Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la croissance verte, à Aix-en-Provence le 8 juillet 2023.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2023

Texte intégral

Marie Visot
Monsieur le ministre, est-ce que croissance et verte peuvent aller ensemble ? Comment ? Et a-t-on le choix ?

Bruno Le Maire
La réponse à votre première question " a-t-on le choix ", pour nous faire tous gagner du temps, est clairement : non.

Non, nous n’avons pas le choix. Non, nous ne pouvons pas ne pas accélérer la décarbonation et la transition climatique, tout simplement parce que sinon, notre vie sera invivable.

Il y a plus de 5 ans que je viens aux Rencontres d'Aix. Il y a 5 ans, on avait déjà chaud, aujourd'hui, vous ne pouvez plus vous passer d'éventail, et dans 5 ans, ce sera insupportable d'être sous ce chapiteau. Donc, entre la vie et la mort, il faut choisir. Si on veut la vie, si on veut une planète vivable, il faut évidemment choisir la transition climatique, nous n'avons pas d'autre choix. Je vais vous économiser du temps sur ce sujet.

Alors après comment est-ce qu'on fait cette croissance verte ? D'abord, il faut avoir de la croissance, c'est le préalable absolu. Je le dis à tous ceux qui prônent la décroissance ; elle est une impasse que d'ailleurs aucun autre pays de la planète devrait choisir, ni la Chine, les États Unis, ni les pays africains qui ont besoin de croissance pour se développer. Donc il faut de la croissance et nous avons réussi avec le président de la République depuis un peu plus de 6 ans maintenant, à obtenir cette croissance.

Il y a un certain nombre de pays qui sont en récession en Europe ; nous sommes, en France, en croissance. Et nous avons réussi, vous avez réussi, vous, les entrepreneurs, les jeunes, tous ceux qui sont présents ici, vous avez réussi à obtenir des résultats qui paraissaient hors d'atteinte pour la France. Nous approchons du plein emploi, nous avons de la croissance, je le disais là où nous avions de la récession. Nous ouvrons à nouveau des usines dans un pays qui a détruit 600 usines au cours des dernières 40 dernières années. Nous avons créé près de 100 000 emplois industriels dans un pays qui en a supprimé 2 millions. Nous sommes devenus la première place financière en Europe : la City n’est plus à Londres, La City est à Paris. L'industrie se relocalise en France et nous réussissons ce que, depuis 40 ans, nous rêvions de réussir : un pays au plein emploi qui retrouve son industrie et qui est le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. Je pense que ça mérite vos applaudissements.

Alors maintenant, comment est-ce que l'on peut continuer ? D'abord, il faut se fixer un objectif de long terme. L'objectif que nous pourrions nous fixer tous collectivement, c'est de faire de la France la première économie verte en Europe à horizon 2050.

J'ai la conviction sincère pour des raisons géographiques, démographiques, d’innovation, scientifiques que la France peut être la première puissance économique verte en Europe à cet horizon. Simplement, il faut être lucide sur les conditions pour atteindre cet objectif. J’en vois rapidement au moins 4.

La première, c’est de briser un certain nombre de tabous. Si aujourd’hui, nous avons les résultats dont nous pouvons nous féliciter tous collectivement, c’est parce que avec Emmanuel Macron, nous avons brisé des tabous. Ça ne se voit peut-être pas mais le président de la République et moi-même, nous sommes des briseurs de tabous. Nous avons brisé le tabou sur la fiscalité du capital. Personne ne voulait y toucher au motif que ce serait injuste. Mais c’est parce que nous avons transformé radicalement la fiscalité du capital en 2017 que nous ouvrons des usines en 2022 et en 2023. Il n'y a pas d'usine sans capital et il n'y a pas de capital avec une fiscalité confiscatoire.

Nous avons brisé le tabou sur la politique industrielle européenne. Je me souviens d'une séance ici avec Peter Altmaier, l'ancien ministre de l'Économie allemand à qui je rends hommage. Nous avons proposé il y a 4 ans une politique industrielle européenne à l'époque où personne ne voulait entendre parler de politique industrielle européenne. Personne ne voulait entendre parler de subventions. Personne ne voulait entendre parler de crédits d'impôt pour ouvrir des usines. Mais nous n'avons pas attendu l’Inflation Reduction Act de Joe Biden pour dire avec l'Allemagne : « il faut une politique industrielle européenne ». Ce n'est pas le marché seul qui va nous permettre d'ouvrir des usines. Il faut des soutiens financiers, il faut des aides publiques. Nous avons brisé ce tabou.

Nous avons aussi brisé le tabou de l'apprentissage, qui était une voie de garage qui est devenue une voie d'excellence.

Je pense qu'il faut continuer à garder cet esprit libre et cet esprit transgressif pour que notre économie réussisse aussi bien qu'elle peut réussir. Et je suis très heureux d'entendre Patrick Artus. Moi, je ne peux pas le faire parce que je suis ministre des Finances mais Patrick Artus pose la question de la cible d'inflation à 2% de la Banque centrale européenne. Christine Lagarde ne m’écoutera pas parce que je n'ai pas le droit de m'exprimer sur ce sujet et mon voisin de gauche, qui est président de l'Eurogroupe, viendrait me faire des reproches si je le faisais. Mais si les économistes ouvrent ce débat, tu le fais, d'autres le font, comme Olivier Blanchard, pourquoi pas ? Aucun tabou, de la transgression, c'est comme ça que nous avancerons.

Deuxième condition : croire à la science. Nous sommes une grande nation de science et de raison. Nous ne pourrons pas nous laisser gagner par le complotisme et l'obscurantisme. C'est la science qui nous donnera de l'avance. C'est la science qui nous permettra de gagner la bataille du climat. Si demain il faut faire rouler des trains par 40 ou 45 degrés, il faudra avoir travaillé sur la résistance des matériaux. Si nous voulons de l'électricité décarbonée, il faudra de nouveaux réacteurs nucléaires et de nouvelles générations de réacteurs nucléaires. Si nous voulons décarboner l'industrie, il faudra de l'hydrogène et il faudra toute la science de l'électrolyse pour savoir comment produire de l'hydrogène vert.

En France et en Europe, nous devons être les premiers avocats de la science, de la raison et du savoir en Europe et dans le monde, c'est la seule façon de gagner la bataille de l'adaptation au changement climatique. Et au passage, il faut aussi défendre la science parce que c'est elle qui nous permettra enfin de faire des gains de productivité dans une économie européenne qui est un peu languissante. Elle se traîne, ce n'est pas le TGV, c'est plutôt le tortillard.

L'intelligence artificielle générative va nous permettre, pour la première fois depuis plusieurs générations, de retrouver de la productivité, d'être plus efficace. Je plaide donc, avant de poser les bases de la régulation en intelligence artificielle, que nous fassions de l'innovation, que nous investissions et que nous nous fixons comme objectif d'avoir un Open AI européen sous 5 ans avec les calculateurs, les scientifiques et les algorithmes nécessaires, c'est possible.

Troisième condition : il faut qu'on bosse. Ça, c'est la condition moins sympathique, mais il faut plus de travail en France. Patrick a aussi rappelé les chiffres, vous les connaissez par coeur. Le taux d'emploi en France, nous l'avons fait remonter à 68%, c'est déjà pas mal parce qu'on venait de très très loin. C'est un des grands succès du président de la République et de sa majorité.

Simplement, vous connaissez la formule : Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me rassure. Là, c'est plutôt quand je me regarde, je me rassure par rapport à ce que j'étais et quand je me compare, je me désole. L'Allemagne est à 78% de taux d'emploi, les Pays-Bas sont à 80%. Il faut qu'on se fixe le même objectif. La France, elle, en 1970, était à 68% de taux d'emploi. 50 ans plus tard, elle est toujours à 68%. Et si on regarde un peu plus dans le détail, Messieurs, vous, votre taux d'emploi, il a baissé de 10 points. Et si nous sommes restés à 68% de taux d'emploi, c'est pour une seule raison, c'est parce que les femmes travaillent plus. Nous sommes sauvés par les femmes !

Nous devons donc augmenter le taux d'emploi du pays, ça résoudra nos problèmes de productivité, nos problèmes de réindustrialisation et nos problèmes de finances publiques dont je préfère ne pas parler pour ne pas gâcher l'atmosphère chaleureuse et sympathique de ce rendez-vous.

Enfin, quatrième et dernière condition et j'en ai terminé, il faut de l'argent et là, je me tourne vers mon voisin de gauche, Paschal Donohue.

Donc il faut de l'argent. Et je considère que la meilleure façon de trouver de l'argent aujourd'hui, ce n'est pas de lever de nouveaux impôts, ce n'est pas un ISF vert, ce n'est pas des taxes supplémentaires. C'est d'abord créer l'Union des marchés de capitaux pour que nos startups qui veulent lever 100 millions d'euros ou 1 milliard d'euros n'aient pas besoin de se tourner vers les Etats-Unis, mais puissent les trouver en Europe, dans un marché des capitaux unifié, que Paschal Donohue va réaliser pour nous. Merci à toutes et à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 12 juillet 2023