Interview de M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie, à RMC le 26 septembre 2023, sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre pour les 50 sites industriels les plus polluants, la voiture électrique, les pompes à chaleur et les prix de l'électricité.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
C'est vous Roland LESCURE l'invité du jour. Bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre délégué à l'Industrie. L'industrie c'est très concret parce qu'on va parler de ce qui se passe dans notre voiture, de ce qui se passe à la maison avec le chauffage et de ce qui va devenir une forme d'industrie verte. C'est l'un des objectifs qui a été donné hier par Emmanuel MACRON. Ça passe principalement par la baisse des émissions de gaz à effet de serre pour les 50 sites industriels les plus polluants avec un effort très important pour l'industrie. Réduire les émissions de CO2 mais verser une aide carburant ; est-ce que ce n'est pas totalement contradictoire ?

ROLAND LESCURE
Non, on essaie de régler à la fois les enjeux de très court terme ; l'essence a monté et les gens ont encore des véhicules thermiques, et les enjeux de plus long terme : réduire à la fois les factures énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre. Vous l'avez dit, il y 50 sites industriels en France qui sont les sites qui emploient des milliers de nos concitoyens, qui sont des aciéries, des alumineries, des cimenteries. À eux seuls, c'est 60 % des émissions de l'industrie. Donc moi je suis en train de signer 50 contrats avec chacun d'entre eux pour dire "on va vous aider".

APOLLINE DE MALHERBE
Pour dire "notre usine, on va faire un effort"

ROLAND LESCURE
En moyenne, moins 45 % par rapport à aujourd'hui d'ici 2030 et zéro émission nette en 2050. Donc ça, ça prend évidemment beaucoup d'électricité parce qu'on va passer... Si vous voulez, ça fait 150 ans qu'on fait de l'acier avec du charbon. On va faire de l'acier avec de l'hydrogène. Ça a l'air simple comme ça. Ça veut dire qu'il faut produire des tonnes et des tonnes d'électricité pour remplacer le charbon par de l'électricité.

APOLLINE DE MALHERBE
On va revenir justement sur les prix d'électricité parce que c'est quand même assez obscur. Mais globalement, on a du mal à suivre c'est-à-dire qu'on nous a dit qu'il allait falloir faire des efforts colossaux, on nous a dit qu'à partir de 2035, il n'y aurait plus de voiture avec un moteur thermique qui serait produite ou vendue en France. Et dans le même temps, on a Emmanuel MACRON hier qui dit "non, mais moi j'adore la bagnole." Il avait besoin de dire  "j'adore la bagnole" ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, on va adorer la bagnole électrique. Donc on va passer de la bagnole thermique à la bagnole électrique. Je ne sais pas si vous en avez déjà conduit une, ce sont des sensations différentes.

APOLLINE DE MALHERBE
Ne me lancez pas sur ce sujet parce que Charles va encore se moquer de moi. J'ai fait un Paris - Le Mans en voiture électrique, ça a été un enfer. Il n'y avait pas une charge qui marchait. On nous avait dit que ça allait rouler, mais vous mettez des enfants dans la voiture et des bagages, en fait, vous vous rendez compte que ça roule 20 kilomètres au lieu des 100 qu'on vous avait promis. Donc non, non, ça a été un enfer. Donc, dans les faits, ce n'est pas encore au point cette histoire.

ROLAND LESCURE
On va, j'espère, transformer votre enfer en paradis ; mais c'est vrai que ça prend une bonne dizaine d'années.

APOLLINE DE MALHERBE
Non, c'est bien quand vous êtes tout seul pour aller faire votre voyage.

ROLAND LESCURE
Non mais il faut des bornes électriques, vous avez raison. On est en train de les déployer mais il en faut partout.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y en avait qui une était pétée et puis, il n'y avait jamais la bonne carte, jamais la bonne marque.

ROLAND LESCURE
Donc tout ça, il faut le simplifier.

APOLLINE DE MALHERBE
Voilà.

ROLAND LESCURE
Aussi aider les Françaises et les Français à acheter des véhicules parce que ça coûte plus cher à l'achat et moins cher à l'usage. Donc ça, c'est ce qu'il a annoncé hier.

APOLLINE DE MALHERBE
Combien de bornes allez-vous mettre en place ?

ROLAND LESCURE
Des milliers. Il y en a déjà beaucoup sur les autoroutes. Je ne sais pas si vous…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui mais sauf que ce sont des bornes, un coup c'est une borne (je ne sais pas) pour la PEUGEOT, un coup c'est une borne pour la BM.

ROLAND LESCURE
L'enjeu majeur c'est la normalisation. Il faut qu'effectivement, on ait des bornes identiques et donc des normes identiques pour tous les véhicules. Ensuite, il y a le leasing social, ce que le Président de la République a annoncé hier. Ça veut dire que pour 100 euros par mois (on va commencer l'année prochaine et ça va se déployer dans les années qui suivent) vous pourrez avoir accès à un véhicule électrique.

APOLLINE DE MALHERBE
Combien ? C'est-à-dire combien il y aura de voitures disponibles. Parce que si le principe c'est de pouvoir le faire mais qu'en réalité, il n'y a que 1 000 voitures disponibles…

ROLAND LESCURE
Non mais aujourd'hui, on produit très peu de véhicules électriques en France. Un des enjeux de la transition écologique annoncé hier c'est "oui, on va acheter électrique, on va produire électrique". Donc dans cinq ans, on va produire un million de véhicules électriques en France, et dans dix ans, deux millions.

APOLLINE DE MALHERBE
Aujourd'hui on en produit combien ?

ROLAND LESCURE
Très peu, en fait. Ils sont tous exportés.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites très peu, c'est quoi ?

ROLAND LESCURE
Quelques milliers, quelques dizaines de milliers. Et surtout, on produit en fait…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais en 2024 déjà, on pourra en avoir ?

ROLAND LESCURE
Oui, parce que la R5 va être produite en France, la nouvelle R5, la 4L, la 2008, la 3008. Donc il y a des véhicules qui vont être produits en France, qui ne le sont pas encore. Et surtout, je dirais que les véhicules sont produits en France aujourd'hui sont des véhicules de haute gamme. Et c'est vrai que leasing social, ça va être plutôt des petits véhicules, donc il faut qu'on change notre gamme. Il faut qu'on adapte les véhicules à la transition écologique.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est là que je vous pose une question très concrète, Roland LESCURE, et je vous repose la question : il y en aura combien en 2024 qui seront disponibles pour les Français ? C'est-à-dire est-ce que vous allez, simplement pour l'affichage, dire "ça y est, on ouvre les guichets, vous allez pouvoir avoir accès à cette offre de voitures électriques à 100 euros par mois", mais qu'en réalité, quand on s'inscrira, on sera sur liste d'attente pendant dix ans.

ROLAND LESCURE
Non, ce ne sera pas dix ans mais…

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'il y aura vraiment des véhicules disponibles ?

ROLAND LESCURE
Vous savez un véhicule, ça se rôde. Eh bien, un nouveau système, ça se rôde aussi. Donc c'est vrai qu'en 2024, on sera un rodage. Donc on parle de 10 000…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc en fait, on nous annonce 2024, mais en vrai, c'est 2025 ?

ROLAND LESCURE
Non, ce n'est pas vrai, on aura 10 000, 20 000 véhicules, et on verra si on a de la demande. Parce que vous l'avez dit, pour l'instant, les gens se méfient encore un peu, les pompes, etc., les bornes. Donc on est vraiment dans une période de rodage, on va montrer que le système fonctionne. En parallèle, on va produire de plus en plus de véhicules en France, et à terme, on produira et on consommera français. C'est quand même l'objectif premier de cette transition écologique.

APOLLINE DE MALHERBE
Les pompes à chaleur, on sait qu'aujourd'hui, c'est un des systèmes qui sont les plus écolos, qui consomment le moins et qui permettent un chauffage vraiment en douceur. Pour autant, c'est extrêmement cher, la mise en place, et peu de gens peuvent avoir accès à une pompe à chaleur. Est-ce que vous allez rendre la pompe à chaleur populaire, disponible ?

ROLAND LESCURE
Oui, alors c'est cher et, en plus, c'est fait en Chine. Donc c'est la double peine, si vous voulez. Donc moi, je souhaite, et le Président de la République l'a annoncé hier, on souhaite qu'on fasse un million de pompes à chaleur qui seront, en gros, des chaudières électriques quoi, parce que pompe à chaleur, on ne sait pas bien ce que c'est. Vous remplacez une chaudière à gaz qui émet des gaz à effet de serre par une chaudière électrique, le problème, c'est que la chaudière à gaz, aujourd'hui, elle est faite en France ; la chaudière électrique, elle est faite en Chine. Donc on développe la filière faite en France, on va produire un million de chaudières électriques, de pompes à chaleur, et on va progressivement remplacer les premières par les deuxièmes. Il faut aider à l'achat, effectivement. Vous savez qu'aujourd'hui…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est quoi, aujourd'hui ? C'est 20 000 € à peu près, l'installation d'une pompe à chaleur.

ROLAND LESCURE
Entre 10 000 et 20 000 € selon la qualité de la pompe, alors qu'on est plutôt sur quelques millions d'Euros pour le gaz. On économise…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est quand même décourageant.

ROLAND LESCURE
Oui, mais en facture, on économise énormément. En 5 ans, 10 ans maximum, votre pompe à chaleur, elle est rentabilisée. Donc il faut aider à l'achat pour que les Françaises et les Français bénéficient d'électricité pas chère.

APOLLINE DE MALHERBE
Il va y avoir une prime ? Il va y avoir une aide ?

ROLAND LESCURE
Alors en fait, ce qui se passe aujourd'hui, c'est la rénovation thermique dans l'ensemble, elle est aidée. On a 5 milliards, en 2024, d'Euros qui permettent d'aider les Françaises et les Français à rénover leur logement. Eh ben dans la rénovation du logement, il y a le système de chauffage. Donc effectivement, le système de chauffage et donc la pompe à chaleur va être couvert par cette aide à la rénovation thermique. Parce que si vous changez la chaudière mais que vous n'isolez pas votre bâtiment…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça ne sert à rien.

ROLAND LESCURE
Vous avez tout perdu en fait. Vous avez 10 000 à 15 000…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais si vous isolez la maison, mais que pour autant, vous n'avez pas les moyens, derrière, de changer la chaudière, c'est presque la moitié du chemin.

ROLAND LESCURE
Exactement. C'est pour ça qu'il faut que l'aide, moi, ce que je souhaite, on verra si on peut le faire dès 2024 d'ailleurs, parce que pour l'instant, on n'a pas les pompes à chaleur faites en France, c'est qu'on puisse faire ce qu'on appelle une éco-conditionnalité. C'est-à-dire que vous avez l'aide à condition que vous achetiez une pompe à chaleur faite en Europe ou faite en France. Pour ça, il faut…

APOLLINE DE MALHERBE
Pour ça, il faut trouver quoi, c'est exactement la…

ROLAND LESCURE
Exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
On revient au même problème qu'avec la voiture électrique.

ROLAND LESCURE
Exactement. Mais on est dans une phase de transition, et donc il faut reconnaître qu'on passe d'un monde A, le pétrole, le gaz, le charbon à un monde B. On n'a plus rien de tout ça. Et on est dans la transition. Ce qu'on a annoncé hier, c'est qu'on accélère, et on accélère vraiment vite.

APOLLINE DE MALHERBE
Roland LESCURE, il y a quand même aussi ce problème d'électricité. J'ai l'impression, on va être honnête, que ça fait deux ans que je vous pose la question. Le premier qui en avait parlé, c'était Bruno LE MAIRE, il a dit, voilà : "Les prix de l'électricité, on est dépendant d'un mécanisme européen, de la dernière centrale qui a livré de l'électricité, qui fixe les prix". Sauf que pendant longtemps, nous, ça nous a globalement arrangés puisque c'était nous qui fixions les prix parce qu'on produisait beaucoup d'électricité avec une centrale nucléaire. On s'est retrouvé avec des prix qui ont flambé, des centrales nucléaires qui étaient hors service. Tout ça nous a très largement défavorisés. Ça fait deux ans que vous en parlez, et tout d'un coup, Emmanuel MACRON, hier, qui nous dit : "On va reprendre le contrôle dans l'électricité". Mais alors vous avez fait quoi pendant deux ans ?

ROLAND LESCURE
On a négocié. Et je peux vous dire qu'on a négocié dur avec les 27 partenaires. Et puis il faut se le dire, entre nous, avec… Je pense qu'Emmanuel LECHYPRE l'a très bien dit tout à l'heure, il y a la situation financière d'EDF, il ne faut pas fragiliser le champion, mais il y a surtout la facture d'électricité des Françaises des Français, des ménages, vous et moi, et des industriels. Parce que moi, quand je parle à des industriels qui ont envie de s'installer en France, le premier facteur qui nous donne notre attractivité, c'est l'électricité décarbonée pas chère, donc il faut de l'électricité décarbonée pas chère.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ça veut dire que vous vous engagez ce matin ? Est-ce qu'on peut comprendre que, en effet, il n'y aura plus jamais de flambée comme on en a connu il y a un an et demi ? Ça ne peut plus arriver, ce moment où tout d'un coup, on passe du simple au cent ?

ROLAND LESCURE
Exactement. On est passé de quelques euros à 1 000 euros. Ça arrivera sur les marchés, ça n'arrivera plus en France. C'est ça l'objectif. Les marchés, ils vivent leur vie, ils sont parfois un peu malades. Nous, ce qu'on veut, c'est que l'électricité que paient les Françaises et les Français, elle soit, au fond, aussi bon marché que ce qu'elle nous coûte. Parce que l'électricité française…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais encore une fois, c'est ce que vous nous dites depuis deux ans. Ça va vraiment arriver ?

ROLAND LESCURE
Et voilà. Oui, on arrive. Le Président de la République l'a annoncé, on est dans la dernière ligne droite de la négociation. D'ici octobre…

APOLLINE DE MALHERBE
Sans tuer EDF ?

ROLAND LESCURE
Évidemment, on ne tue pas le champion, mais on s'assure que les coûts de revient du champion qui sont faibles bénéficient à tout le monde, vous et moi.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Roland LESCURE d'être venu répondre à mes questions ce matin. Je rappelle que vous êtes le ministre délégué à l'Industrie. Il est 7h49 sur RMC.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 septembre 2023