Déclaration de Mme Patricia Mirallès, secrétaire d'État chargée des anciens combattants et de la mémoire, sur la gare de déportation de Bobigny, Bobigny le 18 juillet 2023.

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  • Patricia Mirallès - Secrétaire d'État chargée des anciens combattants et de la mémoire

Circonstance : Discours d'inauguration de la gare de déportation de Bobigny

Texte intégral

Monsieur le préfet, Monsieur le maire,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du conseil départemental,
Madame la conseillère régionale,
Monsieur le président-directeur général de la SNCF,
Madame la directrice du mémorial,
Cher Serge KLARSFELD,
Mesdames et messieurs en vos grades et qualités,


Il y a tout juste 80 ans, la petite gare de Bobigny, cette jeune gare inaugurée 11 années plus tôt, tombait dans l'horreur, l'inhumain, l'indicible, l'irréparable.

Il s'en ait fallu de quelques semaines pour que le SS Aloïs BRUNNER, l'envoyé d'Hitler pour mettre en oeuvre ses funestes volontés, fasse de la gare de Bobigny une des plaques tournantes de la solution finale.

Elle fut choisie parce qu'elle était plus discrète, moins exposée aux bombardements alliés que la gare du Bourget. Parce qu'elle était toute aussi proche du camp d'internement de la cité de la Muette à Drancy. Parce qu'elle était jugée particulièrement fonctionnelle dans l'accomplissement de ce plan macabre, avec sa longue voie de garage permettant aux autobus d'accéder directement au quai.

Le premier convoi à quitter cette gare est parti le 18 juillet 1943 à 9h30, pour le camp d'Auschwitz-Birkenau. C'était le convoi numéro 57.

A l'intérieur des wagons à bestiaux, 1009 juifs - femmes, hommes, enfants dont 138 de moins de 18 ans, seuls ou en famille -, venus de toute la France et rassemblés les mois et les jours précédents à Drancy. Ils sont entassés les uns sur les autres, des barbelés pour seul horizon à leurs fenêtres.

Maurice SZPIRGLAS, arrêté en avril, témoignera de la promiscuité, du caractère insoutenable de « l'atmosphère atroce » de ces trois jours et deux nuits du sinistre voyage. De la soif surtout, ressentie douloureusement dès le deuxième jour.

Arrivés à Auschwitz, 369 hommes sont sélectionnés pour être envoyés aux travaux forcés. Déshumanisés, ils ne seront plus que des numéros matricule, du numéro 130 834 au numéro 130 466.

191 femmes sont aussi sélectionnées et marquées dans leur chair des numéros 50 204 à 50 394. Tous les autres - dont le seul tort est d'être juifs - sont gazés dès leur arrivée.

En 1945, ils ne seront que 73 rescapés de ce premier convoi. Ils s'appelaient Mathilde, Moïse, Esther, Jacques, Alexis, Léon, Charles, Aron, Sura, Betty, Abraham...
(Pause)

21 convois partiront ainsi de la gare de Bobigny entre le 18 juillet 1943 et le 17 août 1944. Ce cortège de la mort les guideront tous à Auschwitz-Birkenau, à l'exception d'un seul, le convoi numéro 73 qui prendra la direction des pays baltes : KAUNAS (K.O- NAS) en Lituanie pour une partie, TALLIN (TA - LINE) en Estonie pour une autre.

Près d'un tiers des Juifs de France, internés au camp de Drancy, seront déportés depuis cette gare de Bobigny, dont 11 000 sur les seuls mois de février à mai 1944. Le dernier de ces convois est parti le 31 juillet 1944, à quelques semaines de la libération de Paris, avec 1 321 personnes à son bord, provenant de 37 pays, dont 330 enfants. L'immense majorité n'en reviendront pas.

Et comme une insoutenable ironie de l'histoire, c'est de la gare de Bobigny qu'Aloïs BRUNNER quittera la France le 17 août 1944, également à quelques jours avant la libération de Paris, emmenant avec lui en otage les 50 derniers internés du camp de Drancy.


Ces 21 convois de la mort, passés par la gare de Bobigny, ont modifié à jamais le regard que nous lui portons.

Ils en font, aujourd'hui, un lieu de mémoire essentiel, indispensable et précieux pour honorer le souvenir des 22 407 personnes qui ont quitté, ici, depuis cette gare, le sol de la France pour l'innommable. Indispensable aussi pour honorer leur souvenir, celui de toutes les victimes de l'Allemagne nazie et des crimes de la France de Vichy. Précieux enfin, pour ne jamais oublier et toucher de nos propres doigts cette mémoire qui est là, sous nos yeux.

Ces convois partis de cette gare en font un lieu d'histoire essentiel, indispensable et précieux aussi pour comprendre les racines du projet mortifère, destructeur, raciste et antisémite de l'Allemagne nazie. Pour mieux saisir la mécanique industrielle, implacable et inhumaine du système génocidaire nazi. Pour mieux cerner la politique coupable de la France de Vichy qui « souille à jamais notre histoire » selon les paroles fortes prononcées par Jacques Chirac le 16 juillet 1995 sur le site du Vélodrome d'Hiver.

Ils en font, aujourd'hui, un lieu de transmission essentiel, indispensable et précieux pour comprendre. Pour que jamais ne meure le souvenir de chacune des victimes. Pour que ce souvenir de chacune et de chacun et la connaissance de la tragédie qui s'est nouée ici deviennent, pour notre génération comme pour les suivantes, un lieu d'éveil des consciences afin de raviver la flamme de la vigilance pour le futur.


La gare de Bobigny, seul exemple de gare de déportation restée proche de sa configuration d'origine, saura être ce phare et ce repère. La force de l'aménagement mis en place ici est d'avoir placé au coeur du projet de transmission la sensibilité de ce lieu unique où ont été préservées les traces architecturales, industrielles et commémoratives de son passé.

Elle s'inscrit dans un tissu, un réseau qui prend tout son sens. Celui des lieux de mémoire et de transmission de l'histoire de l'internement et de la déportation en Île-de-France mais dont les frontières géographiques locales rejoignent et parlent en réalité de l'histoire de la France toute entière pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette cohérence des lieux invite à créer des dynamiques et des synergies entre sites, entre établissements, entre collectivités locales, avec l'aide et la participation de l'État. Car de ces dynamiques et synergies jaillit le sens.

Cohérence et parcours mêlés qui m'ont emmenée dimanche dernier, sur le lieu de l'ancien Vélodrome d'Hiver pour la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux " Justes " de France.

Hier, aux côtés du maire des Lilas, Lionel BEN HAROUS, et des représentants du Musée de la Résistance nationale, pour constater les travaux financés par le ministère des Armées pour sauvegarder et préserver les graffitis laissés par les internés dans la casemate 17 du Fort de Romainville. Ce fort porte en lui toutes les strates successives de la politique répressive allemande en France occupée et, notamment, la mémoire et l'histoire des femmes dans la Résistance, trop souvent oubliées.

Ce matin encore, je me suis rendue au Mémorial des martyrs de la Déportation, haut-lieu de la mémoire nationale, dédié depuis 1962 à l'ensemble des déportés de France.

Ici, cet après-midi, où nous sommes rassemblés au Mémorial de l'ancienne gare de déportation de Bobigny.

Nous avons le devoir de préserver et de faire vivre tous ces lieux de mémoire afin de lutter contre l'oubli, contre l'indifférence, contre l'ignorance, contre la falsification de l'histoire, contre l'antisémitisme et le racisme.

La Première ministre a souhaité que chaque élève, au cours de sa scolarité, puisse visiter au moins un lieu mémoriel. C'est une démarche nécessaire et indispensable car rien ne saurait remplacer la rencontre avec les témoins qui aujourd'hui disparaissent peu à peu et la confrontation, forte, avec ces lieux chargés de notre histoire. Ces lieux sont des sentinelles contre l'oubli induit par le temps qui passe et des repères pour les valeurs qui fondent notre République.

Je ne saurais donc clore ce discours sans remercier avec sincérité et gratitude tous ceux qui portent le flambeau de cette mémoire et de notre histoire, aussi douloureuse puisse-t-elle être parfois.

Je salue ici l'engagement, l'initiative et l'investissement de la ville de Bobigny, des collectivités territoriales, de la SNCF, de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, de l'ensemble des associations de déportés et d'enfants de déportés qui ont oeuvré, avec conviction et détermination, à sauvegarder l'ancienne gare de déportation de Bobigny.

Je salue aussi tous les acteurs et équipes de chacun de ces lieux mémoriels essentiels qui émaillent notre territoire. Ils les font vivre chaque jour.

Je salue nos enseignants, véritables hussards de la Républiques, qui pendant leurs cours mais bien souvent aussi à travers les projets pédagogiques multi-disciplinaires qu'ils portent, amènent leurs élèves à mieux connaître notre histoire et les éveillent à la citoyenneté.

Je salue enfin notre jeunesse qui ne craint pas de se confronter à ces pages terribles de notre histoire pour devenir des citoyens éclairés et construire un monde meilleur. Cette jeunesse à qui nous devons donner davantage de confiance et de considération.

Il ne faut pas craindre de regarder notre histoire en face. Elle nous permet de grandir, de nous grandir collectivement, de déposer et dépasser nos fardeaux, sans ne jamais rien oublier, tout en traçant l'avenir.


Vive la République !
Vive la France !


Source https://www.defense.gouv.fr, le 20 juillet 2023