Texte intégral
Monsieur le Premier ministre, chukran.
Mesdames et Messieurs, merci de votre présence. Je voudrais tout d'abord vous dire que je suis heureuse d'effectuer aujourd'hui mon premier déplacement à Doha en tant que ministre française de l'Europe et des affaires étrangères. Je tenais à venir ici : j'avais reçu il y a bientôt un an Cheikh Mohammed, juste après ma prise de fonction, à Paris. Il était alors mon homologue, il est depuis Premier ministre. Je lui ai transmis mes félicitations, et je renouvelle devant vous ces félicitations. Je suis heureuse d'être là, merci Monsieur le Premier ministre de votre accueil si amical et chaleureux.
Chacun le sait, le Qatar est, de longue date, un partenaire stratégique pour la France. Et aujourd'hui nous voulons marquer, avec cette deuxième session de notre dialogue stratégique, une nouvelle étape dans le développement de nos relations. Nous avons tenu donc cette deuxième session ; la précédente s'était tenue début mars, l'an dernier. Et je crois que, de faire vite et de le faire de façon détaillée, comme l'a dit le Premier ministre, sur la base des réunions, des travaux entre nos deux administrations, illustre et manifeste visiblement la volonté de nos deux pays, la volonté partagée d'avoir une relation, d'ores et déjà, qui est excellente et confiante - et je veux faire là aussi l'écho à l'excellente et à la confiante relation qui existe entre son Altesse l'Emir Cheikh Tamim et le Président Macron -, mais nous voulons, à notre niveau, plus modeste, continuer et faire croître cette relation ; développer, comme l'a dit le Premier ministre, notre partenariat.
D'ores et déjà, notre coopération est de grande qualité et couvre une grande variété de sujets : des secteurs de la culture, nous en avons parlé ; de l'enseignement ; de l'enseignement supérieur ; de l'économie bien sûr, les investissements étrangers sont toujours bienvenus en France - le dirigeant du fonds souverain était tout récemment à Paris pour le sommet "Choose France" ; le domaine de l'énergie, qui est aussi un domaine d'avenir ; le secteur de la défense, qui est un domaine de coopération ancien entre nous mais qui peut se développer encore ; mais aussi, le Premier ministre l'a dit, les questions de sécurité et les questions sportives - nous avons pu être de très bons partenaires il y a quelques mois, et nous serons peut-être, comme vous l'avez dit, Monsieur le Premier ministre, appelés à l'être de nouveau à l'occasion des Jeux olympiques, ou à une autre occasion.
Sur tous ces domaines de coopération, nous souhaitons avancer. Nous avons parlé, le Premier ministre l'a dit, de pratiquement tous ces sujets de coopération bilatérale. Et je voudrais prendre, en complément de ce qu'il a dit, deux exemples, qui ne sont donc que des exemples - ce n'est pas un tableau exhaustif de nos relations que je vais dresser. D'abord dans le domaine de la coopération humanitaire et du développement : ce dialogue stratégique a été le moyen d'identifier la façon de relancer notre coopération entre nos deux agences de développement, qui peuvent faire beaucoup ensemble, et que nous encouragerons, donc, à faire des choses concrètes ensemble. Mais nous avons aussi l'ambition de développer nos mécanismes de gestion de crise. Nos deux pays ont dû faire face à des crises, et je saisis l'évocation de ce point pour remercier à nouveau le Qatar du rôle positif qu'il a joué dans l'évacuation de nos ressortissants d'Afghanistan lorsqu'il fallait y procéder. Mais nous pouvons aller au-delà et convenir ensemble de nouvelles opérations humanitaires conjointes. Nous en avons conduit dans le passé, notamment en Afghanistan, avec l'hôpital [de la] Mère [et de l'] Enfant. Nous pouvons, là ou ailleurs - mais là pourquoi pas - renouveler ces coopérations. Et donc je veux aussi rappeler, puisque j'évoque l'Afghanistan et l'aide que Doha nous avait apporté, vous dire que nous avons eu la joie d'avoir la visite en France de Madame la ministre al-Khater, il y a quelques semaines, à laquelle la plus haute décoration française, la Légion d'honneur, a été remise par ma secrétaire d'État.
Voilà un premier exemple. Je peux en prendre un autre, dans le domaine économique. Le Président de la République et l'Emir s'étaient mis d'accord pour structurer, mieux encore, nos projets d'investissement, et identifier de grands projets. Voilà une chose que nous devons faire aller de l'avant, que nous devons pousser dans une déclinaison concrète, et nous allons donc demander à nos deux agences - BPI France pour nous et Qatar Investment sont partenaires - de faire des propositions concrètes.
Tout ceci, ce sont des exemples, on pourrait en prendre d'autres, et des exemples pour illustrer notre ambition commune, qui est de développer notre partenariat. Et au-delà du dialogue d'aujourd'hui, d'illustrer, de développer cette volonté partagée, cette volonté commune de faire œuvre utile et de servir notre vision du monde. Servir non seulement nos intérêts, mais faire de la politique, en menant des projets de coopération.
Puisque j'évoque la sphère diplomatique, je veux saluer les succès diplomatiques visibles, et je dirais même récurrents désormais, du Qatar sur la scène internationale. J'évoquais l'évacuation de Kaboul, mais nous avons aussi parlé des pourparlers sur le Tchad, qui ont été facilités par le Qatar. On peut aussi évoquer la situation au Proche-Orient, où le Qatar, rappelant les positions de fonds qui sont les siennes et que la France partage pour une solution à deux États et une solution permettant aux deux peuples de vivre en paix et en sécurité, au-delà de ça, j'ai salué le rôle positif qu'a joué le Qatar pour faire cesser les affrontements récents à Gaza. Nous pouvons aussi saluer ce que ce pays a fait dans le domaine humanitaire : la Syrie, affectée tout récemment par les effets des terribles tremblements de terre en Turquie et en Syrie, ce que le Qatar fait aussi dans les territoires palestiniens, ou encore en Afghanistan. C'est un soutien qui est important, et qui est même essentiel pour les populations. Donc permettez-moi d'exprimer à nouveau devant vous, comme je l'ai fait devant le Ministre, le remerciement de mes autorités pour la contribution des autorités qatariennes au bien-être des populations.
Cette volonté de faire œuvre utile, ensemble, nous la mettons en œuvre conjointement, et sur des sujets de plus en plus nombreux. Je veux citer le Liban, pays qui nous est cher, où vous agissez, où nous agissons, où nous apportons notre aide . Dois-je dire soutien ou encouragement ? Aujourd'hui, je vais dire encouragement politique, pour qu'une solution aux difficultés politiques et économiques soit trouvée ; en clair, pour débloquer la situation. Et donc nous agissons ensemble, avec le Qatar, au soutien du Liban, de sa population, de son armée. Et il faut continuer à appeler les responsables politiques libanais au sens des responsabilités, pour enrayer la dégradation de la situation économique et trouver une solution politique. Et donc, élire un président de la République rapidement, représentant tous les Libanais, et désigner un Premier ministre de plein exercice. Nous pouvons, ensemble je crois, porter ce message auprès des Libanais.
Partenariat de grande qualité également face à l'agression menée par la Russie en Ukraine, le Premier ministre l'a dit. Et j'ai eu l'occasion de répéter que ça n'est pas qu'un sujet européen : c'est un sujet qui, fondamentalement, remet en cause les normes fondamentales de la Charte des Nations unies, donc les principes fondamentaux du vivre-ensemble dans la société internationale, ce qui nous lie tous, "nous, peuples des Nations unies", comme le dit la Charte. Et c'est à ce titre que la guerre nous concerne tous, et que nous ne pouvons pas laisser se dérouler cette agression de la façon dont elle se déroule. Je crois que nos positions sont proches, et nous essaierons de faire progresser un retour aux principes des Nations unies.
Et puis je voudrais citer un dernier sujet. Vous savez qu'il tient à cœur au Président de la République, qui a été très heureux de pouvoir participer à deux éditions du dialogue inter-régional, que l'on appelle le format de Bagdad. Et comme je voyais, tout à l'heure dans un autre pays, notre collègue irakien, je lui ai dit le souhait qui était le nôtre d'aide son pays à organiser la conférence Bagdad III, à la fin de l'année. C'est-à-dire non pas faire des conférences pour faire des conférences, mais injecter du dialogue dans une région qui a besoin de dialogue, qui a besoin de faire baisser les tensions, mais aussi qui a besoin de développer les coopérations concrètes, raison pour laquelle nous aimerions que le format Bagdad permette non seulement un dialogue indispensable et très utile, mais de pousser, désormais, un certain nombre de projets concrets, qu'il s'agisse du changement climatique, de l'eau, de la sécurité alimentaire ou de tout autre sujet que les États concernés choisiront.
Voilà, vous voyez qu'au-delà du bilatéral, il y a pour nous beaucoup d'enjeux à notre dialogue pour les questions internationales, et au-delà même, sur tous les enjeux globaux : transition climatique - je l'évoquais -, santé, transformation de nos économies, basculement vers le numérique... Et en ombrelle générale de tout cela, l'attachement au multilatéralisme, l'attachement à un multilatéralisme efficace, qui permette de faire progresser l'entente entre les nations.
Je vous remercie.
(...)
R - Merci beaucoup Madame. J'aurai en réalité assez peu de choses à ajouter à ce qu'a dit le Premier ministre, qui a très bien décrit l'esprit dans lequel nous travaillons. L'esprit de notre dialogue et la finalité de ce dialogue, qui est d'apporter notre contribution à la paix, la sécurité, la stabilité dans le monde, par les moyens qu'il a décrits. Et j'ajouterais à l'habituel duo paix/sécurité un troisième mot clé, qui est celui du développement, parce que votre question est très juste : il ne peut pas y avoir de paix durable s'il n'y a pas un développement - et en même temps -, et un développement qui soit aussi harmonieux que possible et au bénéfice de l'ensemble des populations. Alors, comment faisons-nous pour cela ? Par, je dirais, le moyen du dialogue. Nous encourageons les uns et les autres à dialoguer davantage, nous appuyons les efforts de dialogue comme nous l'avons fait, le Premier ministre l'a dit, au sujet des efforts réussis développés par le Qatar au Tchad. Donc, par le dialogue d'une part, et par le rappel de la nécessité absolue de respecter les principes de la Charte des Nations unies et le droit international. Dialogue et principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, deux choses qui sont trop peu suffisamment pratiquées aujourd'hui dans le monde. Et je crois que la contribution de nos pays, c'est aussi de rappeler cela, rappeler que c'est par ces moyens, au-delà des cas particuliers qui ont été évoqués, que nous devrons progresser et je dirais même qu'il n'y a pas d'autre façon de progresser.
Q - Madame la Ministre, vous avez une convergence de vue avec le Qatar sur la Syrie, au moment où vous avez fait savoir que vous n'êtes pas d'accord avec d'autres pays de la région qui ont poussé vers la réintégration de la Syrie dans son environnement arabe. Mais, au-delà de cette convergence d'approche avec le Qatar, envisagez-vous une initiative conjointe, une action commune avec le Qatar pour pousser vers un règlement politique ? Vous avez parlé aussi du soutien au Liban, vous en avez discuté, mais concrètement, est-ce qu'on attend des annonces pour soutenir, par exemple, l'armée libanaise, ou d'autres actions ?
R - Très brièvement, parce qu'en effet vous avez rappelé la position de la France sur la Syrie, où nous comprenons mal la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe sans qu'il y ait eu de contrepartie ou, a fortiori, d'engagement pris et respecté, tenu, vérifié, de la part de ce pays. Mais ce n'est pas à nous de prendre une initiative. Nous nous en tenons à ce qui a été dit, le Premier ministre le rappelait, par le Conseil de sécurité des Nations unies, dans sa résolution 2254. Au moment où je vous réponds, aucune des demandes qui ont été faites, aucune des conditions qu'il faudrait satisfaire ne sont réunies. Il est donc important, tout simplement, que là aussi le droit international soit respecté, pour que les choses puissent progresser. Quant à votre question sur le Liban, l'aide que nous apportons à ce pays est politique. J'ai eu l'occasion devant vous de saluer la nomination de Jean-Yves Le Drian, qui va apporter tout son poids pour faire progresser, s'il le peut, le dialogue entre les Libanais, de façon à ce qu'il se conclue par des prises de décision qui n'ont que trop duré. Notre aide est aussi économique, elle touche l'éducation, elle touche la culture. Je ne vois pas d'autres domaines dans lesquels il faudrait, pour le moment, s'investir.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juin 2023