Interview de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Radio J le 4 octobre 2023, sur le Prix Nobel de Physique 2023, le budget 2024 pour la recherche et pour la vie étudiante et le bilan de Parcoursup 2023.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Sylvie RETAILLEAU, bonjour.

SYLVIE RETAILLEAU
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et ça tombe bien, nous avons eu hier le Prix Nobel de Physique, pour deux chercheurs, Anne L'HUILLIER et Pierre AGOSTINI, associés à un collègue hongrois, Ferenc KRAUSZ. Six Nobel de Physique en 20 ans pour la France. Vous-même vous êtes spécialiste des dispositifs à hétérojonction IV-IV en technologie bipolaire, alors, on ne va pas en parler ce matin…

SYLVIE RETAILLEAU
Non, vous êtes sûr ?

CHRISTOPHE BARBIER
Sûr ! J'ai trouvé ça, bien sûr, mais je ne sais pas de quoi il est question. C'est les semi-conducteurs, je crois, votre spécialité, eux, c'est les électrons. La recherche française va bien.

SYLVIE RETAILLEAU
Oui, alors, en tout cas on est fier. C'est une fierté d'avoir ces deux Prix Nobel, suite au Prix Nobel d'Alain ASPECT l‘année dernière, et donc ça montre aussi l'excellence de nos formations, de nos formations scientifiques, en physique, mais en a eu aussi l'année dernière une médaille Fields de mathématiques…

CHRISTOPHE BARBIER
En mathématiques, bien sûr.

SYLVIE RETAILLEAU
... avec Hugo DUMINIL-COPIN, donc, belle moisson.

CHRISTOPHE BARBIER
Et ils ont souvent charismatiques. Nos Nobel sont souvent charismatiques, Pierre-Gilles de GENNES, Georges CHARPAK, Cédric VILLANI. Ça c'est important aussi, de faire passer la…

SYLVIE RETAILLEAU
Effectivement. Je pense que ce sont des gens qui connaissent l'impact de la diffusion de la culture scientifique, de l'importance de communiquer, d'attirer vers les sciences, en particulier de parler aux jeunes, et on le voit avec Alain ASPECT, mais on le voit avec Anne L'HUILLIER, avec tous. Et puis tous ces, je dirais c'est Prix Nobel représentent finalement une physique assez fondamentale, mais qui donne des perspectives claires d'application, même si elles n'existent pas. Alors, sur le Prix Nobel d'hier, il y a aussi des perspectives en électronique, sur les semi-conducteurs justement, avec les électrons, savoir un peu maîtriser ou comprendre le mouvement des électrons. Donc ces applications dans le domaine de l'électronique, mais aussi du médical, du diagnostic, donc on voit les applications et ça montre aussi l'importance de cette recherche fondamentale pour préparer notre avenir.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça vous rassure ou vous continuez à avoir peur sur la vocation scientifique des jeunes en France, maths ou physique, est-ce que vous vous dites : « bon, ils vont y aller naturellement » ou il faut les pousser ?

SYLVIE RETAILLEAU
Il faut les pousser. Il faut qu'on travaille à cette, d'une part attractivité de nos sciences, en particulier la physique, l'informatique, les maths etc. Et il faut aussi que tout au long des cursus, et c'est à partir de l'école primaire, c'est tout petit, on leur montre que c'est accessible, on leur montre les applications, qu'on les fasse rêver, parce que la science c'est aussi comprendre le monde et faire rêver, et je pense qu'on a un travail à faire. Et puis peut-être dire, et moi je suis d'autant plus heureuse, que l'on a une femme, Prix Nobel de Physique, donc ça c'est la cinquième uniquement depuis Marie CURIE, grande lignée de physiciennes, mais c'est la cinquième sur 118 lauréats de physique, donc quand même pas beaucoup, et je pense que ça permet de nous passer un message aux jeunes filles : « On vous attend, faites des sciences, on a besoin de vous ».

CHRISTOPHE BARBIER
Tout à fait. Et pour les mathématiques, on peut signaler l'ouverture de la Maison ou musée Henri Poincaré. Ça aussi.

SYLVIE RETAILLEAU
Exactement, Henri Poincaré, on a inauguré la semaine dernière…

CHRISTOPHE BARBIER
Pour le grand public, c'est important.

SYLVIE RETAILLEAU
Enorme. Et une très belle maison.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors c'est très bien. Alors, pour la recherche, eh bien vous savez ce qu'on va vous demander : c'est de l'argent. Alors, il y a une loi de programmation, est-ce que le budget 2024 est au rendez-vous ?

SYLVIE RETAILLEAU
Oui, le budget 2024, comme 2023, est au rendez-vous de cette loi de programmation de recherche. Ce budget il est en augmentation de façon globale, au niveau du budget de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, de 1,2 milliard d'euros, sur les 25 milliards que représente le budget. Donc on est à peu près à un peu moins de 5 % d'augmentation, donc dans un contexte de désendettement, dans un contexte de responsabilité, d'un budget responsable, c'est un budget en augmentation, et dans cette augmentation, une part, à peu près la moitié c'est l'application pour la loi programmation de la recherche, avec en particulier, vous le disiez, une attractivité sur les salaires, donc sur cette loi il y a des postes, cette année on met 725 postes de plus pour l'année 2024. Il faut savoir qu'au total à peu près cette loi programme 5 200 postes, plus de 5 000 postes de plus dans l'enseignement supérieur, et puis une attractivité aussi des salaires…

CHRISTOPHE BARBIER
La rémunération des enseignants chercheurs va croître.

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, on a une rémunération, alors je voudrais parler des doctorants aussi, parce que c'est important. Donc déjà aujourd'hui on est passé, en 2000 on avait un salaire d'à peu près 1 780 €, 85 €, on est à plus de 2 000 et on va aller à 2 300 € par mois pour doctorant. Pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs pareil. Sur l'indemnitaire, par exemple leur prime de base socle, sans contrepartie était à 1 200 en 2000, elle va être à 6 400 à la fin de la loi programmation, elle est autour de 3 500, 4 000, entre 2023/2024.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est un véritable effort, ce ne sont pas non plus des fortunes, est-ce qu'on a un moyen d'intéresser les chercheurs aux futurs brevets, aux futures applications pratiques qui vont peut-être faire gagner des fortunes à des entreprises ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, c'est évidemment un des axes dans la loi de programmation et une excellente question, c'est-à-dire que l'accès à l'innovation et à la valorisation, on voudrait que finalement on ait un réflexe d'une découverte à l'application et au transfert. Et donc oui, il y a de l'intéressement possible pour les chercheurs qui pourront transférer ou avoir des brevets etc., mais aussi des mobilités facilitées, dans les deux sens d'ailleurs. Il est important que ce monde académique, et ça fait un moment que ça évolue et que c'est le cas, mais je dirais ait de plus en plus d'interaction avec le monde socio-économique, dont on fait vraiment partie, quand on fait partie de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Donc on a favorisé ces mobilités. Je reviens aux doctorants, mais il en a doublé le nombre de bourses qu'on appelle CIFRE, qui sont des bourses de doctorat, qui sont faits d'une part en laboratoires académiques et d'autre part en entreprises.

CHRISTOPHE BARBIER
Aujourd'hui, vous rendrez public le bilan de Parcoursup 2023. Alors, j'allais regarder les chiffres : 108 jours de délai en 2018, 37 jours aujourd'hui. C'est devenu une machine performante.

SYLVIE RETAILLEAU
Oui. Je crois que ce qui caractérise Parcoursup depuis qu'il a été créé, c'est son amélioration continue. On sait que c'est une période stressante pour les jeunes, entre le choix pour leur avenir, le baccalauréat à passer, donc on se doit d'améliorer cette plateforme qui leur permet d'avoir la visibilité sur 23 000 formations, c'est-à-dire devant leur ordinateur ils peuvent connaître, postuler à toutes les formations en France, donc aussi bien en proximité, parce que c'est important de donner l'accès en proximité, que partout en France. Donc c'est vrai qu'on a beaucoup amélioré, on a essayé de réduire ce stress, en réduisant comme vous l'a dit cette période où ils ont leurs propositions de voeux, et on est arrivé à la réduire effectivement à un mois environ, ce qui est quand même assez performant aujourd'hui.

CHRISTOPHE BARBIER
On pourra faire mieux, encore ?

SYLVIE RETAILLEAU
Non, je pense que, à peu près à quelques jours près, on essaie de vraiment garder ce 30/37 jours…

CHRISTOPHE BARBIER
C'est le traitement des données, minimal.

SYLVIE RETAILLEAU
Mais il faut ce temps de choix, de finalement de fluidifier ces propositions des voeux, et on va rester à peu près sur cette période d'un mois.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, 93,5 % des lycéens ont reçu une réponse, 73 % sont satisfaits du délai de la réponse. Il y a une petite disjonction, là, c'est la satisfaction sur laquelle on peut progresser.

SYLVIE RETAILLEAU
Oui, je pense que c'est l'accompagnement sur lequel on a beaucoup progressé cette année, vous l'avez dit, sur les temps, sur la temporalité pour réduire le stress. Beaucoup progressé aussi sur la transparence de Parcoursup, sur les critères, mais là, avec Gabriel ATTAL et le ministre... donc le ministère de l'Education nationale, on travaille sur l'accompagnement en amont, l'orientation. Parce que Parcoursup ne peut pas se préparer en Terminale, Parcoursup il va se préparer bien avant, donc même au collège pour la connaissance des métiers, mais dès la Seconde, avec l'Enseignement supérieur, on va améliorer, accompagner cette orientation au lycée.

CHRISTOPHE BARBIER
Il faut mieux savoir ce qu'on veut, pour ne pas être déçu, en aval.

SYLVIE RETAILLEAU
Exactement. Et puis avoir, je dirais, par exemple, on veut faire médecin, on sait que c'est difficile d'arriver à une carrière de médecin etc., et il y a beaucoup de métiers qui permettent de travailler dans le domaine de la médecine, à l'hôpital, même si on n'arrive pas à faire médecin. Et je pense que tous ces métiers se découvrent en amont, se préparent, les voies d'accès aussi, et il faut qu'on accompagne nos jeunes et leurs familles, à découvrir un peu l'ensemble de nos parcours et des métiers.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour 2024, vous promettez plus de transparence dans Parcoursup, et notamment mieux expliquer les décisions prises. Mais concrètement, ça va être quoi ? Un numéro vert où on appelle pour savoir pourquoi on a été pris ou pas pris ?

SYLVIE RETAILLEAU
Alors, effectivement, d'abord ça veut dire, on a fait dès 2023, cette année, pour chaque formation il y a une fiche qui accompagne chaque formation, avec les critères de choix, en fait, des commissions d'Enseignement supérieur…

CHRISTOPHE BARBIER
Ce sur quoi on va être jugé.

SYLVIE RETAILLEAU
Ce sur quoi on va être jugé. Et par exemple, est-ce qu'on est jugé sur les notes en discipline, est-ce qu'on est jugé sur d'autres qualités, avec les poids de ces jugements ? Donc ça on l'a fait…

CHRISTOPHE BARBIER
Ce n'est pas un jeu de hasard.

SYLVIE RETAILLEAU
Exactement. Et c'est les jugements de la Commission des enseignants qui regarde les dossiers. Donc ça on l'a fait, et l'idée c'est de comprendre maintenant pourquoi, vous l'avez dit, on a été pris ou pas... enfin, pas pris surtout, c'est là où on a besoin de comprendre.

CHRISTOPHE BARBIER
Bien sûr.

SYLVIE RETAILLEAU
Donc c'est sous quelle forme on va donner des retours. Il faut savoir qu'aujourd'hui déjà, un étudiant qui n'est pas pris, a le droit et on se doit, s'il le demande, de lui donner la raison de son refus ou du fait qu'il n'a pas été accepté à une formation. Donc il le demande, il a la réponse. L'idée c'est d'automatiser un peu ce retour pour que les jeunes, nos élèves et étudiants soient un peu fixés…

CHRISTOPHE BARBIER
Aient l'explication.

SYLVIE RETAILLEAU
Aient l'explication.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, la vie des étudiants n'est pas facile, ensuite, une fois qu'ils sont dans leur formation, est-ce qu'il y aura dans votre budget, un effort pour les aider financièrement ?

SYLVIE RETAILLEAU
Oui. Je vous disais tout à l'heure que ce budget a augmenté de 1,2 milliard, on parlait, à peu près la moitié est sur la recherche avec la loi programmation, l'autre moitié c'est sur la vie étudiante.

CHRISTOPHE BARBIER
Avec en priorité quoi ? Le logement ?

SYLVIE RETAILLEAU
Avec en priorité les bourses, puisqu'il y a eu un gros effort que j'avais annoncé en mars et qui aujourd'hui est, depuis août, enfin les étudiants le voient, cette augmentation de nombre... Alors deux choses, dans les bourses, un demi-milliard, 500 millions d'euros ont été mis en plus par le gouvernement à cette rentrée, d'une part pour les bourses, c'est-à-dire qu'ils sont mieux rémunérés, entre 37 € par mois jusqu'à 127 € par mois si vous changez d'échelon, donc une augmentation bien au-dessus de l'inflation. On a voulu accompagner, mais aussi plus d'étudiants boursiers. On a changé le barème et on va avoir au moins 35 000 étudiants de plus, boursiers, et environ 140 000 étudiants qui vont changer d'échelon. Donc les bourses, et évidemment la restauration, la pérennité du repas à 1 €, on a, voilà, je dirais apporté cette compensation aux CROUS, c'est 50 millions d'euros, pour permettre, de façon automatique à tous les boursiers, de bénéficier du repas à 1 €, mais aussi pour les étudiants qui ont des difficultés, non-boursiers, précaires, peuvent avoir accès aux repas à 1 €. Et ça très rapidement, du jour au lendemain ils peuvent avoir accès…

CHRISTOPHE BARBIER
Ils le demandent, ils l'ont.

SYLVIE RETAILLEAU
... parce que quand on a faim, on n'attend pas. Donc le process a été fluidifié. Et puis le logement, vous en parlez, évidemment on travaille avec les CROUS, on va voir la rénovation de tous les logements CROUS qu'il reste à rénover, les 12 000, les 7 %, et on travaille avec le ministère du Logement pour augmenter l'offre.

CHRISTOPHE BARBIER
Un mot sur le sondage publié la semaine dernière : 91 % des étudiants juifs se disaient victimes d'antisémitisme, une blague ici, une ambiance là. Vous avez promis des outils qui seraient déployés. Vous avez déjà une idée desquels ?

SYLVIE RETAILLEAU
Oui, tout à fait. Alors d'abord, je voudrais dire une chose, c'est que le gouvernement, vraiment, se mobilise totalement contre ce fléau. Pour nous, il est clair que l'antisémitisme, et sous quelle que forme que ce soit, est intolérable, inadmissible. Alors, vous l'avez dit, ça peut être des actes de violences physiques, mais parfois des actes de la petite blague comme on dit, et…

CHRISTOPHE BARBIER
Et mes outils, il nous reste peu de temps.

SYLVIE RETAILLEAU
Voilà, je vous le dis, j'arrive, vous avez raison, directement, les outils c'est que dans chaque université, école, il y a un référent antisémitisme, racisme, discrimination, donc ce référent il est là pour identifier les faits, accompagner les victimes, vraiment, et puis mettre en oeuvre par le président d'université, des sanctions qui peuvent être soit disciplinaires et/ou judiciaires. Donc on a les outils, et je dois rassembler les référents antisémitisme, racisme, dans les semaines qui viennent, pour accélérer, mieux les identifier et tolérance zéro.

CHRISTOPHE BARBIER
Eh bien Sylvie RETAILLEAU, merci, bonne journée.

SYLVIE RETAILLEAU
Merci beaucoup


source : Service d'information du Gouvernement, le 5 octobre 2023