Texte intégral
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête en recevant Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.
Madame la ministre, vous occupez cette fonction depuis le 20 mai 2022. Auparavant, vous avez été secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, d'octobre 2018 à juillet 2020, puis ministre déléguée chargée de l'industrie, de juillet 2020 jusqu'à mai 2022.
La rénovation des logements est au coeur de la politique de transition énergétique de la France. Je souhaite donc en préambule que vous nous exposiez la stratégie de la France en la matière. Quelle est la place de la rénovation énergétique des logements dans la transition énergétique d'ici à 2030, entre 2030 et 2050 et au-delà ? Comment contribue-t-elle à relever le défi du " mur énergétique qui attend la France en 2030 " selon l'expression que vous avez vous-même employée ?
Nous aimerions également vous entendre sur ce que vous considérez comme les principaux freins à la politique de rénovation énergétique des logements en France et les améliorations possibles.
Dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le pays s'est donné l'objectif de disposer d'un parc entièrement rénové aux normes " bâtiment basse consommation " (BBC) en 2050, ce qui supposerait la rénovation performante d'au moins 500 000 logements par an. Pourtant, hier, la Première ministre n'a annoncé que 200 000 rénovations performantes à l'horizon 2024 à l'occasion de la conclusion du Conseil national de la refondation sur le logement.
En parallèle, l'atteinte de l'objectif de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 suppose, d'après le Secrétariat général à la planification écologique, un effort de réduction de 27 millions de tonnes de CO2 par la rénovation énergétique des logements, dont 17 millions de tonnes CO2 qui seraient évitées grâce au remplacement des chaudières.
À cet égard, lors du Conseil national de la transition écologique du 22 mai, présidé par la Première ministre, il a été évoqué l'interdiction des chaudières à gaz, dans la lignée de celle des chaudières au fioul. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette mesure ?
Est-ce que le remplacement des systèmes de chauffage pourrait se faire au détriment du renforcement de l'isolation des bâtiments, et donc de l'atteinte des objectifs de la SNBC ? De plus, est-ce que cela ne conduirait pas à donner à l'électricité une place trop importante et peut-être non soutenable dans le mix énergétique du pays ?
Dans le cadre d'une audition le 31 mai à l'Assemblée nationale, vous avez annoncé vouloir travailler sur la question du " reste à charge zéro " pour les ménages modestes. Le reste à charge est en effet l'un des principaux obstacles à la politique de rénovation énergétique pour ces ménages, mais dans le même temps, atteindre un « reste à charge zéro » comporte des effets pervers, notamment pour des raisons de fraude, comme l'ont montré les "offres à 1 euro".
Plusieurs acteurs accompagnant les ménages très modestes nous ont également fait part de leurs réserves pour des raisons de dignité, ces personnes souhaitant être parties prenantes de la rénovation de leur logement. Comment diminuer le reste à charge des ménages, tout en maintenant un signal-prix suffisant et s'assurer de l'engagement des personnes directement concernées ?
À ce titre, les prêts à la rénovation énergétique, que ce soit l'éco-PTZ ou le "prêt avance rénovation" (PAR), sont des outils essentiels pour financer le reste à charge des ménages, mais ils n'ont pas encore atteint les ménages modestes - le prêt avance rénovation en particulier cible les ménages modestes, mais il est très peu distribué. Comment expliquez-vous ce faible déploiement ? Le Gouvernement a-t-il des propositions concrètes pour l'améliorer, le point ayant été évoqué hier soir par la Première ministre ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : "Je le jure".
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Pannier-Runacher prête serment.
Madame la ministre, vous avez la parole.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Madame la Présidente, monsieur le Rapporteur, mesdames et messieurs les Sénateurs, merci de m'auditionner dans le cadre de vos travaux consacrés à la rénovation énergétique. Ces travaux seront également pris en compte dans le cadre de ceux que nous menons concernant la loi de programmation Énergie-climat et des sept groupes de travail qui ont été lancés en début de mois.
Avant d'en venir aux différents axes d'action de la politique que je porte, un mot général sur le sujet. Parmi tous les leviers de la transition énergétique sur lesquels agit mon ministère, ce levier-là a une sensibilité particulière pour nos concitoyens, et en particulier les plus jeunes.
On peut évidemment penser aux différentes manifestations de collectifs citoyens ou associatifs, mais j'entends également une attente forte sur cette question en raison d'une prise de conscience collective du poids considérable du secteur du bâtiment dans nos émissions de gaz à effet de serre, sur lequel chacun peut agir à titre individuel, mais aussi d'un souci de justice sociale. Ces travaux ne sont pas seulement des contraintes. Ce sont aussi des opportunités pour les logements d'acquérir plus de confort grâce à une plus grande chaleur l'hiver et à une plus grande fraîcheur pendant l'été. C'est un sujet qui devrait monter dans les années qui viennent.
Cela représente évidemment plus de pouvoir d'achat de manière pérenne, car les factures d'énergie se stabilisent et baissent après rénovation. Or vous l'avez dit, tout le monde n'a pas les moyens de se payer ces travaux. Je ne centrerai pas mon propos sur le tertiaire et le public. Je veux simplement dire qu'il est très important de considérer les trajectoires carbone du bâtiment et avoir une politique très claire dans ce domaine.
Le secteur résidentiel représente plus de 30% de notre consommation en énergie et 10% de nos émissions de gaz à effet de serre. C'est la raison pour laquelle la rénovation thermique du parc de logements est une priorité de l'agenda climatique national présenté par la Première ministre le 22 mai dernier. Cet agenda s'inscrit plus globalement dans les objectifs très ambitieux fixés par le Président de la République de faire de la France le premier grand pays au monde à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles pour atteindre une neutralité carbone en 2050.
La rénovation énergétique est à cet égard un des grands leviers de notre stratégie énergétique, qui se décline en quatre piliers : efficacité énergétique, dont la rénovation est une composante essentielle, sobriété énergétique, déploiement des énergies renouvelables et relance historique de la filière nucléaire.
Permettez-moi de rappeler que l'année 2022 a vu nos émissions de gaz à effet de serre baisser de 2,7%. Compte tenu de la crise énergétique dans laquelle nous nous trouvions, il n'était pas si aisé que cela d'atteindre ce pourcentage. Les bâtiments ont baissé leurs émissions de gaz à effet de serre sur toute l'année de 15%. On voit donc bien qu'il ne faut pas séparer efficacité énergétique et sobriété énergétique. C'est une façon d'aborder l'effet rebond, qui revient souvent dans les problématiques sur les politiques d'efficacité de rénovation thermique.
Depuis le Grenelle de l'environnement lancé par Jean-Louis Borloo, la France s'est fixé des objectifs ambitieux de rénovation énergétique. Pour y parvenir, l'État a déployé de nombreux dispositifs pour inciter les Français à rénover leur logement. Le crédit d'impôt transition énergétique (CITE), supprimé en 2020, marque un changement de philosophie majeure, sous le précédent quinquennat, avec la création de MaPrimeRénov'. L'aide était en effet mal ciblée, puisqu'elle bénéficiait à peu de ménages et plutôt aux ménages les plus aisés. C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de repenser et de réorienter le dispositif vers les ménages les plus modestes.
Par ailleurs, le dispositif permettait des gains énergétiques et climatiques modestes - je pense notamment au changement de fenêtres. Le quinquennat précédent a permis des avancées structurantes pour répondre à ces différents écueils.
MaPrimeRénov, qui a été lancée en 2020, a permis de massifier des écogestes chez les ménages, avec plus de 1,6 million de projets de travaux engagés et aidés depuis 2020. Elle est plus juste, puisqu'elle a réorienté les financements à plus de 80% en faveur des ménages modestes - 40% de la population contre 10% seulement avec l'ancien crédit d'impôt.
En matière de suivi qualitatif des opérations, la refonte du diagnostic de performance énergétique nous dote d'un outil plus solide pour évaluer réellement la performance environnementale du parc. C'est un indicateur fondamental pour appliquer le calendrier ambitieux de la loi Climat et résilience et éradiquer les passoires thermiques dans le parc locatif.
Nous avons aussi renforcé l'accompagnement, grâce au lancement, en début d'année 2022, du service public de la rénovation de l'habitat, France Rénov'. Cette marque unique, qui rassemble le réseau de l'Ademe et de l'Anah doit nous permettre d'offrir, partout sur le territoire un point d'entrée délivrant une information et un conseil de qualité sur les travaux et les aides mobilisables.
MaPrimeRénov' a eu aussi des résultats sur l'efficacité énergétique des opérations, puisque le dispositif a permis en 2021 une augmentation des économies d'énergie annuelle de l'ordre de 40% par rapport au crédit d'impôt en 2019. L'impact carbone du dispositif est par ailleurs très positif : 90% des systèmes de chauffage renouvelable installés se substituent au fioul ou au gaz. Nous nous y retrouvons donc au regard de notre objectif de décarbonation des logements.
Il faut d'ailleurs noter que l'objectif de réduction de notre consommation d'énergie et celui de réduction des gaz à effet de serre ne sont pas totalement convergents. Il faut donc avoir ces aspects à l'esprit lorsque nous arrêtons des politiques publiques.
Évidemment, nous pouvons aller plus loin. Maintenant que nous avons posé les bases de la structuration d'un service public unifié de l'habitat, nous voulons renforcer l'efficacité de cette politique, accélérer la réduction de la consommation d'énergie et la sortie des passoires thermiques. Je rappelle qu'un texte va nous y inviter très directement. Il s'agit de la directive sur la performance énergétique des bâtiments. Ce texte est actuellement en discussion, mais sa vision est alignée sur la loi française. Nous plaidons en ce sens. Cela signifie que nous sommes en train de créer, au-delà de la France, deux véritables filières européennes pour accompagner cette mutation. Ce n'est pas indifférent pour les politiques que nous menons.
La marche est haute. Vous l'avez rappelé, les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment se sont élevées à 75 millions de tonnes en 2021. Il faudrait atteindre 30 millions de tonnes en 2030, soit une baisse de plus de 60%. C'est cette trajectoire qui est discutée dans le cadre de la SNBC, cadre dans lequel nous menons les concertations avec des sénateurs, des députés, des élus locaux et les filières.
Avec mes collègues Christophe Béchu et Olivier Klein, nous avons identifié plusieurs axes de travail. Il s'agit tout d'abord de fiabiliser le parcours des usagers en portant une attention particulière aux délais de traitement des dossiers. Même si les retards concernent moins de 2% des 700 000 dossiers traités par an, ce sont quand même des milliers de dossiers en trop, et c'est surtout un bruit de fond négatif qui peut retarder le passage à l'acte des ménages français.
Une attention particulière doit aussi être portée aux dysfonctionnements de la plateforme, tout en demeurant intraitable sur les fraudes et les tentatives de fraudes. Il faut néanmoins avoir conscience de ce point de tension. On ne peut en même temps vouloir des contrôles toujours plus rapides et pointer l'existence d'arnaques et de fraudes. Il y a donc un juste milieu à définir.
Je souhaite également que nous accélérions le remplacement des 11 millions de chaudières à gaz et des plus de 2,7 millions de chaudières à fioul. La concertation que nous avons lancée hier doit permettre, avec les acteurs de la filière, de documenter les solutions alternatives en considération des enjeux environnementaux, mais aussi les solutions économiques, sociales, géographiques, car on n'a pas les mêmes solutions sur un territoire rural, au nord ou au sud de la France.
L'alternative à une chaudière au fioul ou à une chaudière au gaz n'est pas nécessairement l'électricité. On sait tous que la chaleur renouvelable est un levier particulièrement puissant, avec un coût d'abattement de la tonne carbone compétitif. Il est également possible de recourir à la géothermie. Ce n'est pas un gigantesque gisement, mais c'est quand même une énergie intéressante et permanente. Il ne faut donc pas se limiter à la seule solution de l'électricité.
Plus on anticipe, plus on laisse le temps aux filières industrielles et aux filières des services de s'organiser pour permettre ces changements lorsque la chaudière est hors d'usage. Ne pas remplacer du fossile par du fossile paraît assez naturel. On peut, à cette fin, recourir à des options d'accélération, un peu comme avec la prime à la casse pour les véhicules thermiques. Si on veut atteindre la neutralité carbone en 2050, il faut anticiper ces sujets.
La peur n'excluant pas le danger, il nous semble important de poser le sujet de la manière la plus sereine possible et de tracer des perspectives ambitieuses d'accompagnement de la filière et des ménages.
Je souhaite enfin que nous intensifiions nos efforts sur le nombre de rénovations performantes au sens de la loi, c'est-à-dire celles qui permettent un gain énergétique de l'ordre de 50%, en offrant surtout aux ménages vivant dans les passoires thermiques une réduction durable de leurs factures d'énergie. On en comptait 70 000 l'année dernière. Elles ont représenté 10% des rénovations aidées par MaPrimeRénov' en 2021 et 2022. C'est beaucoup plus qu'avec le CITE, mais notre objectif est de tripler le nombre de rénovations en 2024.
On a multiplié par dix le nombre de dossiers de rénovation entre le début du précédent quinquennat et la fin de celui-ci. L'objectif est d'accélérer le mouvement en structurant les solutions et les filières pour que cela fonctionne.
Dans cette perspective, le Gouvernement entend structurer les aides autour de deux piliers dès 2024, pour plus de lisibilité et un meilleur ciblage des opérations, ainsi qu'une optimisation de nos ressources. Le pilier " performances " comprend des aides renforcées, avec un accompagnement obligatoire pour les rénovations d'ampleur et pour les passoires thermiques. Le pilier " efficacité " va permettre de réaliser des travaux dans les logements occupés autour de bouquets efficaces, en couplant la rénovation, l'isolation et le changement de chaudière, voire proposer un simple changement de chaudière dès lors que le bâtiment est récent et a des qualités d'isolation acceptables. Cela va permettre d'accélérer les choses. Il faut avoir à l'esprit que certains travaux ne peuvent se faire dans des logements occupés. Déménager pour six mois n'est pas simple.
Concrètement, nous allons nous appuyer sur plusieurs leviers structurels pour mettre en oeuvre ces deux évolutions. Nous devons renforcer l'attractivité des opérations de rénovation auprès des ménages en les accompagnant mieux. L'idée est de renforcer le conseil de proximité et l'accompagnement de bout en bout. On dispose aujourd'hui de 550 guichets physiques France Rénov'. Notre objectif serait d'en avoir un par intercommunalité, qu'il s'agisse d'un guichet dédié, d'une maison France services avec une personne formée ou d'un service de l'intercommunalité labellisé France Rénov'. On voit bien l'enjeu de ces contrats et l'importance de travailler main dans la main avec les élus locaux et les collectivités locales.
Un accompagnement technique neutre, fiable et de qualité est nécessaire. C'est le sens du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Il s'agit de proposer aux ménages un interlocuteur de confiance qui les accompagne dans un projet de rénovation approfondi, car on sait que ce sont des projets plus complexes.
Pour les ménages les plus précaires, la Première ministre a acté, comme je le défendais, un " reste à charge zéro " en matière d'accompagnement. L'objectif est de créer un conseil de service public où l'on garantit qu'il n'y a pas d'interférence avec des intérêts favorisant tel type de technologie ou de travaux, ce qui permet de boucler l'ensemble du dossier dans sa dimension financière et technique.
Ce nouveau programme, qui est financé par les certificats d'économies d'énergie (CEE) portés par mon ministère, sera doté d'environ 300 millions d'euros. C'est l'estimation que nous en faisons aujourd'hui pour deux à trois ans.
Les niveaux de prise en charge pour les autres ménages seront précisés la semaine prochaine. Je vous confirme qu'ils resteront très importants, également pour les ménages dits modestes.
Je rappelle que nous avons engagé en mai une concertation avec les collectivités locales mobilisées sur les thématiques de rénovation et d'habitat pour garantir la bonne structuration de ce service sur le territoire. Nous aurons aussi besoin de capitaliser sur l'action et le volontarisme des collectivités locales, qui sont des partenaires financiers étroits de l'État et de l'Anah sur ces thématiques.
Nous devons en outre poursuivre notre travail pour rendre plus incitatives les aides et mieux les adapter à la situation des ménages, en particulier les plus modestes, d'abord en facilitant leur cumul. Il existe pour ce faire deux aspects structurants. Le premier est de faciliter le cumul de MaPrimeRénov' et des CEE. Or nous savons qu'ils ont été conçus avec des logiques différentes et qu'il n'est pas si simple de les empiler. Les critères sont donc différents. Il nous semble que ce n'est pas aux ménages - en particulier les plus modestes - de réaliser toute l'ingénierie financière et de remplir les dossiers. Cela peut constituer un rôle important de Mon Accompagnateur Rénov'. Je défends le couplage des aides CEE et MaPrimeRénov' au niveau de l'Anah.
Il convient par ailleurs de faciliter le financement du reste à charge grâce aux facilités bancaires. Sur ce point, il faut retravailler le financement et étudier tous les freins qui existent, qu'il s'agisse de l'éco-PTZ ou du prêt avance-rénovation. Le prêt bancaire vise notamment à prendre en compte la situation de surendettement, d'endettement ou la capacité de remboursement des personnes les plus fragiles. Si celles-ci se distinguent précisément par un revenu fiscal de référence qui ne leur permet pas de justifier du niveau de remboursement qui leur est demandé, le serpent se mord la queue. Il y a là un sujet d'accompagnement. Des dispositifs de garantie d'État ont été mis en place.
Je suis d'accord avec vous à propos de la notion de dignité que vous évoquez à propos du " reste à charge zéro ". Pour que cela fonctionne, il faut aussi que les ménages soient les acteurs de la rénovation, qu'ils choisissent leur niveau de confort. Ce projet leur appartient, mais il faut être conscient que certains de nos dispositifs ne sont pas activés parce que ces ménages ne remplissent pas les cases pour un prêt bancaire classique ou même renforcé. Peut-être faut-il d'ailleurs se poser la question de la façon dont on peut engager le financement sur la base des perspectives d'économies d'énergie. Je n'ai pas de réponse à ce stade, mais ce sont des éléments qu'il faut regarder plus précisément.
Nous devons ensuite travailler pour rendre les rénovations performantes plus incitatives que les aides monogestes, grâce à une évolution des barèmes qui rende plus intéressant le fait de réaliser trois ou quatre gestes plutôt qu'un simple changement de chaudière. C'est ce que je défendrai dans les discussions interministérielles dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. La Première ministre a indiqué hier que les aides à la rénovation performante augmenteront l'année prochaine.
Je pense qu'il peut être intéressant d'envisager un ticket modérateur pour s'assurer du sérieux des projets, mais j'invite chacun à regarder à quel point il s'agit de sommes considérables pour les ménages dont nous parlons.
Je renvoie ces sujets aux futures discussions budgétaires, mais également à la discussion avec les collectivités locales, qui sont nos partenaires financiers, en particulier pour accompagner les publics fragiles.
Il faudra évidemment intégrer dans cette approche les CEE gérées par mon ministère. Ils représentent environ 3 milliards par an pour le logement résidentiel. Dès 2024, ils permettront de financer la montée en puissance des rénovations d'ampleur avec Mon Accompagnateur Rénov'.
Enfin, la réalisation de rénovations performantes ne déprendra pas seulement des aides et de l'ingénierie financière. Il nous faut aussi plus de professionnels en mesure de proposer ces rénovations d'ampleur et des groupements d'artisans en mesure de le faire. C'est un point assez consensuel dans toutes les discussions que moi j'ai pu avoir avec le Parlement.
La seconde édition des Assises du bâtiment a vocation à identifier les freins, mais aussi les leviers à activer, comme les recrutements et les reconversions dans les métiers de la rénovation énergétique. Sur ces différents enjeux, on le sait, la mobilisation de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et de la Fédération française du bâtiment (FFB) sera déterminante. J'espère que les évolutions que nous apportons en matière de lycée professionnel, d'enseignement professionnel, de reconversion et tout le travail que nous réalisons en faveur de France Travail pourront alimenter la mise en place de ces filières.
Un dernier mot avant de conclure pour vous faire part du travail entrepris avec les ministres Attal, Grégoire et Barrot sur la lutte contre la fraude aux travaux de rénovation énergétique. Il est impossible, aujourd'hui, de naviguer sur Internet sans tomber sur des publicités agressives et peu crédibles sur la rénovation thermique. Chacun a en tête des exemples déplaisants de devis forcés, voire de vente forcée, de travaux mal réalisés ou de faux dossiers. C'est un sujet sur lequel nous devons être intraitables au regard des sommes que nous voulons mettre en oeuvre en plus dans cette politique et de la nécessaire confiance que doivent avoir nos concitoyens dans le système et la qualité des travaux menés.
On aura prochainement l'occasion de détailler ces mesures anti-fraudes et anti-arnaques. Elles sont d'autant plus utiles que, si l'on veut faire de l' " aller vers ", il faut bien distinguer le vrai fonctionnaire qui appelle un ménage qui vit dans une passoire thermique du démarcheur qui est là pour placer des pompes à chaleur achetées en Asie.
Vous l'aurez compris, le Gouvernement poursuit la montée en puissance de sa politique de rénovation de logements dans le but de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, notre consommation énergétique et éradiquer les passoires thermiques grâce à la mise en place d'un écosystème performant qui regroupe pouvoirs publics, professionnels du bâtiment, acteurs du financement et collectivités locales, qui seront absolument clés, notamment pour fournir la connaissance du tissu artisanal et de l'écosystème local afin d'aller plus vite.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez fait référence au prochain projet de loi de finances, dans le cadre duquel certaines mesures pourront bien évidemment être discutées, voire votées. Cependant, vous n'avez pas parlé de la loi pluriannuelle sur l'énergie à venir. Cela signifie-t-il qu'il y aura aussi dans cette loi des points qui concerneront cette politique de rénovation énergétique des logements ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Tout à fait, car vous l'avez souhaité. Je rappelle que la loi de programmation Énergie-climat doit contenir les objectifs de rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment pour deux périodes successives de cinq ans, en cohérence avec l'objectif de disposer, à l'horizon 2050, d'un parc de bâtiments sobres en énergie, etc., via la mise en oeuvre d'un système stable d'aides budgétaires, d'aides fiscales de l'État, accessibles à l'ensemble des ménages et modulées selon leurs ressources. Il faut également tenir compte des spécificités territoriales liées notamment aux typologies d'habitation et aux conditions climatiques.
Les rénovations portent notamment sur les gestes à accomplir dans le cadre de travaux, les bouquets de travaux, ainsi que sur les rénovations énergétiques performantes et globales. Tout est déjà dans la loi Climat et résilience. Nous y travaillons. C'est l'un des objets du groupe de travail sur l'efficacité énergétique pour lequel nous vous avions sollicités.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il est vrai que l'on pourrait être tenté, en matière de rénovation thermique, de changer d'équipement de chauffage et ainsi aller vers l'électrique pour décarboner. Comment faire pour ne pas tomber dans cette dérive ? Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que l'on soit sur de la rénovation globale, mais plutôt sur des changements de chaudières.
J'entends bien que l'objectif est de se passer de tous les moyens de chauffage recourant aux hydrocarbures, mais le fait de se passer totalement du gaz pose aussi la question de savoir comment on aborde ce changement au niveau de chaque territoire. Il serait surprenant qu'on propose une pompe à chaleur plutôt que des chaudières à gaz lorsqu'il existe des projets de méthanisation.
Il en va de même pour les réseaux de chaleur : on a pu préconiser des pompes à chaleur lorsqu'il existe déjà un réseau de chaleur et qu'il aurait été plus logique d'intervenir à ce niveau. Est-il prévu de développer le fonds chaleur ? Dans les collectivités où existaient déjà un accompagnement et des plateformes de rénovation, les résultats sont intéressants et fluides. Attention à ne pas créer un nouveau dispositif et à ne pas revenir en arrière. Comment inscrivez-vous votre dispositif dans cette démarche locale ?
Le fait de disposer d'une maison France services par intercommunalité paraît intéressant. Encore faut-il que les collectivités en aient les moyens. Les maisons France services sont financées en grande partie par les collectivités. Ce biais local me paraît particulièrement important.
S'agissant du DPE, tout le monde se dit qu'il s'agit globalement d'un thermomètre plutôt intéressant, mais il faut l'améliorer. De quelle manière l'applique-t-on ? On avait tout à l'heure une table ronde avec les représentants des copropriétés. La question du DPE collectif est un vrai sujet. Comment faire en sorte de ne pas se retrouver avec des logements individuels qu'on ne peut plus louer et où le propriétaire ne peut rien faire ?
Par ailleurs, les accompagnateurs du dispositif Mon Accompagnateur Rénov' vont faire partie d'un dispositif assez important. On n'a pas encore compris leur périmètre d'intervention. S'agit-il d'un simple accompagnement administratif - recherche de subventions, etc. ? On nous a parlé de missions de 150 à 200 euros.
On nous a aussi parlé d'un super accompagnateur qui suivrait la totalité de la mission avec une quasi-maîtrise d'oeuvre, pour des prestations de l'ordre de 2 000 euros ou 3 000 euros, ce qui n'est pas neutre pour les ménages modestes. Cela change aussi le rôle de l'accompagnateur.
S'agissant de la fraude, on trouve sur Internet des sites de toutes sortes, dont ceux d'Engie ou de Total, qui ne sont pas de petites entreprises et qui orientent leurs clients vers un changement de chaudière. Quelqu'un qui veut simplement faire des économies va être totalement exclu de tout accompagnement.
Le fait de généraliser le DPE permettrait une meilleure visibilité globale de l'ensemble des bâtiments et nécessiterait surtout d'en disposer pour toute demande de subvention, ce qui permettrait d'éviter d'être mal orienté et de se faire une idée des premiers travaux à réaliser.
Enfin, comment imaginez-vous l'harmonisation des CEE et de MaPrimeRénov' pour que les choses soient plus simples pour l'utilisateur et qu'il n'existe pas trop d'orientations différentes - combles à un euro, chaudières à un euro ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Tout d'abord, il n'est pas de notre intérêt de faire du " tout électrique ", même si nous sommes très " électro-centrés " en France, a fortiori quand on a des réseaux de chaleur disponibles ou des projets de réseaux.
Vous avez mentionné le fonds Chaleur. Avec Christophe Béchu, nous sommes très clairs : aujourd'hui, le fonds Chaleur est l'outil qui fonctionne le mieux dans les projets de collectivités locales, les projets industriels ou les projets en faveur des ménages, comme le soutien à la géothermie. Plus de 900 millions d'euros de dossiers sont déposés. On était à 320 millions d'euros de crédit il y a deux ans. On est passé à 570 millions d'euros cette année, et cela ne fait qu'augmenter. Or ce ne sont pas de mauvais projets. Le coût d'abattement de la tonne carbone de ces projets est très compétitif. Ce sont des projets qui doivent être soutenus. On peut avoir des doutes sur certains sujets. Certains relèvent de la transition. Ce n'est pas le cas ici.
S'agissant de la méthanisation et des réseaux de gaz, parle-t-on de boucles courtes, qui peuvent inciter à conserver la même situation, ou d'injections dans le réseau ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. Si l'on constate mécaniquement une diminution du recours au gaz, le coût du réseau de distribution sera supporté par un nombre toujours décroissant de personnes, avec un risque pour elles de ne pouvoir payer. Cela doit se faire en bon ordre et avec différents scénarios. C'est pourquoi j'invite à la vigilance et à se poser les bonnes questions tout de suite.
Toutefois, la pompe à chaleur hybride permet, dans des zones froides, d'avoir de l'électricité les trois quarts du temps et de faire face aux pics de froid grâce au bon dimensionnement du chauffage. Il n'y a donc pas de façon unique de faire.
De même, on peut pousser à la progression des renouvelables dans le réseau de chaleur, mais on ne peut changer de logique du jour au lendemain. Les Pays-Bas et l'Allemagne ont été amenés à revoir certains paramètres. Ceci est riche d'enseignements. Les filières industrielles sont très importantes pour nous. Beaucoup d'acteurs sont très bons en matière de chaudière gaz, mais ont déjà une offre de pompes à chaleur, comme Atlantic et autres producteurs français. Le marché européen va totalement décoller. Il faut faire en sorte que le basculement vers ce nouveau marché soit réalisé dans les temps pour que nos industriels puissent suivre et adapter leur appareil de production. Aujourd'hui, on a des produits de meilleure qualité que ce que l'on peut voir hors de l'Europe.
Pour ce qui est des collectivités locales, je suis totalement d'accord avec vous. Les maisons France services peuvent être remplacées par un point France services ou un guichet de la collectivité locale qui a déjà l'expérience et qu'on labellise France Rénov' à telle ou telle condition contractuelle. L'enjeu est d'avoir un point d'entrée France Rénov' dans toutes les intercommunalités, en utilisant les voies les plus évidentes dans le dispositif physique dont nous disposons, soit le guichet de l'intercommunalité, soit un guichet qui existe déjà mais qui n'est pas spécialisé en matière de rénovation, soit un guichet déjà spécialisé dans la rénovation. Il ne faut pas casser ce qui existe. On risquerait de retarder les politiques que nous portons.
S'agissant du diagnostic et du collectif, je pense qu'Olivier Klein et Christophe Béchu vous répondront plus directement sur ces sujets. Nous avons effectivement un plan d'action pour améliorer la qualité des DPE. Il s'agit de renforcer les compétences des diagnostiqueurs - sensibilisation, formation, meilleur outillage des organismes de certification des diagnostiqueurs et plus grand nombre de contrôles sur le terrain. Pour ce qui est des décisions collectives, il convient également de réfléchir aux modalités de prise de décisions en copropriété. Ce sont des points qui ont été déjà traités en matière de bornes de recharge.
Mon Accompagnateur Rénov' a bien une mission approfondie. Il s'agit plus de plusieurs milliers d'euros que d'une centaine d'euros. Ce dispositif comporte trois objectifs. Le premier consiste en un accompagnement technique - audit énergétique, recommandations de scénario de travaux, orientation vers des artisans reconnus garants de l'environnement (RGE) et aide à l'analyse des devis. Le deuxième objectif concerne l'accompagnement financier - aide à la mobilisation financière pour réduire le reste à charge, possibilité d'accompagnement administratif dans la réalisation des démarches.
C'est là qu'un travail est à faire en matière d'alignement des CEE et de MaPrimeRénov'. J'ai l'habitude de dire à mes équipes que les Français veulent des prestations. À nous de savoir de quel numéro de programme cela dépend et qui le gère. Ce devrait être totalement transparent du point de vue des ménages. C'est plus facile à dire qu'à faire mais c'est vers cela qu'il faut tendre.
J'ai fait une proposition qu'il faut approfondir. On dispose de données opérationnelles sur les logements. Grâce à Enedis et Gazpar, on connaît les consommations et le nombre de mètres carrés grâce aux fichiers fiscaux. Tout ce champ devrait être investigué pour sécuriser des parcours plus efficaces en termes d'objectifs et toucher les bonnes personnes.
Le troisième objectif de Mon Accompagnateur Rénov' est celui de l'accompagnement social dans les situations de précarité énergétique, d'habitat indigne ou de perte d'autonomie. Mon Accompagnateur Rénov' peut réaliser des missions supplémentaires.
Quant au DPE obligatoire, il peut aussi constituer un frein au passage à l'acte. Si vous rapprochez les données de consommation du nombre de mètres carrés, on est capable dans 90% des cas, de pointer des écarts par rapport à la moyenne. Si on place la barre trop haut, on risque un refus d'obstacle. C'est pourquoi on cherche à positionner les politiques publiques au bon niveau.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le DPE permet quand même de franchir l'obstacle.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Mais cela représente une étape de plus.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Madame la ministre, vous avez parlé d'amplification, de massification et de rénovation énergétique performante. Il faudra cependant un chef d'orchestre pour organiser tout cela. Certains de nos collègues sont déjà intervenus dans l'hémicycle à propos du dossier informatique de MaPrimeRénov', qui constitue un véritable parcours du combattant. Ne faudrait-il pas mettre en place un pilote unique de façon à être vraiment efficace ?
Par ailleurs, les Pays-Bas ont reculé la date butoir de l'utilisation du gaz fossile pour des raisons financières. Quand le gaz vert va arriver, ceux qui sont déjà propriétaires d'une chaudière au gaz n'auront rien à faire pour changer de système. Or on reçoit tous les jours une publicité pour dire que la région des Hauts-de-France finance pour un euro une pompe à chaleur ou les panneaux photovoltaïques, etc. Beaucoup de gens modestes se font démarcher pour changer leur chaudière à gaz et passer à d'autres systèmes comme les pellets, la pompe à chaleur ou le photovoltaïque. Ne peut-on accélérer la production du gaz vert ?
Dans mon territoire, un des derniers grands groupes français, Atlantic, vient de sortir un modèle innovant de chaudière gaz-pompe à chaleur, qui est le meilleur système existant. Ce genre de projet a déjà des débouchés aux Pays-Bas, mais la mauvaise réputation des chaudières à gaz actuelles fait que les groupes industriels sont très inquiets sur leur avenir. Comment pourriez-vous intervenir pour éviter les publicités mensongères qui commencent à fleurir ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour ce qui est des acteurs, l'Anah est aujourd'hui le pivot de notre politique de rénovation thermique, mais va aussi accompagner les enjeux d'accessibilité, de vieillissement de la population et d'habitat indigne. C'est un pivot naturel qui a vocation à accompagner les personnes.
Avec Christophe Béchu, nous faisons le pari qu'il existe une voie pour contractualiser avec les intercommunalités qui y sont prêtes, même s'il faut les moyens, la structure, les personnes pour déléguer ces crédits de rénovation et permettre un accompagnement en toute confiance dans le cadre d'un cahier des charges précis.
Ce sont autant d'éléments qui ne sont pas négligeables et qui peuvent permettre des passages à l'acte. Il faut effectivement mettre en oeuvre toutes les ressources disponibles en matière d'information et de données. Je pense qu'on ne va pas suffisamment loin aujourd'hui dans ce domaine. On touche à l'intime et la nature de l'accompagnement reste essentielle.
S'agissant du gaz vert, de quoi parle-t-on ? On parle de 480 TWh de gaz fossile. De façon très caricaturale, notre mix énergétique comporte 500 TWh de carburant, 500 TWh de gaz, 500 TWh d'électricité. La capacité à injecter du biogaz dans le réseau est aujourd'hui de 10 TWh, soit 2 %.
La biomasse disponible - biocarburants, biogaz, alimentation d'un certain nombre de réseaux, etc. - sujet sur lequel nous travaillons avec Marc Fresneau, a par construction trois priorités : nous nourrir, nourrir les animaux d'élevage et préserver le puits de carbone. On est donc dans une équation qui n'est pas simple. Il faut cesser de penser qu'il suffit d'attendre que le gaz vert arrive pour enlever et remettre la prise. Ce ne sera pas si simple. On aura la faculté de le faire dans certains endroits déterminés, mais on aura à chaque fois une question de priorité des utilisations entre biomasse, biométhane et alternatives.
Notre objectif est d'utiliser la biomasse en fonction de son adéquation, en commençant par l'alimentation et en sécurisant les besoins pour lesquels il n'existe pas d'alternative décarbonée. On sait par exemple que la haute température n'offre pas tant d'alternatives et que le biogaz, pour l'industrie, n'est pas totalement une ineptie.
En revanche, dans une maison de ville, il faut peut-être privilégier le réseau de chaleur, la pompe à chaleur classique ou recourir à la géothermie, comme à Nice, par exemple. Notre ambition, au travers de la planification énergétique, est d'amener tous les territoires à se poser ces questions. Quelles sont les énergies les plus accessibles compte tenu de la géographie, quels sont les problèmes les plus criants ? La réponse est multifactorielle.
Nous sommes garants des grands équilibres nationaux. On ne fera jamais 500 TWh de biogaz. C'est faux ! Il ne faut pas mentir. En revanche, il serait bon d'arriver à produire autour de 50 TWh. La filière existe. Elle est quasiment intégralement française. On a les compétences. Il faut maintenant lever les obstacles. C'est ce que je fais en signant des textes sur les arrêtés tarifaires relatifs au biogaz, etc. Le gaz de mine sera une réponse à certains territoires du Pas-de-Calais, mais seules dix communes peut-être pourront en bénéficier.
Quant à la publicité, je pense qu'il s'agit d'un problème majeur. Jean-Noël Barrot a introduit tous les outils dans son projet de loi sur la fraude et les sites Internet. Il faut les utiliser, de même qu'il faut utiliser SignalConso de la DGCCRF et probablement être drastique quant à toutes formes de démarchage.
J'avais porté la loi interdisant le démarchage téléphonique sur la rénovation thermique. Cela a été extraordinairement efficace, on le voit, puisque nous continuerons tous à être démarchés, jusque sur notre téléphone portable ! Nous constatons, comme sur beaucoup de sujets où on retrouve de l'argent public, qu'il existe des schémas de fraude internationaux qui relèvent du grand banditisme. Gabriel Attal a entamé un grand cycle sur les fraudes aux aides publiques. Nous nous sommes dit que c'est un objet qui mérite d'être traité.
M. Michel Dagbert. - Ma question concerne l' " aller vers ", notamment pour les gens en précarité énergétique. Ils sont aussi bien souvent en précarité tout court. Parfois, franchir le pas, passer au guichet ou aller à la rencontre des accompagnateurs peut représenter une difficulté.
On a évoqué le concours que pourraient apporter un certain nombre de collectivités. On a déjà vu des collectivités régionales ou départementales s'engager. Pour autant, elles ont parfois elles-mêmes un patrimoine assez conséquent. Les départements ont bien sûr les collèges, mais aussi des partenaires dans la sphère médico-sociale. Un département comme le mien compte 115 foyers-logements qui datent des années 1970-1975.
Nous intervenons auprès d'associations qui accueillent des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) et qui les hébergent dans de grandes maisons de maître, qui ont des plafonds très hauts et sont très mal isolées. Le département risque donc d'être également sollicité par ces associations lorsqu'elles vont devoir améliorer le confort des enfants qu'elles accueillent, mais aussi leurs factures d'énergie.
M. Pierre Médevielle. - Madame la ministre, on a beaucoup parlé du résidentiel. Pensez-vous qu'il existe des solutions spécifiques pour les bâtiments tertiaires ? Ne souffre-t-on pas d'un problème de réactivité ? D'autres pays mettent en oeuvre des solutions simples qui pourraient être appliquées en France, me semble-t-il. Je pense à un exemple que nous avons vu dans un salon à Tel-Aviv. Il s'agit d'un bâtiment tertiaire qui est construit alternativement avec des panneaux pleins d'eau et des panneaux pleins d'huile. C'est simple comme la joie et fonctionne avec des panneaux photovoltaïques. L'été, on glace l'eau, l'hiver, on chauffe l'huile, et c'est autonome.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Concernant les bâtiments publics, qu'il s'agisse des bâtiments de l'État, des bâtiments des collectivités locales ou des bâtiments tertiaires, il faut un véritable travail de fond qui parte de la sobriété. Quels bâtiments et quels mètres carrés conserve-t-on ? La première façon de compacter nos émissions de CO2 dans le bâtiment, c'est d'avoir moins de mètres carrés. Pour les bâtiments tertiaires, ce n'est pas complètement indifférent, car il existe un gisement en la matière.
Vous mentionnez des logements dans des bâtiments qui n'ont pas été conçus pour cela initialement. Ne faut-il pas trouver d'autres lieux pour accueillir ce type de personnes ? Je vois très bien à quoi vous faites référence.
Il faut aussi des budgets. Avec Christophe Béchu, nous poussons pour une augmentation du fonds vert et une allocation pour la décarbonation des bâtiments publics, avec une trajectoire. Les directives européennes sur les bâtiments publics fixent des objectifs plus élevés que dans le privé, auxquels on a un peu de mal à échapper. Il vaut donc mieux s'en préoccuper en 2023, plutôt que se réveiller en 2028 avec un sentiment d'inachevé.
S'agissant de la question du "aller vers", la précarité énergétique n'est pas nécessairement la précarité tout court. Un ménage peut avoir des revenus moyens, entre 1 600 euros et 1 700 euros par mois par personne, mais vivre dans une passoire thermique et payer une facture énergétique totalement décalée par rapport au nombre de mètres carrés qu'il occupe. Les fins de mois sont difficiles malgré une situation salariale stable, dans la fonction publique, etc.
Il faut aller au-devant de ces situations. C'est pourquoi j'interroge le sujet des données de consommation d'énergie. Nous avons - et il faut en être fier - le réseau de distribution électrique le plus digitalisé au monde. Il est classé en première position par les experts de Singapour. La qualité de nos données n'a pas d'égal dans le monde, logement par logement. Il faut l'utiliser, et il est dommage qu'on ne soit pas allé jusqu'au bout.
De même, je pense qu'on pourrait demander aux énergéticiens de réaliser des alertes pour indiquer aux consommateurs que leur facture est un peu élevée par rapport à leur logement et leur remettre le numéro vert de France services ou leur proposer un rendez-vous téléphonique, le sujet étant de séparer le bon grain de l'ivraie. Plus on fera d' "aller vers", plus on remédiera au problème du démarchage agressif pour placer des pompes à chaleur ou autres et réaliser des travaux de mauvaise qualité.
C'est pourquoi je pense que le rôle des collectivités locales est le meilleur pour sécuriser le trajet. On connaît son maire, on connaît les services, sauf dans les très grandes villes : on est donc sûrs des personnes entre les mains desquelles on remet le destin de son logement.
Quant aux bâtiments tertiaires, vous avez mentionné une technique que je ne connais pas. Vous me l'expliquerez en aparté.
Nous faisons la différence entre les surfaces de plus de 1 000 m2 et de moins de 1 000 m2. Dans le cas des surfaces de plus de 1 000 m2, nous considérons qu'on a affaire à des acteurs raisonnablement structurés, qui se sont déjà emparés du décret sur le tertiaire. Les données de consommation sont récupérées par une plateforme qui mérite d'être fiabilisée. C'est la première année qu'elle est à notre disposition. Elle va nous permettre de suivre la réalité des données de consommation et réaliser des rapprochements et des sollicitations.
Il me semble que la loi Climat et résilience comporte une sanction administrative qui doit être, de mémoire, de 7 000 euros par bâtiment. Ce n'est pas considérable. Pour un grand groupe logistique ou un grand magasin, ce n'est pas une incitation à passer à l'action. Si on fait payer la réalité des émissions de CO2 par rapport au prix ce celui-ci, je pense que la prise de conscience sera plus forte. Cela permet aussi d'éviter les " passagers clandestins ". Là encore, ce sont des idées pour l'après 2030. On a encore le temps de préciser la stratégie.
Il faut ensuite accompagner les surfaces de moins de 1 000 m2 et de moins de 500 m2 - cordonniers, boulangers, commerçants - dans leurs obligations au regard des décrets. Olivia Grégoire et Christophe Béchu montent un portail sur la transition écologique à destination des PME recensant les aides et les obligations. Voilà le type d'outils que l'on met en place, mais il est clair qu'il va y avoir un accompagnement avec une granularité qui n'est pas tout à fait la même pour les 5 000 entreprises aujourd'hui structurées pour faire face et les 2 millions d'entreprises pour lesquelles il va encore y avoir quelque chose à faire, qu'on doit accompagner et auprès desquelles on doit faire de la pédagogie. Qu'y a-t-il à gagner dans tout cela ? De moindres factures, des aides. Le sentiment de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique est quelque chose à valoriser vis-à-vis de ces acteurs mais, là encore, c'est plus facile à dire qu'à faire.
Mme Amel Gacquerre. - Madame la ministre, on ne peut parler du défi majeur de la rénovation énergétique sans parler des besoins massifs de compétences dans les métiers du bâtiment. Comme dans d'autres secteurs, l'activité de la rénovation énergétique fait face à la problématique de la main-d'œuvre disponible et qualifiée, en particulier de personnes nouvellement diplômées dans les métiers de rénovation thermique, qui demandent des compétences spécifiques.
L'Anah estimait à 150 000 recrutements nécessaires pour renforcer ce marché d'ici 2024, et ce dans tous types de métiers. Une grande partie des besoins vise notamment les métiers de l'artisanat - maçons, couvreurs, menuisiers -, professions recherchées à qui on demande de nouvelles compétences, l'usage de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques, et des connaissances en termes de réglementation. C'est un point essentiel qu'il faut aborder.
Un autre enjeu réside dans l'attrait de ces métiers auprès de nos jeunes. Peut-on dire que les formations initiales sont suffisantes ? Intègrent-elles les enseignements adaptés à ces enjeux ? Souvent, les professionnels que nous rencontrons nous disent qu'ils doivent former ces jeunes sur le terrain.
Y a-t-il enfin un effort massif en matière de formation et de recrutement ?
Mme Daphné Ract-Madoux. - Madame la ministre, je voudrais revenir à l'élargissement par rapport aux objectifs de 2050. L'effort à réaliser va être considérable. Cela passe par une transformation de la consommation et de la sobriété qui, avec la hausse du coût de l'énergie, a été contrainte pour un certain nombre de personnes et même de collectivités. Il faut arriver à pérenniser ces baisses. On voit qu'après une rénovation globale, on perd ses habitudes de sobriété. Il y a donc un véritable enjeu sur cette question.
Je reviens sur la précarité d'été, trop peu prise en compte et sous-évaluée dans les réflexions, jusque dans le formulaire et l'accompagnement de MaPrimeRénov'. Il est extrêmement important de l'accompagner.
Mon dernier point concerne les agences locales de l'énergie et du climat (Alec). Nous en avons un certain nombre dans l'Essonne, et cela fonctionne extrêmement bien. Elles permettent de bénéficier d'un tiers de confiance et d'être accompagné. C'est une des clés de la rénovation globale.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour ce qui est des compétences, on est en train de mettre le doigt sur un élément essentiel : la transition énergétique va produire des besoins dans des métiers bien rémunérés, qui constituent autant d'opportunités pour nos territoires. Je pense que c'est aussi sous cet angle qu'il faut le présenter. On le voit bien dans la filière nucléaire.
Vous avez mentionné le chiffre de 150 000 recrutements nécessaires en matière de rénovation thermique. C'est probablement du même ordre pour les énergies renouvelables. Je n'ai pas encore le chiffre. On parle d'emplois à tous les niveaux, de formations qui ne sont pas réservées à tel type de catégorie, mais qui sont des bacs pros, des bacs pros + 2, des techniciens, qui peuvent ensuite avoir de beaux parcours et être salariés ou à leur propre compte. Il y a donc différentes possibilités pour construire une carrière professionnelle dont on aura besoin sur tout le territoire.
Ce sont des opportunités extraordinairement importantes. C'est important de les valoriser, au moment où certains voudraient nous faire croire que la transition énergétique se fait contre les classes populaires, au détriment des plus pauvres : c'est un avenir que l'on construit pour nos jeunes.
Comment s'y prendre concrètement ? Je l'ai indiqué : il faut mobiliser les acteurs de la formation initiale, en passant par la formation continue et la reconversion. Les régions ont un rôle important à jouer, vous êtes bien placés pour le savoir. On a besoin de mobiliser la filière du bâtiment. C'est tout l'enjeu des deuxièmes Assises du bâtiment. Nous avons demandé à la Capeb et à la FFB de travailler sur des propositions sur la manière de construire ces filières, notamment en termes de formation initiale et de formation continue des professionnels, en vue d'une meilleure qualité des travaux. Il faut à la fois traiter le flux, mais aussi le stock, qui n'a pas été formé à ces nouvelles technologies ni à ces enjeux.
Dans le lycée professionnel Salvador Allende de Béthune, dont la proviseure est Séverine Gosselin, que vous connaissez bien, les sections qui font le plein aujourd'hui sont des sections qui gravitent autour de la transition énergétique, du génie électrique, etc. - pose de panneaux photovoltaïques, systèmes électriques. C'est un élément attractif pour les jeunes.
Il faut, dès la 5e, présenter les métiers, les perspectives, alors qu'il n'y a pas encore d'enjeu afin, en arrivant en 3e, d'expérimenter une journée ou une semaine pour voir comment cela se passe. C'est comme cela que le lycée fonctionne.
Il faut aussi faire sauter l'obstacle de jeunes qui ne veulent pas aller en mécanique parce que c'est à 10 kilomètres de la maison et qu'ils préfèrent faire BTP, qui est à 5 kilomètres, alors qu'ils peuvent y aller à vélo ! En outre, ce n'est pas si mal desservi.
Il faut mettre ces métiers qui participent à la lutte contre le réchauffement climatique en valeur dans Parcoursup, expliquer que chacun est partie prenante d'un projet collectif, celui de rendre notre planète plus vivable.
À l'autre bout de la chaîne se trouve l'emploi des seniors, dont il me semble que le rôle est aussi essentiel en termes d'accompagnement et de transmission. Peut-être ne sont-ils pas formés à la rénovation thermique, mais ils connaissent les bonnes attitudes. On peut même penser à du cumul emploi-retraite. Il faut jouer sur les deux tableaux, sur les reconversions, mettre en place les filières.
Ce qui nous manque aujourd'hui, ce sont les structures de formation. J'observe qu'on commence à avoir un switch - je le vois sur le nucléaire, notamment dans les formations supérieures -, avec de plus en plus de candidats que de places. En termes d'attractivité, les choses sont en train de bouger, mais il faut les accompagner.
Vous ne pouvez demander à un jeune qui n'a aucun modèle dans sa famille de ne pas avoir des préjugés sur les métiers en question. Cela se travaille dès la 6e et la 5e. Cela se travaille aussi avec les parents d'élèves. Cela se travaille enfin avec le corps enseignant, qui n'a pas nécessairement été exposé à ces métiers. La proviseure du lycée professionnel de Béthune me disait combien il était important de faire venir les enseignants et le corps enseignant des établissements à caractère général pour leur montrer comment cela se passe.
Rien de pire qu'une orientation par défaut parce que, géographiquement, c'est plus proche de la maison, ou parce qu'on a été mauvais en maths pendant toute l'année, alors que ce n'est pas le sujet.
Madame la sénatrice Ract-Madoux, vous avez raison de pointer du doigt le fait qu'il faut coupler efficacité et sobriété. Ce n'est pas encore évident. J'aimerais qu'on arrive à mettre en place des contrats de performance qui permettent de valoriser la réalité de la diminution de la consommation d'énergie, à la fois comme modèle de financement, mais également comme engagement pour finaliser, par exemple, le paiement du soutien. Cela permet aussi de former les ménages à l'utilisation de l'équipement.
Concernant la précarité d'été, nous allons, dans le cadre de l'acte 2 du plan de sobriété, élaborer un volet sur les bons gestes, à la fois dans le bâtiment et également par rapport aux carburants, notamment avec la question de la climatisation, que la loi a traitée, puisque nous ne sommes pas censés démarrer la climatisation à moins de 26 degrés.
Beaucoup d'éléments existent, dont la question de l'adaptation au changement climatique. Dans les écoles, le plan comporte un volet été afin d'éviter que les enfants aient 35 degrés dans leur salle de classe et que cela gêne leur travail.
Quant au conseil de service public, c'est tout le sujet de Mon Accompagnateur Rénov'. Il s'agit d'avoir un conseil neutre qui puisse permettre d'établir une relation de confiance avec les ménages. Je partage donc votre point de vue sur le fait que ce service public doit être renforcé. C'est ce que nous faisons.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, madame la ministre.
Source https://www.senat.fr, le 26 juin 2023