Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à LCI le 12 septembre 2023, sur les impôts, le pouvoir d'achat, les prix du carburant, l'inflation, la politique budgétaire et la question migratoire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
  • Adrien Gindre - Journaliste

Média : LCI

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bruno LE MAIRE. Bonjour.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Ministre de l'Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique. On va parler ce matin ensemble des carburants, des prix dans les supermarchés, du budget. Vous avez beaucoup d'annonces à nous faire. D'abord, un mot des impôts. Certains des Français qui nous regardent ce matin, s'inquiètent : vont-ils payer plus d'impôts ? Je pense en particulier à ceux dont le salaire a été augmenté face à l'inflation. Que leur répondez-vous ?

BRUNO LE MAIRE
Je leur réponds que, fidèles à notre politique, celle que nous menons avec le président de la République depuis à peu près 7 ans maintenant, aucun salarié ne paiera davantage d'impôts, et certains paieront même moins d'impôts. Pourquoi ? Parce que je vous confirme que nous indexerons le barème de l'impôt sur le revenu, sur l'inflation, c'est-à-dire de 4,8 %. Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que tous ceux dont le salaire a augmenté en 2023, l'augmentation moyenne, elle est de 5 %, ils ne paieront pas 1 € de plus. Tous ceux dont le salaire, malheureusement n'a pas augmenté, et qui du coup sont les premiers touchés par l'inflation, eux ils verront leur impôt diminuer. Et ça veut dire aussi, une troisième chose, ça veut dire qu'on évite de voir très exactement 320 000 salariés qui auraient basculé dans l'impôt sur le revenu, si jamais nous n'avions pas indexé le barème sur le niveau de l'inflation. Donc c'est une très bonne nouvelle pour tous ceux qui travaillent, c'est conforme à notre politique depuis maintenant près de 7 ans, baisser les impôts de ceux qui travaillent et faire en sorte que le travail paie.

ADRIEN GINDRE
Pour bien comprendre, Bruno LE MAIRE, ceux qui nous regardent ce matin, c'est le chiffre de 4,8 % qui compte. S'ils ont été augmentés pile à 4,8 %…

BRUNO LE MAIRE
Ils ne paieront pas 1 €…

ADRIEN GINDRE
… ils ne paieront pas plus. S'ils ont été augmentés un peu plus, s'ils ont cette chance, en revanche ils paieront davantage d'impôts.

BRUNO LE MAIRE
Mais je pense surtout à tous ceux qui n'ont pas été augmentés, qui se disent "eh bien la vie est dure. C'est difficile de remplir son panier, et si en plus notre impôt augmente, on ne va pas s'en sortir. Et même si le montant d'impôt reste le même, ça va être difficile pour nous". Leur imposition sur le revenu va baisser. C'est une mesure de justice et c'est une mesure de valorisation du travail.

ADRIEN GINDRE
Ça représente quel manque à gagner pour le budget de l'État ?

BRUNO LE MAIRE
Ça représente quasiment 6 milliards d'euros de manque à gagner pour le budget d'État. Donc c'est un effort très important, mais un effort qui va au travail, un effort qui va à tous ceux qui se lèvent le matin, qui travaillent, qui nous permettent d'avoir ces résultats économiques exceptionnels. 1 % de croissance, une des croissances les plus fortes de la zone euro. La France est en train de devenir la locomotive économique de l'Europe. Je pense que ça mérite de la reconnaissance, et la meilleure des reconnaissances c'est que le travail paie et c'est que les impôts baissent.

ADRIEN GINDRE
Deux commentaires sur ce que vous venez de dire. D'abord sur la question des impôts, le chef de l'État sur TF1 avait annoncé une baisse de 2 milliards pour les classes moyennes, là on est en revanche toujours sur une baisse, en 2025 si possible ?

BRUNO LE MAIRE
Le plus tôt possible. J'ai dit 2025, si c'est possible en 2025 nous le ferons en 2025.

ADRIEN GINDRE
Mais rien en 2024.

BRUNO LE MAIRE
En 2024, il y a cette indexation du barème de l'IR sur l'inflation, c'est un effort qui est très important, mais qui permet d'encourager tout le monde à aller vers le travail. Notre objectif c'est quoi ? C'est le plein emploi, c'est que tous les Français aient un travail. Eh bien la meilleure façon de faire en sorte que tous les Français aient un travail, c'est d'abord que ce soit intéressant de travailler, que ça rapporte. Cette décision va dans ce sens-là. La conférence sociale qu'a ouvert le président de la République, qui pour moi est un rendez-vous majeur…

ADRIEN GINDRE
Qui doit se réunir… sur les salaires.

BRUNO LE MAIRE
… c'est un rendez-vous sur les salaires, sur les bas salaires, sur les salaires modestes. C'est mettre fin à quelque chose que je trouve scandaleux, c'est d'avoir autant de branches, quand le salaire minimal est sous le smic. C'est comment est-ce qu'on recrée de la dynamique salariale dans notre pays, comment est-ce que les entreprises augmentent lorsqu'elles le peuvent tous les salaires de ceux qui travaillent.

ADRIEN GINDRE
Elles le font suffisamment ?

BRUNO LE MAIRE
Elles le font en 2023, mais je pense qu'on doit poursuivre impérativement cette politique, l'augmentation des salaires dans toutes les entreprises qui le peuvent, éviter des trappes à bas salaires, redonner de la dynamique salariale, parce qu'au bout du compte qu'est-ce que ça donne comme Nation ? Ça donne une Nation qui est une des plus performantes du point de vue économique, qui se réindustrialise, et dans laquelle ceux qui travaillent, doivent avoir une vie qui soit une vie décente.

ADRIEN GINDRE
Alors, vous le dites aussi en creux, Bruno LE MAIRE, de ce qu'on comprend par rapport à l'Allemagne aussi, hier la Commission européenne a annoncé des chiffres qui sont très négatifs pour l'Allemagne, une récession, d'ailleurs ce sera le seul pays du G7 dans cette situation-là. Vous serez en Allemagne je crois demain. Qu'est-ce que vous direz aux Allemands, qu'est-ce que vous vous attendez d'eux ? Ils ont souvent dit ce qu'ils attendaient de la France sur le plan budgétaire, qu'est-ce que vous attendez d'eux aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Je serai demain effectivement en Allemagne, je participerai au Conseil des ministres allemands. Et je leur dirai une chose très simple, qui a été portée par le président de la République et depuis là aussi plusieurs années, nous devons travailler main dans la main et il nous faut maintenant impérativement une stratégie industrielle européenne, beaucoup plus volontariste, beaucoup plus innovante, beaucoup plus protectrice de nos intérêts industriels par rapport à la Chine et par rapport aux États-Unis. Il y a un certain nombre de choses qui ont été faites, on peut aujourd'hui apporter des aides d'État à des industries naissantes, à l'hydrogène, aux panneaux solaires, au photovoltaïque, c'est une bonne chose. Est-ce que c'est suffisant ? Non. Il est temps que France et Allemagne définissent ensemble une stratégie industrielle innovante, volontariste, qui permet à l'Europe de se réindustrialiser, de profiter de la transformation de l'intelligence artificielle et de la décarbonation de l'économie, pour peser entre la Chine et les États-Unis. Il n'y a pas un jour à perdre pour définir ces stratégies.

ADRIEN GINDRE
Alors, revenons en France, puisque vous évoquiez la dimension du pouvoir d'achat. Il y a des salaires et puis il y a toutes les dépenses. Ce matin, TotalEnergies annonce le prolongement du plafonnement à 1,99 € pour tous les carburants, tant que les prix resteront élevés, c'est la formule qui est utilisée, c'est-à-dire au-delà de la fin 2023, comme vous l'aviez demandé. Ce matin, le gouvernement réunit tous les distributeurs de carburant. Qu'est-ce que vous attendez des autres distributeurs à par TOTAL ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord je salue la décision de TOTAL. Ça fait une semaine que nous en parlons avec le président de TOTAL, Patrick POUYANNE. Je l'ai vu en marge des Rencontres d’Évian, c'est des rencontres entre…

ADRIEN GINDRE

BRUNO LE MAIRE
… industriels français et allemands, pour en discuter longuement avec lui. Je lui ai dit : mais, votre décision est une très bonne décision, vous avez plafonné à 1,99 € le prix de tous vos carburants dans toutes vos stations, là maintenant que le carburant dépasse 2 €, que c'est une source d'anxiété, d'anxiété profonde pour tous ceux qui travaillent, qui sont parfois à 30, 40, 50 km de leur lieu de travail. Votre décision est excellente, est-ce que vous ne pourriez pas réfléchir à la prolonger ? TOTAL vient de l'annoncer. Je salue cette décision, c'est une bonne décision pour ceux qui travaillent, c'est une bonne décision pour le pouvoir d'achat de nos compatriotes, et c'est une décision qui dans la méthode rassemble l'État, une entreprise privée, qui est une décision collective, donc elle va dans le bon sens.

ADRIEN GINDRE
Et les autres distributeurs ?

BRUNO LE MAIRE
Je souhaite que les distributeurs se joignent à ce mouvement et annoncent dans les heures ou dans les jours qui viennent, qu'eux aussi soit ils plafonneront, soit ils vendront à prix coûtant, je pense qu'ils ont plein d'options. La ministre de l'Énergie, Agnès PANNIER-RUNACHER, va recevoir les distributeurs dans quelques heures. Eh bien j'espère que cette réunion sera conclusive. Parce que de manière plus globale, notre méthode, c'est de partager le fardeau de l'inflation. L'État ne va pas prendre sur ses seules épaules, le fardeau de l'inflation, si des entreprises privées y participent, comme vient d'annoncer TOTAL, c'est une très bonne chose.

ADRIEN GINDRE
Vous souhaitez cette initiative des entreprises, ou vous pouvez l'imposer ? Vous savez ce que certaines oppositions vous reprochent. Ce matin encore dans le 6/9 de Jean-Baptiste BOURSIER, Julien BAYOU rappelait votre surnom "Bruno demande", sous-entendu Bruno demande et n'impose pas.

BRUNO LE MAIRE
Oui, et on pourrait avoir un autre surnom, c'est "Bruno obtient". Nous avons obtenu le plafonnement à 1,99 €. Nous avons obtenu l'avancée des négociations commerciales, en mettant d'ailleurs un texte de loi sur la table.

ADRIEN GINDRE
On va en parler dans un instant.

BRUNO LE MAIRE
Donc nous obtenons au bout du compte, et on sait bien que la philosophie de Julien BAYOU et de ses amis c'est imposer tout à tout le monde. C'est le contrôle de tout et de tout le monde y compris des entreprises privées et de l'ensemble de la société. Ça n'est pas ma vision de la société. Et je pense qu'on peut construire des solutions qui soient fortes, qui soient efficaces, par le dialogue. Les résultats sont là, je ne souhaite pas, je ne demande pas, j'obtiens. Et quand je n'obtiens pas, je n'hésite pas à utiliser des armes qui sont à ma disposition. Lorsqu'il a fallu récupérer les surprofits des entreprises énergétiques…

ADRIEN GINDRE
Mais vous pourrez le faire sur…

BRUNO LE MAIRE
Aujourd'hui ils le font. Pourquoi passer par une voie obligatoire, alors que dans le dialogue nous obtenons des résultats ? Mais je n'hésite pas, quand c'est nécessaire, à recourir à l'arme fiscale ou à l'arme législative, pour avancer les négociations commerciales entre distributeurs, industriels et accélérer la baisse des prix alimentaires. Nous aurons une loi.

ADRIEN GINDRE
Encore un mot, juste un mot sur les carburants, vous demandez et vous obtenez, mais est-ce que vous allez faire vous-même ? L'idée de baisser les taxes ou d'avoir des Chèques carburants ciblés, comme vous l'avez fait par le passé, c'est désormais totalement révolu, c'est exclu ?

BRUNO LE MAIRE
La remise sur les carburants, c'est une triple erreur, c'est d'abord une erreur par rapport au climat, parce que vous subventionnez l'énergie fossile. C'est une erreur pour le budget de l'État, parce que 20 centimes d'euro de remise à la pompe c'est 20 milliards d'euros sur l'année, donc c'est quelque chose qui est hors de portée du budget de l'État. Et en troisième lieu, c'est une erreur diplomatique parce que vous validez la stratégie économique de l'Arabie Saoudite et de la Russie, qu'est de renchérir le coût du pétrole. Vous alimentez cette stratégie.

ADRIEN GINDRE
Même chose pour un Chèque carburant ciblé, pour les plus modestes.

BRUNO LE MAIRE
Le Chèque énergie existe déjà. Je continue à surveiller ça de très près. Tous les jours je regarde le prix du carburant, il était très élevé en fin de semaine, il y a eu une toute petite baisse mais extrêmement modeste hier et aujourd'hui, on verra ce qu'il en est dans les prochains jours. Je veille sur le prix du carburant comme le lait sur le feu. C'est extraordinairement sensible. Donc je n'écarte pas tout d'un revers de main, je dis une remise généralisée de 20 centimes c'est hors de portée financièrement, et ce serait une erreur de politique énergétique, après je continue à veiller attentivement, tous les jours, au prix du carburant, parce que je sais que pour tous ceux qui travaillent c'est extraordinairement angoissant et pénalisant.

ADRIEN GINDRE
Il y a dans les carburants également le GNR, le Gazole Non Routier. Vous avez annoncé il y a quelques jours la suppression de la niche fiscale qui profitait notamment aux agriculteurs et aux travaux publics. Ça a provoqué la colère de ces secteurs. Est-ce que vous maintenez l'idée de supprimer cette niche fiscale ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il y a eu une incompréhension, et les mots que j'ai employés n'étaient probablement pas les bons, parce que mes amis agriculteurs, je rappelle que j'ai été 3 ans ministre de l'Agriculture, et que je porte l'agriculture et les paysans français dans mon cœur. Donc s'ils ont compris que du jour au lendemain, entre 23 et 24 on allait supprimer tout l'avantage fiscal sur le GNR, je leur prie de bien vouloir m'excuser, parce que ce n'est pas du tout ce que je voulais dire.

ADRIEN GINDRE
Donc ce sera supprimé, mais progressivement.

BRUNO LE MAIRE
Ce sera progressivement une réduction de cet avantage fiscal sur le gazole non routier dont bénéficient les agriculteurs. Très concrètement, il y aura une réduction de cet avantage fiscal de 2,8 centimes par litre de carburant en 2024. Vous voyez que c'est modeste. La deuxième chose à laquelle je m'engage, c'est extrêmement important, c'est que l'intégralité de ces recettes fiscales, sera reversée aux agriculteurs pour qu'ils puissent transformer leur exploitation, pour qu'ils puissent investir, pour qu'ils puissent accompagner comme ils le font depuis maintenant des années, la transformation écologique de leurs exploitations. Donc je veux les rassurer, il n'y aura pas 1 € dans les poches de l'État, toute recettes fiscales supplémentaires liées à ces 2,8 centimes d'euro par litre de carburant iront dans la poche des agriculteurs, dans la poche des exploitations agricoles.

ADRIEN GINDRE
Et la suppression s'étalera jusqu'à quand ? Elle sera…

BRUNO LE MAIRE
Jusqu'en 2030, elle ne sera pas totale d'ailleurs, nous réduirons cet avantage fiscal jusqu'en 2030, de manière lisible, régulière, 2,8 centimes d'euro par litre de carburant et par an. L'intégralité des recettes versées pour les agriculteurs, et exactement la même chose pour la Fédération nationale des travaux publics. Je sais bien à quel point c'est difficile, à quel point les marges sont réduites. Donc là il faut qu'ils puissent réinvestir dans des engins de chantiers électriques, il y en a quelques-uns ce n'est pas le cas pour l'agriculture, mais c'est le cas pour les travaux publics, et par ailleurs nous sommes tombés d'accord avec le président de la Fédération nationale des travaux publics et avec le président de la FNSEA, pour financer ensemble, avec ces recettes, une filière de biocarburants, qui sera intéressante pour les agriculteurs, intéressante pour les travaux publics. Qu'est-ce qu'il faut retenir ? Progressivité et dialogue. C'est comme ça qu'on fait la transformation écologique de notre pays. Progressivement, en accompagnant et dans le dialogue. Et l'accord que nous avons trouvé hier, est je pense un accord solide et un accord juste.

ADRIEN GINDRE
Alors, voyons Bruno LE MAIRE si ça s'applique également aux prix de l'alimentaire. Vous avez annoncé 5 000 produits dont les prix n'augmenteront plus, voire baisseront. Un nouveau projet de loi, vous y faisiez allusion à l'instant, je crois d'ailleurs que vous voyez des parlementaires juste après cet entretien, à quel résultat vous souhaitez parvenir ? Est-ce que par exemple l'idée de négociations entre industriels et distributeurs plusieurs fois dans l'année, c'est la bonne option ?

BRUNO LE MAIRE
La première bonne option, c'est l'option immédiate. Aujourd'hui tout le monde va faire ses courses, tout le monde voit que le ralentissement est encore modeste. J'avais promis que l'inflation ralentirait, elle ralentit mais ça reste modeste.

ADRIEN GINDRE
Elle ralenti moins que ce que vous espérez.

BRUNO LE MAIRE
Oui, elle ralentit à un rythme qui doit être beaucoup plus fort pour que ça se voit dans le ticket de caisse. Par conséquent, dès les premières semaines d'octobre, nous déposeront avec la Première ministre, un projet de loi qui avancera les négociations commerciales du printemps 2024 au 15 janvier 2024. Donc ça permettra…

ADRIEN GINDRE
Mais ça peut laisser espérer des baisses à quel moment en termes de calendrier, qu'est-ce qui est réaliste ?

BRUNO LE MAIRE
Ça veut dire que dès le début on doit déjà avoir des baisses maintenant, puisqu'il y a 5 000 produits sur lesquels soit les prix sont bloqués, soit les prix doivent baisser, donc c'est maintenant qu'on verra les baisses.

ADRIEN GINDRE
Mais des baisses, à condition que les industriels soient de bonne volonté, ce qui n'est pas toujours le cas.

BRUNO LE MAIRE
Non, parce que les industriels, s'ils ne sont pas de bonne volonté, je n'hésiterai pas, là aussi, pour obtenir ce que je souhaite pour les consommateurs, à nommer les industriels qui ne jouent pas le jeu. J'ai commencé à le faire, je continuerai à le faire si des industriels ne jouent pas le jeu.

ADRIEN GINDRE
Lesquels ne jouent pas le jeu aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Moi j'ai cité PROCTER & GAMBLE, j'ai cité UNILEVER, j'ai cité un certain nombre d'entreprises. Je pourrais continuer à le faire si jamais ils ne jouent pas le jeu. Ensuite, deuxième décision, nous allons anticiper ces négociations commerciales pour que dès le début de l'année 2024 on voit une réelle baisse des prix, encore plus forte que celle que nous voyons aujourd'hui. Et troisième chose, il faut voir s'il ne faut pas des négociations plus régulières, parce qu'aujourd'hui, avoir ce rendez-vous annuel ça bloque les prix. Et quand les prix baissent rapidement et qu'on voit que les marchés évoluent, eh bien il faut que ça se voit dans les rayons et que ça se voit plus rapidement.

ADRIEN GINDRE
Mais, est-ce qu'il ne faut pas aussi changer les règles et pas seulement le calendrier ? Par exemple l'obligation d'avoir une marge d'au moins 10 %. Michel-Édouard LECLERC à votre place hier prenait l'exemple, il disait le Coca-Cola n'est pas produit en France, aucune raison d'avoir une marge de 10 % là-dessus. Et puis il y a la question du plafonnement des promotions, 34 % maximum sur certains produits comme l'hygiène, lessives etc.

BRUNO LE MAIRE
Il y a deux choses différentes.

ADRIEN GINDRE
Parce que les règles sont nombreuses.

BRUNO LE MAIRE
Je ne suis pas du tout d'accord pour qu'on remette en cause cette règle des 10 %. Pourquoi ? On vient de parler des paysans, des agriculteurs, des producteurs de lait, des producteurs de fruits et légumes, des éleveurs pour lesquels la situation est très difficile. Il y a un certain nombre d'élevages qui s'ouvrent actuellement, leur situation est objectivement très difficile, on ne va pas leur prendre leurs marges. Au contraire, je vais saisir, avec le ministre de l'Agriculture, l'Observatoire des prix et des marges, dans les jours qui viennent, pour qu'il vérifie que les marges des producteurs sont bien protégées, et j'y tiens viscéralement. On doit protéger les marges de nos producteurs agricoles. Et on doit préserver notre agriculture. Je saisirai donc l'Observatoire des prix et des marges avec le ministre de l'Agriculture, pour nous assurer que ces marges des producteurs chances sont respectées. Après, il y a un autre sujet, c'est les produits d'hygiène et les promotions sur les produits d'hygiène et les détergents. Il y a une disposition dans la loi Descrozaille, cette loi, c'est une bonne loi, mais il y a une disposition à laquelle je me suis opposé, mais que les parlementaires ont votée, ils sont souverains, ils ont bien entendu leur plein droit de voter cette disposition, c'est celle qui limite les promotions sur les produits d'hygiène et les détergents, donc sur les lessives, les dentifrices, les déodorants, à 34 %, alors que certains un distributeur font aujourd'hui 50, 55, 60 %. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que le jour où cette loi s'applique, en mars 2024, eh bien il n'y a plus 50, 55 ou 60 % de remise sur vos déodorants, sur vos shampoings ou sur vos lessives, mais ça ne peut pas être plus de 34 %.

ADRIEN GINDRE
Ça veut dire que la situation sera pire encore pour le consommateur.

BRUNO LE MAIRE
Oui. Moi je souhaite que les parlementaires reviennent sur cette disposition. Alors on m'a dit : mais vous allez toucher des PME françaises. Mais c'est faux. 80 % des volumes sur les produits d'hygiène, les produits de détergents, c'est des très grandes multinationales industrielles. Donc je pense qu'on peut facilement leur imposer des remises plus élevées…

ADRIEN GINDRE
Il faudra convaincre les parlementaires, y compris dans votre majorité.

BRUNO LE MAIRE
Oui mais je crois beaucoup à la lucidité, au bon sens, à la solidité de nos parlementaires, si on leur apporte les éléments tangibles comme quoi ces produits c'est d'abord des grandes multinationales qui peuvent parfaitement supporter des réductions de marges plus importantes, au profit du consommateur et du pouvoir d'achat du consommateur, ils voteront une modification.

ADRIEN GINDRE
Je parlais de Michel-Édouard LECLERC à l'instant. Hier il s'est aussi risqué sur ce plateau à une anticipation, un pronostic, il disait : l'inflation est là pour 10 ans. Il distingue ce qu'est l'inflation de ces derniers mois, de son point de vue spéculatif, trop anticipatrice, liée à l'Ukraine et à l'énergie, et une inflation plus structurelle liée aux conditions de production, à la souveraineté, à la relocalisation, à la suppression des énergies fossiles. Est-ce que vous partagez cette analyse, 10 ans d'inflation à venir ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne dirais pas 10 ans, je dirais que nous entrons dans un nouveau modèle économique, un modèle économique dans lequel on produit plus chez nous, plus de biens agricoles, je le souhaite, plus de biens industriels, nous nous battons pour cela, nous commençons à avoir des résultats, et surtout, et surtout des produits plus décarbonés, plus propres, plus respectueux de l'environnement, mais donc plus coûteux. Quelle est la contrepartie de ce modèle ? Il faut les meilleurs salaires. C'est ça le bon modèle pour moi. On produit plus chez nous et les salaires sont plus élevés, parce que les qualifications et les formations sont meilleures. L'ancien modèle, dans lequel vous importez tout, ce n'est pas cher et les salaires baissent en France, c'est un très mauvais modèle, c'est un modèle d'appauvrissement. Moi je prône un modèle d'enrichissement, de prospérité et un modèle durable, dans lequel nous produisons nos produits agricoles, nous produisons nos produits industriels, dans des conditions, Michel-Édouard LECLERC a raison, qui sont un peu plus coûteuses, meilleures socialement, meilleures du point de vue environnemental, et qui sont compensées par des niveaux de salaires, des niveaux de qualification, des niveaux de formation, plus élevés. Voilà le modèle, pas à 10 ans, à 20 ans ou à 30 ans, que je souhaite mettre en place.

ADRIEN GINDRE
Revenons aux questions de budget, d'ailleurs c'est lié aux entreprises dont vous parliez. Il y a un an quasiment jour pour jour sur ce plateau vous annonciez que la suppression de la CVAE, la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises ne serait finalement pas en une fois mais en deux fois sur 2 ans, finalement ça a été étalé jusqu'en 2027. Alors, quelle sera la baisse l'année prochaine ? Certaines entreprises seront-elles exonérées dès l'année prochaine de cette CVAE ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, il y aura une baisse de 1 milliard d'euros de la CVAE dès l'année prochaine, et dès que nous pourrons la supprimer totalement nous le ferons, au plus tard 2027, mais si on peut le faire plus tôt, on le fera plus tôt. Et vous avez 300 000 entreprises aujourd'hui, industrielles, quasiment toutes des TPE ou des PME, qui paient une cotisation forfaitaire de 63 €. Cette cotisation elle sera supprimée dès le budget 2024. Donc vous aurez 300 000 entreprises, principalement des TPE et des PME qui ne paieront plus du tout de CVAE dès l'année prochaine, parce qu'elles ne paieront plus cette cotisation forfaitaire de 63 €.

ADRIEN GINDRE
Donc c'est un petit montant, c'est les entreprises qui payaient…

BRUNO LE MAIRE
C'est un petit montant, mais vous savez, tout ce qui simplifie la vie des entreprises, qui leur facilite la vie, qui allège les charges, et même chose pour les ménages, ça va dans le bon sens. Pourquoi ? Ça libère l'économie française, qui a un potentiel exceptionnel, d'innovation, de production, d'engagement au travail, de créativité. On libère ce potentiel, on voit les résultats que ça donne, et la France peut et doit être la locomotive économique de l'Europe.

ADRIEN GINDRE
Dans les questions de budget, nos confrères des Échos ce matin se font l'écho d'une réflexion, ils disent que vous réfléchissez à une nouvelle taxe sur le chiffre d'affaires des sociétés d'autoroutes et des aéroports. Vrai ou faux ?

BRUNO LE MAIRE
Alors vrai, que nous voulons récupérer les surprofits qui ont été faits par les sociétés d'autoroutes. Nous avons bien vu que les profits des sociétés d'autoroutes ont été plus élevés que prévu, d'ailleurs je prends toute ma responsabilité puisque j'étais aux affaires à ce moment-là avec le Premier ministre Dominique de VILLEPIN. Et je l'ai dit de manière très transparente et très honnête à la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Nous avons étudié deux voies. La première c'était de raccourcir la durée de concession des autoroutes. Le Conseil d'État nous a dit "ce n'est pas possible". On a étudié une deuxième voie, qu'est de dire : eh bien on voudrait peut-être, dans ce cas-là taxer les surprofits des sociétés d'autoroutes. Le Conseil d'État nous a dit : ça, cette voie-là, elle est possible. Nous emprunterons donc cette voie, dans le budget 2024, pour éviter qu'il y ait des surprofits qui soient faits par les sociétés d'autoroutes.

ADRIEN GINDRE
Y compris pour les aéroports ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, nous verrons les modalités. Les modalités elles seront discutées avec les parlementaires, on est en train d'y travailler, mais je vous confirme que nous mettrons en place une taxation pour éviter les surprofits qui ont été faits par les sociétés d'autoroutes.

ADRIEN GINDRE
Ça représentera quel montant pour vous et donc pour elles, puisqu'elles paieront ?

BRUNO LE MAIRE
On est en train de l'évaluer. Nous sommes en train d'évaluer les modalités, donc je ne peux pas être plus précis, mais je vous confirme effectivement cette information. D'ailleurs ce n'est pas une grande nouvelle ça fait des mois qu'on y travaille, on va au bout de nos idées et là encore je ne suis pas là pour demander, je suis là pour obtenir des résultats au service de nos compatriotes, et les résultats ils sont là. Je vous rappelle que sur ce même plateau, je crois, il y a à peu près 1 an, on parlait des chiffres de la croissance, et vous me disiez : "Mais tout le monde annonce une récession". J'ai dit : "On fera 1 %". Tout le monde a dit : "Mais on ne fera jamais 1 %, le ministre de l'Économie raconte des carabistouilles". Un an plus tard nous faisons 1 % de croissance.

ADRIEN GINDRE
Vous demandez quand même un soutien aux Républicains, ce sont les seuls qui pourraient éventuellement voter avec vous pour le Budget, et à très court terme pour la loi de programmation des finances publiques. Vous avez dit clairement que vous ne souhaitiez pas recourir au 49.3, si possible. Est-ce que vous avez eu des garanties des Républicains, sont-ils prêts à vous soutenir pour cette loi de programmation des finances publiques ?

BRUNO LE MAIRE
Quand je lis les déclarations qui ont été faites par le président du groupe Les Républicains, par certains députés des Républicains dans la Presse, encore ce matin, on peut douter de leur volonté modérée…

ADRIEN GINDRE
Vous faites allusion au fait que certains appellent à une motion de censure contre le gouvernement.

BRUNO LE MAIRE
Voilà. On peut douter de leur volonté d'accélérer le désendettement de la France, tel qu'il est proposé dans cette loi de programmation des finances publiques. Moi je ne désespère pas. Je continue à leur dire : Écoutez, la principale économie qui est faite dans cette loi de programmation des finances publiques, c'est la réforme des retraites. Vous n'avez pas été capables d'être d'accord sur cette réforme des retraites, que pourtant vous aviez défendue pendant des années. Je vous offre une deuxième chance de pouvoir participer au désendettement de la France, en soutenant cette loi de programmation des finances publiques. Soutenez-là. Vous me dites : mais on ne va pas être caution de toutes ces dettes qui ont été contractées pendant la crise du Covid, mais c'est les mêmes qui venaient toquer à ma porte en disant : "Il faut dépenser plus pour les entreprises, il faut dépenser plus pour les ménages".

ADRIEN GINDRE
Bon, le plus probable reste le 49.3, quand on voit la situation…

BRUNO LE MAIRE
On verra. Vous savez, moi mon énergie est inépuisable. Dès qu'on peut dialoguer, dès qu'on peut essayer de construire, tant mieux, mais on ne peut jamais construire tout seul.

ADRIEN GINDRE
Le projet de loi immigration, ce matin, dans la presse également, un appel retentissant de plusieurs dizaines de parlementaires de la majorité et de la gauche, pour certains d'entre eux, pour un appel à la régularisation des travailleurs sans papiers. Qui faut-il écouter, là, pour le coup, la gauche et ses parlementaires de la majorité qui disent : il faut que le titre de séjour métier en tension soit dans votre projet de loi, ou la droite qui dit : c'est une ligne rouge, et trouvez d'autres solutions ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il faut écouter ce qui est bon pour la nation française…

ADRIEN GINDRE
En l'occurrence ?

BRUNO LE MAIRE
Et ce qui est bon pour les Français, en matière d'immigration, ce qui est bon, c'est la fermeté, nos compatriotes attendent de la fermeté…

ADRIEN GINDRE
Donc pas forcément un titre de séjour métier en tension…

BRUNO LE MAIRE
En matière migratoire, c'est la première chose qu'ils attendent. Ils attendent une chose qui est naturelle, qui est légitime, c'est qu'une obligation de quitter le territoire français soit strictement, rigoureusement et rapidement appliquée, c'est la première chose qu'ils attendent, et je partage totalement leurs attentes…

ADRIEN GINDRE
… Titre de séjour métier en tension ?

BRUNO LE MAIRE
La deuxième chose, c'est qu'ils voient bien, tous, quand ils vont au restaurant ou ailleurs, qu'il y a des personnes qui sont en situation illégale alors qu'elles parlent le français, qu'elles respectent nos valeurs, qu'elles travaillent, qu'elles se donnent du mal, qu'elles participent…

ADRIEN GINDRE
Et ça doit être dans le projet de loi ou ça peut être par voie réglementaire, par d'autres biais ?

BRUNO LE MAIRE
Ça, c'est au ministre de l'Intérieur de le décider, peu importe la voie, mais il me paraît légitime, pas juste, surtout la justice, il n'y a rien de plus important en politique que ces personnes-là puissent être régularisées au cas par cas. Puis, il y a une troisième chose qui est très importante, c'est faut-il avoir recours…

ADRIEN GINDRE
D'un mot pour terminer…

BRUNO LE MAIRE
Faut-il avoir recours à une main d'œuvre étrangère quand il y a des métiers en tension, là, je dis qu'il faut d'abord aller voir ce qui peut être fait en matière de formation de qualification de nos compatriotes, ils sont encore des millions qui n'ont pas de travail.

ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup Bruno LE MAIRE d‘avoir été l'invité de LCI ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 septembre 2023