Texte intégral
Madame et Messieurs les ministres,
Monsieur le président de la région, cher Xavier Bertrand,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les présidents,
Je n'hésite pas à le dire, aujourd'hui est un grand jour pour l'industrie en France. Aujourd'hui est un grand jour pour l'industrie en Europe. Pour la première fois, depuis Airbus, la France et l'Europe créent une nouvelle filière industrielle, la filière des batteries de l'exercice. Enfin l'aéronautique européenne a un successeur et ce successeur, ce sont les batteries électriques.
Ici, dans le Nord, dans les Hauts-de-France, cher Xavier Bertrand, ici en France, ce sont 4 sites de production de batteries électriques qui vont naître, qui représentent 10.000 emplois pour la région, 10.000 emplois industriels. Je ne vous cache pas que je suis à la fois ému et impressionné. Emu parce que, cher Patrick, j'ai le souvenir de la visite que nous avons faite avec le président de la République chez Saft, à Nersac, cette usine pilote. Ici tout est grand, ici tout est neuf, ici tout est à la pointe de la technologie. Ce n'était pas une insulte de dire que lorsqu'on a visité Nersac avec Emmanuel Macron, c'était plus modeste et c'était plus artisanal. Vous avez transformé une usine pilote en usine modèle.
Je suis impressionné par ce résultat, parce qu'ici, nous touchons du doigt le monde industriel de demain, propre, technologique, compétitif. Quand on voit un succès aussi impressionnant, on se demande comment nous en sommes arrivés là ; nous, en France, et nous en Europe, pour pouvoir reproduire sur d'autres chaînes de valeur, dans d'autres secteurs industriels, le même succès, le même résultat, le même nombre d'emplois, d'ouvriers, d'ingénieurs, de techniciens, ici en France et partout ailleurs en Europe.
Cette usine est née de la conjugaison des bonnes volontés. D'abord la bonne volonté, je n'hésite pas à le dire, des politiques. Dans un temps où il est toujours bon d'aller casser du sucre sur le dos des politiques, je dirais que pour une fois, les politiques ont fait du bon boulot. Les politiques locaux, cher Xavier Bertrand. Nous avons travaillé main dans la main ensemble, avec le président de la région, avec tous les élus locaux,
avec les maires, avec le conseil départemental, chacun a joué le jeu. Il n'y a jamais eu une feuille de papier à cigarette entre les élus locaux et les élus nationaux, entre le Président de la République, le Gouvernement et l'ensemble des élus concernés.
Ensuite, il y a eu une volonté politique, non seulement française, mais franco- allemande. Et je voudrais d'ailleurs rendre ici hommage à un ami. Une personne qui n'est pas là, elle avait été invitée, mais elle n'a pas pu venir. Sans elle, le projet n'aurait pas vu le jour. Sans son courage, vous ne seriez pas ici pour participer à cette inauguration. Sans son sens de l'intérêt général européen, il n'y aurait pas d'usine ACC à Douvrin. Cet homme, c'est l'ancien ministre de l'économie allemand, c'est Peter Altmaier qui, il y a quelques années, dans le secret de son bureau, alors que nous en étions à la troisième, quatrième, cinquième réunion sur le projet de batterie électrique, que Carlos Tavares se battait, c'est le cas de le dire, comme un lion, pour que le projet voie le jour. Nous nous heurtions aux réticences des fonctionnaires de l'administration allemande, qui ne croyaient pas dans le projet. Peter Altmaier m'a invité à Berlin. Il m'a pris à part dans son bureau. Il m'a dit : "Alors, Bruno, ce projet, on le fait ?" Je lui ai dit : "On le fait. Mais il y a un obstacle à lever, c'est ton administration." "Ne t'inquiète pas, Bruno, l'obstacle sera levé. C'est le plus beau projet industriel franco-allemand que j'ai vu depuis des décennies, nous le ferons." Hommage à Peter Altmaier, et j'aimerais que vous l'applaudissiez et je suis sûr qu'il vous entendra depuis Berlin.
La deuxième condition, c'est l'engagement des acteurs privés. Les responsables politiques ne peuvent rien tout seul, s'il n'y a pas derrière un engagement sans faille des acteurs privés. Et je voudrais, là aussi, que vous réserviez un tonnerre d'applaudissements à deux grands industriels français. Là aussi, à une époque où il est de si bon ton d'aller taper sur nos grandes entreprises, sur nos grands chefs d'entreprises, sur ceux qui créent des emplois, de la richesse, de la valeur, qui savent restaurer la compétitivité économique française et défendre l'industrie française. Je voudrais dire à Carlos Tavares, président de PSA, et à Patrick Pouyanné, président de Total, que nous sommes fiers d'eux et fiers de leur travail.
Enfin, je voudrais remercier un acteur de premier plan d'être présent ici et un autre acteur industriel. Il paraît que nos amis allemands ont une certaine crédibilité en matière automobile, donc je remercie le président de Mercedes Benz, une marque qui est à la voiture ce que Vuitton est au luxe, de sa présence et de sa participation ici ce matin à Douvrin. Merci de votre présence.
Enfin il fallait une dernière condition, ce n'est la plus visible, mais c'était peut-être la plus nécessaire. C'est un nouveau cadre européen. Ce cadre qui avait été défini par le Président de la République Emmanuel Macron en 2017 dans son discours de la Sorbonne et qui repose sur une idée simple, juste et nécessaire de souveraineté pour nous.
Ce nouveau cadre européen, c'est d'abord un cadre financier, parce que, n'hésitons pas à le dire, et j'en reviens à notre discussion avec Peter Altmaier, pour que cette usine naisse, il a fallu que les Etats allemands et français mettent la main à la poche.
Et croyez-moi, ce n'est pas quelques centaines de millions d'euros que nous avons mis sur la table, c'est 1,2 milliard d'euros. Là aussi, je me souviens de la discussion avec Peter Altmaier, où je disais à Peter : "Tu es beaucoup plus riche que moi, tu peux peut- être mettre un peu plus d'un milliard. Moi, je vais mettre un peu moins et au total, ça devrait le faire pour réussir à bâtir cette usine". Mais nous avons pu le faire ; parce qu'enfin, l'Europe s'est débarrassée d'une vieille idéologie dans laquelle seuls la Chine et les Etats-Unis avaient le droit d'apporter des aides publiques à leur industrie, et l'Europe était la seule à ne pas pouvoir le faire.
Nous avons changé le cadre européen ; nous avons mis en place les textes ; nous avons autorisé le soutien public financier à l'industrie. Résultat : nous pouvons aujourd'hui ouvrir cette usine dans des conditions de compétitivité comparables à celles de la Chine et comparable à celle des Etats-Unis. Nous avons défini un nouveau cadre financier. Nous avons aussi, plus important encore, défini un nouveau cadre idéologique avec une nouvelle politique industrielle qui remonte au Manifeste pour une nouvelle politique industrielle que nous avions publiée avec Peter Altmaier il y a maintenant plus de 4 ans.
Je le dis en ayant une certaine ancienneté dans mes fonctions, quand j'ai commencé comme ministre de l'économie et des finances, il y a maintenant plus de 6 ans, je me souviens d'une discussion avec un grand ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble. Il m'avait dit : "Bruno, il y a 3 mots tabous dans la politique européenne". Nous étions en 2017, nous sommes en 2023 ; en 2017, il y avait 3 mots tabous dans la politique européenne : aide d'Etat, politique industrielle, émissions de dette en cours. C'était 3 mots que vous ne pouviez pas, que vous ne deviez pas prononcer.
Désormais, ces trois mots non seulement nous les prononçons, mais nous les revendiquons : l'Europe a une politique industrielle, elle a été capable d'émettre de la dette en commun pour sauver l'Europe de la crise du Covid et elle apporte des aides publiques à son industrie parce que c'est la condition pour réindustrialiser le continent européen. Preuve que l'Europe est vivante, elle est capable de changer d'état d'esprit, et je m'en réjouis.
Maintenant, ne pensons pas que la bataille est gagnée. Cette usine est grandiose, elle est impressionnante, elle est technologiquement avancée, elle fera la fierté des Hauts- de-France, de la France et du continent européen. Elle est le prélude de l'ouverture d'une usine à Kaiserslautern en Allemagne, d'autres usines en Italie bien entendu qui est un partenaire industriel clé pour la France - je le dis devant mon ami, le ministre de l'économie italien. Mais ce n'est que le début de la bataille pour la réindustrialisation en France et en Europe. Ce n'est que le début du combat pour la restauration de notre puissance industrielle.
L'Union européenne doit montrer ses muscles industriels. Elle doit d'abord prendre conscience des défis qui sont devant elle. A l'Est, le défi chinois : la Chine ne nous fera aucun cadeau ni sur les voitures, ni sur les lanceurs spatiaux, ni sur les avions. Et croyez-moi, leur niveau technologique est parfaitement comparable au nôtre quand il n'est pas supérieur. Cette usine est magnifique ; il m'a semblé remarquer que les machines ne venaient pas d'Europe.
Deuxième défi, les Etats-Unis et l'Inflation Reduction Act américain qui offre des conditions très attractives à nos industriels. Si nous ne voulons pas d'hémorragie industrielle de l'Europe vers les Etats-Unis, il faut, au niveau européen, comme nous l'avons fait avec le président de la République au niveau national, un IRA européen qui défende sans relâche nos intérêts industriels, nos ouvriers, nos compétences, nos technologies, nos savoir-faire et notre attractivité. Tout ça suppose que nous nous battions à la fois au niveau européen et au niveau national pour continuer cette bataille de la réindustrialisation.
Au niveau européen, je vois trois enjeux clés, trois batailles décisives qu'il faut livrer sans aucune faiblesse, avec la plus totale détermination. La première bataille, c'est celle de l'innovation. Nous devons être toujours en pointe, toujours en recherche de nouvelles technologies. Nous sommes maintenant sur les batteries ion lithium liquide, commençons déjà à chercher les batteries ion lithium solides. Investissons dans les matériaux rares, investissons dans le raffinage, investissons dans le recyclage. Et comme tout cela va coûter non pas des milliards mais sans doute des dizaines de milliards d'euros, je vous livre une simple réflexion. Plutôt que de dépenser de l'argent pour une énième norme sur les véhicules thermiques, la norme Euro-7, peut-être ferions-nous mieux d'oublier cette norme Euro-7 qui va coûter de l'argent inutile à nos constructeurs automobiles pour consacrer le même argent à accélérer sur le véhicule électrique et sur les technologies de demain. Nous avons besoin d'investir dans les technologies de demain, pas dans celles d'hier. Nous avons besoin d'être les meilleurs sur les véhicules électriques, pas de dépenser de l'argent sur des normes que ni la Chine ni les Etats-Unis n'imposent à leurs constructeurs.
Deuxième défi clé pour l'Europe, financer son industrie. J'appelle une nouvelle fois l'ensemble des ministres des finances européens à mettre sur pied le plus vite possible un marché unique des capitaux pour que nos industriels n'aient aucune difficulté à lever l'argent dont nous aurons besoin pour la transition écologique. Innover, financer.
J'ajouterais un troisième mot clé qui a été trop longtemps un tabou en Europe. Protéger. Les responsables politiques sont là pour protéger, protéger nos ouvriers, protéger nos savoir-faire, protéger nos intérêts. Nous avons des intérêts économiques à protéger. Nous avons des technologies à protéger. Nous avons des emplois à protéger. Nous avons des ouvriers à protéger. Et si ce n'est pas nous qui protégeons nos ouvriers. Qui les protégera ? Donc je n'hésite pas à le dire, au-delà des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières, nous devons mettre en place des normes environnementales qui protègent nos productions. Nous ne devons pas hésiter à privilégier le contenu européen sur les autres contenus et nous devons faire des appels d'offres et des marchés publics le moyen de protéger nos intérêts industriels.
C'est ce que nous faisons, et je termine par-là, au niveau national. Notre projet de loi pour l'industrie verte, les différentes mesures qui s'y trouvent, la réorientation du bonus pour les véhicules électriques, l'engagement pour la formation et la qualification, tout ça doit nous permettre d'accélérer la transition écologique et la naissance de cette industrie de demain dont on voit ici les premiers groupes.
Vous êtes nombreux ce matin et je vois beaucoup de sourires dans l'assistance malgré la longueur de mon discours. Un responsable politique à qui vous demandez de faire court, c'est toujours un peu long. Preuve que Xavier Bertrand est un responsable politique singulier. Lui, il a su faire court. Je m'arrêterai donc là, mais je veux vous dire tout simplement que ce matin, dans une vie politique difficile, agitée, parfois violente, est tout simplement un moment de grand bonheur.
Je vous remercie.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 31 mai 2023