. D'ailleurs, dès qu'il y a un pic de froid, on revoit les effets de correction sur la baisse de consommation d'énergie.

LORRAIN SENECHAL
Comment on fait pour aller durablement à 15%, qu’est l'objectif chiffré par Jean PISANI-FERRY ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, moi, je vais lancer un temps 2 de ce plan sobriété, encore une fois, ce plan sobriété. Il fait partie des quatre leviers de notre stratégie énergétique pour atteindre la neutralité carbone et ce temps deux, il va dresser le sujet de l'été, quels comportements devons-nous mettre en place pendant l'été pour économiser l'énergie, notamment être sobre en climatisation. Deuxième chose, nous aurons à un rendez-vous aussi à l'hiver prochain, encore pour aller plus loin que ce que nous avons fait. Il y a notamment deux sujets sur lesquels on n’est pas allé assez loin sur le court terme qui sont clairement le numérique, parce que c'est un peu la boîte noire pour tous ceux qui ne sont pas spécialistes et le carburant. Sur le carburant, il faut qu'on accélère sur le covoiturage. Vous savez qu'on a lancé avec Clément BEAUNE et Christophe BECHU, un plan de covoiturage. Il faut qu'on accélère sur le fait d'avoir une conduite écoconduite meilleure, plus douce, lever le pied sur les routes et c'est nous, ce que nous demandons, en tant qu'Etat, nous demandons aux fonctionnaires lorsqu'ils sont dans leur cadre professionnel de lever le pied sur l'autoroute.

NEÏLA LATROUS
Agnès PANNIER-RUNACHER, vous évoquez l'été. Est-ce qu’on va voir les mêmes images que l'été dernier ? Ou il y avait des brigades qui étaient envoyés pour vérifier par exemple que les magasins fermaient bien la porte quand ils climatisaient leurs locaux. Est-ce que c'est ça aussi la sobriété ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
La sobriété, c'est, ne pas gaspiller de l'énergie de manière choquante et beaucoup de Français s'étaient émus de ces images effectivement de rues commerçantes où à la fois il faisait 19 degrés à l'intérieur des magasins et en même temps la porte était grande ouverte sur une rue qui était à 30 degrés. Et je pense que ça, c'est aujourd'hui insupportable. Donc, oui, moi j'ai pris un décret qui permet de donner tous les moyens aux maires des villes d'intervenir. Je pense qu'il y a un temps de pédagogie, il faut expliquer, tout le monde n’est pas au courant des décrets, donc, qui s'appliquent évidemment pour l'été prochain. Tout le monde n'est pas au courant des décrets et il faut en parler au sein des associations de commerçants et dans les villes. Mais derrière, il faut donner ces leviers de sanction parce que quand vous avez un commerçant qui ne joue pas le jeu, ça donne le sentiment à ceux qui respectent la consigne de fermer les portes, qu’ils sont moins attractifs pour les clients alors qu’eux, ils font l’effort de fermer leurs portes, tandis qu’ils climatisent.

NEILA LATROUS
Mais pour atteindre l'objectif qui est de 10% de consommation énergétique en moins d'ici 2024, est-ce que ça veut dire qu'il faudra faire plus dès cet été et dès cet hiver ou est-ce qu'il faudra faire la même chose ? Est-ce que sera les mêmes recommandations ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, il faut aller plus loin ; il faut évidemment aller plus loin et surtout il faut passer d'une sobriété qu'on construit dans le court terme à une sobriété qui s'ancre dans le long terme, c'est-à-dire la sobriété lorsqu'on dit " vous pouvez passer au vélo " ou " vous pouvez utiliser les transports en commun ", encore faut-il avoir les infrastructures qui permettent de faire du vélo en sécurité, donc des pistes de vélo et des transports en commun. Les changements d'usage, les changements de comportements, ils doivent s'appuyer aussi sur un aménagement de la ville, un aménagement du territoire qui est favorable à la sobriété ; je dirais qu'il y a quasiment une notion de éco-conception de nos politiques publiques. Quand on installe un nouvel équipement public, il faut tout de suite penser la manière dont on y accède et s'assurer qu'on y accède avec des transports en commun ou avec une piste de vélo ou avec des moyens de transport qui ne sont pas la voiture. Emprisonner les Français dans la voiture, ce n'est pas une solution et donc il y a une responsabilité des collectivités locales et de l'Etat pour trouver des solutions et faire en sorte que les Français …

NEILA LATROUS
C’est le prochain levier, moins utiliser la voiture …

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

NEILA LATROUS
C’est l’un des leviers principaux.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça va être un des leviers importants et moi, je pense que les Français qui aujourd'hui sont obligés d'utiliser leur voiture ont raison de nous dire : très bien, moi, chiche permettez-moi de décarboner, mettez-moi une voiture électrique pas chère, permettez-moi d'accéder aux transports en commun, à des transports en commun fiables et qui desservent bien l'endroit où je vis.

LORRAIN SENECHAL
Il faut aussi adapter les infrastructures énergétiques aux grandes chaleurs. L’EDF a obtenu des dérogations l'été dernier pour rejeter une eau un peu plus chaude dans des cours d'eau - c'est l'eau qui est censée refroidir les centrales électriques - , il y a eu des dérogations, par exemple la Garonne, la température avoisine parfois les 28 degrés l’été. EDF vous dit " c'est déjà le niveau maximal défini pour les rejets ", est-ce que ça veut dire que ces dérogations vont devenir la norme ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense qu'on va travailler effectivement sur une évolution de ces dérogations. Alors je vais peut-être préciser certaines choses : l'été dernier, nous avions pris des dérogations, elles ont été très peu utilisées et on parle de dizaines de degrés, pas de 1 ou 2 degrés supplémentaires mais effectivement, il y a un travail qui est fait sur l'adaptation de tout notre système énergétique au réchauffement climatique. Les réacteurs nucléaires sont un sujet mais il y a d'autres sujets, notamment tous les investissements que nous allons devoir faire sur le réseau pour mettre en sécurité et avoir des postes de distribution électrique qui soient capables de résister à des montées de température, d'avoir des réseaux de transport qui soient capables de résister à des changements de température rapides et violents.

NEILA LATROUS
Aujourd’hui, ça n’est pas le cas.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd’hui, on n'a pas une infrastructure qui a été construite pour varier entre moins quelques degrés et jusqu’à 40 ou 45 degrés.

LORRAIN SENECHAL
Si je vous entends, vous allez changer les normes de dérogation et les règles de dérogations aux normes environnementales, vous allez changer les niveaux ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n'est pas ça que je dis. Je dis qu'on est en train de travailler à adapter notre système énergétique au réchauffement climatique, qu’il y a le sujet des réacteurs nucléaires …

LORRAIN SENECHAL
C’est-à-dire que les centrales se refroidissent de manière plus efficace, c'est ça que vous dites.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, qu'il y a les centrales nucléaires mais qu'il y a aussi le réseau, qu’il y a aussi l'éolien marin, on est en train de regarder : est-ce que le réchauffement climatique et ce que nous savons aujourd'hui du climat et du changement du climat est de nature à diminuer l'efficacité des éoliennes marines ? C’est tous ces sujets-là qui sont aujourd’hui regardés.

LORRAIN SENECHAL
Et pour ce qui est des centrales nucléaires, c’est EDF qui va faire les investissements pour que ses centrales se refroidissent de manière plus efficace ? C'est EDF qui paiera ou … ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous savez une entreprise qui est la propriété de l'Etat à 100% et qui est son bras armé stratégique, à la fin c'est l'Etat qui paye !

LORRAIN SENECHAL
Bientôt à 100%, c’est une question de jours, c’est le 8 juin …

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement !

LORRAIN SENECHAL
…que ça le sera, ça changera quoi concrètement d'ailleurs, quelques pourcents en plus pour l’Etat ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est le fait effectivement d'être l'actionnaire principal et de donner le sens de la stratégie et d'avoir une stratégie de long terme ; parfois lorsqu'on a des minoritaires qui sont plutôt intéressés par le court terme, il peut y avoir de la tension.

LORRAIN SENECHAL
Là, c’est l'Etat stratège !

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est l'Etat stratège à la tête d'un EDF qui doit être notre bras armé énergétique.

NEILA LATROUS
Il y a quelques instants, vous nous disiez : il va falloir adapter les infrastructures énergétiques électriques en l'espèce de la France pour résister aux vagues de chaleur. Est-ce qu'il est encore possible d'avoir une électricité peu chère quand on demande à EDF de relever le défi environnemental, de construire de nouvelles centrales et avec aussi la fin programmée de ces quotas d'électricité peu chère, l’ARENH, prévue pour l'après 2025 ? Est-ce qu'il faut faire le deuil de lits d'une électricité pas chère en France ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors je pense, au contraire, que ce que nous sommes en train de faire, c'est-à-dire de développer les nouvelles capacités de production qui aujourd'hui permettent de produire de l'électricité à un prix qui est inférieur à celui sur les marchés internationaux, des éoliennes marines : on vient d'accorder, enfin de signer un appel d'offres à en dessous de 50 euros du mégawatheure, c'est une action qui est favorable pour le pouvoir d'achat, favorable pour la compétitivité des entreprises et favorable pour la planète. Donc nous avons intérêt à développer le plus rapidement possible des capacités de production qui sont compétitives. C'est les énergies renouvelables et demain ça sera le nucléaire.

NEILA LATROUS
Mais il y a quand même un mur d'investissements à court terme avec aussi une demande qui est faite à EDF de produire de plus en plus, parce que notamment l’électrification du marché de l'automobile.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait mais aujourd'hui, EDF a une réserve de production sur la base de ses réacteurs existants qui est considérable. Et sur le marché automobile, je veux dire aussi que derrière c'est des créations d'emplois. Je vais inaugurer mardi prochain la première gigafactory de batteries électriques avec Bruno LE MAIRE et Roland LESCURE. C’est à 20 minutes de chez moi en plus, donc j'en suis particulièrement fière. C'est un projet sur lequel j'ai travaillé d'arrache-pied.

NEILA LATROUS
Dans le Pas-de-Calais.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Dans le Pas-de-Calais, tout à fait, à Douvrin-Billy-Berclau. J’y ai travaillé d'arrache-pied pendant plusieurs années et c’est une très grande fierté de voir cette gigafactory. C’est 2 000 emplois à terme, 2 000 emplois à terme, et je rappelle…

LORRAIN SENECHAL
Mais est-ce que ça compensera les suppressions d'emplois que vont entraîner la fin du moteur thermique ? En Europe pour les voitures neuves, c’est 2035.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais c’est l’objectif et vous voyez qu'on a pris, qu'on a anticipé. Quand on s'est saisi de ce sujet-là avec Bruno LE MAIRE en 2018, tout le monde nous riait au nez. Tout le monde nous expliquait : il n'est pas possible de construire des batteries électriques en France, le marché est aujourd'hui totalement dominé par la Chine, la Corée let e Japon, vous n'y arriverez pas. La réalité, c'est qu'on est en train d'y arriver. On y a mis les moyens, on y a mis beaucoup de discussions avec les constructeurs et TOTAL d'ailleurs qui est partie prenante de ce consortium. Et aujourd'hui, on va être en capacité de produire des batteries électriques. On va le faire à Douai, on va le faire à Dunkerque et on a annoncé, le président de la République a annoncé il y a quelques semaines à Dunkerque un quatrième investissement d'un investisseur taïwanais pour des batteries électriques.

NEILA LATROUS
Mais ça ne dit pas est-ce qu'on saura faire de l'électricité pas chère et suffisamment pour répondre à tous ces besoins.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ça, c'est l'enjeu de la loi de programmation énergie-climat sur lequel…

NEILA LATROUS
Vous dites vous-même dans Le Figaro : il y a un mur énergétique en 2030.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, tout à fait. Je le dis et je l'assume parce que ce mur énergétique, on est capable de le passer. On est capable de passer mais ça suppose de prendre des décisions courageuses aujourd'hui.

NEILA LATROUS
C’est quoi, produire plus ? Vous demandez à EDF d'aller vite dans la remise aussi en marche des réacteurs ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est deux choses. C'est à la fois baisser notre consommation d'énergie, la sobriété, l'efficacité énergétique et notamment la rénovation thermique, c'est mettre le paquet sur ces leviers-là, et c'est produire plus d'énergies renouvelables sur notre parc existant de nucléaire. C’est possible.

LORRAIN SENECHAL
Et notamment en allant plus vite sur la maintenance des réacteurs, puisqu’on avait vu cet hiver qu’il y avait beaucoup de réacteurs à l’arrêt.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, mais je vais aller jusqu’au bout. C'est possible à condition d’utiliser tous les leviers. C'est-à-dire que nos oppositions qui nous disent : moi je veux bien le faire mais sans les énergies renouvelables, ça n’existe pas.

NEILA LATROUS
Qui attaquent d’ailleurs la loi nucléaire devant le Conseil constitutionnel.

AGNES PANNIER-RUNACHER
« Moi je veux bien le faire mais sans le nucléaire », ça n’existe pas. Il va falloir que chacun sorte de ses postures, et c'est un des enjeux des groupes de travail que j'ai lancés. Vous savez que la Première ministre est très engagée dans la planification écologique, qu’elle nous a demandé d'accélérer et d'organiser des concertations, qu’elle est déterminée à avoir un plan pour l'été. Eh bien par rapport à ça, effectivement avec les représentants d'un certain nombre de groupes politiques, on met le sujet sur la table, on dit : voilà les contraintes, on est capable de le faire, c'est créateur de dizaines de milliers d'emplois, mais derrière il va falloir prendre ses responsabilités et sortir des postures contre le nucléaire ou contre le renouvelable.

LORRAIN SENECHAL
On a craint les pénuries cet hiver qui ne sont jamais venues. Le pire est à venir nous dit déjà le Qatar, en termes d'approvisionnement en pétrole et en gaz en Europe ; Est-ce qu'il faut craindre des pénuries l'hiver prochain ? Est-ce que vous vous y préparez déjà ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi depuis janvier, je me prépare et je prépare avec les énergéticiens français à passer l'hiver prochain. Pourquoi ? Parce qu’il faut renforcer notre résilience par rapport à la consommation d’énergies fossiles.

LORRAIN SENECHAL
Et ça veut dire quoi ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C’est très concret. C’est remplir les stocks, le stockage de gaz, c'est préparer, continuer à travailler sur la sobriété et donc la baisse de notre consommation qui a été le levier qui nous a permis très clairement, et RTE notre expert le dit, de passer l'hiver dernier.

LORRAIN SENECHAL
Et les températures douces qui nous ont aidé.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui mais pas seulement. Encore une fois, sachons reconnaître ce qui a été bien fait. RTE nous dit : le plan sobriété a permis d'éviter 12 signaux Ecowatt rouge, c'est-à-dire 12 tensions majeures sur le réseau électrique. Nous l’avons fait collectivement avec les grandes entreprises, avec les grandes collectivités locales, avec les administrations et avec les Français et je veux les remercier de ça.

LORRAIN SENECHAL
Et quand le Qatar dit : le pire est à venir, vous n’y croyez pas ce n’est pas…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je dis il va falloir ne pas baisser la garde et c’est très exactement ce que nous faisons. J'étais hier en visio avec tous les préfets de région pour préparer notamment l'hiver prochain. Mais je constate que EDF nous indique être en meilleure posture en termes de production électrique nucléaire l'hiver prochain, je constate que nos stockages de gaz sont plus élevés aujourd'hui qu'ils l’étaient l'hiver dernier, je constate également que la sobriété se continue et ce sont des signaux qui sont positifs et on va continuer à travailler dans cette direction.

LORRAIN SENECHAL
Merci. Agnès PANNIER-RUNACHER, bonne journée à vous.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 30 mai 2023