Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense
(...)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des armées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
Je tenais à commencer mon propos par là où je l'avais terminé, lorsque j'avais présenté ce texte il y a plusieurs semaines, en ayant une pensée pour les femmes et les hommes qui ont fait le choix de l'engagement au sein de nos forces armées, tout particulièrement nos blessés, nos tués et leurs familles, ainsi qu'aux nombreux civils de la défense. C'est à eux que je pense tout d'abord alors que le Parlement s'apprête à se prononcer sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, à quelques jours de la fête nationale.
C'est un moment important pour nos armées, lorsque tous les cinq ans, six ans, parfois sept ans, le Parlement discute et vote un projet de loi de programmation pour notre modèle de défense : pour fixer un cap à nos armées ; définir les effets militaires que nous souhaitons produire face aux menaces qui pèsent sur le pays ; détailler les missions qui peuvent être confiées à nos armées et, bien entendu, les moyens que nous leur allouons en lien avec nos capacités industrielles.
C'est aussi un moment important pour la nation, qui prend la mesure du rôle fondamental que jouent nos militaires pour garantir notre sécurité, notre souveraineté et, en fin de compte, peut-être plus simplement notre prospérité.
C'est un moment important enfin pour les puissances étrangères qui nous observent, qu'il s'agisse de pays alliés ou de compétiteurs. Elles peuvent ainsi prendre acte de la puissance de notre République pour trouver, dans le respect des règles constitutionnelles qui encadrent les compétences de chacun, les moyens de relever les défis sécuritaires auxquels est confrontée la nation.
Avant même que la représentation nationale passe au vote après la discussion générale, je veux revenir sur les éléments qui ont permis, je le crois, je l'espère, que l'examen de ce texte soit utile pour le débat politique national sur un sujet singulier, avec une histoire française singulière, dans un moment mondial qui l'est tout autant.
Tout d'abord, si je forme le voeu que ce projet de loi de programmation militaire, le quinzième de la Ve République depuis la discussion du premier, en 1960, rencontre le succès grâce au vote par lequel vous vous prononcerez, je relève, comme je l'avais fait en présentant ce texte, que les questions liées à des enjeux fondamentaux de la construction de notre système de défense ne font toujours pas consensus. Je m'avance d'ailleurs un peu en parlant de vote positif, car ces projets de loi de programmation n'ont pas tous été adoptés. Le Parlement a en effet voté contre l'un d'eux, en 1992.
Les sujets de défense sont, bien entendu, des sujets politiques, au sens noble du terme, sur lesquels s'affrontent des modèles et des visions différents, qu'il s'agisse de nos alliances, du rôle et de la place de notre dissuasion nucléaire ou encore de la doctrine d'emploi de nos forces armées face à des menaces dont les contours ne sont pas toujours partagés par tous.
Je m'honore d'avoir pu mener ces débats avec vous au cours de l'examen de ce texte, débats qui ont permis d'apporter aux Françaises et aux Français un éclairage salutaire sur ce que chaque groupe politique représenté au sein de l'hémicycle propose concernant notre modèle de défense. Les sujets de réflexion n'ont pas manqué, la force des convictions et des arguments non plus, et il faut s'en réjouir.
Ce débat est sain et n'a rien de médiocre. L'adoption du texte à l'Assemblée nationale, par scrutin public, a été claire, mais elle n'a pas occulté des visions du monde – et donc de la défense – profondément divergentes, voire irréconciliables. L'examen du texte a en effet montré que certaines sensibilités politiques, en dépit de quelques clarifications inédites et bienvenues, avancent toujours dans une forme de flou, notamment en matière d'alliance…
M. Jean-Charles Larsonneur
Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre
…– en particulier avec nos partenaires européens et nord-atlantiques – ou s'agissant de leur position définitive et sans ambiguïté sur le rôle et l'efficacité de la dissuasion nucléaire.
Les trois semaines de débats à l'Assemblée nationale, en commission puis en séance publique, nous ont permis d'entendre les critiques formulées sur le fonctionnement du modèle français actuel, dont certaines sont très clairement à prendre en considération. Toutefois, les débats n'ont pas toujours permis de faire émerger des contre-propositions crédibles et réalistes sur des sujets pourtant aussi essentiels que nos alliances militaires, bilatérales comme multilatérales, avec bien entendu la question de la place de la France et de son rôle dans l'Otan, ou encore le bilan objectif de ce qui a été accompli par nos forces armées ces dernières années en Afrique et la posture à adopter, de manière courageuse et pragmatique, en matière de lutte contre le terrorisme.
Je tiens, enfin, à vous remercier tous du débat que nous avons eu sur la dissuasion nucléaire, qui fut d'une très grande qualité. Certaines positions sont irréconciliables, mais c'est l'honneur d'une grande démocratie que de permettre de les exprimer et de les confronter. La discussion a eu un écho bien au-delà de l'hémicycle, puisqu'elle a été largement suivie par différents observateurs qui ont estimé qu'elle n'avait pas eu lieu dans ce format – avec une telle liberté et une telle technicité – depuis les débats initiaux engagés ici même par Pierre Messmer et les différents groupes politiques élus dans les années 1960.
M. Fabien Di Filippo
Oui, très bien, Pierre Messmer !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Nous sommes une démocratie nucléaire et je crois même que de tels débats n'ont pas eu lieu, sous cette forme, chez nombre de nos alliés, puissances dotées. Cela vaut, si je puis me permettre, tous les livres blancs du monde.
La question des coopérations industrielles avec nos partenaires a également été largement débattue, ce qui a permis de réaffirmer la ligne de conduite du Gouvernement qui, je dois le dire, est peut-être plus convergente et consensuelle que je ne le pensais : toujours faire primer l'intérêt de la France dans nos choix. Je me suis engagé à revenir devant le Parlement à chaque fois que nous lancerons une nouvelle phase de coopération sur des programmes tels que le système de combat aérien du futur (Scaf) ou le système principal de combat terrestre (MGCS). Je le ferai et je suis persuadé que cela permettra d'objectiver les critères et les paramètres sur lesquels devront se fonder les décisions qui seront prises, demain, pour défendre l'intérêt général.
Ces sujets sont déterminants, disais-je, et méritent un débat qui dépasse désormais les murs du Parlement pour emmener la nation et nos concitoyens sur la voie de la compréhension de ce modèle d'armée à l'histoire singulière et qui objective les menaces qui pèsent sur la France. Ce n'est pas tant un débat entre experts dont nous avons besoin qu'un débat plus national, voire plus populaire. J'aurai l'occasion d'y revenir.
En tout état de cause, je pense pouvoir affirmer, dans le respect de la séparation des pouvoirs et du rôle que nos constituants ont donné à chacun en matière de défense nationale, que l'Assemblée nationale a trouvé toute sa place dans ce débat et qu'elle en sort largement renforcée. Les dispositions adoptées consolideront le contrôle du Parlement en matière d'exécution et d'actualisation de la programmation, notamment chaque année, en amont de l'examen des projets de loi de finances qui restent – nous le savons – les véritables actes parlementaires permettant d'engager concrètement les crédits alloués aux armées.
Ce renforcement du contrôle parlementaire permettra aux deux chambres de tenir un rôle essentiel dans la poursuite de la montée en puissance de notre format d'armées et dans les orientations qu'il faudra leur donner. Je me réjouis de ces avancées, inédites sous la Ve République. C'est un signal fort envoyé à ceux qui douteraient de la vitalité de notre modèle démocratique et de nos institutions.
Il permettra aussi au Parlement de s'assurer que les choix faits en 2023, et que vous vous apprêtez à valider, seront toujours adaptés à l'évolution des menaces, tout au long de la période de programmation. En effet, trop souvent dans le passé, l'observance stricte, pour ne pas dire scolaire, de la programmation nous a conduits à prendre du retard ou, en tout cas, à prendre des décisions trop tardivement. Je ne reviendrai pas sur le débat intéressant relatif aux aventures que nous avons connues en matière de drones.
Dans le respect des grands principes de la Ve République, il est évident que le moment dans lequel nous nous trouvons permet au Parlement de prendre sa place dans notre politique de défense ; la qualité des débats que nous avons eus nous oblige d'ores et déjà pour l'avenir – cela a été rappelé par le président de la commission et par le rapporteur.
Enfin, le succès de la loi de programmation militaire que, je l'espère, vous voterez définitivement dans un instant, tient à la responsabilité que chacun a su prendre pour définir une trajectoire budgétaire au service d'une ambition militaire documentée et crédible. Elle permettra de financer des capacités d'agir concrètes, afin d'assurer la défense de nos intérêts et de répondre aux menaces actuelles – mais aussi et surtout futures – dans tous les espaces de conflictualité. C'est là aussi le coeur de la transformation de la présente loi de programmation.
Les débats ont été longs et nombreux pour aboutir au compromis trouvé lundi dernier en commission mixte paritaire, afin d'allouer aux militaires les moyens des missions que nous leur confions. Ce compromis permet de répondre à l'indispensable besoin de cohérence, sur lequel je ne reviendrai pas, pour notre modèle d'armée d'emploi : mieux équiper, mieux former, mieux soutenir, recruter davantage, mieux fidéliser et entraîner nos forces, tout en nous assurant de la soutenabilité de la trajectoire pour les finances publiques dans la durée.
Le Parlement, dans ce compromis paritaire, a souhaité que nous mettions davantage de moyens au début de la période sans pour autant – ce qui, je le répète, n'aurait eu aucun sens – alourdir la facture globale, 400 milliards d'euros de crédits budgétaires et 413 milliards d'euros de besoins programmés. Nous l'avons entendu et nous sommes parvenus à cet accord ; c'est une bonne chose.
Je ne considère pas cette loi de programmation militaire comme un aboutissement. Elle est le fruit de l'engagement du Président de la République, chef des armées, qui, depuis son élection en 2017, a gardé intacte sa volonté de permettre à nos armées de se réparer, puis de se transformer – tout cela avant même, je le rappelle, que n'éclate la guerre en Ukraine.
M. François Cormier-Bouligeon
Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Votre vote ne doit pas non plus entériner la fin des débats sur ces sujets militaires. À un débat plus national que j'évoquais il y a un instant, s'ajoutent des débats et des travaux à tenir ici même, dans l'hémicycle ou en commission, sur différents sujets clés pour la réussite de nos objectifs.
Je me suis engagé, au cours de la discussion parlementaire, à produire plusieurs rapports et à en débattre avec vous : je pense notamment au rapport, réclamé sur de nombreux bancs, destiné à évaluer la réintégration, en 2008, du commandement intégré de l'Otan, un sujet sur lequel il faut désormais adopter l'approche la plus technique, la plus diplomatique mais aussi la plus militaire possible. Je suis heureux de nous permettre de le faire.
Le contrôle démocratique exercé sur nos services de renseignement est aussi un sujet sur lequel il nous faudra poursuivre la discussion, tout en veillant à ne jamais compromettre les opérations ou entraîner une menace pour la sécurité de nos agents sur le terrain, auxquels je tiens ici à rendre un hommage particulier. Dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), nous avons trouvé, avec les présidents Sacha Houlié et Thomas Gassilloud, un terrain de travail inédit sous la Ve République.
Dans le cadre de l'économie de guerre, nous n'échapperons pas à la nécessité de travailler collectivement sur le financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) : je pense en particulier aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le Parlement s'est largement emparé de ce sujet, vous avez relayé les préoccupations du terrain, et nous devrons poursuivre ces réflexions de manière très concrète.
Vous avez été nombreux à évoquer les sujets liés aux ressources humaines, qu'il s'agisse des enjeux de fidélisation, des travaux à mener sur la grille indiciaire ou sur les questions indemnitaires, du recrutement des militaires d'active ou encore du modèle à promouvoir en matière de réserves : là encore, tout est art d'exécution. Il nous faudra évidemment revenir devant le Parlement dans le cadre de ses missions de contrôle.
Je pense enfin à la remontée en puissance de nos armées dans les territoires d'outre-mer – en tant qu'ancien ministre des outre-mer, je voulais les citer à cette tribune –, pour assurer demain notre souveraineté bien au-delà de l'Hexagone. Nous la devons à nos concitoyens ultramarins, comme nous la devons à tout un chacun.
Pour conclure, permettez-moi d'exprimer l'honneur qui fut le mien de défendre ce projet de loi de programmation militaire devant vous, moi qui ai, comme votre rapporteur, porté l'uniforme en d'autres temps. Je l'ai fait humblement, respectueusement, en écoutant et en répondant aux arguments développés par chaque mouvement politique que les Français ont souhaité voir représenté sur ces bancs. En se livrant à cet exercice démocratique respectueux, nous avons permis de renforcer le projet de défense que nous portons pour la nation. Nous avons livré aux femmes et aux hommes qui servent au quotidien sous l'uniforme, et plus largement à l'ensemble de nos concitoyens, un débat à la hauteur des défis qu'ils auront à relever demain pour notre sécurité collective et notre souveraineté. Sans oublier que ces décisions s'inscrivent dans nos traditions, en lien avec la mémoire nationale – je salue Mme la secrétaire d'État chargée des anciens combattants et de la mémoire –, et celui qui unit les armées d'aujourd'hui avec nos anciens combattants tout comme avec notre jeunesse.
Plus encore, nous avons fait la démonstration que le débat démocratique – le débat parlementaire de qualité – est la solution qui permet à une nation de s'armer face aux menaces qui la visent, lorsque tant de nos compétiteurs vantent trop facilement et trop simplement les mérites des modèles autoritaires.
Je forme le voeu que ce combat des idées, qui fait la force de notre République et a permis d'aboutir au texte qui est soumis à vos votes, féconde pour les sept prochaines années, et pour longtemps encore, le succès de nos armes et la grandeur de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR et sur quelques bancs du groupe LR.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 18 juillet 2023