Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Gabriel ATTAL.
GABRIEL ATTAL
Bonjour Apolline de MALHERBE.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre, le nouveau ministre de l'Education nationale. Il y a beaucoup de choses à voir avec vous sur tout ce que vous avez annoncé pour cette rentrée scolaire, sur les changements que ça va entraîner pour les élèves, pour les professeurs. On va d'ailleurs faire le bilan de cette rentrée d'hier. Mais est-ce que vous avez réalisé au fond, et j'y réfléchissais en préparant cette interview, que vous avez comme flingué en vol le « et en même temps ».
GABRIEL ATTAL
C'est-à-dire ?
APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire que jusqu'alors, et vous n'êtes pas le premier ministre de l'Education que j'ai en face de moi et que je dois interviewer, j'ai interviewé vos deux prédécesseurs, c'est-à-dire Jean-Michel BLANQUER, et Pap NDIAYE, et sur des questions comme l'abaya, honnêtement, ça a louvoyé, on a compris que Jean-Michel BLANQUER, il n'était pas pour, mais il ne l'a jamais complètement 100 % assumé, Pap NDIAYE, quand je l'interrogeais, avait l'air presque d'ironiser, de ne pas comprendre pourquoi on lui posait la question, en tout cas, estimait que ça n'était pas son rôle de trancher. Et vous, vous êtes arrivé, et ce « et en même temps », vous avez dit : non, ça suffit.
GABRIEL ATTAL
Eh bien, moi, je crois que la laïcité, elle doit s'appliquer de manière pleine et entière, et la laïcité, je pense, rassemble beaucoup de Français, l'école, elle est gratuite, elle est pour tout le monde, et elle est laïque. Et moi, je ne veux pas d'une école où on pourrait identifier la religion des élèves en les regardant. Je ne veux pas d'une école où il y aurait une forme de pression sur certains ou certaines en l'occurrence, pour s'habiller d'une certaine façon, parce qu'on verrait tout d'un coup un vêtement qui manifeste une appartenance religieuse, se développer dans cette école. Donc, oui, j'assume d'avoir pris cette décision et de faire appliquer cette règle, mais encore une fois, qui n'est que l'application, à mon sens, et au sens de beaucoup que je vois sur les plateaux, beaucoup d'experts, beaucoup de juristes, de la loi de 2004, qui proscrit dans l'ensemble des établissements scolaires des signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.
APOLLINE DE MALHERBE
Et de fait, les Français vous donnent plutôt raison dans tous les sondages qui ont été faits depuis votre annonce, c'est un succès d'opinion. Les Français sont d'accord avec vous. Plus de 70 % des Français se disent favorables à cette interdiction de l'abaya, y compris parmi les électeurs de La France Insoumise, y compris parmi les professeurs. Mais arrivé à vous, après Pap NDIAYE, après Jean-Michel BLANQUER, moi, j'ai quand même une question, c'est : il pense quoi le président ?
GABRIEL ATTAL
Eh bien, il a eu l'occasion de le dire, il l'a dit la semaine dernière, il l'a redit hier soir, et surtout, il a fait un discours très important sur la question de la laïcité aux Mureaux, vous vous en souvenez, il y a quelques années…
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais ensuite, il a nommé Pap NDIAYE, avant de vous nommer vous. Enfin, j'aimerais savoir quel est le fil rouge ?
GABRIEL ATTAL
Eh bien, écoutez, moi, ce que je peux vous dire, c'est que je crois que tous mes prédécesseurs étaient attachés évidemment au respect de la laïcité. Ensuite, il y a un sujet qui est compliqué sur la question de l'abaya, qui est un phénomène, on va dire, plutôt récent, qui a quelques années, qui s'est développé assez rapidement dans nos établissements scolaires. 120 % d'augmentation sur un an. Et voilà, moi, j'ai été nommé à ce poste, je ne suis pas là pour donner des leçons à mes prédécesseurs. J'ai été nommé à ce poste, et j'ai considéré qu'avant cette première rentrée dans mes nouvelles fonctions de ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse, je devais à l'école de la République, mais aussi aux chefs d'établissement, aux principaux, principaux adjoints, proviseurs, proviseurs adjoints, CPE, une clarté sur la règle pour qu'ils puissent…
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous allez nous donner dans un instant d'ailleurs le bilan de la journée d'hier précisément sur ce point. Mais finalement, si je relis effectivement depuis le début d'Emmanuel MACRON à l'Elysée, je me dis au fond qu'est-ce qui nous dit que le prochain ministre ne sera pas à nouveau pour l'abaya, c'est-à-dire qu'il y a eu quand même beaucoup de changements de doctrines…
GABRIEL ATTAL
Non, d'abord, personne n'a été pour l'abaya, et mon prédécesseur y compris…
APOLLINE DE MALHERBE
Ou en tout cas, a estimé que ce n'était pas un sujet…
GABRIEL ATTAL
Non, je ne crois pas que c'est ça, je pense que ce qui avait été décidé, c'est de renvoyer l'appréciation de la situation et de la règle au niveau local aux chefs d'établissement…
APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'était pas un sujet, en tout cas, pour le ministre, ce n'était pas un sujet…
GABRIEL ATTAL
Très sincèrement, moi, je ne jette la pierre à personne, c'est un sujet qui est difficile, moi, je suis comptable de ce que je décide, moi, et de ce que je fais appliquer, moi. Et donc, j'ai pris cette décision, et je l'assume, encore une fois, les Français sont attachés à l'école de la République…
APOLLINE DE MALHERBE
Et je vous pose une dernière question, est-ce que le président de la République lui-même en a l'intime conviction ou est-ce que c'est vous qui êtes arrivé et qui lui avait tordu le bras ?
GABRIEL ATTAL
Bien sûr, non, non, bien sûr, il en a l'intime conviction. On a échangé à plusieurs reprises sur ce sujet, et évidemment, vous l'avez vu dans ses déclarations, il est tout à fait en soutien de cette décision. Mais encore une fois, vous l'avez dit, qui rassemble aussi beaucoup de Français, et y compris politiquement. J'ai entendu Fabien ROUSSEL, le chef du Parti communiste. J'ai entendu des responsables socialistes, Jérôme GUEDJ, le maire de Montpellier, Michaël DELAFOSSE, Carole DELGA, qui se sont exprimés aussi en faveur de la décision que j'ai prise. Donc on voit bien que la laïcité, c'est une valeur fondatrice de l'école de la République, et elle rassemble très largement les Français…
APOLLINE DE MALHERBE
Comment ça s'est passé hier, concrètement, à l'entrée des établissements ?
GABRIEL ATTAL
Vous savez que la grande priorité que j'avais donnée, elle était au dialogue et à la pédagogie. Moi, je suis pour évidemment l'application des règles dans l'école, mais une règle, elle doit être expliquée. Et je n'oublie pas que derrière l'abaya, le qamis, il y a des jeunes filles, et il y a des jeunes garçons à qui il faut parler comme des jeunes adultes, à qui il faut expliquer des choses. Il y a des familles aussi. Donc, ce que j'avais demandé à mes équipes, aux chefs d'établissement, à leurs adjoints, c'est d'être dans une explication de la règle pour celles et ceux, celles surtout, qui ne l'auraient pas forcément comprise et qui se seraient présentées à l'école vêtues d'une abaya…
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ces situations se sont en effet présentées…
GABRIEL ATTAL
Oui, c'est des situations qui sont…
APOLLINE DE MALHERBE
Ou, est-ce que d'elles-mêmes, les jeunes filles l'avaient enlevée avant même de se présenter à l'entrée de l'école ?
GABRIEL ATTAL
Alors, il y a un certain nombre de personnes, de jeunes filles qui se sont présentées en disant : moi, j'avais l'habitude de porter l'abaya l'année dernière. Là, j'ai entendu la nouvelle règle, donc je ne me présente pas en abaya. C'est présenté beaucoup. Et puis, ensuite, il y a des jeunes filles qui se sont présentées en abaya dans leur établissement scolaire.
APOLLINE DE MALHERBE
Combien ?
GABRIEL ATTAL
Hier, je crois que c'est un peu moins de 300, 298 personnes. Il y a eu ensuite toute cette phase d'explication, de pédagogie, de dialogue, et une très grande majorité se sont conformées à la règle. Et c'est ça pour moi qui est très important. Une règle, quand elle est expliquée, elle est appliquée.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez des chiffres très précis, donc j'imagine que vous en avez aussi sur ceux qui ont refusé cette règle, 298 personnes, nous annoncez-vous, ce matin, qui se sont présentées malgré tout en abaya hier. Combien ont accepté de l'enlever ? Combien ont refusé ?
GABRIEL ATTAL
Je disais qu'une grande majorité avait accepté de l'enlever. Je crois que c'est 67 personnes qui n'ont pas accepté de se conformer à la règle, elles sont rentrées chez elles. Et ensuite, dans les prochains jours, elles reviendront puisqu'elles doivent être scolarisées. Et puis, on verra si elles se sont conformées à la règle ou pas. Et sinon, il y aura un nouveau dialogue, et c'est comme ça qu'on va continuer à avancer. Je précise, Apolline de MALHERBE, qu'hier, pour les lycées, dans la plupart des cas, c'est essentiellement les secondes qui faisaient leur rentrée. Donc aujourd'hui et demain, il va y avoir les premières, les terminales, il peut y avoir d'autres situations qui se présenteront, surtout pour des personnes qui étaient déjà scolarisées au lycée l'année dernière, et qui donc avaient pu prendre cette habitude, puisqu'en seconde, c'est des personnes qui étaient au collège l'an dernier, donc, évidemment, mes services vont rester mobilisés pour, encore une fois, expliquer les choses. On a envoyé dans les établissements pour lesquels on sait que ces situations se présentent, des personnels formés. Les équipes valeurs de la République, des rectorats, des formateurs Laïcité qui sont formés aux questions de laïcité…
APOLLINE DE MALHERBE
Malgré ce dialogue, vous nous dites qu'il y a donc 67 jeunes filles qui ne sont pas rentrées à l'école hier, au collège en l'occurrence. Elles seront convoquées dans les jours qui viennent. Quelle est la procédure ?
GABRIEL ATTAL
Enfin, elles se sont vu remettre leur emploi du temps, elles sont rentrées chez elles. Elles se représenteront au lycée pour aller en cours, et on verra si entre temps, elles se sont conformées ou pas à la règle. On leur a remis aussi une lettre que j'ai adressée moi-même, que j'ai signée moi-même à destination de leur famille, pour expliquer les choses, pour expliquer que la laïcité, ce n'est pas une contrainte, c'est une liberté…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous vous êtes engagé personnellement, vous avez signé ces lettres, ces lettres sont entre leurs mains, elles les ont rapportées à la maison, elles les ont fait lire à leurs parents.
GABRIEL ATTAL
Mais moi, je pense que ma responsabilité, c'est d'être aux côtés de mes agents et d'assumer la responsabilité de la décision que j'ai prise. Donc oui, j'ai souhaité qu'il y ait une lettre signée de ma main, celle du ministre à destination des familles, pour leur expliquer les choses, leur expliquer que l'école, elle ne stigmatise personne, que leur enfant a sa place dans l'école de la République, et que, précisément, pour que chacun puisse avoir sa place dans l'école de la République, il faut que les règles soient appliquées, et notamment les règles de la laïcité.
APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, vous, personnellement, vous vous engagez effectivement sur ce sujet. Vous en faites quasiment un combat personnel, en fait, en tout cas, vous vous engagez, y compris jusqu'à signer de votre main ces courriers, est-ce que ça vous coûte, c'est-à-dire, est-ce que vous sentez aujourd'hui la cible quand vous entendez, mais on stigmatise, mais c'est islamophobe. Est-ce que vous vous êtes senti ciblé par ces critiques ?
GABRIEL ATTAL
Non, voilà, je pense que ceux qui sont en première ligne, c'est avant tout mes équipes sur le terrain, c'est les chefs d'établissement, c'est leurs adjoints, c'est leurs équipes, c'est les enseignants qui, eux-mêmes, évidemment, sont confrontés à ces situations et doivent expliquer les choses, faire de la pédagogie…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous n'avez pas été ciblé ?
GABRIEL ATTAL
Non, mais je ne suis pas là pour parler de moi. Moi, encore une fois, l'important, c'est d'expliquer les choses, d'expliquer la règle, et surtout d'être toujours aux côtés de mes personnels, d'être aux côtés des enseignants, d'être aux côtés de celles et ceux qui font vivre l'école et qui transmettent les valeurs de la République.
APOLLINE DE MALHERBE
Un dernier mot encore là-dessus, vous avez une précision géographique à nous apporter, c'est-à-dire, c'est 67... d'abord, c'est 298 personnes qui se sont présentées avec une abaya, et c'est 67 qui ont refusé de l'enlever. C'est où ?
GABRIEL ATTAL
Non, il n'y a pas de concentration spécifique sur certains territoires…
APOLLINE DE MALHERBE
Il n'y a pas de territoires particuliers. C'est partout…
GABRIEL ATTAL
Non, c'est plutôt dans des grandes agglomérations, autour de grandes agglomérations et de grandes métropoles. Mais encore une fois, il a pu y avoir des situations dans à peu près toutes les académies l'an dernier, vous savez, dimanche, pour préparer la rentrée…
APOLLINE DE MALHERBE
Il n'y a pas d'académie qui a été épargnée ces questions-là ?
GABRIEL ATTAL
Pour préparer la rentrée dimanche, j'ai fait un point en visioconférence avec l'ensemble de mes rectrices et mes recteurs, et on a parlé de ce qui s'était passé l'année dernière, et dans toutes les académies, à des degrés différents, des situations…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais ça représente combien d'établissements les 67, c'est dans… 67, c'est une par établissement ou c'est quelques établissements en particulier ?
GABRIEL ATTAL
Non, non, c'est, je pense, moins d'une centaine d'établissements.
APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, l'uniforme ou la tenue unique ? Emmanuel MACRON, hier, s'est dit favorable à des expérimentations sur la tenue unique, d'abord, c'est quoi la différence entre uniforme et tenue unique ?
GABRIEL ATTAL
Eh bien, uniforme, c'est quand vous avez un vêtement ad hoc qui est produit pour l'école, tenue unique, c'est quand vous avez des règles qui sont fixées. Ça existe dans certains établissements Outre-Mer, notamment aux Antilles ou en Guyane. Vous avez par exemple des règles qui disent : votre enfant doit venir vêtu, je donne un exemple, mais, d'un jeans et d'un tee-shirt de telle couleur, voilà…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est le même exemple qu'a utilisé le président de la République hier.
GABRIEL ATTAL
Oui, parce que ça existe dans quelques établissements Outre-Mer…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc jeans, ça pourrait être l'idée ?
GABRIEL ATTAL
Moi, ce que j'ai dit sur ce sujet-là, c'est que je ne sais pas si l'uniforme est une solution un peu miracle qui permettrait de régler les problèmes de harcèlement, d'inégalités sociales, de laïcité et autres. Ce que je sais, c'est que c'est un débat qui est présent dans le pays, et depuis un certain temps, et moi, je pense qu'un débat, il faut toujours le faire progresser.
APOLLINE DE MALHERBE
Là encore, je précise d'ailleurs que votre prédécesseur n'y était pas favorable. Là aussi, c'est un changement de doctrine.
GABRIEL ATTAL
En tout cas, moi, je suis comptable encore une fois de ma ligne. Je pense que, ce qui permet de faire progresser un débat, c'est de passer par des expérimentations, de tester les choses et de regarder ensuite si ça a un impact ou pas. Et donc, ce que j'ai annoncé, c'est que, il y a un certain nombre d'élus ou d'établissements qui ont manifesté ces dernières semaines leur souhait de pouvoir expérimenter l'uniforme ou la tenue scolaire unique. Je les invite à se rapprocher de mes services.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a un certain nombre… vous avez d'ailleurs eu au téléphone Eric CIOTTI, qui a dit qu'il y était favorable. Vous avez eu peut-être aussi Robert MENARD, non ?
GABRIEL ATTAL
Non, je ne l'ai pas eu directement…
APOLLINE DE MALHERBE
Non, parce que lui, il s'est dit très vite favorable pour Béziers. Et il y a Martine VASSAL, la présidente du département des Bouches-du-Rhône, qui demande à ce qu'éventuellement, son département puisse être un département pilote. Pilote.
GABRIEL ATTAL
Il y a aussi des maires d'autres communes en France qui se sont déjà…
APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'est que des gens de droite…
GABRIEL ATTAL
Non, mais je ne pense pas qu'il n'y ait que des gens de droite, comme vous dites, qui soient…
APOLLINE DE MALHERBE
Enfin, là, en l'occurrence, ceux-là sont tous étiquetés à droite…
GABRIEL ATTAL
En tout cas, il y a un certain nombre de maires qui se sont déjà manifestés auprès de mes services. Moi, ce que je dis : manifestez-vous auprès de mes services, et ensuite, à l'automne, je présenterai des modalités et un calendrier d'expérimentation dans un certain nombre d'établissements. Il faut qu'on se fixe un calendrier. Il faut qu'on fixe aussi une méthode d'évaluation. C'est très important, quand on expérimente, d'être d'accord sur la manière dont on va évaluer les effets de l'expérimentation pour se poser ensuite la question de savoir si on généralise ou pas…
APOLLINE DE MALHERBE
Et reste la question aussi de qui paie, c'est-à-dire que si c'est jeans, tee-shirt, eh bien, c'est les parents, si c'est uniforme, ça peut aussi être avec l'aide de l'établissement ou l'Education nationale ?
GABRIEL ATTAL
C'est pour ça que je pense qu'il faut tester différentes organisations et regarder ce qui fonctionne ou pas.
APOLLINE DE MALHERBE
Jeans, tee-shirt, ça pourrait être pour garçons et filles ?
GABRIEL ATTAL
Encore une fois, moi, je ne préempte pas l'expérimentation qui sera faite. Je pense qu'on peut tester un certain nombre de solutions.
APOLLINE DE MALHERBE
Quand je vous pose la question et quand je vous dis que votre prédécesseur n'y était pas favorable, ce n'est pas pour dire que vous êtes différents, c'est pour poser la question de la colonne vertébrale du président de la République, moi, c'est ça qui m'intéresse…
GABRIEL ATTAL
Non, mais par ailleurs, mais je pense que c'est un sujet sur l'uniforme, je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui sont partagées, moi-même, à titre personnel, j'avoue être partagé sur cette question. Donc moi, je suis favorable à l'expérimentation, et j'y suis favorable, notamment parce que je pense que ça me permettra, et nous permettra aussi, pour un certain nombre, de nous forger une opinion.
APOLLINE DE MALHERBE
Le choc des savoirs, c'est quoi ?
GABRIEL ATTAL
Le choc des savoirs, C'est dire que : on a besoin de renforcer dans notre pays ce qu'on appelle les savoirs fondamentaux. Les savoirs fondamentaux, ce sont les savoirs qui permettent tous les autres, c'est le français et les mathématiques. Si vous ne maîtrisez pas la lecture ou l'écriture, vous aurez du mal en histoire-géographie ou dans d'autres matières. Si vous ne maîtrisez pas les mathématiques, si vous ne savez pas compter, vous aurez du mal en physique-chimie et dans d'autres matières. Qu'est-ce qu'on constate aujourd'hui ? Un élève sur trois qui rentre en 6e, ne maîtrise pas pleinement les fondamentaux. Un élève sur trois qui rentre en 6e, a des difficultés de lecture, d'écriture ou de calcul. Et donc oui, j'ai dit que je voulais un choc des savoirs, un choc des savoirs fondamentaux, c'est-à-dire mettre le paquet, renforcer notre action sur ces savoirs fondamentaux notamment en primaire.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a cette tribune signée aujourd'hui dans le journal Le Monde par un grand nombre de personnalités, il y a Jamel DEBBOUZE, il y a Agnès JAOUI, il y a des acteurs qui disent : « Attention, nos enfants ne savent plus lire et ne savent plus écrire au sens enchaîner des mots avec une réflexion ».
GABRIEL ATTAL
Oui.
APOLLINE DE MALHERBE
Ils vous alertent, ils vous demandent notamment qu'il y ait une demi-heure d'écriture par jour, pour les enfants. Est-ce que vous y êtes favorable ?
GABRIEL ATTAL
Alors, d'abord, moi je suis évidemment favorable à ce qu'on renforce l'apprentissage de la lecture et de l'écriture en primaire, je vous le disais. Qu'est-ce qu'on fait en cette rentrée ? D'abord, on a un nouveau plan de formation pour les institutrices, les instituteurs en maternelle, pour l'initiation à la lecture et à l'écriture.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire initier avant le CP.
GABRIEL ATTAL
Exactement. Donner les premières bases, ce qui va permettre ensuite au CP d'apprendre. Ensuite, au CP, ce qu'on dit, c'est qu'il faut au moins deux heures par jour d'activités autour de la lecture. Ce qu'on dit ensuite, c'est qu'en CM1 et en CM2, il faudra qu'il y ait chaque semaine deux textes longs, autour de 1 000 mots, qui seront lus chaque semaine au moins par les élèves. Et on va continuer à renforcer ces actions, encore une fois en faveur de la lecture et de l'écriture. Donc ils ont tout à fait raison de faire cette tribune, d'ailleurs, je les mobiliserai, comme ils sont engagés sur cette question-là, pour qu'ils puissent eux aussi se faire les ambassadeurs de cette question-là, intervenir…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites qu'un Jamel DEBBOUZE, par exemple, s'il peut s'adresser directement aux élèves, eh bien tant qu'à faire…
GABRIEL ATTAL
Mais bien sûr. Dans les établissements scolaires, et d'ailleurs, parce que je le disais à l'instant, on a encore aujourd'hui au collège beaucoup d'élèves qui ne maîtrisent pas ces fondamentaux. Je pense que c'est important de pouvoir aussi aller intervenir dans ces établissements.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a aussi cette question du numérique, est-ce que ce n'est pas un gadget dont aujourd'hui on s'aperçoit qu'il a éloigné les enfants de la lecture ? Je pense à l'exemple de la Suède, la Suède qui fait machine arrière, qui remet des bons vieux manuels scolaires, parce qu'elle dit que finalement, derrière le côté ludique de l'écran, on les a éloignés de la lecture à proprement parler. Est-ce que vous vous dites : eh bien tiens, c'est un exemple peut être dont il faut s'inspirer ou en tout cas c'est une alerte à prendre en compte ?
GABRIEL ATTAL
Moi, je pense que le numérique il est utile, dès lors qu'il est au service de la transmission et de la pédagogie. Pour moi, ce n'est pas un outil, enfin, c'est un outil, mais qui doit être toujours au service de la transmission. Et donc, à chaque fois qu'on développe des initiatives en lien avec le numérique, on doit toujours se poser la question : est-ce que cela permet de renforcer l'apprentissage des fondamentaux, la transmission en direction des élèves ? Il y a une stratégie sur le numérique éducatif qui avait été bâtie par mon prédécesseur au début de l'année 2023. J'ai souhaité, avec mes équipes, réinterroger sa stratégie. On va regarder si on fait évoluer certaines choses, mais en tout cas, moi, ma priorité, c'est cela, c'est moins l'outil que de savoir ce qui est le plus utile pour l'apprentissage des élèves.
APOLLINE DE MALHERBE
Le harcèlement. Le harcèlement à l'école. Il y a cette décision de pouvoir bannir des réseaux sociaux un enfant qui serait harceleur. Il y a aussi l'option de les renvoyer des établissements. Vous allez rencontrer la famille de Lindsay, je crois.
GABRIEL ATTAL
Oui, absolument, demain.
APOLLINE DE MALHERBE
Demain.
GABRIEL ATTAL
Oui, j'ai déjà rencontré la maman de Lindsay, et Maëlys, qui était la meilleure amie Lindsay, qui elle-même a…
APOLLINE DE MALHERBE
Est victime.
GABRIEL ATTAL
… fait l'objet et a été victime de harcèlement à la suite du drame tragique qui s'est noué avec le suicide de Lindsay. Et je pense que c'est très important de tirer toujours les enseignements de ces drames.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais très concrètement, quand on dit par exemple que l'on va bannir un enfant des réseaux sociaux, qui va vérifier, comment ? Est-ce que vous allez les priver de téléphones portables, est ce que vous allez être derrière chaque pseudo qu'il va pouvoir prendre pour renaître de ses cendres ? Comment vous allez faire ?
GABRIEL ATTAL
On aura besoin des plateformes, d'ailleurs je vais les convoquer à mon ministère pour travailler avec elles sur cette question. C'est une mesure qui figure dans le projet de loi sur le numérique, qui est porté par mon collègue Jean-Noël BARROT. Donc on va préciser tout le processus pour lequel on pourra arriver à cette peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux, pour une durée de six mois à un an, notamment quand il y a du harcèlement, quand il y a des deepfake, quand il y a du revenge porn, on sait que c'est un vrai problème aussi. Souvent des jeunes garçons qui demandent à des jeunes filles des photos dénudées et qui ensuite les font circuler sur les réseaux sociaux, ce qui produit là aussi des drames. Bref. On sait que le numérique a une place aujourd'hui majeure dans le harcèlement et dans ce que subissent beaucoup d'élèves. On doit toujours continuer à renforcer nos actions en la matière. Moi je crois aussi beaucoup à la prévention. Il y a les mesures répressives comme celles que je viens d'évoquer, mais je pense que l'école, elle a aussi un rôle en matière de prévention, en matière de prévention sur une culture de l'empathie à l'école, en matière de prévention aussi, sur les comportements de harcèlement qu'on peut repérer en matière de signaux faibles, très tôt. Il faut qu'on développe vraiment cette culture là à l'école.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous en ferez une priorité.
GABRIEL ATTAL
Ah mais c'est ma priorité absolue. Oui, évidemment. C'est insupportable d'avoir des élèves, et quand vous écoutez les témoignages, qui sont maltraités à l'école, et c'est des élèves ensuite qui peuvent se retrouver en échec scolaire. Parce qu'évidemment, quand vous êtes harcelé à l'école, quand vous êtes maltraité à l'école, vous ne pouvez pas apprendre dans de bonnes conditions. C'est profondément injuste.
APOLLINE DE MALHERBE
Et les harceleurs, ils seront renvoyés, j'allais dire jusqu'où, c'est-à-dire que s'ils sont renvoyés, cela veut dire qu'on les déplacer d'une école à une autre, ça veut dire qu'ils vont arriver dans une autre école, avec peut-être d'autres cibles ?
GABRIEL ATTAL
Vous faites référence à une règle qui est issue d'un décret que j'ai signé cet été, où effectivement, on dit désormais que c'est à l'élève harceleur de changer d'établissement et non à sa victime, harcelée.
APOLLINE DE MALHERBE
On comprend parfaitement. Et évidemment, ça paraît presque une évidence. Sauf que si on tire le fil malgré tout, ça veut dire que vous allez déplacer le problème, et que vous allez potentiellement mettre ces enfants harceleurs face à d'autres enfants, face à de nouveaux camarades.
GABRIEL ATTAL
Je n'en suis pas certain, mais ce qui est sûr, c'est qu'il y aura besoin d'un vrai suivi. Pourquoi je n'en suis pas certain, d'abord parce qu'il y aura un suivi, y compris dans l'établissement nouveau. Ensuite, parce qu'on sait que c'est des phénomènes, et ça les experts le disent, qui peuvent souvent être des phénomènes de meute. Vous avez un élève qui est harceleur, mais qui parfois le fait dans un contexte, dans un environnement, où il peut être encouragé, soutenu par d'autres élèves. Donc, voilà, isoler le harceleur, l'élément perturbateur, en le changeant d'établissement, ça peut être une solution. Mais ce n'est pas la seule, moi je veux qu'on aille beaucoup plus loin, que l'on aille beaucoup plus loin sur la formation d'un certain nombre de référents dans les établissements. On a développé des programmes phares, qui fonctionnent très bien, qu'on développe dans les lycées à partir de cette année…
APOLLINE DE MALHERBE
Et sur des réactions beaucoup plus rapides. Pourquoi vous, Gabriel ATTAL ? Pourquoi vous maintenant ? Pourquoi vous maintenant, ministre ? Qu'est ce qui fait qu'à un moment, parce qu'on sait que ça fait quand même très longtemps que vous auriez espéré ce job, pourquoi maintenant ?
GABRIEL ATTAL
Ça, il faut poser la question au président et…
APOLLINE DE MALHERBE
Comment vous l'avez convaincu ?
GABRIEL ATTAL
… à la Première ministre. Moi, c'est des questions, les questions d'éducation qui me passionnent. Quand on s'engage en politique, je crois qu'on le fait quand même pour chercher à bâtir une société meilleure. Et quelle meilleure manière que de bâtir une meilleure société, que d'investir sur l'école ? Parce que la réalité, c'est que ce qui permet de réduire les inégalités de destins, ce qui permet d'assurer l'égalité des chances, c'est quand même l'école de la République. Donc j'ai travaillé sur ces questions d'éducation en tant que député dès 2017, quand j'ai été élu. J'étais secrétaire d'Etat au ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse entre 2018 et 2020…
APOLLINE DE MALHERBE
Sous Jean-Michel BLANQUER.
GABRIEL ATTAL
A l'époque de Jean-Michel BLANQUER. Et donc oui, c'est des sujets qui me passionnent et qui m'animent en tant que responsable politique, mais aussi en tant que citoyen. Et donc c'est une chance immense aujourd'hui d'occuper ces responsabilités.
APOLLINE DE MALHERBE
Gabriel ATTAL, on l'aura bien compris, nouveau ministre de l'Education nationale, merci d'avoir répondu à mes questions et de nous avoir donné donc ce premier bilan de la rentrée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2023